- Par là ! Elle s'est tirée par là !Dans un petit village commerçant ordinaire, une scène malheureusement fréquente se déroulait alors que le jour commençait à peine à se lever. Une jeune orpheline du nom de
Maïna s'était offerte cette nuit même à un important commerçant de la région et en avait profité, quelques minutes plus tôt, pour lui dérober une bourse remplit de pièces d'or. La jeune femme avait l'habitude de voler pour subvenir à ses besoins et jusque là elle s'en était toujours bien tirée. Mais ce matin, elle n'avait pu échapper à la vigilance des sbires du riche commerçant et se retrouvait à courir à perdre haleine dans les ruelles étroites. Terrifiée, elle tournait et se faufilait dans des rues au hasard, sans même savoir ou aller ni quoi faire pour semer les dangereux individus. Que lui arriverait-elle si elle se faisait prendre ? Est-ce qu'elle serait violée, assassinée et jetée dans une ruelle comme son amie Diane deux ans plus tôt ?
Elle tourna à droite, puis à gauche, sentant les sbires se rapprocher et soudain, un bras solide l'agrippa au poignet et la tira violemment. Elle poussa un cri aiguë qui s'étouffa contre une paume imposante, puis fut plaquée contre un corps de forte stature qu'elle devina appartenir à un homme. Pendant un instant, elle cru qu'il s'agissait d'un autre type travaillant pour le marchand et se mit à gesticuler. Tout à coup, elle sentit un souffle près de son oreille :
- Chuuut....Le cœur de la jeune Maïna battait la chamade. L'endroit où elle se trouvait désormais était particulièrement sombre. C'est alors qu'elle vit ses deux poursuivants, un peu plus loin sur la droite. Elle retint son souffle. Mais après un bon moment à fouiller les environs, les deux individus abandonnèrent les recherche et s'éloignèrent.
Une fois certain que les deux types se soient assez éloignés, Mézias relâcha sa prise sur la jeune orpheline qui se tourna immédiatement vers lui pour dévisager celui qui l'avait surprise, mais qui lui avait bel et bien sauvé la vie. Pendant quelques secondes, elle resta silencieuse, muette devant la silhouette imposante entièrement vêtue de noir et le visage masqué. Puis, enfin, elle lui demanda qui il était. Une question qui revenait souvent lorsqu'il sauvait des vies. Et sa réponse était la même à chaque fois :
- Tu peux m'appeler Scorpion. Alors comme ça... tu voles les honnêtes marchands ?La petite s'empourpra et serra un peu plus fort la bourse contre sa poitrine, les sourcils froncés. Un comportement amusant. Elle répliqua alors vivement :
- Ce porc n'a rien d'honnête ! Il s’enrichit sur le dos des honnêtes gens ! J'ai simplement voulu lui donner une leçon et... et pouvoir me payer de quoi manger.Mézias leva une main apaisante.
- Ne te tracasse pas, garde cet argent. Quant à ce terrible marchand et bien... disons que tu n'as plus à t'inquiéter. Il ne te causera plus d'ennuis.C'était peu de le dire étant donné qu'il l'avait assassiné au moment même où la frêle orpheline avait quitté lé chambre. Il avait alors eut juste le temps de la rattraper et de lui éviter une sacrée mésaventure entre les mains des deux sbires. Qui allaient tirer une sacrée tronche en découvrant leur maître poignardé d'ailleurs.
Après de rapides remerciements et au-revoir, Maïna observa l'assassin filer et disparaître comme il était apparut. Soupirant et reprenant prudemment sa route, elle se demandait à quoi pouvait bien ressembler son sauveur sous cette capuche.
*
Mézias passa le reste de la journée dans son repère à entretenir soigneusement les nouvelles armes dont il avait fait l'acquisition et, évidemment, à se reposer. Vivre aussi dangereusement de nuit était assez épuisant pour un assassin et il ne chômait pas ces temps-ci. Dormir était donc un véritable plaisir. Il n'avait pas spécialement prévu de sortir avant la nuit. Mais lorsqu'il se leva pour se servir quelque chose à manger, il se rendit compte que son stock de nourriture était vide. Il se gratta l'arrière de la tête avec un air déconfit, puis soupira et enfila sa tenue, prenant un soin tout particulier à être impeccable. Ce n'est pas parce qu'il vivait comme un marginal qu'il devait se négliger. Une fois prêt, il traversa les nombreuses galeries menant aux puits et l'escalada avec agilité pour se retrouver à l'air libre. Il faisait encore jour, mais qu'importe.
L'homme s'étira longuement, fit rouler ses épaules et l'ensemble de sa musculature, puis se dirigea d'un pas tranquille en direction de la ville la plus proche, là où il avait l'habitude de se rendre pour faire des provisions. Il avait ses habitudes chez un vieil homme discret qui ne posait jamais de question et où il n'y avait jamais grand monde. En effet le vieillard avait une réputation de mangeur d'enfant et de sorcier. Allez savoir pourquoi... c'était un pauvre type inoffensif vivant reclus dans sa tanière poussiéreuse. Enfin... sa bouffe était mangeable c'était le principale.
La ville se tenait à quelques kilomètres. Cela faisait une distance assez conséquente, mais Mézias avait préféré s'installer loin de tout pour éviter que ses allers et venus soient remarqués.
Une fois arrivé, il s'apprêtait à se rendre chez le vieil homme lorsqu'un type déboula sur la place, campé que un cheval paniqué et à la robe luisante de sueur. L'air complètement terrorisé, le type hurla à qui voulait l'entendre que tout le monde était mort, que c'était un carnage, que tout avait brûlé et autres inepties atroces sans que personne ne daigne vraiment le croire et lui prêter attention. Pourtant, l'assassin sentait que ce fou ne mentait pas. Quelque chose d'horrible s'était produit.
Alors que la foule s'écartait de l'hystérique, le jeune homme s'approcha et agrippa fermement l'individu par l'épaule et le fit descendre de sa monture.
- Calme toi mon grand. Qu'est-ce qui s'est passé au juste ? D'où tu viens comme ça ?Après avoir écouté le récit tremblant et sanglotant de l'inconnu, Mézias enfourcha le cheval, le lança au galop et quitta la ville.
Toute cette histoire n'était peut-être que les mensonges d'un fou, mais il devait en avoir le cœur net.
Il chevaucha un bon moment dans la direction que lui avait indiqué le pauvre homme, jusqu'à apercevoir des colonnes de fumée. Bientôt, une odeur insoutenable de mort et de brûlé emplit ses narines. Une fois arrivé sur place, il fit stopper le cheval qui ronflait d'angoisse et de fatigue et sauta à terre.
Le spectacle n'était pas beau à voir. Vraiment pas. C'était un véritable carnage, un massacre. Qui avait donc bien pu faire ça ? Et pour quelle raison ? Curieux, mais sur ses gardes, l'assassin s'arma de l'un de ses kukri et fit le tour des environs. Tout semblait plutôt calme, jusqu'à ce qu'il aperçoive un groupe de goules en train de se repaître des cadavres encore fumants. Mézias comptait simplement s'éloigner un peu et voir s'il pouvait trouver des survivants, mais une des goules choisit ce moment pour se retourner et le repéra.
- Merde.Le jeune homme sortit son autre kukri et décida de se débarrasser de ces saloperies. Elles étaient nombreuses, mais pas assez pour qu'il recule. Ses copines se joignirent rapidement à la fête et décidèrent de se jeter sur lui, la gueule dégoulinante de sang.
Mézias banda ses muscles et porta la première attaque, tranchant sans mal la gorge de la goule la plus proche avant de repousser une deuxième d'un puissant coup de pied dans le plexus. L'assassin bondissait, frappait, tranchait et tournoyait dans un bal incessant et meurtrier, aussi agile et vif qu'un chat, ne manquant jamais sa cible. Au bout de quelques minutes, il tua la dernière goule en enfonçant l'une de ses lames entre les deux yeux de la créature qui s'écroula.
Satisfait, Mézias essuya soigneusement ses armes avec un chiffon qu'il avait toujours sur lui, puis décida de continuer ce qu'il avait entreprit : trouver d'éventuels survivants. Il lui semblait peu probable que quelqu'un puisse encore respirer parmi tous ces tas de cadavres et surtout après le passage des goules. Et pourtant... pourtant quelque chose attira son attention.
Plissant les yeux, l'homme aperçut un corps qui semblait plus propre et en meilleur état que les autres, un corps qui n'avait pas été brûlé. Pour s'en assurer, l'assassin s'approcha, grimaçant alors que l'odeur nauséabonde devenait de moins en moins supportable.
Mézias s'accroupit près du corps a priori sans vie au premier coup d’œil, puis chercha un pouls. Il en trouva un. Si faible, d'ailleurs qu'il faillit ne pas le sentir. Un miracle que ce gars ait survécu. Par pure curiosité, l'assassin prit délicatement la mâchoire ensanglantée de la victime pour pouvoir voir son visage. Il le reconnu instantanément et son corps fit un bond violent dans sa poitrine. Cahir. C'était bien lui, ça ne faisait aucun doute. Mais comment s'était-il retrouvé au milieu de ce cauchemar ? Préférant ne pas perdre de temps avec des interrogations inutiles, Mézias rangea ses armes dans sa ceinture et agrippa son ancien compagnon d'arme pour le hisser sur son dos. Il pesait son poids, mais le jeune homme avait connu pire.
Alors qu'il s'apprêtait à quitter les lieux, il aperçut une épée sur le sol. Ce n'était pas une arme comme les autres, celle-ci avait sans aucun doute une grande valeur et quelque chose lui disait qu'elle appartenait certainement à l'apatride. L'assassin prit donc le temps de la récupérer et rejoignit le cheval qu'il avait eu la bonne idée d'attacher à un arbre pour ne pas qu'il décampe.
Il installa Cahir sur le dos de l'animal et accroché l'épée à la selle. Comme l'animal était déjà bien fatigué, Mézias décida qu'il était plus sage pour sa part de faire le chemin à pied. Cela prendrait plus de temps pour rejoindre sa planque, mais tant pis.
Le voyage dura un moment et l'ex soldat ashnardien vérifiait régulièrement que Cahir tenait le coup. Lorsqu'il atteignirent enfin le puits, la nuit était tombée. L'homme vira la cheval d'une claque sur les fesses et fit descendre tant bien que mal son ami et l'imposante épée dans les galeries. Il reprit ensuite le tout sur son dos et marcha plusieurs minutes avant de pouvoir déposer le blessé sur son lit. Mézias entreprit alors de nettoyer et soigner les blessures de l'apatride, de le débarrasser du peu de tissu déchiré qu'il avait encore sur lui et l'installa confortablement sous une chaude couverture. Après avoir vérifié qu'il n'avait pas de fièvre, l'homme prit le temps de s'asseoir, d'enlever son masque et d'observer pensivement son ancien compagnon ashnardien.
Cahir n'avait pas beaucoup changé. Il avait le visage un peu durcit par les épreuves, mais il était resté le même. Et face à cet homme qu'il avait tant aimé, Mézias sentit ses sentiments ressurgir et son cœur se serrer. Non, malgré tout ce temps son amour pour lui n'était pas mort, il s'était simplement endormit. Délicatement, l'assassin repoussa une mèche de cheveux sombre du front de Cahir et soupira :
- Tiens bon, mon ami. Bats toi, je t'en prie.Durant les jours qui suivirent, l'homme laissa l'apatride se reposer. Il ne sortit pas beaucoup, trop préoccupé par l'état de son ancien compagnon d'arme. Une nuit, Cahir n'ayant toujours pas reprit ses esprit, mais son état étant stable, Mézias s'octroya donc un aller-retour à la ville pour aller chercher de quoi manger et de quoi soigner plus efficacement les plaies du blessé.
Lorsqu'il revint, Cahir était réveillé. Il était toujours allongé sur le lit, mais semblait avoir retrouvé ses esprits. Mézias s'approcha, silencieux, puis une fois assez prêt il prit la parole :
- Tu as l'air d'aller mieux.L'apatride le regarda. Comme il avait toujours le visage caché, l'assassin fit tomber sa capuche et fit descendre son foulard noir sur son cou, dévoilant pour la première fois
son visage.
- Bonjour Cahir. Ça fait un bail.Allait-il seulement le reconnaître, lui, le simple camarade de bataille dont il avait toujours ignoré les sentiments ?