Les bruits de pas affolés, par paires de quatre, se répandaient dans les landes, brisant le silence de la nuit, s'accordant avec les hurlements lointains des centaines de monstres présents sur le territoire. L'un d'eux était, justement, occupé à chasser sa proie. Celle-ci était dodue, représentant un mets rare par ici, et il était sûr de pouvoir s'amuser un peu avec avant de la dévorer toute crue – ou peut-être en brochettes, selon son humeur future.
Malheureusement, la proie faisait de la résistance. Pour ce qu'il en savait, les terranides chiens étaient endurants et couraient vite, mais il n'y en avait jamais eu un qui sache comment lui échapper. Cette fois-ci, par contre, il devait admettre que cette chienne-là faisait de la résistance. Elle avait beau être dodue et pataude, elle avait de la force et avait quand même réussi à forcer son étreinte quand il l'avait attrapé par surprise. Et maintenant, elle le forçait à courir comme un dératé depuis un bon quart d'heure.
Après tant de temps à courir, son ventre s'était creusé davantage. Il lui fallait de la force pour attraper un éventuel autre gibier, et il était en train de gaspiller cette force. Au bout d'un moment, cette idée entra dans sa cervelle primaire, et le poussa à abandonner la course, préférant aller se concentrer sur d'autres conquêtes moins réveillées et plus faciles d’accès.
Cannelle ralentit le pas, épuisée, se reposant un instant au pied d'un arbuste mort. Un grognement s'échappa de sa gorge, et il fut suivi par une nouvelle plainte, mais venant d'une autre partie de son corps – son estomac.
Le monstre n'était en effet pas le seul à rechercher de quoi manger. La veille, elle était tombée de la caravane des marchands d'esclaves qui bénéficiaient d'elle, qui s'était emballée suite à une course-poursuite avec une meute de loups. La caravane s'était éloignée sans son reste, entraînant heureusement avec elle la meute et ne remarquant même pas, dans la panique, qu'ils venaient de perdre une partie de la marchandise. Depuis lors, Cannelle avait marché, couru, s'était caché et, surtout, avait entamé sa chasse dés que son ventre avait commencé à grogner.
Il n'y avait malheureusement pas foule, dans ces terres désolées. L'éventuel gibier qu'elle avait espéré attraper ne s'était pas montré, hormis sous la forme de cadavres dans un état de décomposition si avancé que la terranide avait été trop fine pour en goûter. Une journée avait passée, et aucune occasion ne s'était manifesté.
La inu avait tristement continué sa route, le ventre vide. La seule chose qui avait pu le remplir un peu, c'était la peur qui prenait la jeune fille à chaque fois qu'elle avait faim. La faim était comme une alerte dans son système, un rappel à des souvenirs qu'elle refoulait aisément quand elle était repue, mais qui, dés lors que plus aucun nutriment ne se trouvaient dans son organisme, parvenaient à revenir en masse et à la tourmenter. En plus d'être affamée, la chienne se retrouvait donc au bord de la crise d'angoisse, et cela se voyait aux tics bizarres qui agitaient ses attributs animaux, aux gémissements qu'elle poussait et aux grognements sauvages qui sortaient occasionnellement de sa bouche. La dernière fois qu'elle avait atteint ce stade, des envies de violence sur sa propre personne lui avaient prises. Son maître avait dû l'attacher pour éviter qu'elle ne dévore ses propres mains. Ce n'était pas un très bon souvenir.
Au bout d'un kilomètre de plus, cependant, les oreilles de la chienne se dressèrent, et les idées noires se dispersèrent.
Une bonne odeur flottait dans l'air, et provenait de derrière un rocher proche. Après avoir gambadé jusque là, Cannelle repéra la source de l'effluve – et n'en crut pas ses yeux.
Un jambon rôti se tenait là, sur un joli feu de bois, en attente d'être instamment dévoré. Des étoiles brillèrent dans les yeux de la terranide, qui ne se demanda pas très longtemps qu'est-ce qui poussait ce jambon à être seul, au milieu de la nuit, sans chaperons qui auraient pu vouloir protéger leur repas. Cannelle sauta donc dessus sans plus de fioritures, défonçant le feu de bois qui s'éteignit, par chance, en grande partie, lui évitant de brûler vive. Quand bien même c'était arrivé, l'information du jambon désormais entre ses petites mains surpassait le reste des avertissements envoyés par son instinct. Elle avait bien trop faim pour sentir le piège, et une éventuelle présence non loin de là.
Avant de pouvoir croquer dans la chair juteuse, quelque chose se manifesta cependant, et Cannelle dû bien se rendre à l'évidence que quelque chose n'allait pas. Le reste de flamme sur lequel elle était assise formait désormais un cercle autour de son corps. Les flammes, d'abord sous l'état d'étincelles, se manifestèrent soudainement en d'épaisses gerbes rouge et or, entourant la chienne qui poussa un glapissement, terrifiée.
« Yap ! »
Cela dit, rien ne la brûlait, rien ne lui faisait mal. Les flammes ne constituaient en effet que des murs, un piège habile et résistant. Cannelle le vérifia en touchant malgré tout le mur et en se brûlant les doigts. Elle poussa un nouveau couinement et reporta son attention sur le jambon... qui avait disparu.
« -eeeEEEEh ?! »
Le jambon n'était plus là ! Envolé. Probablement la source d'une métamorphose magique, il était remplacé par une bûche de bois peu appétissante. La déception qui traversa le corps de Cannelle se transforma bien vite en une colère noire. Elle avait été trompée, tout ça pour la piéger ! Elle ne pouvait pas manger, et elle avait toujours aussi FAIM !
La chienne balança plusieurs coups de poings rageux dans les flammes, se brûlant à chaque coup, s'en moquant éperdument tant qu'elle n'aurait pas évacué sa colère. Le spectacle était divertissant, mais un peu dangereux pour elle, probablement. Peu lui importait. Elle voulait juste manifester à quel point elle n'était pas contente, sans réfléchir aux éventuelles conséquences – comme à l'habitude.