Sous la douche, en rentrant de cette journée vraiment hors norme, Kara était restée immobile, les bras le long du corps, la tête penchée vers le bas en regardant dans le vide. Elle avait du mal à savoir comment elle se sentait, là, maintenant…
Une fois propre, elle avait passé un bon moment à s’observer dans le miroir, se considérant avec une sorte de dégoût. Sa poitrine avait des traces de succion appuyées, sa joue était encore bleutée de la veille, ses genoux écorchés, et elle avait encore l’intérieur des cuisses vifs. Soupir. C’était tellement fou.
Totalement incapable de trouver la motivation pour faire quelque chose de productif, Kara passa une bonne partie de sa soirée sur son smartphone, répondant aux quelques messages, puis chaussa son casque pour faire passer sa frustration, son dégoût d’elle-même et son envie de contrôle en martyrisant des pauvres noobs en ligne. Elle était déchaînée, et ils n’avaient aucune chance !
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- T’as tellement assuré Desco, ce quartier pue et toi t’as fait des ventes.Pour une fois que Tetsu ne se foutait pas d’elle, Kara jubilait. Devant l’imposante machine à cafés, un gobelet en main, elle replaça une mèche châtain d’un air de diva en ricanant. Il avait prospecté dans un quartier chic, lui, parce qu’il était super bien vu par Phil parce que leurs enfants allaient à la même école, et qu’ils avaient un mode de vie assez proches. Pourtant, Tetsu ne quittait pas le service des Ventes, alors qu’on lui avait plusieurs fois proposé des promotions. Il avait ça dans le sang, il était doué et savait qu’il fallait rester dans un secteur que l’on maîtrise.
- T’as dû encore t’en prendre plein dans la bouche, pour rapporter tous ces BDC, hein ?Elle sursauta. Merde, il savait ? Comment avait-il su ? Est-ce qu’il était dans le parc hier ? Kara paniqua, balbutia en regardant autour d’elle une sortie de secours, rendant perplexe Tetsu. Son collègue n’avait pas tenu bien longtemps avant de revenir à un mode de dialogue classique entre eux. Globalement, les commerciaux étaient des ordures, elle le savait…
«
La ferme, Murakami, sois pas jaloux parce que j’suis meilleure que toi. » Elle n’avait pas su quoi répondre, était rouge, et s’enfuit alors jusqu’à son bureau. Mais la crainte d’avoir était vue la rendait nerveuse. Fort heureusement, elle avait beaucoup de travail et fut happée par les dossiers toute la journée, ce qui avait l’avantage de ne pas lui permettre de repenser à la veille.
Au déjeuner, elle s’était dirigée machinalement vers le petite restaurant et bloqua devant la porte. La serveuse si attentionnée derrière la vitre lui faisait de petits signes en songeant qu’elle hésitait à entrer… Kara déglutit et après un petit sourire désolé, fit demi-tour pour remonter dans son open space.
Un repas équilibré de biscuits et de café devant son ordinateur plus tard, elle se replongeait dans les passionnantes évaluations, préconisations et analyses. Phil passa en personne la féliciter, elle s’inclina face à lui avec respect, mais plutôt fière…
«
Merci Phil, je t’avais dit que je gérais. »
C’était arrogant, mais sincère, et Phil lui tapa dans le dos en se marrant, avant de retourner dans son bureau personnel, non sans un petit mot pour Tetsu du style «
Ta fille a battu mon fils à la course, revanche ce week-end au stade ». Elle leva les yeux au ciel.
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- On va au karaoke, tu viens Desco ?Elle releva la tête de son clavier. Hein ? Quoi ? Merde, c’était l’heure ça ?
«
Ah non, désolée, j’vais chez un… » Un mec. Sa collègue, toute fraiche, toute jeune, sautillait pour mettre sa veste, s’arrêta et plissa les yeux.
- Hé Murakami, Desco a un rancard !Kara grogna, referma un peu vite son ordinateur portable et se leva d’un bond pour enfiler son manteau et soupira en leur lançant une grimace qui tordit son visage.
«
Dans vos rêves, j’vais jouer chez un gars et boire des bières, c’est pas un date. »
Merde, est-ce que c’était un rancard ? Cela la perturbait à mesure qu’elle marchait jusqu’au métro pour atteindre finalement le bas de l’immeuble de Souta. Levant le nez jusqu’aux fenêtres de son appartement, elle resta les mains dans les poches un petit moment, à se demander si elle devait entrer ou pas. Elle se mordit l’intérieur de la joue. C’était sans doute une erreur. Elle monta l’escalier et frappa à sa porte, encore hésitante.