Peu après que Succube ait embrassé le front de sa sauveuse, celle-ci s'éveilla à son tour et vint l'embrasser, ce à quoi elle ne se déroba pas, appréciant ce contact doux et amant. Tellement plus rassurant et beau. Elle aimait cette sensation de sécurité et d'amour qu'elle obtenait d'Eris. Elle la regarda avec amour.
-Bon matin... Tu as bien dormir, Succube ?
Succube ouvrit la bouche, mais s'interrompit, prise d'une hésitation et frissonna à la mémoire floue de ses cauchemars. Elle finit cependant par hocher la tête avec un temps de retard, trop évident pour que son mensonge ait un quelconque poids.
- Succube a bien dormi avec Eris... Tenta-t-elle un peu piteusement pour faire plaisir à sa maîtresse.
La rose des sables sembla se douter de quelque-chose, mais Succube senti bien qu'elle n'avait pas envie de relever son mensonge. Elle se leva à la place, s'étirant comme un chat, donnant envie à Succube de l'imiter. Celle-ci fit de même, imitant Eris comme une enfant qui apprends. Elle se laissa ensuite conduire devant une coiffeuse où sa sauveuse entrepris de peigner sa longue tignasse brune qui avait été assez négligée ces derniers mois. Malgré tout, elle la complimenta sur ses cheveux, ce qui fit rougir l'amnésique qui ne sut pas quoi répondre. Elle se contenta de rester silencieuse et aussi droite que possible pour faciliter le travail d'Eris, adoptant sans s'en rendre compte un port presque altier. Qui qu'elle eut été, elle avait jadis su se tenir droite avec élégance et un art consommé de grâce.
Puis une femme entra, signalant que tout était prêt, reconnaissable en tant que magicienne à la fois à son bâton et à sa manière de s'habiller. Succube frissonna en la regardant.
Eris hocha la tête puis se pencha sur elle, prenant ses joues dans ses mains et la fixant droit dans les yeux.
-Écoute... Tu vas faire ce que cette femme te dit de faire, d'accord ? Elle ne va pas te faire de mal, je peux te l'en assurer... Fais moi confiance, ok ?
Intimidée, Succube hocha la tête, même si elle tremblait un peu. Eris l'aida à se lever et la conduisit ensuite dans une grande pièce ronde et dégagée. Le sol dallé d'une pierre aux tons clairs était lisse comme un miroir tant il avait poli. Au centre de la pièce, un grand cercle se trouvait dessiné sur le sol, deux étoiles à cinq branches superposées l'une sur l'autre étaient inscrit sur le cercle et des bougies de cire blanche étaient allumées à chaque extrémité des étoiles. Autour du cercle étaient écrit des incantation dans une langue que Succube ne savait lire et quatre encensoirs étaient présent dans la pièce, embaumant l'air de fragrances d'encens mélangé à une autre herbe qui donna envie à succube d’éternuer.
La magicienne prit le relais de sa suzeraine et cueillit la main de la pauvre amnésique dans la sienne. Celle-ci frissonna à ce contact, trouvant que la magicienne avait les mains froides. Mais elle se laissa guider jusqu'au bord du cercle tandis que la rose des sables restait au bord de la pièce, ce en quoi Succube lui fut reconnaissante car cela la rassura.
La magicienne lui commanda ensuite de s’agenouiller au centre du cercle, ce en quoi Succube obéit, trop bien dressées pour se révolter contre un ordre, aussi abscons fut-il. Elle prit place et la magicienne se recula de quelques pas, rejoignant un autre cercle, plus petit que le premier mais similaire, dans lequel elle se tint debout avant de commencer à psalmodier une longue et lente litanie, suivant un rythme bien précis qui donnait l'impression que la magicienne chantait, mais de ce genre de chant qui n'a pas de rime que l'esprit humain parvienne a percevoir.
Les minutes s'écoulèrent doucement pour Succube qui resta à sa place, mais ne ressentant rien, elle se demanda si la magie fonctionnait vraiment. Elle s'agita un peu pour trouver une position à genoux plus confortable. Puis la magicienne frappa soudain le sol de son bâton, faisant sursauter l'amnésique. Puis elle frissonna car elle senti comme un vent se lever. Elle regarda autour d'elle, mais les grandes fenêtres en arches de la pièce étaient closes. Elle fronça les sourcils, cherchant une solution logique là où il n'y en avait pas.
Puis, doucement la bourrasque commença à tourner autour de Succube dont les cheveux commencèrent à s'agiter doucement. Elle frissonna de manière plus appuyée et se frotta les bras, comme si elle avait froid. Dans les rayons du soleil, une sorte de poussière scintillante se mit à luire autour de la forme agenouillée, emportée par le vent qui tourbillonnait autour du cercle. Mai succube s'en rendit à peine compte, car elle avait commencé à sentir une fatigue sans borne l'envahir et elle commençait à piquer du nez de manière prononcée. Elle lutta autant qu'elle put contre le sommeil, deux longues minutes qui lui parurent une éternité, mais finit par s'effondrer sur le côté avec un bruit mat.
Dès lors, comme si un signal avait été donné, la magicienne frappa à nouveau le sol de son bâton et la poussière dorée sembla se ruer sur le corps de Succube comme un animal affamé. Elle grouilla comme une marée d'insectes sur le corps sans défense de la brune avant de prendre la forme d'une sorte de liquide à la fois noir et doré qui recouvrit complètement le corps, s'agitant comme s'il était bouillant. Puis le liquide se mit à former des filament qui se dressèrent pour se rassembler et former une sphère de près de deux mètres de diamètres au-dessus du corps enveloppé de Succube. De là, la magicienne cessa sa litanie pour commencer à faire des gestes de la main, se servant du globe flottant comme d'une sorte d'écran. Une interface pour sonder et intervenir dans les tréfonds de l'esprit de l'amnésique. Les blessures y étaient nombreuses et les souvenirs aussi bien cruels que doux de celle qui était appelée "Succube" furent mis à nus sous la forme de petites perles qui se promenaient dans une sorte de bassin qui semblait très vide.
- Nous sommes dans la partie des souvenirs conscient dame Eris, expliqua la magicienne en désignant les perles. Ici ne se trouve que la mémoire actuelle de votre servante, c'est la raison pour laquelle elle est aussi vide et aussi mal en point.
Elle désigna de nombreuses perles qui semblaient comme fendues, d'autres tâchées comme si une éclaboussure de sang les avait touchées.
- Ces perles sont les mauvais souvenirs de cette femme. Je ne peux que constater qu'elles sont en nombre qui auraient suffit à briser n'importe quel être. Qu'elle soit toujours en vie relève de la volonté d'autrui et qu'elle ait été privée de liberté. Sinon, je crains qu'elle n'aurait mis fin à ses jours bien avant d'arriver au palais. Ou alors elle a une volonté de vivre qui dépasse l'entendement...
Il y avait des centaines de perles fendues ou tâchées. À l'inverse, on pouvait presque compter sur les doigts d'une seule mains les perles qui semblaient en bon état et brillaient tout doucement, avec une timidité qui donnait l'impression qu'elles avaient honte de briller au milieu de toutes leurs congénères blessées.
La magicienne fit un geste de la main et sembla esquisser un pas de danse dans son cercle et elle plongea plus profond dans la masse noire des eaux de la psyché de sa patiente. L'image dans la sphère se fit plus sombre, donnant l'impression de nager dans un océan dont on ne pouvait distinguer ni les limites, ni le fond. Puis la magicienne trouva quelque-chose et s'interrompit d'un air songeuse. Une sorte de dôme était apparu sur l'image dans la sphère. Un dôme qui semblait provenir de nombreux objets ressemblant à des pierres octogonales sur lesquelles se trouvaient un symbole, le même pour chaque pierre.
- Voilà qui n'est pas banal... Commenta la magicienne en examinant cela. Votre servante n'a pas perdu la mémoire, on la lui a arrachée. Ou pour être plus précis, scellée. Ceci sont des verrous magiques. Expliqua-t-elle en désignant les pierres qui semblaient générer le dôme dans les tréfonds de l'esprit de la servante. Cependant je n'ai jamais vu de verrous de la sorte. On jurerait qu'ils ont été conçus pour...
La magicienne frissonna, puis se tourna vers sa suzeraine.
- Ma reine, je ressens un danger. Ces verrous sont anormaux. Ils sont prévus pour brider une puissance colossale. Qui que soit votre servante, elle devait être une magicienne de premier rang pour qu'on ait usé de tels artifices pour la sceller ainsi. Avec votre permission, avant de briser ces verrou, je souhaiterais m'infiltrer sous eux et me rendre compte de ce qui se tapis réellement sous cette barrière.
Une fois l'accords d'Eris obtenu, la magicienne reprit une psalmodie différente, au rythme plus rapide, agrémenté de quelques pas de danse complexes. Puis l'image bascula comme si elle avait réussi à plonger à travers le champ de force. Une fois dessous, l'océan donna l'impression de s'illuminer autour d'une source lumineuse tranquille mais aux tons très chauds, variant entre le jaune, l'orange et le rouge. La magicienne localisa cet étrange soleil sous-marin et s'en approcha à catimini. L'image tourna fréquemment, comme si la magicienne sursautait et cherchait alors une présence qui n'était visible nulle part.
- Je n'aime pas cela dame Eris. Cet endroit... J'ai l'impression d'avancer sur le territoire de chasse d'un prédateur dangereux... Admit la magicienne, un certain malaise perceptible dans sa voix.
La magicienne servait Eris depuis assez longtemps pour que celle-ci puisse prendre au sérieux ses avertissements. Morrigan avait regardé en face certains sorciers parmi les plus puissants de la région et leur avait rit au nez. Qu'elle devienne nerveuse dans un simple exercice d'exploration de psyché en signifiait long sur le malaise que lui inspirait celle qui avait été scellée dans le corps de Succube.
Puis, le soleil sembla se préciser. Et sous le regard des deux femmes, elle constatèrent que la sphère était en réalité composé de millions, non, plutôt de milliards, de petites perles de souvenirs qui luisaient doucement, presque amoureusement, blotties les unes contre les autres. S'il s'était s'agit de vrais perles, c'eut été un trésor qui aurait dépassé les rêves les plus fous. Et qui indiqua clairement aux deux femmes qu'aucune vie humaine n'était suffisante pour engranger tant de souvenirs. La magicienne progressa le long de cet astre de souvenirs, presque hypnotisée par ce qu'elle voyait. Puis elle hoqueta soudain de surprise quand quelque-chose bougea à la limite de son champ de vision. Elle tourna l'image et tout les deux purent voire une chose qui les surpris.
Couchée sur ce lit de souvenirs, tel un dragon dans son trésor, une forme titanesque semblait dormir. Dotée d'un corps d'humaine, elle s'en distinguait par les longues cornes sur son crânes, ses longues ailes de cuir carmin ainsi que l'immense queue caudale blindée de chitine aux arrêtes menaçantes qui s'agita doucement. La créature semblait dormir, calme et paisible, sur son lit de richesses.
- Une... Une su... UNE SUCCUBE !?! S'étonna la magicienne d'une voix forte.
Comme si un signal avait été lancé, la créature dans la sphère ouvrit un oeil, puis les deux. Elle sembla regarder les deux intruses à travers le prisme de la sphère de liquide noir et doré. Et inconsciemment, les deux femmes comprirent qu'elle les voyait réellement.
Morrigan réagit immédiatement et d'un geste sec du bras ainsi que d'une sorte de cri, l'image sembla être aspirée comme si l'on avait tiré à toute vitesse sur une corde pour remonter la plongeuse imprudente qui s'immobilisa à nouveau hors du dôme. La magicienne semblait en nage après cela, mais elle avait tenu bon.
- Ma dame... Votre servante est une démone de la plus pure des races. Ce qu'en démonologie on nomme une primordiale. Elle n'a ni mère ni père, elle est l'incarnation pure de la luxure et de la douleur, façonnée dans le creuset des enfers par les énergies qui y courent librement. Et au vu de ce que nous avons vu, vieille de plusieurs milliers d'années.
Elle frisonna à nouveau.
- Ses pouvoirs sont grands, mais pas insurmontables. Correctement préparée, je peux y faire face. Mais à l'heure actuelle, si je termine le rituel, elle pourrait bien réussir à me vaincre. Elle semble inconsciente de l'état dans lequel est sa conscience à l'heure actuelle mais quand elle se réveillera, elle ajoutera à sa collection tous les mauvais souvenirs qu'elle a pu accumuler ces derniers mois. Et il y a fort à parier qu'elle sera alors en colère... Peut-être vaut-il mieux interrompre le rituel maintenant et laisser le loisir à votre collège de magie de préparer des contre-mesures à ses pouvoirs avant de reprendre ? Tant que ce dôme ne faiblit pas et que je ne le lève pas, elle restera l'innocente et docile servante que vous avez connue jusque-là. Quand ce sera levé... Rien n'est moins sûr qu'elle apprécie encore qui que ce soit... Termina la magicienne.