Assise sur le banc qui séparait deux rangées de casiers, elle ne laissait filer d'entre ses lèvres qu'un murmure à peine audible. Sa bouche, derrière ses mains jointes, ne faisait qu'articuler une humble prière au Tout-Puissant. Ses doigts égrénaient mécaniquement les perles de son petit chapelet de bois, au bout duquel se balançait paresseusement un Christ grossièrement taillé à la pointe d'un couteau.
L'éclairage cru du néon retombait sur elle et sculptait ses muscles qu'une série d'excercices préliminaires avait déjà chauffé. Il suffisait de passer l'oeil sur ses lignes acérées pour comprendre qu'elle était une guerrière avant d'être une femme ; sa beauté n'aurait pas été si singulière si elle n'avait paradoxalement pas été éclipsée par la puissance insinuée par le dessin de son corps.
Jessandra se moquait de toute façon d'être belle, d'être attirante. Rarement se percevait-elle comme une entité sexualisée et elle s'en portait très bien. En outre, ses atouts féminins n'importaient pas, ici. On en avait qu'après ses capacités martiales et elle n'était venue que pour en faire usage, se moquant bien du regard qu'on porterait sur son apparence.
"Cinq minutes", tonna une voix après avoir rapidement toqué à la porte sans entrer.
Sa prière achevée, la combattante se leva et fit deux pas jusqu'à son casier ouvert pour y ranger son chapelet avant de refermer. Face au métal griffé à son nom, elle se mit à expirer profondément puis à frotter machinalement ses deux poings l'un contre l'autre. Une mimique récurrente et importante dans ses rituels personnels de préparation au combat, qu'elle avait reprise sur les rings comme une sorte de mouvement-signature. Le public aimait ça. Pour elle, c'était attirer la chance sur ses phalanges. La chance pour ses poings de toucher leur cibles.
Se déplaçant vers la porte, Jessandra commença à sautiller d'un pied à l'autre tout en remuant les bras. Une nouvelle routine qui l'aida à se focaliser sur le seul affrontement à venir alors que le temps avalait les dernières minutes.
Et la porte s'ouvrit. Elle s'engouffra dans le couloir sans un mot, ne sentant que vaguement la tape amicale qu'un soigneur lui adressa sur l'épaule. Au petit pas, elle arriva dans le couloir qui débouchait sur le ring et les gradins. Quelques flashs crépitèrent, de nombreux vivas aussi. Moins que pour son adversaire déjà en place. Mais elle, elle n'était que l'outsider de la partie et s'apprêtait à affronter une combattante qui lui était diamétralement opposée.
Grimpant les trois marches menant du sol à la surface surélevée, elle entra dans la cage où on lui remit son protège-dents. Elle le mordit et s'assura qu'il était bien en place.
Face à elle, une combattante qui lui était diamétralement opposée, favorite déjà sacrée du championnat underground de MMA
StormRage pour lequel elle allait incessamment disputer la finale :
Bethany Cole.
La championne avait tout ce que son adversaire n'avait pas : un physique pulpeux qu'elle disposait aux scandales de moeurs via ses tenues de combat, des cheveux d'un blond insolent, une peau claire ainsi qu'un sens certain de la communication. Véritable petite étoile montante du sport de combat underground, Bethany se destinait à une carrière dans le monde plus lumineux des médias de masse.
Mais surtout, outre une charmante plastique, Bethany Cole avait un titre en poche. La bimbo n'était ni décérébrée ni incapable. Elle pouvait parader pendant des heures dans des tenues toujours plus courtes et devenir une lionne sur le ring. Ses projections fracassaient ses adversaires comme des noix et ses verrouillages au sol faisaient vivre un véritable enfer articulaire à ceux et celles qui s'y laissaient prendre. L'affronter serait aussi exaltant que dangereux.
Le titre, pensa Jessandra alors qu'elle se mettait en position face à une Bethani qui achevait à peine son petit show pour les fans,
me reviendra. C'est mon ticket pour le Japon.Rien ni personne ne l'empêcherait de s'envoler pour le sol nippon. La seule idée de rejoindre le pays du Soleil Levant l'avait portée toutes ces années, l'aidant même à se sortir de la misère crasse de la Cité de Dieu. Alors rien ce soir n'empêcherait Bethany Cole de mordre la poussière.
Le gong retentit et les deux guerrières s'élançèrent l'une sur l'autre, se jetant au coeur de ce qui promettait d'être une âpre bataille.
- 1991Soeur Edilène était une femme que tout le monde appréciait. L'ancienne se donnait beaucoup pour le quartier de la Cité de Dieu dans lequel elle officiait, accrochée à sa petite église aux murs défraîchis et aux bancs maladroitement réparés. Elle croyait en sa mission dans la Cité et était aidée par les habitants qu'en trente années elle n'avait cessé d'aider elle-même. Il y avait un échange, une harmonie. Bien sûr, la vie était toujours aussi dure mais même les
bandidos du coin la laissaient plutôt tranquille. Après tout, elle avait accouché les mères de certains et torché le cul de quelques autres et le respect qu'on lui portait suffisait encore à ce qu'on lui fiche la paix.
La religieuse, à l'aube de ses cinquante ans, avait dédié beaucoup de sa Foi à l'aide des enfants. Elle voulait que la plupart jouissent d'un minimum d'éducation, qu'ils comprennent qu'être né dans la Cité ne les coupaient pas d'avenirs meilleurs que la drogue, le banditisme ou la prostitution. C'était difficile à faire passer comme message, terriblement difficile... Mais parfois, ça fonctionnait. Beaucoup trop rarement. Pourtant elle ne cessait jamais, forte tête qu'elle était.
Ce don de soi lui fit rencontrer un drôle de destin, un soir de novembre.
Agenouillée devant l'autel, Soeur Edilène priait. Comme tous les soirs après avoir fermé les portes de l'église. Très pieuse, elle se perdait dans ses salutations à Dieu lorsqu'un bruit sourd contre l'entrée du bâtiment la fit sursauter. Elle se signa en se relevant, demandant qui était là avant de préciser que l'église ouvrirait tôt demain. Mais on ne lui répondit que par de nouveaux coups tout aussi violents que le premier. Ils s'accentuèrent si fort que la femme de Dieu s'en trouva effrayée, mais cessèrent tout aussi brutalement. Et ce fut un tout autre son qui parvint à ses oreilles, plus rassurant.
Dehors, un bébé pleurait.
Rassemblant son courage, Edilène se dirigea vers les portes qu'elle ouvrit. Il n'y avait personne, à part le nourrisson qui gémissait dans un tas de couvertures ensanglantées. Fort heureusement, ce n'était pas là le sang de l'enfant mais celui de la personne qui l'avait amené là, selon toute vraisemblance. La vieille religieuse se saisit du bambin après avoir scruté la rue et retourna dans l'église avec lui.
Une rapide toilette lui fit identifier une petite fille. Dans les couvertures qui l'avaient protégée du froid, Edilène découvrit une lettre qu'elle fut bien en peine de lire.
Et pour cause, la religieuse ne savait pas déchiffrer le japonais.
Est-ce que ce furent les circonstances improbables de leur rencontre qui poussa Edilène à adopter elle-même la petite ? Ou le mystère qui tournait autour de cette lettre et du sang dont l'enfant était couverte alors qu'elle gisait sur le parvis de sa modeste église ? Soeur Edilène ne parvint jamais à trancher cette question, mais s'en fichait éperdument. Cette môme l'avait frappée droit au coeur et elle ne put jamais se résoudre à s'en séparer, préférant lui donner son nom et toute l'affection dont elle était capable.
C'est ainsi que Jessandra Chavez commença sa vie, là, dans l'arrière-scène d'une petite église de la Cité de Dieu.
*
* *
-1999C'était certain maintenant : Jessandra ne suivrait pas les traces de sa mère. Edilène était néanmoins heureuse. Sa chère fille était pieuse et s'était tôt averée être une bonne âme qui l'aidait dans ses oeuvres malgré son jeune âge. Elle refusait d'entrer dans les ordres mais ce n'était pas bien grave ; Edilène savait dans son for intérieur que Jess' irait loin.
Le seul problème qui agitait la vie de la singulière petite famille, c'était le caractère indomptable de la gamine. Quand sa mère lui avait dit de ne jamais se laisser marcher sur les pieds, la gosse avait prit la chose au pied de la lettre. Combien de fois s'était-elle battue depuis ? Combien de fois était-elle rentrée à l'église l'oeil au beurre noir et les poings ensanglantés ? Jessandra était une bonne petite, mais qui avait tendance à s'attirer les problèmes. Ailleurs, cela aurait été sans conséquences. Des bagarres d'enfants. Mais dans la Cité de Dieu, les risques prenaient rapidement des dimensions inédites... Et Edilène craignait pour la vie de sa protégée, qui malgré les sermons ne parvenait pas à se calmer.
Ce fut un des anciens gamins du quartier,
Manuele, qui proposa à Edilène une solution d'éducation inattendue. Pourquoi ne pas apprendre à Jessandra comment canaliser sa belle énergie ? Pour ça, il pouvait la former à la pratique de la capoeira. Il était instructeur dans un petit club qui l'avait sorti de la misère de la Cité. Manuele devait beaucoup à soeur Edilène. Si il pouvait le lui rendre en prenant soin de Jessandra à sa façon, l'homme s'engageait à faire tout ce qui était à sa portée.
La discussion fut longue mais finalement, la chose fut entendue. La semaine qui suivi, Jessandra entama sa première leçon en compagnie de Manuele.
L'homme avait bien cerné les besoins de la gamine, en vérité. Très vite, Jessandra s'avéra une élève assidue et prometteuse. Son agressivité, les leçons de Manuele parvirent à la juguler peu à peu. Il cherchait à inculquer à sa protégée une sorte d'état d'esprit complémentaire à son éducation par Edilène, afin de s'assurer que la gosse ne tomberait pas dans les travers malheureusement trop communs qui happaient sa génération beaucoup trop facilement.
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-2003"C'est une adresse au Japon. Une ville qui s'appelle...euh...Seikusu. Le reste c'est simplement le nom de l'expéditeur, si j'ose dire.
Maman."
La phrase avait résonné longtemps aux oreilles de Jessandra, même après qu'elle eu quitté Manuele et sa petite amie, une journaliste qui était parvenue à trouver un traducteur pour la fameuse lettre qui avait accompagné le dépôt du bébé devant l'église d'Edilène. Ainsi, sa mère biologique l'attendait au Japon. L'autre bout du monde... Jessandra avait voulu sauter dans le premier avion en partance, avant que Manuele ne tempère ses ardeurs. Un billet pour le Soleil-levant valait une véritable fortune et personne dans le ghetto n'avait les moyens de s'en acquitter. Si Jessandra désirait vraiment se rendre là-bas, il allait lui falloir trouver de l'argent. Un boulot honnête qui plus est, pour ne pas trahir sa mère adoptive et son maître capoeriste. Autant dire que c'était mission impossible.
Pourtant, mademoiselle Chavez ne parvint pas à se résoudre à abandonner. L'indice le plus flagrant quant à ses origines venait d'être déchiffré et elle comptait bien se rendre à l'adresse indiquée pour y trouver des réponses. Quitte, une fois sur place, à se livrer à une véritable enquête policière.
Les rêves pleins la tête, Jessandra rentrait chez elle. Comme tous les soirs, elle passerait prendre Edilène à l'église avant qu'elles ne rejoignent leur petit logement.
Seulement, ce soir fut différent de tous les autres.
Ils étaient trois, coursés par les flics. Depuis quelques années, la Cité commencée à être pacifiée et même la police pouvait y circuler. Bien sûr, pas partout. Mais l'église d'Edilène était dans un quartier considéré comme sûr du ghetto. Et elle était sur la route des loubards, qui s'y étaient réfugié sans réfléchir, estimant peut-être que ça serait le bon plan.
Edilène les avait surprise malgré elle, en surgissant de derrière l'autel qu'elle nettoyait lorsque les garçons avaient pénétré le lieu. L'un d'eux avait tiré. Triste réflexe. La balle s'était logée dans le ventre de la sainte femme, qui s'était écroulée cinq minutes à peine avant que Jessandra ne pénètre dans les lieux, alertée par les portes ouvertes à cette heure tardive.
Elle avait foncé bille en tête, comprenant sans mal la situation. Prise d'une colère noire alors qu'elle découvrait le corps étendu de sa mère, Jess' se rua sur les meurtriers. Une balle à la cuisse l'arrêta elle aussi, avant que les bandits ne se décident à s'enfuir.
On raconte que les habitants du quartier firent justice eux-même au nom d'Edilène le soir même, une fois que Jessandra eu été conduite à l'hôpital. Les gens de la Cité n'admettaient pas d'avoir perdu une femme comme cette soeur qui avait la main sur le coeur et le traitement fut implacable, brutal. Contraire aux idéaux d'Edilène mais satisfaisants pour les riverains, qui pleurèrent longtemps leur bienfaitrice.
Quant à Jessandra, Manuele la prit avec lui. L'homme avait espoir de la soulager de sa peine profonde, mais la gamine semblait inconsolable. Elle s'isola, devint froide et se versa à coeur perdu dans la pratique de la capoeira, étendant ses leçons à d'autres sports de combat en demandant à son tuteur de faire jouer ses amitiés dans le milieu du sport.
Ce fut peut-être cela, cette pratique assidue et même dangereuse de différentes formes de combats qui sauva Jessandra de la déchéance morale et sociale qui la guettait après la perte de sa mère.
Dans son état d'esprit, la Cité de Dieu l'aurait avalée pour n'en plus rien laisser.
-2012A vingt-et-un ans, Jessandra n'avait plus rien de la gamine d'autrefois. Son assiduité maladive à l'entraînement lui avait forgé un corps aux lignes musculaires claires et dessinée, par exemple. A l'heure ou sa féminité explosait, elle ne faisait rien pour la mettre en valeur. Le maquillage lui était inconnu et ses tenues étaient principalement composées de joggings et autres t-shirts lâches, la composant en véritable garçon manqué. Pourtant, elle était jolie dans son genre... Trop redoutable en revanche pour que les garçons ou même les filles ne se risquent à l'inviter. De toute façon, qu'aurait fait Jessandra d'une sortie ? Elle était plutôt associale, simplement préoccupée par ses exercices réguliers et ses matchs, qu'ils furent amicaux ou pas. Son seul (et profond) plaisir était de se coller le soir devant les retransmissions de MMA avec un grand verre de lait. Rien de très excitant en somme. Une vie austère qui lui allait parfaitement -elle se moquait des choses ordinaires et ne fréquentait que de très rares personnes.
Le sport l'avait sauvée après qu'elle eut perdu sa mère et peut-être qu'elle s'en serait finalement lassée après qu'elle se soit calmée. Elle avait bien trouvé un petit boulot dans une supérette à l'extérieur du ghetto ! Dans d'autres circonstances, Jessandra aurait tout à fait pu mener une vie plus traditionnelle, moins ascèstique. Mais la combattante n'avait jamais oublié la lettre déchiffrée le fameux soir, ni son désir de se rendre au Japon. Et pour se payer le billet, elle avait finit par trouver un moyen : les combats illégaux.
Ça, elle s'en était prit, des raclées. Femmes et hommes l'avaient malmenée durement pour quelques billets. Ca l'avait davantage endurcie. Jessandra s'était relevée de toutes ses défaites et l'expérience qu'elle en avait tirée les avait rendues plus rares. Manuele n'était pas pour cette façon de faire, craignant pour sa vie. Plus d'une fois, les deux s'étaient violemment accrochés.
Au final, il avait décidé de l'entraîner lui-même. De lui servir de sparring partner. "
Puisque tu ne lâcheras jamais rien, autant que je sois sûr de ta préparation pour les combats".
Grâce au concours de l'homme, Jessandra avait commencé une sorte de petite carrière. On la réclamait, on misait plus gros sur sa victoire à chaque fois. Son petit pactole augmentait, même si la vie à la dure la contraignait à piocher dedans pour subsister.
Capoeira, karaté, kung-fu, systema, jet kun do, krav maga... Elle avait approché de nombreux style, en avait affronté tout autant. Peu à peu, elle se forgeait en une combattante très complète qui mixait à merveille les différentes écoles qu'elle connaissait pour n'en devenir que plus redoutable.
Des luttes de quartier, elle passa à d'autres arènes grâce à son succès. Sa notoriété toute relative grimpa alors qu'elle se frotta à de nouveaux défis moins nébuleux que ceux disputés dans de vieilles caves ou sur d'obscurs terrains vagues. Jessandra fréquenta ses premières compétitions non-officielles à cette époque et comprit que le seul moyen pour arriver à économiser assez pour se payer un séjour au Japon était de continuer à grimper les échelons.
Pour se faire, la combattante se risqua à investir tout son petit paquet jusque là amassé pour payer ses entrées à quelques tournois où elle était conviée. Une sorte de quitte ou double, qui l'avait faite cracher du sang plus d'une fois.
Jessandra s'était fait quelques ennemis. Un ou deux étaient même venus la trouver pour régler leurs comptes à l'ancienne dans une ruelle discrète. Ce fut divertissant. Exaltant, même si elle se refusait à se l'avouer.
Ce fut à cette période qu'elle se frotta pour la première fois à Bethany Cole, lors d'un combat organisé pour un quelconque baron de la drogue brésilien. Beth, comme elle, voulait se sortir d'une situation sociale désastreuse par le combat. A la différence de Jessandra, la blonde misait aussi sur le côté sexy et établissait un plan de com' qui incluait son caractère chaleureux et quelques photos coquines en plus de ses capacités à mettre ses adversaires au tapis.
Le contact entre les deux guerrières de rue fut détonnant et elles offrirent un match magnifiques aux badauds qui pourtant ne s'intéréssaient qu'à l'aspect sexuel de la représentation de deux femmes de battant dans ses tenues proches du corps.
Bethany ne comprenait pas Jess', et vice-versa. Pourtant, elles arrivèrent à s'entendre -elles partagaient un amour similaire pour les arts du combat et leur acharnement à vouloir façonner leur destin de leurs poings les avaient inévitablement rapprochées. Elles ne pouvaient se prétendre meilleures amies du monde, mais s'entendaient correctement. Au moins assez pour partager un verre après chaque combat qu'elles livraient l'une contre l'autre ou lors de compétitions communes.
Ce fut lors de l'une de ces rencontres que Bethany lui parla du StormRage.
- Un tournoi qui se déroule tous les 3 ans. De l'underground, évidemment... mais tu n'as pas cumulé assez de victoires cette année pour participer à l'édition 2013, j'ai vérifié. Il va falloir attendre 2016. Enfin, c'est pareil pour moi. Si au moins je n'avais pas perdu contre cet abruti de russe, il y a deux semaines ! Mais il faut vraiment que tu parviennes à avoir ta place pour le prochain, Jess'.
- Pourquoi ? Tu es pressée que je t'éclate dans une nouvelle compétition ? - Héhé. Non. C'est le prix qui t'intéressera, tu peux me croire.
- Il m'intéresse toujours. - C'est différent, cette fois. Il y a une rumeur qui court. Le StormRage sert, comme d'autres tournois, de qualificatif pour une compétition totalement différente. Une véritable guerre sans merci ni règles. Ca s'appelle le
Beasts War et ça se déroule... au Japon.
Jessandra reste coite un moment, à détailler Bethany. La blonde ne lui mentait pas, elle pouvait le certifier. Ravie de son petit effet, la blonde continua après avoir siroté une gorgée de son verre.
- Je n'ai pas les détails, mais je sais que les frais des participants sont pris intégralement en charge par l'organisation. En échange, ils attendent que le sang coule. Ils ne prennent que les meilleurs, ceux qui seront capables de fournir les combats les plus intéréssants. Autant te dire que de beaux tarés vont se retrouver pour en découdre. Moi, le Beasts War ne m'intéresse pas. Mais toi... c'est différent, hein ?
- Hm. Où est l'os ? - Je compte remporter le StormRage de 2016. Ma sortie des batailles illégales, je la veux par la grande porte. Je me fous que tu aies à faire au Japon, Chavez. Ton histoire personelle, je me torche avec. Je compte t'éclater sur le ring pour couronner ma carrière dans l'underground et entamer celle disons un peu plus respectable.
- Ok. Je vois où on en est, toi et moi. Jessandra se leva de sa chaise et attrapa sa veste sans rien ajouter d'autre. Puis, alors qu'elle s'apprêtait à quitter le bar, elle se retourna vers Bethany pour l'apostrophier.
- C'est une guerre totale, Cole. Rendez vous sur le ring. -2016
De l'amitié déjà fragile entre la pétillante Bethany et la froide Jessandra, il ne restait plus grand-chose. Le respect mutuel qu'elles se portaient en tant que combattantes subsistait, mais le reste n'était plus qu'une succession de combats et de préparation au StormRage. Grâce à Bethany qui avait mit en exergue leur rivalité quant à l'issue de la compétition à venir, leurs "fans" s'étaient intéressés davantage à leur cas. Bien sûr, la blonde ne faisait qu'utiliser cela comme une arme pour sa propagande personnelle mais cela retombait un peu sur Jessandra qui se retrouva, pour être tranquille avec les intervenants qui venaient lui poser des questions, à jouer un minimum le jeu.
La brune s'imposa un régime encore plus strict, des entrainements encore plus rigoureux. Ses victoires au long des quatre années qui la séparaient de la date fatidique furent plus nombreuses, plus brutales d'après certains. Assurément, elle se démenait pour atteindre les portes du StormRage. Enfin un pas concret vers le Japon ! Même Manuele s'était montré encourageant, la soutenant dans ses efforts tout en veillant sur sa santé.
La guerrière appréhenda quelques styles de combat un peu inédits pour elle en guise de préparation, pendant que Manuele lui concoctait des programmes d'entraînement plus drastiques, plus demandeurs en temps comme en énergie.
En parallèle, Bethany ne se ménageait pas non plus. Si il y avait eu un classement dans les tournois de l'ombre, nul doute que les filles auraient été dans un coude à coude parfait.
Et les efforts payèrent. Bientôt, l'invitation à intégrer la liste des combattants du StormRage arriva chez Jessandra, qui sauta de joie -comportement plutôt inhabituelle chez cette fille réservée et distante. Elle partagea l'excellente nouvelle avec Manuele et la poignée de connaissances qu'elle s'était faite à travers quelques gymnases ; une des rares fêtes à laquelle elle participa jamais.
Puis vint le temps du tournoi.
Pour la compétition, Jessandra quitta le Brésil pour la première fois afin de rallier la Colombie où se déroulait le tournoi. Bien sûr, pour cela, il avait fallu épuiser les fonds difficilement économisés jusque là pour aller au Japon... mais ce n'était pas grand-chose. Pour Jessandra, il ne faisait aucun doute qu'elle serait victorieuse. Il FALLAIT qu'elle soit la dernière debout, sans discussion possible. Elle se moquait éperduement de la gloire qui découlerait sûrement de sa victoire au StormRage -seul comptait sa place dans le pool du mystérieux Beasts War. Pour ça, elle écraserait chacun de ses adversaires et en terminerait sûrement avec Bethany pour de bon, histoire de régler ce compte en souffrance que la blonde s'était amusée à transformer en argument commercial.
Les combats furent violents, répartis sur plusieurs sections et sur deux semaines au total. Certaines victoires, de Bethany comme de Jessandra, furent arrachées dans la douleur et la peine. Elles s'accrochèrent toutes les deux, véritables furies qui n'épargnaient personne sur le ring dès lors que le gong résonnait et signait le début des affrontements. On en vint à attendre leurs matches respectifs avec impatience, jusqu'à ce que les combattants quittent de plus en plus la partie. A la fin de ces duels acharnés, deux noms s'affichaient sur le tableau.
Chavez et Cole.
La finale leur appartenait et elles livreraient un combat d'anthologie pour clore une fois pour toutes la question de leur suprématie et de leur rivalité.
La dernière action fut magnifique.
Alors que leur duel avait été d'une violence terrible, aucune des deux jeunes femmes n'avait été capable de prendre l'ascendant. Ou plutôt se le disputait-elles, surenchérissant sur les techniques de l'autre afin de les contrer. Le spectacle était de qualité et la hargne qui animait les deux guerrières semblait faire vibrer l'air lui-même. Chaque coup qu'elles s'infligeaient résonnait durement, touchait violemment. Rapidement Bethany avait eu le visage en sang et le nez cassé, insulte rendue quand elle était parvenue à pocher l'oeil gauche de Jessandra et à lui fendre la lèvre.
Bien entendu, la blonde avait cherché à entraîner son adversaire au sol pour la prendre dans l'une de ses prises inextricables. Jessandra, plus bondissante, ne s'en était pas laissé conter si facilement. Le duel s'était étiré en longueur, chose assez inhabituelle à ce niveau. Jusqu'à ce que Jessandra se décide à en finir avant que les choses ne s'aggravent.
Bethany lui avait durement tordu le poignet en tentant de l'envoyer au tapis. Jess' s'était sortie de la prise tant bien que mal mais ne pouvait plus se servir correctement de sa main droite. Un handicap que la blonde exploiterait au mieux, à n'en pas douter. Il devenait urgent de mettre un point final au combat, au risque de voir la victoire lui échapper.
Elles en étaient revenues à un affrontement plus direct. Leurs jambes se rencontraient lors des échanges puissants, quand elles ne servaient pas de bouclier. Virevoltantes lors des assauts, les rivales ne s'épargnaient rien. Bethany visait le bras blessé et Jessandra devait bien reconnaître qu'elle commençait à l'acculer dramatiquement. A ce rythme là, elle perdrait par défaut.
Refusant d'abandonner la victoire à Bethany, Jess' tenta alors le tout pour le tout.
Dans un puissant coup de reins, elle balaya l'air pour venir frapper Bethany au flanc. Bien entendu, cette dernière contra mais c'était ce que Jess attendait. L'impact lui permit de faire reculer son adversaire et de s'éloigner d'elle afin qu'elle détale vers l'un des murs de la cage, la blonde sur ses talons. Et c'est là que Jessandra donna tout ce qui lui restait. Prenant appui sur l'un des pylônes, elle grimpa dessus en deux pas et se retourna d'une impulsion fantastique. Semblant suspendue en l'air, Jessandra frappa. Son pied droit, armé après le mouvement sur le pilier, se détendit comme un fouet. Bethany n'eut le temps de rien et tout se passa en un éclair. A peine sentit-elle le choc qu'elle partait au tapis pour ne pas se relever, sonnée et vaincue.
Jessandra quant à elle retomba lourdement, la fatigue la faisant se tordre la cheville. Peu importait ! Sous les vivas, les acclamations qui vociféraient autour du ring, elle venait d'être sacrée championne du StormRage.
*
* *
- Les règles ne concernent que l'organisation, non les combats en eux-même. Tout y sera permis. Nous attendons des participants qu'ils soient les plus violents possibles. Vous pouvez encore refuser.
- Non. Vous prenez vraiment en charge les frais, de l'avion à l'hébergement ?- Absolument tous. Le seul impératif sera de vous rendre sur le lieu des combats qui vous seront assignés. Et de vous battre selon les paramètres que j'ai évoqué juste avant.
Elle hoche la tête, silencieuse. Cet homme était un envoyé des organisateurs du Beasts War, qui l'avait trouvée si tôt qu'on l'avait amenée dans les vestiaires. Pour éviter les problèmes, Jessandra avait demandé à Manuele et aux soigneurs de s'éloigner, le temps de finir la conversation. Ses soins lui importaient moins que son billet pour le Japon.
L'homme, qui avait tout du burocrate quarantenaire, lui remit alors un téléphone portable.
- Nous vous joindrons avec ceci. Il s'activera dans deux mois, à la date de début du tournoi. Une fois allumé, vous ne devrez plus vous en séparer. Cela vous maintiendra en contact constant avec l'organisation et donc avec le déroulé des matchs.
- Autre chose ?- Non. Ah, si. Superbe combat, ce soir. Je vous suivrais avec intérêt une fois au Japon.
Il la salua et elle lui rendit mollement un geste de tête vague alors qu'il quittait les vestiaires. Exténuée, Jessandra se laissa tomber sur le banc. Manuele ne tarda pas à entrer en compagnie de deux soigneurs, qui commençèrent à s'affairer autour de la championne. Il la félicita pour la beauté du combat, et pour avoir remporté son ticket pour le Japon. A aucun moment Jessandra n'avait évoqué la dangerosité des affrontements qu'elle serait tenue de livrer en échange de son aller pour l'autre bout du monde ; il se serait trop inquiété pour ça.
Manuele l'embrassa sur le front et elle se laissa à quelques larmes de soulagement. La pression retombait et enfin le rêve qu'elle poursuivait depuis des années tendait à se concrétiser. Peu à peu, elle s'approchait de ses origines.
- Au fait, lui dit Manuele, Bethany te félicite. Et se propose de t'accompagner au Japon. Elle dit qu'un peu de compagnie sur place ne sera pas de trop. Tu es d'accord ?
- Vraiment ? Et bien...euh...ce sera avec plaisir. Oui, oui. C'est une bonne idée. Plus que des adversaires sans pitié, ce serait tout un monde de vie qu'il faudrait affronter. Bien que Jessandra était de nature solitaire, la situation qui s'annonçait l'effrayait un peu et la compagnie d'une amie (ou du moins d'une saine rivale) serait un atout important. D'autant que Bethany serait parfaite pour l'aider à s'entraîner et à la soigner entre deux duels.
Ce serait à ses côtés qu'elle s'envolerait, quelques semaines plus tard, pour l'Orient et Seikusu.