Toujours penché en avant, un léger sourire rassurant plaqué sur son visage, il observe l’air de rien l’inconnue accroupie devant lui, attendant patiemment qu’elle réagisse.
De longs cheveux aux reflets mordorés, une silhouette élancée, fine et musclée comme celle d’une panthère, la peau d’une blancheur de nacre, elle ne semble pas bien vieille, tout au plus une vingtaine d’années. Du moins en apparence ; l’hybride étant particulièrement bien placé pour savoir que le physique ne reflète pas toujours l’âge réel.
S’attardant sur la tenue de la jeune femme, il fronce les sourcils. Sa mise est … étrange. Pas tant dans sa conception qui bien qu’inhabituelle ne se démarque pas trop par rapport aux vêtements que l’on peut trouver à Nexus, mais plus par son tissage, sa matière, étrangement souple et fine. En soit, le tissu pourrait ressembler à ceux qu’il a eu l’occasion de voir à Tekhos, tout en restant différent … Baaah ! Il hausse mentalement les épaules. Qu’importe après tout. Si elle vient effectivement d’un autre monde, hypothèse qui semble se confirmer devant son incrédulité à l’entente des noms de Terra ou Nexus, il est tout à fait vraisemblable, normal même, que sa tenue soit étrange !
Son examen n’a duré qu’une seconde, une seconde suffisante pour que l’étrangère lui saisisse la main et se relève, son visage toujours masqué par un rideau de cheveux qu’elle soulève et replace, dévoilant un visage tout à fait charmant, en dépit des tâches rouges qui lui maculent les joues.
Brièvement, le mercenaire ferme les yeux, donnant peut-être l’impression qu’il essaye d’absorber le choc provoqué par l’image de ce visage de poupée souillé de sang. Il n’en est pourtant rien, d’autant qu’il a vu bien pire au cours de sa longue existence. Humant l’air, ses narines sensibles frémissantes, il tente d’identifier la provenance de ce sang. Son odorat sensible sépare sans peine l’odeur de la jeune femme, une douce fragrance fraîche et sucrée comme un bosquet d’arbres fruitiers après une pluie estivale, de celle, lourde, métallique, du liquide pourpre. Une… oui deux effluves se distinguent l’une de l’autre. La première, le sang de la voyageuse, émane d’une multitude de petites plaies éparpillées sur son visage et dans son dos, semblables à celle que ferait des éclats de verre. L’autre, plus âcre, doit provenir d’un homme. Peut-être a-t-elle été poursuivie et a tenté de s’échapper en se défenestrant ? Mais trêve de spéculations !
Zorro rouvre les yeux, en même temps que l’égarée. Choc ! Un océan de saphir rencontre une forêt d’émeraude. L’espace d’un instant, le mercenaire perçoit le cœur de la jeune femme, tourmenté, blessé. Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose lui arrive, mais cela se passe généralement durant un combat, lui permettant de deviner les intentions de son adversaire.
Le temps que le lien se rompe, la femme s’est reculée. Le sang-mêlé la regarde, réprimant un sourire : l’épaule en avant, légèrement tournée, elle a adopté une garde de combat. Loin d’être parfaite, mais pas si mauvaise que ça. Soudain elle vacille et porte la main à sa tempe. Il retient un geste pour la soutenir. Il n’est pas si loin de la réalité, quand il la compare à une panthère. Elle se comporte comme un fauve aux abois, blessé mais non moins dangereux. Inutile de la stresser davantage. Son commentaire suivant lui donne raison et lui arrache un sourire alors qu’elle grimace face à lui, son visage dégoulinant ressemblant à celui d’une diablesse.
- On vit une époque dangereuse, et je fais un boulot qui ne l’est pas moins. Certaines … précautions sont nécessaires.
La demoiselle semble alors se détendre, bien que les mouvements de son regard n’échappent pas au mercenaire, démentant son air paisible. Zorro hoche doucement la tête.
- Si fait. Mais avant de te laver et te changer, je te propose d’aller voir un médecin. De toute évidence tu es blessée, il vaut mieux s’en occuper. On ne sait jamais.
Étrangement, alors qu’ils parlent, les yeux de Lyra, puisque tel est son nom, perdent peu à peu cette espèce de voile blanc qui les recouvrait, titillant la curiosité du demi-elfe. Dans son monde natal, il avait déjà vu un phénomène similaire, lorsque certains mages invoquaient une puissante magie. Serait-il possible que … ? Hmmm, peut-être …
- Mais avant ça …
Lentement, délicatement, il porte les mains aux manches de ses deux poignards, prenant garde à l’affoler le moins possible, et les dégaine avant de les lui tendre, les lames courbes et effilées pointées vers lui.
- Comme je disais, on vit une époque dangereuse, mieux vaut être armé. Et puisque tu sembles vouloir rester dans l’ombre … Voilà pour toi.
Posant genou à terre, il dépose son havresac et fouille un instant dedans avant d’en ressortir une longue cape de voyage. Sombre, épaisse, elle est sans doute chaude pour la saison mais a le mérite de posséder une profonde capuche et de vastes pans qui dissimuleront efficacement la silhouette et les traits de la terrienne.
- Maintenant si Madame veut bien me suivre … dit-il en s’inclinant légèrement, une moue quelques peu moqueuse mais non insultante aux lèvres.
Marchant aux côtés de la jeune femme, la surveillant du coin de l’œil, il la guide à travers les places et ruelles, essayant au maximum, tâche oh combien difficile, d’éviter les zones trop densément fréquentées. Après plusieurs minutes, ils débouchent finalement dans une étroite ruelle, presque la jumelle de celle qu’ils ont quitté plus tôt, et l’arpentent jusqu’à une porte à l’aspect minable, en comparaison des devantures chatoyantes des grandes places.
- Ça ne paye pas de mine, mais la femme qui travaille ici, le docteur Wezbah, s’y connait comme personne quand il s’agit de recoudre quelqu’un. Juste … elle a un physique … particulier et assez peu féminin. A vrai dire, c’est une femme dans la peau d’un homme, et elle opère ses transformations elle-même. Évite juste de le lui faire remarquer. Tes soins seraient toujours parfaitement exécutés, mais avec nettement moins de douceur.
Après quoi il l’invite à rentrer, indiquant qu’il l’attendrait à l’extérieur _ la salle étant assez petite.
Une fois soignée, il compte l’emmener chez Fringue Ila, une boutiquière vendant des vêtements de seconde main mais de qualité, un endroit où il a lui-même acheté ses premières tenues. Ensuite ils pourraient aller aux bains …
Il regarda sa bourse. Hmmm, à ce rythme sa solde risque de diminuer bien vite, surtout avec les bains. Peut-être qu’il lui proposera plutôt de venir se laver dans sa chambre à l’auberge du Cochon Doré … cela serait nettement moins cher et leur permettrait de manger. Ensuite viendra la question du logement… Mais une chose à la fois !