Forêt d’Eriendor
Camp de la Scoia’tael
Il y a deux semaines«
Ce temple appartenait jadis aux Aén Seidhe, Mithra. »
De sa voix forte aux accents tranchants, il lui parlait du Temple de Taharqa, et de sa prochaine mission, qu’elle attendait avec impatience. Les deux s’avançaient le long de ce grand camp perdu dans les profondeurs de la vaste et immense
forêt d’Eriendor, une forêt millénaire s’étalant sur des milliers de kilomètres. Elle était si grande qu’elle commençait à Nexus pour s’enfoncer dans les Contrées du Chaos, et avait jadis abrité des cités elfiques. Aujourd’hui abandonnées et rendues à la Nature, ces cités n’étaient plus présents que dans les livres et les contes historiques, car les elfes vivant là avaient migré vers le Bosquet, ou s’étaient mélangés aux humains, les
Aén Seidhe devenant alors des Bas-Elfes.
Mithra connaissait l’histoire des elfes, et la distinction historique entre les «
Hauts-Elfes » et les «
Bas-Elfes ». Les premiers étaient ceux qui étaient restés dans les royaumes elfiques, les «
purs », les elfes n’ayant jamais été contaminés par les humains. Inversement, les Bas-Elfes étaient des elfes vivant au sein des communautés humaines, où ils étaient régulièrement opprimés, martyrisés, spoliés… On avait volé leurs terres, comme Nexus l’arrogante. Avant d’être cité humaine, Nexus avait été une ville elfique. Les humains s’en étaient emparés, comme ils l’avaient fait tant de fois ailleurs, regroupant ensuite les elfes dans des quartiers insalubres, volant leurs terres, et leur faisant vivre un véritable enfer, les assommant sous les impôts, sous une insécurité ponctuelle, dans le but de les faire partir. Les Bas-Elfes restaient leurs frères, et les elfes les plus virulents, car ils se battaient volontiers contre les humains. La
Scoia’tael en était la plus belle illustration.
Cette organisation elfique dépassait le cadre des frontières, et on la retrouvait de Nexus à Ashnard. Considérée comme une organisation terroriste par les royaumes humains, la Scoia’tael se battait pour une société égalitaire, pour que les elfes cessent d’être humiliés, et menait en ce sens des actions contre le despotisme et le racisme humain. Ils étaient de plus en plus nombreux, et Mithra était heureuse de voir leur camp d’Eriendor croître de plus en plus. Il y avait essentiellement des elfes, mais aussi de plus en plus de guerriers nains, d’anciens esclaves terranides, et même d’autres espèces, comme des dryades. Les Nains avaient mis de côté leur hostilité ancestrale à l’égard des humains, car eux aussi avaient été victime des expropriations humaines. Ils avaient dû abandonner leurs précieuses forges et leurs mines. Maintenant, les Royaumes nains qui subsistaient encore avaient perdu bien de leur influence, notamment depuis que les Nexusiens avaient repris Kovar, jadis l’un des Royaumes nains les plus florissants, et maintenant une terre nexusienne.
«
On dit qu’ils ont trouvé un trésor légendaire et qu’ils l’ont emmené chez eux… Les dh’oines l’appellent ‘‘La Boîte de Pandore’’, car la légende dit que ce trésor n’est réservé qu’aux êtres purs et nobles, car, quand on l’ouvre, tous nos vices sont révélés. »
L’homme qui parlait ainsi en lui exposant sa mission était un ancien esclave elfique. Il avait travaillé dans des mines de sel, une vie harassante et éprouvante, où il était perpétuellement rossé par les coups de fouet de cruels bourreaux, tout cela pour les profits d’une bande de bourgeois gros et gras qui violaient les esclaves femmes. Ils étaient parqués dans des granges insalubres, et, régulièrement, les esclavagistes descendaient du manoir pour récupérer dans la grange de belles elfes, comme sa sœur, Ilwën… Leur crime avait été de naître avec des oreilles pointues, et de naître esclaves. Ilwën était régulièrement violée par leurs maîtres, et le jour où son frère avait essayé de la défendre, il avait été cruellement fouetté, puis attaché la nuit en plein milieu de la cour, sans qu’on ne soigne ses plaies. Attaché à la croix, les corbeaux étaient venus le picorer toute la nuit, et, le lendemain matin, on l’avait détaché, et on avait continué à le fouetter, jusqu’à ce que son dos ne soit plus qu’un geyser de sang, puis on lui avait brûlé un œil au fer rouge.
Il aurait pu perdre sa volonté… On l’avait brisé physiquement, et il avait mis des mois à s’en remettre, mais sa volonté n’en avait été que plus grande encore. Il avait repris sa tâche en tant qu’esclave, et, pendant ce temps, Ilwën continuait à être battue et violée. L’esclavagiste traitait ses esclaves d’une manière cruelle, qui ne correspondait pas à la législation en vigueur, mais il graissait la patte des officiers, et n’hésitait pas à tuer ceux qui lui désobéissaient. Finalement, il avait demandé à l’elfe d’être le majordome à domicile, une autre manière de s’amuser avec eux, et d’exercer le pouvoir sur lui, car il pouvait ainsi violer sa sœur sous son nez. Ilwën, qui avait perdu sa flamme… Ilwën, une
Aén Seidhe dont la voix mélodieuse les faisait rêver la nuit quand elle chantait de vieilles mélodies elfiques. Ilwën n’était plus qu’une coquille vide, dont les larmes avaient séché le long de ses joues… Et l’elfe s’était révolté. Il avait pris les armes. Les gardes l’avaient tailladé, mais son corps avait reçu tant de coups de fouet que la douleur ne le marqua pas. Il les tua, et se rendit dans l’église, où il fit sonner la cloche… Et les autres esclaves le rejoignirent. Les plantations furent brûlées, l’esclavagiste fut massacré, ainsi que toute sa famille. On tua tous les membres de la maison, on brûla cette dernière jusqu’aux fondations, et l’elfe tint entre ses bras le cadavre de sa sœur. Le soir même, on l’envoya sur une barque le long du fleuve, qu’on enflamma.
Ce fut une nuit rouge, car les elfes déferlèrent dans le village proche, abritant les officiers, abritant tous les villageois humains, tous ceux qui étaient venus acheter du sel ou des esclaves pour mieux les torturer. La ville fut brûlée, le sang inonda le fleuve, on tua, sans relâche, sans discernement. Des années de frustration et de souffrance éclatèrent en une nuit haineuse et sanglante. Tous furent tués. Les officiers ministériels furent lapidés, leurs arrogantes maisons brûlées, leurs trésors broyés.
Ce fut une nuit rouge, et tous furent tués. Tous. Sauf Mithra. Elle, l’elfe l’épargna et la prit sous son aile. Elle, elle n’était alors qu’une vagabonde, une orpheline qui fuyait régulièrement l’orphelinat où elle était battue par une mère supérieure. Elle, elle n’aimait pas les humains. Elle, elle n’aimait pas ce prêtre vieux et bougon dans l’église, qui la faisait sauter sur ses genoux, et, quand elle avait été se plaindre à la mère supérieure, elle avait reçu un coup de fouet, puis avait été attachée dans la «
chambre de rédemption », une pièce noire, sans fenêtre, où le pêcheur se confrontait à ses propres péchés. C’est dans cette pièce que l’elfe l’avait trouvé, et qu’il avait vu la chaîne autour de son cou, les larmes sur ses joues, mais la haine qui brûlait dans ses yeux. Le village fut brûlé, et, par la suite, la Milice les traqua.
La rébellion se poursuivit, s’étendant à d’autres cottages. Une insurrection de haine, qui se termina quand les insurgés se heurtèrent à la cavalerie nexusienne, à leurs impériaux chevaliers. Ils furent tous massacrés dans une nuit orange, une nuit où une ferme brûlait, et où les chevaliers fondirent sur eux, les dispersant et les massacrant. Les esclaves n’étaient pas des guerriers, simplement des hommes affamés et en rage, et toute leur haine ne pouvait pallier à une formation martiale, à la discipline militaire, et à un équipement efficace et solide. Ils furent tous tués, car ils refusèrent de se rendre. Tous… Sauf Mithra et l’elfe.
Les années ont passé depuis, l’elfe a rejoint la Scoia’tael, Mithra aussi. Née humaine, elle a rejeté son humanité au profit de la cause de la Scoia’tael et de son véritable père, l’elfe…
Iorveth. Mithra était une archère redoutable, légendaire, une tueuse impitoyable, qui avait déjà tué plus d’une centaine de personnes. La tête d’Iorveth était mise à prix, tout comme celle de Mithra, ce qui ne les dérangeait guère. Ils étaient des combattants de la liberté, et il était normal que les systèmes corrompus cherchent à les vaincre.
«
N’est-ce pas dangereux de récupérer ce trésor, s’il révèle tous nos vices ? s’enquit Mithra.
-
La cupidité des dh’oines va les amener à vouloir le retrouver. Nos ancêtres ont été submergés par leurs vices, et, depuis lors, ce trésor se trouve à l’intérieur du temple, et je n’ose imaginer les ravages qu’il causera si les Nexusiens le récupèrent. Ce trésor est notre patrimoine, et il nous faut nous assurer qu’il revienne aux Aén Seidhe. De plus… »
Le duo avançait dans le camp, et Iorveth lui expliquait les détails de sa mission. En quelques années, cet
outsider était devenu une figure centrale de la Scoia’tael. Insaisissable auprès des autorités, il était en guerre contre l’esclavage, et avait libéré de nombreux esclaves. Mithra, elle, avait tué quantité de prêtres. De fait, chaque fois qu’elle se rendait dans un village, le prêtre local finissait toujours par mourir. C’était son petit hobby personnel. Parfois, elle se contentait juste d’une flèche en pleine tête. Parfois, elle prenait davantage son temps, et cherchait alors à le crucifier sur sa croix, de préférence le Samedi soir, avant la messe du Dimanche matin.
«
Les écrits disent que Taharqa abrite les légendaires Gemmes blanches du Roi Aedirn. »
Mithra écarquilla les yeux. Les Gemmes blanches du Roi Aedirn… On disait qu’elles avaient été forgées à Tir nà Lia, avant le grand Exode des elfes. Dans l’Histoire des elfes, il existait en effet un moment fondateur, le moment où quantité d’elfes avaient quitté leur terre nourricière pour rejoindre les terres sauvages, afin de les coloniser. Les raisons de cet exode étaient méconnues. Ce qu’on savait, c’était que le voyage avait été une catastrophe. Les elfes étaient partis sur de grands navires blancs, mais l’océan était bête sauvage. Les tempêtes avaient dispersé les navires, et en avaient coulé plusieurs, notamment celui d’Aedirn, le Roi de l’époque. Et Aedirn avait emmené avec lui ses gemmes blanches, dont on disait qu’elles recelaient de puissants pouvoirs magiques. Son navire n’avait jamais été retrouvé, tout comme les cartes de navigation permettant de rejoindre Tir nà Lia, la terre nourricière.
Depuis lors, il existait, au sein des elfes, une distinction fondamentale entre les
Aén Seidhe et les
Aén Elle. Les premiers étaient les elfes ayant fait le voyage, alors que les seconds, les
Aén Elle, étaient les elfes restés sur Tir nà Lia, sur le continent lointain.
«
Tu veux dire que… ? -
Taharqa se trouve en plein cœur nexusien, et nous ne pouvons pas y envoyer un trop fort contingent. Mais oui, Mithra… Il est possible que les elfes de Taharqa aient retrouvé l’épave d’Aedirn. Il y a les Gemmes blanches, mais peut-être aussi les anciennes cartes de navigation maritimes… Un trésor inestimable qui nous permettrait de retrouver nos ancêtres, notre terre natale. -
Les Aén Elle… »
Iorveth acquiesça lentement, et poursuivit :
«
La Boîte de Pandore n’est que subsidiaire. D’après certaines légendes, Aedirn portait avec lui cet artefact, et l’utilisait lors de procès, afin de déterminer si l’accusé était aussi pur qu’il le prétendait. Si tu peux les récupérer, ce sera une bonne chose… Mais, comme tu l’auras compris, les cartes de navigation sont un bien plus précieux que n’importe quoi. »
Mithra comprenait, et acquiesça en hochant la tête. Iorveth posa alors une main sur son épaule.
«
Je te fais confiance, Mithra… -
Et je ne te décevrais pas, Iorveth. »
Elle n’était pas elfe, ce qui faisait que, fréquemment, on avait douté d’elle, de sa motivation… Mais, maintenant, tout le monde admettait que Mithra était une véritable Scoia’tael. Iorveth lui faisait un grand honneur en la mettant sur cette mission… Et elle entendait bien le satisfaire, et se montrer digne de ses attentes.
Elle partit le jour même.
Province de Nexus
Temple de Taharqa
MaintenantC’était réellement un temple massif, à l’orée d’une grande forêt et de multiples villages humains. Mithra s’était renseignée auprès de la grande bourgade locale,
Bailey, qui était reconnaissable par l’immense château se dressant en hauteur. Mithra avait ainsi appris toutes les légendes circulant sur Taharqa, et le fait que, régulièrement, la famille dirigeante, la
Famille Knightlay, avait envoyé des expéditions dans le temple, qui n’étaient jamais revenues. Le baron actuel,
Edward Knightlay, était très intéressé par ce temple, notamment depuis l’arrivée d’un nouveau magicien, qui, comme tout magicien, le conseillait.
Mithra s’était renseignée au sein des auberges locales, et en avait aussi profité pour visiter quelques églises. Elle en avait obtenu suffisamment, et, après avoir couché quelques hommes pour obtenir des informations, les laissant ensuite baignant dans leur sang, elle était partie pour Taharqa.
Elle se tenait maintenant face à une entrée latérale de ce dernier. On avait scellé les entrées principales, mais elle avait appris l’existence d’une autre entrée par une grotte dans la forêt proche. Elle s’aventura donc dans la forêt, et trouva la grotte, puis s’y faufila.
*
Stupides dh’oines, je ne vous laisserais pas nous dépouiller encore ! Le trésor de Taharqa sera à MOI !*
Et c’était une promesse qu’elle se faisait !