Bonjour,
Je vous remercie de passer sur ma fiche, et remercie plus encore ceux qui auront le courage de la lire.
Pour les férus d'Histoire, je m'excuse des anachronismes, je me suis permis quelques arrangements pour ma fiction.
Merci encore une fois, et bonne lecture à tous.
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Le monde a changé. Le monde a changé.
Je n'ai pas bougé d'un cil.
Mais le monde a changé. Oui, le monde a changé.
Je me souviens du temps où, femme, j'étais une entité plus précieuse et plus puissante que n'importe quel homme. Je me souviens du temps où, femme, je pouvais à ma guise, prendre mon enfant dans mes bras, ou serrer mon bouclier sur ma poitrine.
Je me souviens du temps où, femme, le visage grimé, je hurlais aux côtés de mon époux et de mes fils, frappant nos armes contre le bois sourd et lourd de nos boucliers. Je me souviens où, parce que j'étais femme, je décontenançais mes ennemis avant de leur enfoncer ma lame dans la gorge, qu'importe leur armure.
Je me souviens du temps où, femme, j'étais plus que l'antre chaude et humide où l'anguille se love, où, femme, j'étais puissante et respectée.
Le temps a passé. Les saisons se sont déroulées, imperturbables. Le soleil s'est levé et s'est couché. Le ciel a pleuré et célébré. Mon époux est tombé. Mes fils sont tombés.
Seule, je suis restée.
Je suis née sous le nom d'Eduarda. Celle qui veille sur l'Odal, l'héritage. Frigg elle-même n'aurait pu me donner meilleur prénom.
Car j'ai veillé à mon héritage. Si bien que je suis là, encore, debout, héritage et héritière de ce que furent mon peuple, mon pays, mes coutumes.
Au fil du temps, mon prénom a changé. Je l'ai adapté aux pays traversés, aux années écoulées, aux modes... Je suis généralement appelé Edith ou, et ce prénom a ma préférence, Astrid. Deux de nos nombreux prénoms ayant traversés les âges et survécus aux mythes fascistes et révoltants. Astrid. La cavalière divine. Edith. Celle qui combat pour l'Odal, pour l'héritage.
Si j'ai veillé sur lui, en veillant sur moi, j'ai depuis longtemps cessé de combattre pour lui...
J'ai vu mon époux s'éteindre. Vieillard décati condamné par Odin à ne jamais goûter le Valhala. Ma fille n'a pas vécu. Mes fils, eux, sont morts contre les boucliers ennemis. J'ai vu le corbeau leur picorer les yeux. Ils ont serré la main d'Odin, et célèbrent pour toujours la guerre et l'honneur. Du moins l'ont-ils sans doute fait jusqu'à ce que nos dieux nous abandonnent.
Nos dieux ont disparu, ils sont morts sous nos coups, et avant de mourir, ils nous ont abandonné. Juste retour des choses, j'imagine.
Le temps qui passe a effacé, peu à peu, mes souvenirs, dont il ne reste que des chapes de brumes aujourd'hui.
Le fracas des épées qui s'entrechoquent, les boucliers qui volent en éclats, les cris des hommes qui, à chaque vague d'ennemis repoussée hurlent « Odin ! Odin ! », célébrant et convoquant le dieu des dieux à les observer se battre et vaincre en son nom.
Car un viking n'est jamais vaincu.
Je me souviens encore de l'odeur âpre du sang qui souillait nos visages assoiffés de violence. Je me souviens encore des troupes sous mes ordres.
Aujourd'hui tous ont péri. Peut-être célèbrent-ils ma gloire auprès d'Odin et des Valkyries, pour leur avoir permis de rejoindre le Valhala.
Les visages de ceux que j'ai aimé se sont effacés. Ne laissant la place qu'à de vagues formes, des couleurs. Ici des yeux verts, là, le noir abyssal des prunelles de mon fils aîné, le vert du cadet... Leurs traits se sont estompés, leurs voix ont cessé de chanter à mes oreilles il y a bien longtemps. Ma mémoire ne me permet pas le loisir d'être nostalgique. Ces souvenirs disparaîtront, un jour, tôt ou tard...
Avec mon mari, mes fils et les hommes que je commandais au nom de mon époux, le Jarl, nous avons découvert l'Angleterre, poussé nos navires jusque dans des terres reculées que les civilisations plus récentes ne découvrirent que bien plus tard, nous étions forts, et nous étions puissants, rien ne nous résistait. La glace qui fondait aux abords du printemps nous ouvrait les portes du monde et c'est avec la furie et l'enthousiasme des Valkyries que nous nous y engagions. Nous revenions toujours. Car la Shield Maiden que j'étais n'aurait jamais permis à ses hommes de se perdre. Ceux qui mouraient sur le champs de bataille étaient glorifiés à notre retour par des chants, et par les récits de nos camarades. Tous les autres revenaient, car nos foyers, s'ils sont domaine des femmes, devaient retrouver leur homme, nos terres devaient être cultivées, nos marchandises échangées. Tout ceci pour qu'au printemps suivant, nous puissions repartir, plus loin, plus nombreux, plus longtemps.
Les gens de votre époque, sur Terre, ont longtemps vu en nous des barbares sans foi ni loi, idée d'autant plus répandue que nous étions des païens. Votre Christ vous a peut-être sauvé, mais il nous a tous tués. Je me demande encore comment vous parvenez à vivre avec cette idée sur la conscience.
Tous barbares que nous étions, nous n'avons jamais tué personne sous prétexte que les dieux de nos ennemis n'étaient pas les nôtres. Nous nous contentions de nous moquer d'eux. Et de les piller, car c'est ce que nous faisions.
Mon peuple, soit disant barbare, était un peuple pieu envers ses dieux, Odin, le premier. Dieu de la victoire, de la fureur mais aussi de la sagesse... Le dieu emblématique des vikings, en un mot. Et pour cela, il était le roi des dieux. Pour cela, il accueillait les plus valeureux guerriers tombés au combat aux portes du Valhalla où il festoyait avec eux, entourés de femmes superbes et des Valkyries...
J'aurais aimé être une Valkyrie. Ces guerrières vierges et fières, à la tâche parfois peu agréable, mais superbe tout de même, venir chercher les guerriers dignes de rencontrer Odin, certaines achevaient les blessés, d'autres les soignaient... Oui, une Valkyrie. A la fureur et à la beauté à nulle autre pareilles.
Le récit de ma vie est long, très long, car ma vie est très longue, trop longue. Pour les miens, j'avais reçu un don des dieux, mais aujourd'hui, alors qu'il ne me reste plus rien, sinon ces souvenirs qui, un jour ou l'autre, mourront, j'ai davantage l'impression d'être la proie d'une malédiction.
Ce qui fait la beauté de la vie c'est que nous mourrons tous, un jour ou l'autre. Moi, non. Je peux me jeter à corps perdu dans une bataille, être blessée, rien n'y fera si mon cœur ou mon crâne ne sont pas touchés. Mon corps se guérira de lui-même. Ni le temps, ni les maladies n'ont raison de mon organisme, de mon apparence, ou même de mes capacités cognitives. Et pourtant je suis fatiguée. Fatiguée d'être encore là, fatiguée de voir l'engrenage du temps s'égrainer avec une lenteur exagérée, fatiguée de voir jouer la même pantomime depuis des siècles, fatiguée de voir ma race répéter les mêmes erreurs, encore et encore, fatiguée de voir les hommes mourir, les hommes pleurer, les hommes vieillir, et de rester là, inerte et immobile, figée dans le temps, un temps qui n'appartient qu'à moi.
J'aspire plus que tout à mourir. Mais je ne me résoudrais jamais au suicide, trop impur, trop indigne de celle que je suis, et de ce que mes dieux m'ont offert. Car après tout, oui, c'est bien un don qu'ils m'ont fait. Peut-être ne suis-je pas en mesure de l'apprécier comme il conviendrait, car malgré tout, je ne suis qu'une humaine, mais je sais que c'est un don précieux... L'homme est ainsi fait qu'il aspire à ce qu'il n'aura jamais. Vous aspirez à la vie éternelle, êtes paralysés de peur à l'idée de mourir, du moins, de disparaître du monde sans laisser de traces... J'aspire plus que tout à mourir, à connaître ce repos éternel, car mon monde a déjà disparu, et ce pour toujours. Et chacun de vous, descendants des assassins de mon monde, en est, d'une certaine façon, responsable.
Puisque je ne peux mourir, j'aspire au moins à rencontrer un jour, quelqu'un qui, comme moi, sera lassé par les âges du monde, et auprès de qui ma mélancolie pourra s'effacer un peu. Un compagnon, un ami, que sais-je. La solitude, que l'on soit mortel ou immortel, est une dangereuse morsure si l'on y prend pas garde.
Mon époux est tombé. Mes fils sont tombés. Ma fille n'a pas vécu.
Seule, je suis restée.
J'aurais peut-être dû écrire mes Mémoires, tenir un journal du moment où j'ai su écrire ; retranscrire mon histoire, mes souvenirs, dessiner les visages des gens que j'avais aimé, j'aurais peut-être pu même faire une reconstruction faciale en 3D aujourd'hui, des portraits de mes enfants. C'est trop tard. Le temps a balayé les souvenirs. Le cycle des saisons a gelé puis fait fondre mon esprit, ma mémoire craquelée et cisaillée a laissé s'échapper la moindre de mes souvenances.
Je suis née sur la côte islandaise. Ce qui, du moins, est aujourd'hui l'Islande.
J'ai oublié le visage de ma mère. J'ai oublié sa voix. Je ne me souviens plus des chansons qu'elle me chantait. Ni de son odeur rassurante. Je ne me souviens plus du contact doux, chaud, enveloppant, de ses bras que je sais blancs. Son prénom est toujours encré (ou ancré, c'est comme vous voulez ; les deux sont justes en vérité), et je me le répète chaque matin, car il est le seul souvenir qu'il me reste : Borghild.
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De mon plus lointain passé, je peux vous dire que je suis née dans les années 800, mais cela se borne là. J'étais une fille sans grande importance, disons, dans un des clans bordant la côte sud de l'océan Atlantique. De cette période je me souviens surtout de la joie de vivre, et quelques odeurs me ramènent parfois au milieu d'un village fait de huttes aux murs tapissés de peaux de bête, au milieu desquelles trônait toujours un feu majestueux. Du moins était-ce ainsi que je le voyais.
Lorsque j'eus saigné, il s'agît de me trouver un époux, pour satisfaire Frigg, honorer mon père... La déesse du foyer, de l'amour et de la maternité, m'ouvrit les portes de l'hymen en me poussant dans les bras d'un jeune homme d'un clan voisin – chose plutôt rare en vérité. Les hommes de son clan, situé à près d'une centaine de kilomètres au nord du nôtre, effectuaient un voyage annuel pour commercer dans la région, et jauger de l'aptitude des autres clans à se joindre à l'une de leurs grandes expéditions estivales. Il s'appelait Didrik, et il avait seize ans, il était dans la fleur de l'âge pour se marier. J'avais, pour ma part, quatorze ans. Ma sœur, de deux ans mon aînée, était déjà mère de deux fils vigoureux dont le plus jeune affrontait avec force son deuxième hiver. Mes trois frères étaient tous plus jeunes que moi mais montraient déjà des prédispositions pour les combats et s'affirmaient petit à petit comme de futurs meneurs de troupes.
J'étais déjà, seule, à ne pas avoir ma place dans ce petit monde tout tracé.
Au-delà de la beauté de Didrik, la promesse qui résonnait dans ce jeune homme m'attirait : quitter mon clan, quitter mes terres, découvrir une autre Islande, un autre destin que celui qui semblait m'attendre chez moi. Car si j'aspirais, moi aussi, tout comme ma sœur, à être mère, je savais pourtant que ce destin ne me contenterait jamais vraiment pleinement. Il me fallait quelque chose de plus grand, de plus somptueux, de plus extraordinaire.
Nos noces furent célébrées aux toutes premières fontes des glaces, quand la verdure des prés commençait à poindre de nouveau mais que nos navires étaient encore emprisonnés dans la mer gelée. Nous eûmes ainsi le temps de consommer notre mariage, et d'apprêter mon déménagement avant la grande expédition.
Didrik était le fils aîné d'une des familles les plus influentes du clan du Jarl Gervin, influente car prospère. Son père, Sverre, s'était de très nombreuses fois, illustré lors des raids des pillages estivaux, et il était un marchand hors pair, à tel point que les terres qu'il possédait étaient cultivées par ses esclaves plutôt que par lui : il était devenu un rival d'importance de Gervin.
Mon époux partit donc avec le Jarl, son père et deux de ses frères vers des terres inconnues mais certainement riches, desquelles ils rapporteraient de précieux butins... Le village était laissé pour ainsi dire vide, vivant au rythme des vieillards oubliés par Odin, des femmes restées et des enfants.
C'est en voyant partir ma belle-mère, Eldrid, aux côtés de son fils et de son époux, acclamée par les hommes comme l'une des leur, les yeux luisants de fierté et de soif d'aventures tout comme de sang, que j'entrevis ma destiné.
Comme j'aurais dû m'y attendre, le retour de mon homme fut en demi-teinte. La joie de le retrouver et de revoir Eldrid fut entachée par l'annonce de la mort de Sverre. Le Jarl s'affirmait fort malheureux de la perte de ce si valeureux guerrier mais nul n'était dupe quant à ses véritables sentiments, surtout pas mon époux. J'étais lors enceinte de notre premier enfant, et sur le point d'accoucher, ce que je ne manquais pas de faire, à peine une semaine plus tard. Ce fils béni par Frea et Mìmir, fut baptisé Wilfrid : celui qui apporte la paix et la victoire par la sagesse.
Si je ne me souviens pas de tout de ma si longue vie, une mère ne peut oublier ce que c'est, que de le devenir. Wilfrid était la chair de ma chair et je me serais volontiers jetée sous les sabots d'un cheval lancé à pleine allure pour lui, ou même arrachée un bras, crevée les yeux. L'amour d'une mère est encore ce qu'il y a de plus fort ici bas, même les dieux, même tous les pouvoirs de tous les mages vivant sur Terra n'en viendraient pas à bout.
C'est à la naissance de mon second fils, Thorbjörn, alors que j'étais âgée de dix-sept ans, que j'osais m'entretenir avec Eldrid de mon désir de lui ressembler, de devenir une Shield Maiden. Elle dégageait une telle assurance, une telle force tranquille et pourtant redoutable, une fierté, une dignité, qui me fascinaient et me laissaient entrevoir ce que je désirais fondamentalement, plus que d'être mère, ce qui avait pourtant déjà suffit à me combler en tant que femme. Mais j'étais désireuse de connaître autre chose, de vivre plusieurs vies en une, ignorant alors que les dieux m'avaient béni d'une longue vie.
Dans notre monde, si hommes et femmes ont chacun des rôles bien définis et des tâches à accomplir pour la bonne marche du clan, les deux se valent et se compensent. La femme règne en maître sur le foyer où rien ne peut se faire sans son consentement, pas même la prise d'une maîtresse par son mari. L'homme, lui, règne sur le domaine extérieur : l'exploitation fermière et agricole, le commerce, le pillage enfin. Mon peuple avait pourtant conscience de la complémentarité de ces deux mondes : l'homme ne peut exercer son rôle sans la femme et inversement ; et, de la même façon qu'il faut que l'homme chevauche la femme pour lui permettre d'enfanter, il faut que les deux sexes battent à l'unisson dans un clan. Les femmes avaient donc, autant que l'homme, droit à prendre les armes. Elles devenaient alors Shield Maiden. Une sorte de pendant mortel des Valkyries.
Dans notre monde, les femmes étaient en partie respectées car elles étaient vues comme un vecteur transcendantal permettant d'accéder au monde divin. Avoir une femme sur un de nos navires et sur un champ bataille n'était donc pas chose incongrue, mais pouvait au contraire être perçu comme le moyen de s'attirer les grâces et la protection des dieux.
Oui, l'on pourrait presque dire, aujourd'hui, que la société viking était quasiment matriarcale. En tout cas bien plus que celles que des pays occidentaux modernes.
Ce n'est donc qu'à l'âge de mes dix-sept ans que j'entrepris sérieusement d'apprendre le maniement des armes. Comme toute viking, j'avais eu un enseignement rudimentaire au combat, mais qui n'avait été que purement défensif, en cas d'attaque du clan en l'absence des hommes. Rien de bien efficace, en soi.
Je m'avérais bien plus efficace et rapide comme élève que quiconque n'aurait pu l'imaginer, surtout pour mon âge qui, s'il n'était certes pas celui d'une vieille femme, était celui d'une femme adulte. Pourtant mon corps continuait de changer, nullement marqué, paradoxalement, par mes deux grossesses et mes deux accouchements. Ma peau blanche reprenait sa fermeté avec une facilité déconcertante une fois l'enfant porté dans le monde, aucune blessure ne semblait décidée à mordre à jamais ma chair, aussi profonde put-elle être – car lors de mes entraînements, je n'étais pas épargnée.
Ce fut l'été de mes dix-neuf ans que je pris part pour la première fois à un raid. Je combattais aux côtés de mon époux et la fierté battait mon sein. Eldrid avait consenti à rester au village, à veiller sur Wilfrid et Thorbjörn, âgés de quatre et deux ans.
Si les femmes étaient acceptées sur les navires et les champs de bataille, il était en revanche rare de les voir partir dans ces conquêtes alors que leurs enfants étaient encore en bas âge. Mais j'avais confiance en Eldrid, et mes fils, futurs guerriers redoutables, je n'en doutais pas, se devaient d'être forts, ne pas vivre dans les jupes de leur mère, et je devais être forte, apprendre à vivre loin d'eux et à les laisser vivre.
Ce fut lors de ce raid, mené sur les côtes ouest de l'actuelle Norvège que se révéla mon étonnante et incroyable capacité à... ne pas mourir.
Cette expédition nous confronta à des peuples semblables aux nôtres, mais dont la langue n'avait pourtant rien de commun. Il fallait pourtant reconnaître que, à bien des égards, leur façon de vivre était semblable à la nôtre et que nous combattions des sortes de cousins. Cela s'avéra d'autant plus vrai qu'ils combattaient comme nous le faisions, et qu'ils s'avérèrent de redoutables adversaires. Je m'en souviendrais, de cela j'en suis sûre, toute ma vie car, sur les trois cents hommes et femmes partis pour ces grands pillages estivaux, seule une petite centaine revint, à l'orée de l'automne. Si nous étions gorgés de richesses, il était certain que nous ne pourrions prétendre à de grands raids l'été qui suivrait, car les hommes viendraient à manquer.
Mais parallèlement à cette expérience, j'avais acquis, auprès de mes pairs, un statut de quasi-divinité. J'avais en effet été mortellement blessée à plusieurs reprises : ma carotide avait été sectionnée, une jambe si terriblement entaillée que le sang en avait jailli à gros bouillon, ne laissant présager aucune chance de survie et pourtant... pourtant j'étais là, et mon corps ne portait presque aucune cicatrice, si ce n'est une mince estafilade sur la cuisse qui s'amenuisait de jour en jour et laissait deviner qu'elle disparaîtrait bientôt. Lorsque nous fûmes rentrés, si tous les guerriers restants n'en avaient attesté, personne n'aurait jamais cru que j'avais été blessée.
Cette révélation fut portée aux oreilles d'Eldrid qui entreprit de s'entretenir longuement avec mon époux tandis que je savourais la joie non dissimulée de retrouver mes deux fils.
Didrik était un guerrier exceptionnel. Il maniait ses armes dans un mélange harmonieux et plus qu'efficace de rapidité, dextérité et fureur qui lui assurait la victoire à chaque fois. Sa dextérité était telle qu'il n'avait jamais été blessé, ou presque. Il était devenu un guerrier craint et respecté par ses pairs, et la révélation que j'étais en tant que demi-déesse présumée inspirait encore davantage le respect à son encontre, mais aussi et surtout à la mienne. Le Jarl Gervin se faisait vieux, il approchait de la cinquantaine et pour nous, il était presque un vieillard. Pourtant, il était vigoureux. Sa lame n'avait en rien perdu de son agilité, pas plus que son esprit ou sa langue. Et il pressentait bien que la puissance montante du couple que Didrik, fils de Sverre, et moi formions, était une menace pour la sienne. Eldrid l'avait bien perçu, et, ne désirant pas voir son fils être poussé dans la tombe au même titre que son mari, elle l'enjoignit à agir.
Une semaine à peine après notre retour du raid, et alors que les premières neiges commençaient à tomber, Didrik provoqua Gervin en duel à mort, en paiement de la mort de son père. Aucun témoin ne pouvait en effet certifier d'avoir vu Sverre tomber sous la lame d'un ennemi, certains affirmaient même l'avoir vu après la bataille achevée, alors qu'ils exploraient le village en quête de trésors à piller. Le doute planait sur le Jarl et la popularité que mon époux et moi avions acquise assurait, quelque soit l'issue du duel, la défaite quelle qu'elle soit, de Gervin.
Aidé par Odin, Didrik défit notre Jarl... Et nous devînmes ainsi la famille dominante du clan.
Peu après, je tombais de nouveau enceinte, pour mettre au monde une fille, Hildr. Hélas, les prénoms ont une destiné, et je n'aurais pas dû choisir ce prénom pour ma fille, car elle mourut avant d'atteindre sa première année.
A nos deux fils, s'ajoutèrent encore deux autres. Roald, né dans l'année de mes vingt ans, puis Nordhal, l'année de mes vingt-trois ans.
Le temps passait et je voyais mon époux être avalé par les frasques du temps, je voyais mes fils m'échapper. Wilfrid et Roald se marièrent les premiers, tandis que Nordhal fut le premier à rejoindre Odin. Cette idée ne me consola que partiellement de la perte de mon fils. Mais en tant que Shield Maiden active, je me refusais au chagrin, et me murais dans une dignité et une insensibilité feinte.
Lorsque mon dernier fils, Thorbjörn, fut à son tour emporté par les Valkyries, je décidais de ne plus me vouer qu'aux champs de bataille. Didrik était devenu vieux, et ne pouvait plus se battre. Alors qu'il nous accompagnait lors de certains raids, laissant le village aux mains de sa mère, puis après son décès, à l'un de nos fils, il n'était plus guère capable de soulever son épée. Si je ne me souviens plus du contour de son visage, je me souviens du contact de ses mains desséchées, osseuses et calleuses. Malgré son âge, il me désirait ardemment, moi, qui n'avait plus changé depuis mes vingt-deux ans, mais qui, pour notre monde et notre temps, paraissait encore bien jeune.
A la mort de mon époux, mort dans son lit, regrettant de n'avoir pas mené un ultime combat, je décidais de quitter le village. Plus rien ne m'y retenait, et le Jarl devait revenir à un homme.
Je m'installais quelques temps dans le village dans lequel j'avais vu le jour, mais n'y restais pas longtemps : là non plus, je n'avais plus personne pour m'y retenir.
Mais sans Jarl, sans village et sans clan, je n'avais plus d'expéditions à mener, plus d'hommes à commander, alors que mes armes et mon incroyable combativité étaient tout ce qu'il me restait.
Lors, je perdis la notion du temps.
Passant dans certains villages, je m'arrêtais là où mon nom était connu pour participer à quelques raids – non sans avoir, auparavant, engagé un combat avec le meilleur guerrier du clan pour prouver mon identité – mais je n'y restais jamais plus de quelques années, deux à trois ans en moyenne.
Le massacre de mon peuple au nom de Jésus Christ eut ceci de bénéfique qu'il m’introduit et m'initia à un nouveau monde, une nouvelle vie. Grâce à l'aide d'un sage et vertueux moine d'Angleterre, j'appris à lire le latin, ce qui me fut sans doute salvateur au Moyen-Âge.
Les âges de votre civilisation passèrent sur moi et, s'ils marquèrent mon âme, mon visage et mon corps restent encore et toujours inviolés de ses assauts.
C'est avec lassitude aujourd'hui que je contemple l'humanité.
Plus rien ne me raccroche plus au monde dans lequel je erre. Mes dieux sont morts car mon peuple a cessé de croire en eux, et moi-même je ne saurais dire s'ils ont un jour existé...
Je me suis sentie mieux en découvrant Terra. Ce monde de tous les possibles, où l'on dit que même des dieux y vivent. Je pourrais peut-être y rencontrer l'un des miens et lui demander pourquoi moi, pourquoi m'avoir affligé de cette vie ridiculement trop longue pour moi, Astrid, née Eduarda...
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Que pourrais-je encore vous dire de moi... ?
Il est évident qu'en plus de 1200ans d'existence environ, j'ai eu l'occasion de partager ma couche avec des hommes, et que 1200ans d'expérience font de moi une des plus expertes en ce domaine, quoi que ce ne soit pas nécessairement quelque chose que je recherche...
Par ailleurs, ces 1200ans à me battre ont fait de moi une redoutable adversaire et j'ai pris le temps, au fil des siècles, d'apprendre à me servir d'absolument toutes les armes existantes... Je ne saurais que trop vous déconseiller de me provoquer.
Si vous cherchez dans les ouvrages historiques, et certaines représentations iconographiques, vous pourriez me voir, là où le monde occidental s'embrasait dans une guerre, qu'elle soit civile ou non, et même mondiale, plus tard.
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J'ai connu tous les âges du monde, ou presque.
Je suis un livre d'Histoire vivant.
Je me souviens, en France, d'un certain Adalbéron de Laon qui s'était lancé dans la théorisation de la société française selon les principes dans lesquels elle resta ancrée des siècles durant : la conception tripartite. Nobles, clergé, peuple, qui fut nommé plus tard, Tiers-Etat. Peu de temps après, comme une missive envoyée des dieux pour prévenir les hommes de leur mauvais choix dans cette société, une famine frappa le pays.
La France s'affirmait déjà plus ou moins comme un pays d'importance dans l'enclave européenne... Ne serait-ce que pour les guerres qu'elle menait.
Je résidais en Angleterre lors de la Guerre de Cent Ans. Il est amusant de se dire que je suis sans doute la seule à avoir connu les débuts et la fin de cette guerre qui, en vérité, dura cent six ans, cent six années certes entrecoupées de périodes plus ou moins longues de paix, mais tout de même... Il n'y avait que les français et les anglais, deux peuples égaux en matière d'entêtement, pour tenir un conflit aussi long et aussi inutile. Et Jeanne d'Arc... ! Une drôle de créature... Elle me paraissait ne pas être née quand elle l'aurait dû. Son tempérament, sa fougue et sa dévotion pour son roi en aurait fait, en mon temps, une Shield Maiden des plus respectées... A la place, elle était la Pucelle d'Orléans, la première vraie guerrière de France... Que son peuple abandonna à son sort lamentable et déshonorant. Celle qui avait vaincu les Anglais, qui avait sauvé le peuple français des griffes des ennemis, celle qui avait tant fait pour son roi, qui était capable d'une telle abnégation...Abandonnée comme une moins que rien aux mains des anglais qui la brûlèrent sans plus de cérémonie.
C'est ce jour, et seulement ce jour, que je compris que le monde dans lequel j'allais désormais évoluer était laid, terrible, et où l'honneur, la dignité et la gloire ne valaient plus rien aux yeux des puissants.
Si j'ai toujours profité des guerres pour me déguiser en homme et combattre moins pour une patrie que par envie de trouver, enfin, la mort sur le champ de bataille et rejoindre mes fils, j'admirais Jeanne d'Arc pour s'être toujours montrée telle qu'elle était.
Je suis longtemps restée en Europe, et particulièrement en France, qui semblait être le point névralgique de toutes les discordes. Du moins, la communication n'étant pas alors ce qu'elle est aujourd'hui, il nous était difficile, pour nous, gens du peuple, de savoir ce qu'il advenait dans les régions voisines.
Femme du peuple, je pu constater que les vikings, traités en barbares, étaient finalement bien plus civilisés que les Français, ou les Anglais, ou quelque autre peuple. Chez nous, la femme était respectée pour ce qu'elle prodiguait la vie sur terre, pour ce qu'elle était la complémentarité de l'homme, qui sans elle, n'était rien... Mais dans ce monde nouveau – du moins pour moi – la femme n'était rien sinon qu'un plaisir que l'on prenait, et peu importait qu'elle soit consentante ou non. Je fus bien aise de mon passé de combattante car je pus me défaire sans trop de peine de tout homme s'approchant d'un peu trop près à mon goût. Ce n'était, hélas, pas le cas de mes comparses, et les viols étaient aussi courants que pouvait l'être la misère.
Naïve, je crus longtemps que la condition féminine serait différente dans les hautes sphères de la société...
Le siècle des Lumières, en France.
Il est une chose intéressante avec mon incapacité à mourir : j'accumule les connaissances en matière humaine et suis bien plus rusée que la moyenne.
Simple femme du peuple, je fis en sorte de m'attirer les amitiés qu'il convenait : je me fis engager dans une taverne, ma foi plutôt miteuse, mais qui s'avérait prometteuse à qui avait de l'ambition. Le patron, un homme dont la bonhomie n'avait d'égale que la générosité, s'avérait également être un homme qu'il était facile de convaincre. Rapidement, je fis en sorte que la taverne devienne incontournable, et particulièrement en organisant des dîners pour les différentes corporations de Paris. Le système était simple : nous achetions à crédit ce qu'il nous fallait de victuailles et de vins pour une soirée de ce type, et nous proposions à nos clients un menu au tarif unique, ce qui ne manquait pas de les attirer. En bonne marchande, je me faisais un point d'honneur à les contenter, néanmoins mon ambition et mon intelligence me permettaient de cerner toutes les possibilités qui s'offraient à nous : si les clients consommaient bien pour un tarif unique, il suffisait, ensuite, d'attendre qu'ils soient légèrement grisés pour leur offrir de prendre des vins qui n'étaient pas compris dans leur « menu » et bien plus coûteux. Ainsi, la somme récoltée par la consommation des menus nous permettait de rembourser les crédits, tandis que la vente des vins plus onéreux nous permettait de mettre un petit pécule de côté, tant et si bien qu'au bout de quelques mois nous étions en mesure d'acheter toutes nos marchandises sans passer par les crédits. De taverne crasseuse, l'établissement passa rapidement à auberge respectée puis haut lieu de la petite bourgeoisie. Mais mes ambitions ne s'arrêtaient pas là.
Entre temps, mon patron était devenu mon associé, chose que j'avais accepté par amitié pour lui plus que par réelle nécessité, mais, après tout, il m'avait pris sous son aile et m'avait permis de sortir de la misère en me prenant comme simple serveuse, dans sa taverne de mauvaises gens.
J'eus, je l'avoue, cette fois du mal à le convaincre de ma dernière folie : racheter un établissement, plus grand et, surtout, dans un quartier plus sophistiqué de la capitale. Toujours frileux, je parvins néanmoins à mes fins et nous nous installâmes en plein cœur de Paris, pour ma plus grande joie. Cette fois, finie la petite bourgeoisie,
Le Gai Savoir devint le lieu incontournable de l'aristocratie, et je touchais presque au but. Il ne me restait plus qu'à me faire remarquer, d'une façon ou d'une autre, par un riche noblion qui me permettrait de sortir de la basse populace et de goûter, enfin, aux raffinements des hautes sphères, et d'être, enfin, traitée avec respect ce qui, j'en étais sûre, était assurément ce qu'il advenait des dames de l'aristocratie. Naïve, je vous l'ai dit.
Enfin, cela ne manqua pas d'arriver. Les philosophes, les intellectuels, et les lettrés, sans parler des précieuses – bien souvent ridicules, en effet – se pressaient en mon établissement et lors d'une soirée d'oratoires que nous avions organisé, un ami, Jean, m'introduisit auprès d'une de ses connaissances. Jean, vous le connaissez tous. Son raffinement et son esprit vif me comblaient au plus haut point et il avait envers moi une attitude qui ne laissait présager aucune muflerie, bien au contraire. Prévenant et doux, il n'était guère piquant que dans ses fameuses fables. Oui, j'ai connu Jean de la Fontaine, excusez du peu.
Il m'introduisit donc auprès d'une de ses connaissances, Jean-Baptiste, comte de Sade. Ce titre ne vous est sans doute pas étranger, mais nous y viendrons plus tard. Alors âgé de vingt-deux ans, il était un homme au charme certain, et à la beauté caractéristique de ce que la cour préconisait. Libertin affiché, il collectionnait les maîtresses comme autant de trophées. Cela ne me rebuta pas, car au siècle où nous vivions, cela était chose courante. Diplomate et militaire, sa situation était brillante et, toute roturière que j'étais, l'exotisme que mes yeux présentaient pouvait charmer jusqu'au cœur le plus dur. Néanmoins, et au risque de me répéter, je savais user de mon intelligence, bien plus que la majorité des femmes de la cour ou que celles que Jean-Baptiste avait pu rencontrer. Je le laissais me courtiser et attisais ses feux, sans jamais y céder. Lorsqu'il revenait de ses missions, quelques soient le nombre de jours qu'il avait pu passer sur les routes, quelque soit sa fatigue, son premier arrêt était toujours dans mon établissement.
Ce genre d'hommes est si aisé à manipuler... Habitués à avoir toutes les femmes qu'ils désirent, que l'une résiste, et ils n'en dorment plus.
Et ce fut le jeu que j'entrepris de jouer avec lui.
Brillant, sa carrière militaire allait bon train et la royauté lui confiait de plus en plus de missions diplomatiques, le dépêchant aux quatre coins de l'Europe. Néanmoins il était mauvais pour l'image de notre monarque d'être représenté en tous lieux par un célibataire libertin, cela ne faisait guère très respectable et le comte fut donc pressé par Sa Majesté de se marier... Quel fut donc son choix... ? Moi. Simple roturière, je possédais cependant une fortune conséquente grâce à mon commerce et, quoi que cela fit longuement jaser, le Roy ne s'opposa pas à cette union, et l'année 1730, nous fûmes mariés, et je devins lors la comtesse de Sade.
Enfin, j'avais atteint mon but, enfin, sortie de la crasse et du mépris, je pourrais avoir de nouveau une vie de famille équilibrée, baignant dans le respect et l'harmonie.
Pensais-je.
Notre mariage fut consommé dans la passion. Je ne l'aimais pas, mais il ne me déplaisait pas non plus, et le désir dévorant qu'il avait pour moi était assez plaisant et flatteur pour que je prenne du plaisir à chacune de nos unions. Cela, pourtant, ne dura pas. Car la passion n'est pas l'amour, et il n'y avait pas d'amour dans ce mariage, seulement des intérêts et un désir primitif. Bientôt, mon époux me délaissa. S'il cédait au moindre de mes caprices – du moins les appelait-il ainsi – dans le premier mois de notre hymen, il ne fit bientôt pas que délaisser ma couche, mais il me négligea bien clairement. Humiliée sans vergogne par le nombre de ses maîtresses, aussi vulgaires que garces, je tâchais de rester digne. L'idée que j'avais de la place des femmes dans l'aristocratie n'était finalement pas bien différente de celle qu'avaient les femmes du peuple. Je m'étais trompée et j'étais désormais prisonnière de mon propre stratagème, qui bientôt, se referma sur moi... Car s'il était marié, l'éthique attendait désormais quelque chose de ce mariage... : une descendance. Ce que, je l'avoue, je n'avais pas réalisé jusqu'alors. Après un mois de passion, mon ventre était resté vide, et mon époux, connu pour sa passion des choses de l'amour, s'il n'était par conséquent, pas accusé d'impuissance, devait néanmoins subir et supporter les messes basses dans son sillage concernant une infertilité, qu'elle soit de moi, ou de lui... Car ni moi, ni aucune de ses (nombreuses) maîtresses n'étaient grosses, et les moqueries et autres jaseries allaient bon train. De négligeant, mon époux devint méprisant, et ma noblesse d'âme, qui m'avait jusqu'alors poussée à lui rester loyale, non seulement dans la couche mais aussi dans l'âme, commençât à se fissurer.
Il fallait donc lutter contre ces rumeurs calomnieuses et, après plus d'un an sans venir me voir, Jean-Baptiste se décida enfin à recommencer. Avant de me rejoindre, il se donnait du courage en ingurgitant des quantités conséquentes de vin. Il m'étreignait et, tout ce que je sentais, c'était cette odeur. Il me semblait que, si nous ne pouvions avoir d'enfant, c'est qu'il remplissait mon ventre de vin, tant il en était imbibé. Je n'éprouvais plus rien pour lui sinon un dégoût qui parfois me donnait la nausée. Il me devenait pénible voire parfois impossible de repousser certaines avances d'hommes charmants. Car ma beauté n'avait pas changé, et tous s'extasiaient devant ce qu'ils appelaient « mes effluves de sauvageonne » qui semblaient percer au-travers de mes yeux.
J'étais, en effet, une femme de la cour des plus surprenantes. Je ne refusais aucun des plaisirs qu'une telle condition peut offrir et j'étais de tous les divertissements : concours de poésie, salons de lectures, salons d'oratoires, promenades, courses, jeux divers et variés, pourtant je ne m'abandonnais jamais et veillais toujours à rester respectable, respectée et digne. J'avais plus d'esprit que toutes les autres femmes, voire toutes les femmes réunies, et je mettais un point d'honneur à toutes les devancer intellectuellement, à ce titre je m'étais donc fait de nombreuses ennemies qui n'avaient pas apprécié que mon esprit domine le leur et ce, devant témoins, encore moins devant les galants.
Je possédais tout : la beauté, qui plus est une beauté atypique car mes traits n'étaient pas tout à fait conventionnels pour cette époque, l'intelligence que près de mille ans d'existence m'avaient permis d'acquérir, la richesse, ma richesse personnelle conjointe à celle de mon mari, les titres et les terres enfin. Oui, j'avais de quoi être haïe, mais je ne m'en souciais guère. Les visages fardés et mouchés des femmes qui décryptaient le mien, à la mâchoire légèrement plus carrée, aux yeux d'un vert-bleu foncé et profond et aux lèvres prononcées et charnues, ces visages ne m'étaient rien. Ils ne racontaient rien, sinon la poudre de riz, le charbon et la graisse de baleine. Le mien racontait des siècles d'existence sans que personne ne put le lire vraiment. J'étais et je suis encore, de ces beautés inviolables et inaltérables, à l'âge indéfinissable, une beauté qui inspire autant le respect que la crainte, le désir et la timidité, le feu et la glace... J'étais une beauté fascinante plutôt qu'éclatante.
Sans doute parlerait-on aujourd'hui de mon charme plus que de ma beauté car paraît-il que le charme est éternel, quand la beauté, elle, est périssable.
Qu'importe.
Après plus d'un an d'absence, mon mari revenait donc dans la chaleur de ma couche, mais cela n'eut pas le résultat escompté... Après quelques temps, je tombais finalement enceinte, au grand soulagement de mon mari qui semblait vivre une épreuve à chacune des nuits que nous passions ensemble, ce qui n'était pas pour nous faciliter la tâche, à lui comme à moi. Nous aimions sans amour le corps de l'autre, tâchant d'abréger la chose. Ce soulagement ne dura cependant pas, car la question du sexe de l'enfant devint bientôt la seule qui occupait son esprit. Il fallait un garçon, au moins un, pour assurer l'avenir des titres et de la famille, car la famille de mon époux était l'une des plus anciennes et plus puissantes de Provence. Si je lui faisais l'affront de délivrer une fille, je risquais d'avoir à faire à son mécontentement et, sans avoir peur de lui, je n'en avais aucune envie. Je savais de plus qu'un seul enfant était non-envisageable, qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille. L'angoisse mutuelle nous tenailla jusqu'à la délivrance.
Une fille. Je lui apportais une fille.
Le médecin était allé annoncer la nouvelle à Jean-Baptiste, qui ne prit pas même la peine ou le temps de venir me voir, moi ou l'enfant, qui ne s'enquit pas plus de nos états de santé, bien qu'il demandât si j'étais toujours apte à être engrossée. Je me sentis lors reléguée au rang de simple jument qu'il fallait faire se reproduire à tous prix.
J'appelais notre fille Joséphine et, en dépit de toutes mes attentes, j'étais heureuse d'avoir cette enfant. J'avais enfin quelque chose qui n'était qu'à moi, que je pouvais aimer et qui m'aimerais en retour, et j'avais une chance de donner un second souffle de vie à ma défunte Hildr.
Deux jours après sa naissance, je retrouvais Joséphine, bleue, dans son berceau. Je ne devais pas être destinée à donner la vie à des femmes...
Le chagrin me dévora comme jamais il ne l'avait fait auparavant. J'avais déjà perdu un enfant, une fille, mais lors j'avais Didrik pour me soutenir et pour m'aimer et même si à ces époques la mort infantile était très élevée de sorte que nous étions toujours plus ou moins prêtes à cette éventualité, je me sentais anéantie.
Loin de chercher à me consoler, Jean-Baptiste m'évitait soigneusement, préférant passer du temps avec ses maîtresses, qu'il n'hésitait pas à ramener chez nous, et j'entendais leurs cris de jouissance jusque dans ma chambrée, pourtant à l'autre bout de la demeure.
Mon mépris se mût peu à peu en une haine viscérale pour celui que j'avais choisi d'épouser.
Après que je me sois remise, du moins physiquement, mon mari reprit ses visites nocturnes dans ma chambre, tant et si bien que, de nouveau, je tombais enceinte. Et pour mon plus grand malheur, je donnais de nouveau naissance à une fille, qui, qui plus est, était mort-née. J'avais causé la mort de deux enfants et voilà que je donnais le jour à un cadavre. Je cru mourir de douleur.
Mais le pire était à venir, car il est toujours à venir.
Le comte vint dans ma chambre, un soir, trois mois après la délivrance du mort-née. Cela faisait trois mois que je ne l'avais vu.
Il me fixait de son regard dur. Assise dans mon lit, couverture remontée sur mes jambes, je le fixais pareillement, bien décidée à ne plus me laisser approcher par ce rat répugnant que j'avais épousé.
Il ne décrocha pas un mot, mais défit lentement sa ceinture et sa ôta sa chemise. Il s'approcha du lit. Le regard fixe et planté devant moi je ne me résignais ni à me coucher pour le laisser œuvrer, ni à le regarder car ç'aurait été lui accorder trop de crédit. Il s'assit à côté de moi et, me saisissant à la gorge, entrepris de me coucher.
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Lâchez-moi !Les mots étaient sortis sans que je ne les contrôle et mon regard le fusillait sur place. Mais il ne semblait pas vraiment s'en soucier. Il recommença son manège et ma main tenta de dégager ma gorge. Son autre autre main s'en empara aussitôt. Je tentais de le gifler, mais là encore il me maîtrisa. Passant par-dessus moi, il s'assit sur mes jambes tendues sous les draps. Il me dominait de toute sa taille mais je n'avais pas peur. Mon sang battait trop de haine, de mépris, et de soif de sang pour que je puisse avoir peur. J'avais déjà affronté bien pire comme situation et comme homme, je ne comptais pas me laisser avoir ni par son intimidation ni par sa violence. Ses mains, dures, grosses, rassemblèrent mes deux poignets dans l'une de ses paumes, et il les maintint au-dessus de ma tête tandis que de sa main libre, il défaisait mon corsage.
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Je vous ai dit de me lâcher.Ses yeux se posèrent sur moi. Sa main lâcha les lacets de ma chemise. Je commençais à gagner... du moins le cru-je, car cette main s'abattit sans douceur sur ma joue. Le choc fut si violent que mes oreilles en bourdonnèrent et que je fus un instant désorientée.
Je pensais avoir gagné, et je le cru encore lorsqu'il se releva, cessant de m'écraser de tout son poids. Mais j'avais tort, encore une fois.
Agrippant mes cheveux, il me sortit du lit et me jeta au sol. Je le vis lentement ramasser sa ceinture.
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Je suis votre épouse ! Comment oseriez-vous me traiter ainsi !?Il eut une sorte de sourire énigmatique :
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Mais comme ceci, ma chère. Et la ceinture s'abattit.
Je ne sais combien de temps il s'amusa à cela, ce que je sais en revanche, c'est que pour achever de m'humilier, de me blesser et de me traiter en animal, il ouvrit une des fenêtres de ma chambre, et, faisant reposer mon buste contre le bois, il entreprit de me prendre ainsi, permettant à tous nos sujets d'entendre mes plaintes et de voir ce que leur maître était capable de faire, même à son épouse.
Je passais trois jours alitée. Mon corps et son étonnante capacité à se régénérer était déjà cicatrisé, les barres sanguinolentes que mon cher époux avait ouvert dans mon dos, sur mon ventre, et sur mes seins, ainsi que les innombrables hématomes avaient disparu, mais je ne voulais plus me lever. Si mon corps était fort comme l'acier, il me semblait que mon esprit ne l'était plus du tout et que la mort était le seul moyen de me soulager... tout autant qu'impossible à atteindre. Je passais trois jours dans mon lit, à pleurer. Et j'aurais volontiers voulu y passer plus de temps, si mon mari n'était pas venu me chercher de lui-même.
Du temps où nous nous entendions, je lui avais brièvement parlé des étonnantes capacités de mon corps – en omettant bien entendu de préciser mes véritables origines et mon âge – et s'il avait pu en avoir un aperçu après mes deux accouchements, car j'avais cicatrisé bien plus vite que la normale, me retrouver aussi fraîche que la rosée après la correction qu'il m'avait infligé trois jours plus tôt, sembla le réjouir et presque l'émerveiller.
Ce soir-là il me contrit à rejoindre la cour de Versailles où l'on s'impatientait de me revoir. Du moins c'était ce qu'il disait. Et de toutes façons, en tant qu'épouse d'un des diplomates du Roy, je n'avais d'autres choix que de revenir à la cour.
J'y restais quelques semaines, juste assez pour découvrir que j'étais de nouveau enceinte. Je fus horrifiée : quelle sorte de monstre je pourrais porter au monde après la façon dont il avait été conçu... ?
Le pire, une nouvelle fois, était à venir, car je donnais naissance à un fils. Qui, lui, vécut. J'eus peur de cet enfant dès qu'il vit le jour car il était le résultat de la nature la plus noire de son géniteur, son souhait le plus cher et il ne pouvait pas sortir quelque chose de bon de ce fruit.
Cet enfant fut nommé Donatien Alphonse François de Sade, comte par hérédité, de Sade. Plus tard, il sera connu comme
le marquis mais aujourd'hui vous le connaissez tous sous son titre : le marquis de Sade.
Je tentais tout pour l'éloigner de l'influence néfaste de son père, mais je n'étais qu'une femme et n'avais, par conséquent, aucun véritable droit sur cet enfant...
Lorsque notre fils commença à approcher de l'âge d'homme et que sa virilité commença à se manifester physiquement, Jean-Baptiste décida qu'il était temps de lui enseigner ce qu'était, être un homme.
Je pourrais sans doute vous décrire en long et en travers ce que fut cette éducation, mais je pense que vous le comprendrez aisément. Mon époux était un homme profondément sadique, et tout ce que mon fils fit, par la suite, et relata dans ses épouvantables ouvrages, fut plus ou moins testé sur moi. L'un comme l'autre avaient bien cerné les avantages qu'offrait mon incroyable capacité à cicatriser de tout sévisse. Jamais je ne fus plus honteuse que durant ces trois années. Entre les viols, les passages à tabac et les humiliations, ma vie était des plus misérables. Sans doute si je n'avais pas été si fière les choses auraient-elles été plus... douces ; mais je m'évertuais à me murer dans une dignité que je puisais dans mon passé, ce qui encourageait mes bourreaux, époux et fils, à continuer, aller toujours plus loin pour me briser.
Ils n'y parvinrent jamais.
Jugez-moi si vous le voulez mais, lorsque mon mari entreprit de me répudier sous prétexte que je ne pouvais lui prodiguer d'autres enfants, je ne cherchais pas à récupérer mon fils. Je n'avais jamais voulu de cet enfant et savais par ailleurs qu'il m'avait déjà échappé...
Je me retirais en province où je pus vivre plus que décemment grâce à ma fortune accumulée par mon passé de tenancière. Je suivais de loin les affaires concernant mon ancien époux et son fils – car il ne pouvait plus être le mien et le divorce, la répudiation, m'avait, de toutes façons, privée de tous droits à son encontre.
Cet enfant fut emprisonné presque toute sa vie. Et je n'en blâmerais personne, sinon moi-même. J'aurais dû tuer son géniteur plutôt que de porter pareille vie sur terre. Les mains de mon enfant, couvertes de sang, avaient souillé les miennes. Jamais je ne me le pardonnerais. Peut-être, si j'avais su aimer cet enfant, les choses n'auraient-elles pas été ainsi.
Il finit ses jours en maison d'internement. Le jour de son enterrement fut la dernière fois que je le vis, et la première depuis ma répudiation, soit plus de soixante ans.
Durant toutes ces années j'avais coulé une vie confortable et, achetant des actions de la Compagnie des Indes, je m'étais constituée une certaine fortune. Entourée de serviteurs de confiance, en nombre très réduit, j'envisageais ma disparition. En effet, si la vie en tant que femme du peuple était difficile, elle présentait aussi l'avantage de ne pas avoir à manigancer une fausse mort. Deux semaines après avoir vendu mes titres et après avoir caché l'argent, nous subtilisâmes le corps d'une femme me ressemblant vaguement, et nous le jetâmes du haut de la falaise proche de ma propriété. Après ça, emportant ce qu'il restait de ma fortune, sonnante et trébuchante, je disparus.
Grâce à cette fortune, je pus racheter des actions, sous un autre nom, et je prospérais de la sorte.
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La Révolution, la Terreur, l'Empire... des périodes sombres pour l'Histoire de France.
Et pourtant, ma capacité à m'adapter au monde des hommes, me permis l'incroyable : j'entrais à l'université.
Loin des conquêtes aussi indécentes que folles, je construisais, petit à petit, mon éducation.
Depuis la Révolution et les débuts de la République Française, les armées de France avait toujours été victorieuse, pour le plus grand plaisir du peuple qui y voyait, à juste titre, une certaine puissance et donc légitimité de la République. Néanmoins les guerres et les batailles menées en son nom, n'était que des batailles internes, et l'on pouvait légitimement s'interroger sur ses capacités à tenir face à une autre armée, car, après tout, l'armée française était à l'image du pays même : un peu perdue, étourdie par les changements qui l'ébranlaient. Si la République était le corps du peuple, l'armée en était le bras, encore secoué par les tremblements irradiant de la base.
Mais loin de ces préoccupations, je m'inquiétais plutôt, comme je vous le disais, de mon éducation car mon expérience à la cour m'avait démontré qu'un esprit affûté pouvait bien plus souvent sauver des vies qu'une arme, et si je savais me battre depuis des siècles, les progrès scientifiques, intellectuels et philosophiques m'étaient restés plus ou moins inconnus jusqu'à présent, ce que je voulais combler au plus vite afin de mettre toutes les chances de mon côté. J'avais aussi et surtout compris que, le domaine des armes étant réservé aux hommes, j'avais tout intérêt à faire montre d'indéniables intelligence et culture pour me maintenir à flot.
Grimée sous l'apparence d'un jeune homme, je m'inscrivis donc à l'université. J'y suivis tous les cours que je pus, y appris l'art de la philosophie, la méthode des sciences et l'art de la dissertation qui me permis de découvrir une nouvelle façon de me battre : avec les mots.
Pendant longtemps, et encore aujourd'hui, et ce à bien des égards, Napoléon Bonaparte fut critiqué en France, mais je crois que ce fut surtout le cas car il a oeuvré contre la République et le peuple français, en établissant l'Empire. Si le peuple français devait par ailleurs être rapidement défini, ce serait sans doute sur cette susceptibilité vis-à-vis de la République. Et pourtant, sous le Consulat, puis sous l'Empire, Bonaparte mit en place des structures et des institutions aujourd'hui encore utilisées et qui sont même devenues des symboles de ladite République.
Le 1er mai 1802, il crée définitivement, si l'on puis dire, le système que nous connaissons aujourd'hui : école primaire, écoles dites secondaires et enfin lycées ou écoles spéciales. L'Etat prenait en charge ces deux derniers, promouvant, de ce fait, une éducation élevée. Toutefois, il faut convenir que tout le monde ne pouvait guère s'offrir ces études, puisque quelles que soient le niveau d'étude, leur accès était payant.
Il faut que vous sachiez qu'en dépit de l'interdiction des femmes d'accéder à la très grande majorité de ces écoles, je n'étais pas la seule à me déguiser en homme pour m'y rendre, loin de là. Lorsque j'entrais au lycée de Paris, nous étions cinq. Est-ce que nos camarades étaient à ce point persuadés qu'aucune femme ne braverait jamais l'interdit pour ne pas voir notre vraie nature, ou est-ce qu'ils préféraient feindre l'ignorance... ? J'ai cessé de chercher la réponse à ces questions depuis bien longtemps maintenant, car que la réponse soit l'une ou l'autre, le résultat était le même, et c'est ce qui m'importait : nous étions traitées en égales, puisque nous apparaissions comme tel.
Alors connue sous le nom d’Édith, je liais rapidement amitié avec les quatre autres femmes qui partageaient ma condition. Nous formions un groupe soudé. Il y avait Marie, fille d'un riche commerçant prospérant dans le tabac, Solange, originaire de province, Élisabeth, fille d'aristocrates – elle était par ailleurs très agaçante, du moins le plus souvent – enfin, il y avait ma très Aglaé.
Aglaé était une jeune femme mystérieuse et je ne sus jamais vraiment d'où elle venait, ni même ce qu'elle venait chercher dans ces études ; mais ce que je voyais d'elle et ce qu'elle me laissait sentir d'elle me persuadait que nous étions en quête de quelque chose, d'un quelque chose qui saurait nous libérer de notre condition qui, pourtant, n'était pas à plaindre.
En effet, si je ne disposais d'aucun moyen de justifier de mon identité, il m'avait pourtant été facile d'acheter, en quelque sorte, cette identité. Car de tous temps, quelque soit votre nationalité, quelque soit votre sexe ou même votre tête, il est aisé de se constituer une histoire et une origine, du moment qu'on y met le prix. J'étais donc, aux yeux du monde, Édith Du Noyer – un nom ridicule mais qui sonnait bien français, et c'est ce qu'il m'importait – fille de riches propriétaires terriens et heureux actionnaires de différentes entreprises.
Enfin, j'étais riche, j'étais belle et ma connaissance ancestrale de la condition humaine faisait de moi un esprit vif et éveillé qui se plaisait plus que tout dans ce lycée.
Néanmoins, je le quittais avant la fin du cursus. Non pas par souci d'argent, ou par ennui, mais parce que je ne désirais pas passer ma vie déguisée en homme et que je ne pourrais jamais faire reconnaître ce diplôme en tant que femme. J'y avais trouvé ce que je désirais, et cela me suffisait. Aglaé fit le même choix que moi, sans même que nous nous concertions. Étonnant hasard, n'est-ce pas ?
Aglaé parlait peu, mais chacune de ses sorties était pertinente, intelligente et juste, quand elle n'était pas hilarante. Cette jeune femme possédait en effet un esprit si vif et si acéré qu'elle n'avait pas son pareil en matière de répartie et, qu'elle soit sous ses atours de femme ou ceux, factices, d'homme, elle ne se privait jamais de remettre à sa place un interlocuteur, quel qu'il soit. J'en venais presque à attendre ces sorties, me délectant à l'avance de la pique qu'elle saurait lancer. Je ne m'y trompais jamais et, à chaque fois, je devais me contenir à grands renforts de profondes inspirations pour ne pas perdre toute contenance car, homme ou femme, du moment que vous apparteniez à la haute société, un comportement quasi protocolaire était attendu de vous.
Ce protocole ne me dérangeait pas outre mesure, pas plus que ma présence presque obligatoire aux salons, aux réceptions, aux dîners mondains. Mon passé en tant que femme de la cour m'avait, à ce titre, beaucoup servi, plus que je ne l'aurais jamais imaginé.