Une petite journée paisible à Seikusu : il faisait un beau soleil, et même si elle ne pouvait possiblement pas être exemple des habituelles horreurs qui peuvent avoir lieu dans une métropole de la taille de cette ville, l’astre d’Apollon avait l’air de gratifier la population entière de bienfaisantes ondes thérapeutiques de nature à enjoindre tout un chacun à laisser de côté ses préoccupations immédiates pour aller prendre l’air et lézarder en toute tranquillité. Telle n’était malheureusement pas la possibilité offerte aux élèves du lycée à cette heure encore peu avancée de l’après-midi, car sans égards pour les étudiants aux estomacs tout juste repus qui auraient été bien plus enclins à faire la sieste qu’à cuire dans des salles de cours pour écouter un professeur ou un autre les entretenir de long en large et en travers sur un sujet dont la plupart se souciaient vraisemblablement comme d’une guigne, ceux-ci étaient enfermés en classe et avaient encore quelques heures à tirer jusqu’à ce que la salvatrice sonnerie retentît. Pourtant, au milieu de cet univers de prise de notes acharnée, de copies ramassées et de devoirs corrigés, il existait au moins une pièce à l’intérieur de laquelle c’était le calme complet, et cette pièce n’était autre que l’infirmerie, sa position à l’écart de tout lieu potentiellement bruyant en faisant véritablement un havre de paix pour toute personne souffrante qui aurait eu besoin de s’accorder quelque repos, même si les locaux étaient pour le moment parfaitement vides, les lits aux draps d’une élogieuse blancheur ne recueillant nul corps souffrant.
Vides ? Hé non, un être solitaire peuplait cet espace de soins et de réconforts, un jeune homme entre la vingtaine et la trentaine avec des cheveux mi-longs coiffés en une vague queue de cheval, un visage doux et bienveillant, de grands yeux noisettes compréhensifs, une bouche amène en ce moment plissée sous l’effet d’une légère perplexité, un tarin de bonne allure et un menton volontaire, tout cela surmontant un corps à la musculature qui jurait presque avec un faciès si amène, bien que celle-ci fût présentement partiellement masquée par une large chemise blanche élimée aux manches bouffantes retroussées en raison de la chaleur ainsi que par un pantalon marron qui devait avoir connu des jours meilleurs, celui-ci débordant légèrement vers le bas sur une paire de chaussures de bonne facture étrangement neuves comparées au reste de l’habillement, même si on pouvait voir aux mouvements des orteils sous la protection de cuir synthétique qu’elles causaient un certain inconfort à leur porteur… ah, et n’oublions pas bien sûr une sempiternelle blouse blanche qui lui descendait jusqu’à mi-mollet et qu’il avait l’air de porter comme une seconde peau : en bref, pour le cliché de l’infirmière cochonne, le moins qu’on pouvait dire, c’est que c’était raté du point de vue du physique et manifestement du caractère. Le bonhomme était installé dans un large fauteuil à roulettes, son attention accaparée par ce que l’on pouvait très facilement identifier comme le journal de Seikusu, ne détournant même pas les yeux lorsqu’il s’emparait d’une tasse remplie de chocolat fumant posée sur une table proche pour en prendre une lampée qu’il accueillait avec un claquement de langue satisfait contre son palais. Hormis le froissement du papier et les gémissements occasionnels du siège, il régnait un silence parfait à l’exception des sons de bruissement de feuillage et de pépiements d’oiseau qui filtraient de l’extérieur par la fenêtre ouverte qui dispensait un léger courant d’air parfumé venant tempérer la froideur qu’aurait pu instaurer la climatisation.
Prénom Saïl, nom Ursoë, comme cela pouvait être indiqué sur un petit feuillet qui ornait la porte d’entrée de l’infirmerie et qui présentait l’intéressé comme étant l’une des personnes chargées d’apporter les soins ad hoc à qui aurait pu en avoir besoin en l'absence de la praticienne habituelle, Nasira Jagger. Une drôle de zigue cette dame là d’ailleurs… elle s’était montrée de la plus exquise politesse avec lui, mais tout le long de l’entretien, il n’avait pas pu se départir d’une désagréable sensation qui lui donnait l’impression qu’ils étaient un couple de mantes religieuses en train de se fixer l’un l’autre avec pour dénouement prévu celui que chacun connaît pour l’infortuné mâle. C’était stupide, mais il n’avait pas pu s’en empêcher, et ne s’était senti véritablement soulagé qu’au moment où la chaleureuse poignée de main qu’il avait reçue avait conclu leur entretien tout ce qu’il y avait pu y avoir de plus correct en fin de compte, le jeune homme ayant eu grand plaisir à côtoyer quelqu’un de beaucoup plus instruit des choses du monde médical qu’il l’aurait pu croire de la part d’un membre d’un personnel scolaire. Il devait se faire trop de souci, et plutôt que de se forger un délire de persécution, il aurait été beaucoup plus sensé de profiter dûment de ces jours de tranquillité qui lui étaient offerts : l’effet de l’Humanis Simplex avait l’air d’être parti pour durer, et en attendant qu’il redevînt un homme-loup, il avait bien l’intention de ne pas s’en faire et de couler des instants paisibles comme celui qu’il vivait en ce moment même, à compulser sans avoir à se hâter les informations journalistiques tout en sirotant un bon liquide bien sucré dont il avait toute une réserve à proximité.
D’ailleurs, ce n’était pas comme s’il avait été complètement oisif était donné qu’il s’était dans un premier temps attelé à la tâche de savoir si ses frasques en tant que loup-garou avaient pris une telle ampleur qu’elles étaient parues dans la presse : c’était qu’une effraction –même involontaire- dans un centre commercial et une course-poursuite dans les rues avec la police, ça ne passait pas inaperçu ! Heureusement, les autorités semblaient s’être fait un devoir d’étouffer l’affaire étant donné qu’il ne figurait rien de pareil, même dans les faits divers, ce qui le soulagea : il avait juste à faire profil bas, et tout se passerait bien ; il pourrait continuer à prendre congé du tumulte qui lui était coutumier pour quelques jours, jusqu’à ce que son corps muât d’une telle façon qu’il lui faudrait à nouveau se vêtir de ce pagne qu’il transportait toujours avec lui dans un grand sac à dos qui ne le quittait jamais.
Mais depuis qu’il s’était rassuré sur son relatif incognito et puisque aucun élève n’était venu quérir ses services, il avait jeté son dévolu sur les mots croisés sur lesquels il piétinait désormais, une définition qu’il mentionna pensivement à haute voix alors qu’il se grattait le côté de la tête de son stylo le tenant en respect depuis quelques bonnes minutes déjà :
« Au nombre de cinquante, elles forment le cortège de Poséidon… »