Au fur et à mesure que leurs montures cahotaient sur le sentier forestier, hors de vue de la route principale, la nervosité de June ne cessait de croitre malgré le calme apparent des lieux. Cette expédition était, somme toute, une première pour lui. Ces missions habituelles ne concernaient normalement que les affaires surnaturelles, et le nécromancien n’avait jamais usé de sa magie contre d’autres humains. Pas directement en tout cas, et encore moins vivants.
June allait au-devant de sa toute première bataille, quand bien même il ne s’agissait que d’une escarmouche avec des traine-savates, comme l’avait précisé Sven. Certes, l’homme était rompu aux combats, cela ne faisait guère doute, et Shad s’était montrée pleine de surprises pour se défendre, constituant là un duo de solides alliés. Le nécromancien demeurait tout de même stressé. Il ne cessait de vérifier le contenu de ses poches toutes les cinq minutes, remuant sur son cheval comme un ressort de matelas.
« C’est ce que je disais. » Affirma Sven en regardant les remparts. « Pour surveiller les remparts, il faut un minimum de discipline… Déjà qu’ils ne sont fichus de rester sobre deux jours d’affilé. »
L’expérience du nécromancien sur la méthode à suivre pour assaillir un château étant à peu près nulle, June opta pour un silence poli. Après les exploits de la taverne, nul doute qu’ils n’étaient plus les bienvenus à l’intérieur, si bien qu’une infiltration en douce lui semblait sérieusement compromise.
« Oui, je dois être dedans… Enfin, je peux le faire sur le rempart, ce sera doute mieux pour vous aussi parce qu’il faudra faire attention tout de même… Je veux dire, il vaut mieux ne pas rester à côté des principaux… effets du sort. Mais je pourrais le diriger bien sûr. »
La nécromancie n’était ni chose aisée à manipuler, ni très permissive envers les alliés. Sven grogna de mécontentement face à cette déclaration, mais n’hasarda aucun commentaire supplémentaire. Le fait est que June ne s’était jamais véritablement battu avec des alliés, et les effets de cette magie pouvaient se montrer très dévastateur en cas d’imprudence.
« Faisons ça, mais pensez à m’en laisser une fois là-haut. » Lança Sven tandis que la Terradine changeait de forme.
Laissant leurs montures à l’abri des arbres, le trio se faufila discrètement au pied du rempart où, malgré une lueur d’incompréhension dans le regard de June, la Lycane le jeta brusquement sur son dos. Le vieux rempart, aussi mal entretenu que le reste de la bâtisse, n’était pas difficile à escalader dans la mesure où les pierres offraient de nombreuses. Si bien que Sven n’eut guère de mal à débuter l’ascension, certes moins vite que Shad, usant prudemment de chaque aspérité.
C’est cramponné à la fourrure de Shad que le garçon vit le sol s’éloigner à toute allure. June détourna le regard du vide, et se remémora pour la énième fois le sort qu’il avait choisi tôt ce matin. Son usage n’était définitivement pas très complexe, si bien qu’une fois arrivée en haut, le nécromancien avait retrouvé un peu de contenance et de calme. Avant d’être copieusement aspergé de sang chaud en plein visage.
*Bleh…*
Le nécromancien retint juste à temps sa protestation en voyant le dos du garde encore vivant, juste avant qu’il ne passe de vie à trépas, le crâne fendu en deux par la hache de Sven qui venait d’aborder le chemin de ronde. June essuya d’un revers de main l’hémoglobine qui lui coulait dans les yeux, et descendit du dos de Shad sans perdre de temps. Le sort avait beau être simple, d’autres sentinelles pouvaient surgir à tout moment et donner l’alerte, ruinant l’effet de surprise.
« Je me lance, laissez-moi quelques minutes. » Dit-il à voix basse tout en s’asseyant en tailleur sur le sol avant de fouiller son sac.
Exhibant une craie blanche, la main de June dessina avec une parfaite dextérité un cercle sur le sol, suivi aussi d’un second qu’il remplit de formes géométriques où se coulaient des runes. L’opération ne lui prit qu’une petite minute jusqu’au moment où le nécromancien commença à parler à voix basse.
L’effet fut presque immédiat. Quelques invectives et jurons se firent entendre dans la cour principale, où des rats se mirent à courir sans but sur le sol, tandis d’autres insectes, cafards et autres mites sortaient petit à petit de leurs cachettes. Si les hommes, ceux encore sobres du moins, prirent le parti d’en rire en voyant leurs collègues éméchés tenter d’écraser les bestioles, l’hilarité tourna court lorsque la quantité de vermines ne cessa de croitre.
D’impressionnantes vagues de rats et de souris émergèrent des puits extérieurs, des granges ou du moindre trou pour grossir en véritables essaims constitués de milliers de rongeurs. Les insectes n’étaient pas en reste : autant de mouches, de cafards de sauterelles émergeaient d’un peu partout, volant parfois au-dessus du rempart. Cela aurait pu demeurer seulement répugnant, jusqu’au moment où June prononça une syllabe un peu plus sèche qui changement complètement la donne.
Les nuées de vermines se jetèrent d’un seul mouvement sur les hommes qui tentaient de les chasser. Les rats se mirent à grimper sur les pantalons de cuir, s’accrochant à la maille pour grignoter à coups de centaines de dents aiguisées le moindre carré de chair exposée. Les insectes pullulèrent en nuages noirs autour des bandits, rentrant par les oreilles ou la bouche, sans qu’aucun geste désespéré ne puisse véritablement les arrêter.
« C’est bon… » Dit finalement June en rouvrant les yeux avant de se lever. « Je les contrôle mais… Il vaudrait mieux éviter la cour quelques temps. »
La dite cour ressemblait davantage à un cauchemar devenu réalité. Les insectes entraient dans les corps, passant sous la peau, étouffant les hommes, tandis que les rongeurs montaient par centaines sur les malheureux. L’air était empli d’horribles hurlements d’agonie et, alors qu’ils tentaient au début d’aider leurs camarades, les bandits fuyaient à présent dans tous les sens dans l’espoir de s’abriter du maléfice. Mais comment fuir un ennemi dont les milliers de pattes, d’yeux et de crocs, pouvaient vous atteindre à travers le moindre interstice ?