Le Grand Jeu - Forum RPG Hentai

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Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

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Astrid

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Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

samedi 05 juillet 2014, 13:16:31

Bonjour,

Je vous remercie de passer sur ma fiche, et remercie plus encore ceux qui auront le courage de la lire.
Pour les férus d'Histoire, je m'excuse des anachronismes, je me suis permis quelques arrangements pour ma fiction.

Merci encore une fois, et bonne lecture à tous.






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Le monde a changé. Le monde a changé.
Je n'ai pas bougé d'un cil.
Mais le monde a changé. Oui, le monde a changé.


Je me souviens du temps où, femme, j'étais une entité plus précieuse et plus puissante que n'importe quel homme. Je me souviens du temps où, femme, je pouvais à ma guise, prendre mon enfant dans mes bras, ou serrer mon bouclier sur ma poitrine.
Je me souviens du temps où, femme, le visage grimé, je hurlais aux côtés de mon époux et de mes fils, frappant nos armes contre le bois sourd et lourd de nos boucliers. Je me souviens où, parce que j'étais femme, je décontenançais mes ennemis avant de leur enfoncer ma lame dans la gorge, qu'importe leur armure.
Je me souviens du temps où, femme, j'étais plus que l'antre chaude et humide où l'anguille se love, où, femme, j'étais puissante et respectée.


Le temps a passé. Les saisons se sont déroulées, imperturbables. Le soleil s'est levé et s'est couché. Le ciel a pleuré et célébré. Mon époux est tombé. Mes fils sont tombés.
Seule, je suis restée.


Je suis née sous le nom d'Eduarda. Celle qui veille sur l'Odal, l'héritage. Frigg elle-même n'aurait pu me donner meilleur prénom.
Car j'ai veillé à mon héritage. Si bien que je suis là, encore, debout, héritage et héritière de ce que furent mon peuple, mon pays, mes coutumes.
Au fil du temps, mon prénom a changé. Je l'ai adapté aux pays traversés, aux années écoulées, aux modes... Je suis généralement appelé Edith ou, et ce prénom a ma préférence, Astrid. Deux de nos nombreux prénoms ayant traversés les âges et survécus aux mythes fascistes et révoltants. Astrid. La cavalière divine. Edith. Celle qui combat pour l'Odal, pour l'héritage.
Si j'ai veillé sur lui, en veillant sur moi, j'ai depuis longtemps cessé de combattre pour lui...

J'ai vu mon époux s'éteindre. Vieillard décati condamné par Odin à ne jamais goûter le Valhala. Ma fille n'a pas vécu. Mes fils, eux, sont morts contre les boucliers ennemis. J'ai vu le corbeau leur picorer les yeux. Ils ont serré la main d'Odin, et célèbrent pour toujours la guerre et l'honneur. Du moins l'ont-ils sans doute fait jusqu'à ce que nos dieux nous abandonnent.

Nos dieux ont disparu, ils sont morts sous nos coups, et avant de mourir, ils nous ont abandonné. Juste retour des choses, j'imagine.

Le temps qui passe a effacé, peu à peu, mes souvenirs, dont il ne reste que des chapes de brumes aujourd'hui.
Le fracas des épées qui s'entrechoquent, les boucliers qui volent en éclats, les cris des hommes qui, à chaque vague d'ennemis repoussée hurlent « Odin ! Odin ! », célébrant et convoquant le dieu des dieux à les observer se battre et vaincre en son nom.
Car un viking n'est jamais vaincu.
Je me souviens encore de l'odeur âpre du sang qui souillait nos visages assoiffés de violence. Je me souviens encore des troupes sous mes ordres.
Aujourd'hui tous ont péri. Peut-être célèbrent-ils ma gloire auprès d'Odin et des Valkyries, pour leur avoir permis de rejoindre le Valhala.

Les visages de ceux que j'ai aimé se sont effacés. Ne laissant la place qu'à de vagues formes, des couleurs. Ici des yeux verts, là, le noir abyssal des prunelles de mon fils aîné, le vert du cadet... Leurs traits se sont estompés, leurs voix ont cessé de chanter à mes oreilles il y a bien longtemps. Ma mémoire ne me permet pas le loisir d'être nostalgique. Ces souvenirs disparaîtront, un jour, tôt ou tard...


Avec mon mari, mes fils et les hommes que je commandais au nom de mon époux, le Jarl, nous avons découvert l'Angleterre, poussé nos navires jusque dans des terres reculées que les civilisations plus récentes ne découvrirent que bien plus tard, nous étions forts, et nous étions puissants, rien ne nous résistait. La glace qui fondait aux abords du printemps nous ouvrait les portes du monde et c'est avec la furie et l'enthousiasme des Valkyries que nous nous y engagions. Nous revenions toujours. Car la Shield Maiden que j'étais n'aurait jamais permis à ses hommes de se perdre. Ceux qui mouraient sur le champs de bataille étaient glorifiés à notre retour par des chants, et par les récits de nos camarades. Tous les autres revenaient, car nos foyers, s'ils sont domaine des femmes, devaient retrouver leur homme, nos terres devaient être cultivées, nos marchandises échangées. Tout ceci pour qu'au printemps suivant, nous puissions repartir, plus loin, plus nombreux, plus longtemps.


Les gens de votre époque, sur Terre, ont longtemps vu en nous des barbares sans foi ni loi, idée d'autant plus répandue que nous étions des païens. Votre Christ vous a peut-être sauvé, mais il nous a tous tués. Je me demande encore comment vous parvenez à vivre avec cette idée sur la conscience.
Tous barbares que nous étions, nous n'avons jamais tué personne sous prétexte que les dieux de nos ennemis n'étaient pas les nôtres. Nous nous contentions de nous moquer d'eux. Et de les piller, car c'est ce que nous faisions.
Mon peuple, soit disant barbare, était un peuple pieu envers ses dieux, Odin, le premier. Dieu de la victoire, de la fureur mais aussi de la sagesse... Le dieu emblématique des vikings, en un mot. Et pour cela, il était le roi des dieux. Pour cela, il accueillait les plus valeureux guerriers tombés au combat aux portes du Valhalla où il festoyait avec eux, entourés de femmes superbes et des Valkyries...
J'aurais aimé être une Valkyrie. Ces guerrières vierges et fières, à la tâche parfois peu agréable, mais superbe tout de même, venir chercher les guerriers dignes de rencontrer Odin, certaines achevaient les blessés, d'autres les soignaient... Oui, une Valkyrie. A la fureur et à la beauté à nulle autre pareilles.


Le récit de ma vie est long, très long, car ma vie est très longue, trop longue. Pour les miens, j'avais reçu un don des dieux, mais aujourd'hui, alors qu'il ne me reste plus rien, sinon ces souvenirs qui, un jour ou l'autre, mourront, j'ai davantage l'impression d'être la proie d'une malédiction.
Ce qui fait la beauté de la vie c'est que nous mourrons tous, un jour ou l'autre. Moi, non. Je peux me jeter à corps perdu dans une bataille, être blessée, rien n'y fera si mon cœur ou mon crâne ne sont pas touchés. Mon corps se guérira de lui-même. Ni le temps, ni les maladies n'ont raison de mon organisme, de mon apparence, ou même de mes capacités cognitives. Et pourtant je suis fatiguée. Fatiguée d'être encore là, fatiguée de voir l'engrenage du temps s'égrainer avec une lenteur exagérée, fatiguée de voir jouer la même pantomime depuis des siècles, fatiguée de voir ma race répéter les mêmes erreurs, encore et encore, fatiguée de voir les hommes mourir, les hommes pleurer, les hommes vieillir, et de rester là, inerte et immobile, figée dans le temps, un temps qui n'appartient qu'à moi.
J'aspire plus que tout à mourir. Mais je ne me résoudrais jamais au suicide, trop impur, trop indigne de celle que je suis, et de ce que mes dieux m'ont offert. Car après tout, oui, c'est bien un don qu'ils m'ont fait. Peut-être ne suis-je pas en mesure de l'apprécier comme il conviendrait, car malgré tout, je ne suis qu'une humaine, mais je sais que c'est un don précieux... L'homme est ainsi fait qu'il aspire à ce qu'il n'aura jamais. Vous aspirez à la vie éternelle, êtes paralysés de peur à l'idée de mourir, du moins, de disparaître du monde sans laisser de traces... J'aspire plus que tout à mourir, à connaître ce repos éternel, car mon monde a déjà disparu, et ce pour toujours. Et chacun de vous, descendants des assassins de mon monde, en est, d'une certaine façon, responsable.
Puisque je ne peux mourir, j'aspire au moins à rencontrer un jour, quelqu'un qui, comme moi, sera lassé par les âges du monde, et auprès de qui ma mélancolie pourra s'effacer un peu. Un compagnon, un ami, que sais-je. La solitude, que l'on soit mortel ou immortel, est une dangereuse morsure si l'on y prend pas garde.


Mon époux est tombé. Mes fils sont tombés. Ma fille n'a pas vécu.
Seule, je suis restée.

J'aurais peut-être dû écrire mes Mémoires, tenir un journal du moment où j'ai su écrire ; retranscrire mon histoire, mes souvenirs, dessiner les visages des gens que j'avais aimé, j'aurais peut-être pu même faire une reconstruction faciale en 3D aujourd'hui, des portraits de mes enfants. C'est trop tard. Le temps a balayé les souvenirs. Le cycle des saisons a gelé puis fait fondre mon esprit, ma mémoire craquelée et cisaillée a laissé s'échapper la moindre de mes souvenances.

Je suis née sur la côte islandaise. Ce qui, du moins, est aujourd'hui l'Islande.
J'ai oublié le visage de ma mère. J'ai oublié sa voix. Je ne me souviens plus des chansons qu'elle me chantait. Ni de son odeur rassurante. Je ne me souviens plus du contact doux, chaud, enveloppant, de ses bras que je sais blancs. Son prénom est toujours encré (ou ancré, c'est comme vous voulez ; les deux sont justes en vérité), et je me le répète chaque matin, car il est le seul souvenir qu'il me reste : Borghild.


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De mon plus lointain passé, je peux vous dire que je suis née dans les années 800, mais cela se borne là. J'étais une fille sans grande importance, disons, dans un des clans bordant la côte sud de l'océan Atlantique. De cette période je me souviens surtout de la joie de vivre, et quelques odeurs me ramènent parfois au milieu d'un village fait de huttes aux murs tapissés de peaux de bête, au milieu desquelles trônait toujours un feu majestueux. Du moins était-ce ainsi que je le voyais.
Lorsque j'eus saigné, il s'agît de me trouver un époux, pour satisfaire Frigg, honorer mon père... La déesse du foyer, de l'amour et de la maternité, m'ouvrit les portes de l'hymen en me poussant dans les bras d'un jeune homme d'un clan voisin – chose plutôt rare en vérité. Les hommes de son clan, situé à près d'une centaine de kilomètres au nord du nôtre, effectuaient un voyage annuel pour commercer dans la région, et jauger de l'aptitude des autres clans à se joindre à l'une de leurs grandes expéditions estivales. Il s'appelait Didrik, et il avait seize ans, il était dans la fleur de l'âge pour se marier. J'avais, pour ma part, quatorze ans. Ma sœur, de deux ans mon aînée, était déjà mère de deux fils vigoureux dont le plus jeune affrontait avec force son deuxième hiver. Mes trois frères étaient tous plus jeunes que moi mais montraient déjà des prédispositions pour les combats et s'affirmaient petit à petit comme de futurs meneurs de troupes.
J'étais déjà, seule, à ne pas avoir ma place dans ce petit monde tout tracé.
Au-delà de la beauté de Didrik, la promesse qui résonnait dans ce jeune homme m'attirait : quitter mon clan, quitter mes terres, découvrir une autre Islande, un autre destin que celui qui semblait m'attendre chez moi. Car si j'aspirais, moi aussi, tout comme ma sœur, à être mère, je savais pourtant que ce destin ne me contenterait jamais vraiment pleinement. Il me fallait quelque chose de plus grand, de plus somptueux, de plus extraordinaire.
Nos noces furent célébrées aux toutes premières fontes des glaces, quand la verdure des prés commençait à poindre de nouveau mais que nos navires étaient encore emprisonnés dans la mer gelée. Nous eûmes ainsi le temps de consommer notre mariage, et d'apprêter mon déménagement avant la grande expédition.
Didrik était le fils aîné d'une des familles les plus influentes du clan du Jarl Gervin, influente car prospère. Son père, Sverre, s'était de très nombreuses fois, illustré lors des raids des pillages estivaux, et il était un marchand hors pair, à tel point que les terres qu'il possédait étaient cultivées par ses esclaves plutôt que par lui : il était devenu un rival d'importance de Gervin.
Mon époux partit donc avec le Jarl, son père et deux de ses frères vers des terres inconnues mais certainement riches, desquelles ils rapporteraient de précieux butins... Le village était laissé pour ainsi dire vide, vivant au rythme des vieillards oubliés par Odin, des femmes restées et des enfants.
C'est en voyant partir ma belle-mère, Eldrid, aux côtés de son fils et de son époux, acclamée par les hommes comme l'une des leur, les yeux luisants de fierté et de soif d'aventures tout comme de sang, que j'entrevis ma destiné.

Comme j'aurais dû m'y attendre, le retour de mon homme fut en demi-teinte. La joie de le retrouver et de revoir Eldrid fut entachée par l'annonce de la mort de Sverre. Le Jarl s'affirmait fort malheureux de la perte de ce si valeureux guerrier mais nul n'était dupe quant à ses véritables sentiments, surtout pas mon époux. J'étais lors enceinte de notre premier enfant, et sur le point d'accoucher, ce que je ne manquais pas de faire, à peine une semaine plus tard. Ce fils béni par Frea et Mìmir, fut baptisé Wilfrid : celui qui apporte la paix et la victoire par la sagesse.
Si je ne me souviens pas de tout de ma si longue vie, une mère ne peut oublier ce que c'est, que de le devenir. Wilfrid était la chair de ma chair et je me serais volontiers jetée sous les sabots d'un cheval lancé à pleine allure pour lui, ou même arrachée un bras, crevée les yeux. L'amour d'une mère est encore ce qu'il y a de plus fort ici bas, même les dieux, même tous les pouvoirs de tous les mages vivant sur Terra n'en viendraient pas à bout.

C'est à la naissance de mon second fils, Thorbjörn, alors que j'étais âgée de dix-sept ans, que j'osais m'entretenir avec Eldrid de mon désir de lui ressembler, de devenir une Shield Maiden. Elle dégageait une telle assurance, une telle force tranquille et pourtant redoutable, une fierté, une dignité, qui me fascinaient et me laissaient entrevoir ce que je désirais fondamentalement, plus que d'être mère, ce qui avait pourtant déjà suffit à me combler en tant que femme. Mais j'étais désireuse de connaître autre chose, de vivre plusieurs vies en une, ignorant alors que les dieux m'avaient béni d'une longue vie.

Dans notre monde, si hommes et femmes ont chacun des rôles bien définis et des tâches à accomplir pour la bonne marche du clan, les deux se valent et se compensent. La femme règne en maître sur le foyer où rien ne peut se faire sans son consentement, pas même la prise d'une maîtresse par son mari. L'homme, lui, règne sur le domaine extérieur : l'exploitation fermière et agricole, le commerce, le pillage enfin. Mon peuple avait pourtant conscience de la complémentarité de ces deux mondes : l'homme ne peut exercer son rôle sans la femme et inversement ; et, de la même façon qu'il faut que l'homme chevauche la femme pour lui permettre d'enfanter, il faut que les deux sexes battent à l'unisson dans un clan. Les femmes avaient donc, autant que l'homme, droit à prendre les armes. Elles devenaient alors Shield Maiden. Une sorte de pendant mortel des Valkyries.
Dans notre monde, les femmes étaient en partie respectées car elles étaient vues comme un vecteur transcendantal permettant d'accéder au monde divin. Avoir une femme sur un de nos navires et sur un champ bataille n'était donc pas chose incongrue, mais pouvait au contraire être perçu comme le moyen de s'attirer les grâces et la protection des dieux.
Oui, l'on pourrait presque dire, aujourd'hui, que la société viking était quasiment matriarcale. En tout cas bien plus que celles que des pays occidentaux modernes.

Ce n'est donc qu'à l'âge de mes dix-sept ans que j'entrepris sérieusement d'apprendre le maniement des armes. Comme toute viking, j'avais eu un enseignement rudimentaire au combat, mais qui n'avait été que purement défensif, en cas d'attaque du clan en l'absence des hommes. Rien de bien efficace, en soi.
Je m'avérais bien plus efficace et rapide comme élève que quiconque n'aurait pu l'imaginer, surtout pour mon âge qui, s'il n'était certes pas celui d'une vieille femme, était celui d'une femme adulte. Pourtant mon corps continuait de changer, nullement marqué, paradoxalement, par mes deux grossesses et mes deux accouchements. Ma peau blanche reprenait sa fermeté avec une facilité déconcertante une fois l'enfant porté dans le monde, aucune blessure ne semblait décidée à mordre à jamais ma chair, aussi profonde put-elle être – car lors de mes entraînements, je n'étais pas épargnée.

Ce fut l'été de mes dix-neuf ans que je pris part pour la première fois à un raid. Je combattais aux côtés de mon époux et la fierté battait mon sein. Eldrid avait consenti à rester au village, à veiller sur Wilfrid et Thorbjörn, âgés de quatre et deux ans.
Si les femmes étaient acceptées sur les navires et les champs de bataille, il était en revanche rare de les voir partir dans ces conquêtes alors que leurs enfants étaient encore en bas âge. Mais j'avais confiance en Eldrid, et mes fils, futurs guerriers redoutables, je n'en doutais pas, se devaient d'être forts, ne pas vivre dans les jupes de leur mère, et je devais être forte, apprendre à vivre loin d'eux et à les laisser vivre.

Ce fut lors de ce raid, mené sur les côtes ouest de l'actuelle Norvège que se révéla mon étonnante et incroyable capacité à... ne pas mourir.
Cette expédition nous confronta à des peuples semblables aux nôtres, mais dont la langue n'avait pourtant rien de commun. Il fallait pourtant reconnaître que, à bien des égards, leur façon de vivre était semblable à la nôtre et que nous combattions des sortes de cousins. Cela s'avéra d'autant plus vrai qu'ils combattaient comme nous le faisions, et qu'ils s'avérèrent de redoutables adversaires. Je m'en souviendrais, de cela j'en suis sûre, toute ma vie car, sur les trois cents hommes et femmes partis pour ces grands pillages estivaux, seule une petite centaine revint, à l'orée de l'automne. Si nous étions gorgés de richesses, il était certain que nous ne pourrions prétendre à de grands raids l'été qui suivrait, car les hommes viendraient à manquer.
Mais parallèlement à cette expérience, j'avais acquis, auprès de mes pairs, un statut de quasi-divinité. J'avais en effet été mortellement blessée à plusieurs reprises : ma carotide avait été sectionnée, une jambe si terriblement entaillée que le sang en avait jailli à gros bouillon, ne laissant présager aucune chance de survie et pourtant... pourtant j'étais là, et mon corps ne portait presque aucune cicatrice, si ce n'est une mince estafilade sur la cuisse qui s'amenuisait de jour en jour et laissait deviner qu'elle disparaîtrait bientôt. Lorsque nous fûmes rentrés, si tous les guerriers restants n'en avaient attesté, personne n'aurait jamais cru que j'avais été blessée.
Cette révélation fut portée aux oreilles d'Eldrid qui entreprit de s'entretenir longuement avec mon époux tandis que je savourais la joie non dissimulée de retrouver mes deux fils.

Didrik était un guerrier exceptionnel. Il maniait ses armes dans un mélange harmonieux et plus qu'efficace de rapidité, dextérité et fureur qui lui assurait la victoire à chaque fois. Sa dextérité était telle qu'il n'avait jamais été blessé, ou presque. Il était devenu un guerrier craint et respecté par ses pairs, et la révélation que j'étais en tant que demi-déesse présumée inspirait encore davantage le respect à son encontre, mais aussi et surtout à la mienne. Le Jarl Gervin se faisait vieux, il approchait de la cinquantaine et pour nous, il était presque un vieillard. Pourtant, il était vigoureux. Sa lame n'avait en rien perdu de son agilité, pas plus que son esprit ou sa langue. Et il pressentait bien que la puissance montante du couple que Didrik, fils de Sverre, et moi formions, était une menace pour la sienne. Eldrid l'avait bien perçu, et, ne désirant pas voir son fils être poussé dans la tombe au même titre que son mari, elle l'enjoignit à agir.
Une semaine à peine après notre retour du raid, et alors que les premières neiges commençaient à tomber, Didrik provoqua Gervin en duel à mort, en paiement de la mort de son père. Aucun témoin ne pouvait en effet certifier d'avoir vu Sverre tomber sous la lame d'un ennemi, certains affirmaient même l'avoir vu après la bataille achevée, alors qu'ils exploraient le village en quête de trésors à piller. Le doute planait sur le Jarl et la popularité que mon époux et moi avions acquise assurait, quelque soit l'issue du duel, la défaite quelle qu'elle soit, de Gervin.
Aidé par Odin, Didrik défit notre Jarl... Et nous devînmes ainsi la famille dominante du clan.

Peu après, je tombais de nouveau enceinte, pour mettre au monde une fille, Hildr. Hélas, les prénoms ont une destiné, et je n'aurais pas dû choisir ce prénom pour ma fille, car elle mourut avant d'atteindre sa première année.
A nos deux fils, s'ajoutèrent encore deux autres. Roald, né dans l'année de mes vingt ans, puis Nordhal, l'année de mes vingt-trois ans.

Le temps passait et je voyais mon époux être avalé par les frasques du temps, je voyais mes fils m'échapper. Wilfrid et Roald se marièrent les premiers, tandis que Nordhal fut le premier à rejoindre Odin. Cette idée ne me consola que partiellement de la perte de mon fils. Mais en tant que Shield Maiden active, je me refusais au chagrin, et me murais dans une dignité et une insensibilité feinte.

Lorsque mon dernier fils, Thorbjörn, fut à son tour emporté par les Valkyries, je décidais de ne plus me vouer qu'aux champs de bataille. Didrik était devenu vieux, et ne pouvait plus se battre. Alors qu'il nous accompagnait lors de certains raids, laissant le village aux mains de sa mère, puis après son décès, à l'un de nos fils, il n'était plus guère capable de soulever son épée. Si je ne me souviens plus du contour de son visage, je me souviens du contact de ses mains desséchées, osseuses et calleuses. Malgré son âge, il me désirait ardemment, moi, qui n'avait plus changé depuis mes vingt-deux ans, mais qui, pour notre monde et notre temps, paraissait encore bien jeune.
A la mort de mon époux, mort dans son lit, regrettant de n'avoir pas mené un ultime combat, je décidais de quitter le village. Plus rien ne m'y retenait, et le Jarl devait revenir à un homme.

Je m'installais quelques temps dans le village dans lequel j'avais vu le jour, mais n'y restais pas longtemps : là non plus, je n'avais plus personne pour m'y retenir.

Mais sans Jarl, sans village et sans clan, je n'avais plus d'expéditions à mener, plus d'hommes à commander, alors que mes armes et mon incroyable combativité étaient tout ce qu'il me restait.
Lors, je perdis la notion du temps.
Passant dans certains villages, je m'arrêtais là où mon nom était connu pour participer à quelques raids – non sans avoir, auparavant, engagé un combat avec le meilleur guerrier du clan pour prouver mon identité – mais je n'y restais jamais plus de quelques années, deux à trois ans en moyenne.

Le massacre de mon peuple au nom de Jésus Christ eut ceci de bénéfique qu'il m’introduit et m'initia à un nouveau monde, une nouvelle vie. Grâce à l'aide d'un sage et vertueux moine d'Angleterre, j'appris à lire le latin, ce qui me fut sans doute salvateur au Moyen-Âge.
Les âges de votre civilisation passèrent sur moi et, s'ils marquèrent mon âme, mon visage et mon corps restent encore et toujours inviolés de ses assauts.

C'est avec lassitude aujourd'hui que je contemple l'humanité.
Plus rien ne me raccroche plus au monde dans lequel je erre. Mes dieux sont morts car mon peuple a cessé de croire en eux, et moi-même je ne saurais dire s'ils ont un jour existé...

Je me suis sentie mieux en découvrant Terra. Ce monde de tous les possibles, où l'on dit que même des dieux y vivent. Je pourrais peut-être y rencontrer l'un des miens et lui demander pourquoi moi, pourquoi m'avoir affligé de cette vie ridiculement trop longue pour moi, Astrid, née Eduarda...

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Que pourrais-je encore vous dire de moi... ?
Il est évident qu'en plus de 1200ans d'existence environ, j'ai eu l'occasion de partager ma couche avec des hommes, et que 1200ans d'expérience font de moi une des plus expertes en ce domaine, quoi que ce ne soit pas nécessairement quelque chose que je recherche...
Par ailleurs, ces 1200ans à me battre ont fait de moi une redoutable adversaire et j'ai pris le temps, au fil des siècles, d'apprendre à me servir d'absolument toutes les armes existantes... Je ne saurais que trop vous déconseiller de me provoquer.
Si vous cherchez dans les ouvrages historiques, et certaines représentations iconographiques, vous pourriez me voir, là où le monde occidental s'embrasait dans une guerre, qu'elle soit civile ou non, et même mondiale, plus tard.

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J'ai connu tous les âges du monde, ou presque.
Je suis un livre d'Histoire vivant.
Je me souviens, en France, d'un certain Adalbéron de Laon qui s'était lancé dans la théorisation de la société française selon les principes dans lesquels elle resta ancrée des siècles durant : la conception tripartite. Nobles, clergé, peuple, qui fut nommé plus tard, Tiers-Etat. Peu de temps après, comme une missive envoyée des dieux pour prévenir les hommes de leur mauvais choix dans cette société, une famine frappa le pays.
La France s'affirmait déjà plus ou moins comme un pays d'importance dans l'enclave européenne... Ne serait-ce que pour les guerres qu'elle menait.
Je résidais en Angleterre lors de la Guerre de Cent Ans. Il est amusant de se dire que je suis sans doute la seule à avoir connu les débuts et la fin de cette guerre qui, en vérité, dura cent six ans, cent six années certes entrecoupées de périodes plus ou moins longues de paix, mais tout de même... Il n'y avait que les français et les anglais, deux peuples égaux en matière d'entêtement, pour tenir un conflit aussi long et aussi inutile. Et Jeanne d'Arc... ! Une drôle de créature... Elle me paraissait ne pas être née quand elle l'aurait dû. Son tempérament, sa fougue et sa dévotion pour son roi en aurait fait, en mon temps, une Shield Maiden des plus respectées... A la place, elle était la Pucelle d'Orléans, la première vraie guerrière de France... Que son peuple abandonna à son sort lamentable et déshonorant. Celle qui avait vaincu les Anglais, qui avait sauvé le peuple français des griffes des ennemis, celle qui avait tant fait pour son roi, qui était capable d'une telle abnégation...Abandonnée comme une moins que rien aux mains des anglais qui la brûlèrent sans plus de cérémonie.
C'est ce jour, et seulement ce jour, que je compris que le monde dans lequel j'allais désormais évoluer était laid, terrible, et où l'honneur, la dignité et la gloire ne valaient plus rien aux yeux des puissants.
Si j'ai toujours profité des guerres pour me déguiser en homme et combattre moins pour une patrie que par envie de trouver, enfin, la mort sur le champ de bataille et rejoindre mes fils, j'admirais Jeanne d'Arc pour s'être toujours montrée telle qu'elle était.


Je suis longtemps restée en Europe, et particulièrement en France, qui semblait être le point névralgique de toutes les discordes. Du moins, la communication n'étant pas alors ce qu'elle est aujourd'hui, il nous était difficile, pour nous, gens du peuple, de savoir ce qu'il advenait dans les régions voisines.

Femme du peuple, je pu constater que les vikings, traités en barbares, étaient finalement bien plus civilisés que les Français, ou les Anglais, ou quelque autre peuple. Chez nous, la femme était respectée pour ce qu'elle prodiguait la vie sur terre, pour ce qu'elle était la complémentarité de l'homme, qui sans elle, n'était rien... Mais dans ce monde nouveau – du moins pour moi – la femme n'était rien sinon qu'un plaisir que l'on prenait, et peu importait qu'elle soit consentante ou non. Je fus bien aise de mon passé de combattante car je pus me défaire sans trop de peine de tout homme s'approchant d'un peu trop près à mon goût. Ce n'était, hélas, pas le cas de mes comparses, et les viols étaient aussi courants que pouvait l'être la misère.

Naïve, je crus longtemps que la condition féminine serait différente dans les hautes sphères de la société...

Le siècle des Lumières, en France.
Il est une chose intéressante avec mon incapacité à mourir : j'accumule les connaissances en matière humaine et suis bien plus rusée que la moyenne.
Simple femme du peuple, je fis en sorte de m'attirer les amitiés qu'il convenait : je me fis engager dans une taverne, ma foi plutôt miteuse, mais qui s'avérait prometteuse à qui avait de l'ambition. Le patron, un homme dont la bonhomie n'avait d'égale que la générosité, s'avérait également être un homme qu'il était facile de convaincre. Rapidement, je fis en sorte que la taverne devienne incontournable, et particulièrement en organisant des dîners pour les différentes corporations de Paris. Le système était simple : nous achetions à crédit ce qu'il nous fallait de victuailles et de vins pour une soirée de ce type, et nous proposions à nos clients un menu au tarif unique, ce qui ne manquait pas de les attirer. En bonne marchande, je me faisais un point d'honneur à les contenter, néanmoins mon ambition et mon intelligence me permettaient de cerner toutes les possibilités qui s'offraient à nous : si les clients consommaient bien pour un tarif unique, il suffisait, ensuite, d'attendre qu'ils soient légèrement grisés pour leur offrir de prendre des vins qui n'étaient pas compris dans leur « menu » et bien plus coûteux. Ainsi, la somme récoltée par la consommation des menus nous permettait de rembourser les crédits, tandis que la vente des vins plus onéreux nous permettait de mettre un petit pécule de côté, tant et si bien qu'au bout de quelques mois nous étions en mesure d'acheter toutes nos marchandises sans passer par les crédits. De taverne crasseuse, l'établissement passa rapidement à auberge respectée puis haut lieu de la petite bourgeoisie. Mais mes ambitions ne s'arrêtaient pas là.
Entre temps, mon patron était devenu mon associé, chose que j'avais accepté par amitié pour lui plus que par réelle nécessité, mais, après tout, il m'avait pris sous son aile et m'avait permis de sortir de la misère en me prenant comme simple serveuse, dans sa taverne de mauvaises gens.
J'eus, je l'avoue, cette fois du mal à le convaincre de ma dernière folie : racheter un établissement, plus grand et, surtout, dans un quartier plus sophistiqué de la capitale. Toujours frileux, je parvins néanmoins à mes fins et nous nous installâmes en plein cœur de Paris, pour ma plus grande joie. Cette fois, finie la petite bourgeoisie, Le Gai Savoir devint le lieu incontournable de l'aristocratie, et je touchais presque au but. Il ne me restait plus qu'à me faire remarquer, d'une façon ou d'une autre, par un riche noblion qui me permettrait de sortir de la basse populace et de goûter, enfin, aux raffinements des hautes sphères, et d'être, enfin, traitée avec respect ce qui, j'en étais sûre, était assurément ce qu'il advenait des dames de l'aristocratie. Naïve, je vous l'ai dit.

Enfin, cela ne manqua pas d'arriver. Les philosophes, les intellectuels, et les lettrés, sans parler des précieuses – bien souvent ridicules, en effet – se pressaient en mon établissement et lors d'une soirée d'oratoires que nous avions organisé, un ami, Jean, m'introduisit auprès d'une de ses connaissances. Jean, vous le connaissez tous. Son raffinement et son esprit vif me comblaient au plus haut point et il avait envers moi une attitude qui ne laissait présager aucune muflerie, bien au contraire. Prévenant et doux, il n'était guère piquant que dans ses fameuses fables. Oui, j'ai connu Jean de la Fontaine, excusez du peu.
Il m'introduisit donc auprès d'une de ses connaissances, Jean-Baptiste, comte de Sade. Ce titre ne vous est sans doute pas étranger, mais nous y viendrons plus tard. Alors âgé de vingt-deux ans, il était un homme au charme certain, et à la beauté caractéristique de ce que la cour préconisait. Libertin affiché, il collectionnait les maîtresses comme autant de trophées. Cela ne me rebuta pas, car au siècle où nous vivions, cela était chose courante. Diplomate et militaire, sa situation était brillante et, toute roturière que j'étais, l'exotisme que mes yeux présentaient pouvait charmer jusqu'au cœur le plus dur. Néanmoins, et au risque de me répéter, je savais user de mon intelligence, bien plus que la majorité des femmes de la cour ou que celles que Jean-Baptiste avait pu rencontrer. Je le laissais me courtiser et attisais ses feux, sans jamais y céder. Lorsqu'il revenait de ses missions, quelques soient le nombre de jours qu'il avait pu passer sur les routes, quelque soit sa fatigue, son premier arrêt était toujours dans mon établissement.
Ce genre d'hommes est si aisé à manipuler... Habitués à avoir toutes les femmes qu'ils désirent, que l'une résiste, et ils n'en dorment plus.
Et ce fut le jeu que j'entrepris de jouer avec lui.

Brillant, sa carrière militaire allait bon train et la royauté lui confiait de plus en plus de missions diplomatiques, le dépêchant aux quatre coins de l'Europe. Néanmoins il était mauvais pour l'image de notre monarque d'être représenté en tous lieux par un célibataire libertin, cela ne faisait guère très respectable et le comte fut donc pressé par Sa Majesté de se marier... Quel fut donc son choix... ? Moi. Simple roturière, je possédais cependant une fortune conséquente grâce à mon commerce et, quoi que cela fit longuement jaser, le Roy ne s'opposa pas à cette union, et l'année 1730, nous fûmes mariés, et je devins lors la comtesse de Sade.
Enfin, j'avais atteint mon but, enfin, sortie de la crasse et du mépris, je pourrais avoir de nouveau une vie de famille équilibrée, baignant dans le respect et l'harmonie.
Pensais-je.
Notre mariage fut consommé dans la passion. Je ne l'aimais pas, mais il ne me déplaisait pas non plus, et le désir dévorant qu'il avait pour moi était assez plaisant et flatteur pour que je prenne du plaisir à chacune de nos unions. Cela, pourtant, ne dura pas. Car la passion n'est pas l'amour, et il n'y avait pas d'amour dans ce mariage, seulement des intérêts et un désir primitif. Bientôt, mon époux me délaissa. S'il cédait au moindre de mes caprices – du moins les appelait-il ainsi – dans le premier mois de notre hymen, il ne fit bientôt pas que délaisser ma couche, mais il me négligea bien clairement. Humiliée sans vergogne par le nombre de ses maîtresses, aussi vulgaires que garces, je tâchais de rester digne. L'idée que j'avais de la place des femmes dans l'aristocratie n'était finalement pas bien différente de celle qu'avaient les femmes du peuple. Je m'étais trompée et j'étais désormais prisonnière de mon propre stratagème, qui bientôt, se referma sur moi... Car s'il était marié, l'éthique attendait désormais quelque chose de ce mariage... : une descendance. Ce que, je l'avoue, je n'avais pas réalisé jusqu'alors. Après un mois de passion, mon ventre était resté vide, et mon époux, connu pour sa passion des choses de l'amour, s'il n'était par conséquent, pas accusé d'impuissance, devait néanmoins subir et supporter les messes basses dans son sillage concernant une infertilité, qu'elle soit de moi, ou de lui... Car ni moi, ni aucune de ses (nombreuses) maîtresses n'étaient grosses, et les moqueries et autres jaseries allaient bon train. De négligeant, mon époux devint méprisant, et ma noblesse d'âme, qui m'avait jusqu'alors poussée à lui rester loyale, non seulement dans la couche mais aussi dans l'âme, commençât à se fissurer.
Il fallait donc lutter contre ces rumeurs calomnieuses et, après plus d'un an sans venir me voir, Jean-Baptiste se décida enfin à recommencer. Avant de me rejoindre, il se donnait du courage en ingurgitant des quantités conséquentes de vin. Il m'étreignait et, tout ce que je sentais, c'était cette odeur. Il me semblait que, si nous ne pouvions avoir d'enfant, c'est qu'il remplissait mon ventre de vin, tant il en était imbibé. Je n'éprouvais plus rien pour lui sinon un dégoût qui parfois me donnait la nausée. Il me devenait pénible voire parfois impossible de repousser certaines avances d'hommes charmants. Car ma beauté n'avait pas changé, et tous s'extasiaient devant ce qu'ils appelaient « mes effluves de sauvageonne » qui semblaient percer au-travers de mes yeux.
J'étais, en effet, une femme de la cour des plus surprenantes. Je ne refusais aucun des plaisirs qu'une telle condition peut offrir et j'étais de tous les divertissements : concours de poésie, salons de lectures, salons d'oratoires, promenades, courses, jeux divers et variés, pourtant je ne m'abandonnais jamais et veillais toujours à rester respectable, respectée et digne. J'avais plus d'esprit que toutes les autres femmes, voire toutes les femmes réunies, et je mettais un point d'honneur à toutes les devancer intellectuellement, à ce titre je m'étais donc fait de nombreuses ennemies qui n'avaient pas apprécié que mon esprit domine le leur et ce, devant témoins, encore moins devant les galants.
Je possédais tout : la beauté, qui plus est une beauté atypique car mes traits n'étaient pas tout à fait conventionnels pour cette époque, l'intelligence que près de mille ans d'existence m'avaient permis d'acquérir, la richesse, ma richesse personnelle conjointe à celle de mon mari, les titres et les terres enfin. Oui, j'avais de quoi être haïe, mais je ne m'en souciais guère. Les visages fardés et mouchés des femmes qui décryptaient le mien, à la mâchoire légèrement plus carrée, aux yeux d'un vert-bleu foncé et profond et aux lèvres prononcées et charnues, ces visages ne m'étaient rien. Ils ne racontaient rien, sinon la poudre de riz, le charbon et la graisse de baleine. Le mien racontait des siècles d'existence sans que personne ne put le lire vraiment. J'étais et je suis encore, de ces beautés inviolables et inaltérables, à l'âge indéfinissable, une beauté qui inspire autant le respect que la crainte, le désir et la timidité, le feu et la glace... J'étais une beauté fascinante plutôt qu'éclatante.
Sans doute parlerait-on aujourd'hui de mon charme plus que de ma beauté car paraît-il que le charme est éternel, quand la beauté, elle, est périssable.

Qu'importe.
Après plus d'un an d'absence, mon mari revenait donc dans la chaleur de ma couche, mais cela n'eut pas le résultat escompté... Après quelques temps, je tombais finalement enceinte, au grand soulagement de mon mari qui semblait vivre une épreuve à chacune des nuits que nous passions ensemble, ce qui n'était pas pour nous faciliter la tâche, à lui comme à moi. Nous aimions sans amour le corps de l'autre, tâchant d'abréger la chose. Ce soulagement ne dura cependant pas, car la question du sexe de l'enfant devint bientôt la seule qui occupait son esprit. Il fallait un garçon, au moins un, pour assurer l'avenir des titres et de la famille, car la famille de mon époux était l'une des plus anciennes et plus puissantes de Provence. Si je lui faisais l'affront de délivrer une fille, je risquais d'avoir à faire à son mécontentement et, sans avoir peur de lui, je n'en avais aucune envie. Je savais de plus qu'un seul enfant était non-envisageable, qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille. L'angoisse mutuelle nous tenailla jusqu'à la délivrance.
Une fille. Je lui apportais une fille.
Le médecin était allé annoncer la nouvelle à Jean-Baptiste, qui ne prit pas même la peine ou le temps de venir me voir, moi ou l'enfant, qui ne s'enquit pas plus de nos états de santé, bien qu'il demandât si j'étais toujours apte à être engrossée. Je me sentis lors reléguée au rang de simple jument qu'il fallait faire se reproduire à tous prix.
J'appelais notre fille Joséphine et, en dépit de toutes mes attentes, j'étais heureuse d'avoir cette enfant. J'avais enfin quelque chose qui n'était qu'à moi, que je pouvais aimer et qui m'aimerais en retour, et j'avais une chance de donner un second souffle de vie à ma défunte Hildr.
Deux jours après sa naissance, je retrouvais Joséphine, bleue, dans son berceau. Je ne devais pas être destinée à donner la vie à des femmes...

Le chagrin me dévora comme jamais il ne l'avait fait auparavant. J'avais déjà perdu un enfant, une fille, mais lors j'avais Didrik pour me soutenir et pour m'aimer et même si à ces époques la mort infantile était très élevée de sorte que nous étions toujours plus ou moins prêtes à cette éventualité, je me sentais anéantie.
Loin de chercher à me consoler, Jean-Baptiste m'évitait soigneusement, préférant passer du temps avec ses maîtresses, qu'il n'hésitait pas à ramener chez nous, et j'entendais leurs cris de jouissance jusque dans ma chambrée, pourtant à l'autre bout de la demeure.
Mon mépris se mût peu à peu en une haine viscérale pour celui que j'avais choisi d'épouser.
Après que je me sois remise, du moins physiquement, mon mari reprit ses visites nocturnes dans ma chambre, tant et si bien que, de nouveau, je tombais enceinte. Et pour mon plus grand malheur, je donnais de nouveau naissance à une fille, qui, qui plus est, était mort-née. J'avais causé la mort de deux enfants et voilà que je donnais le jour à un cadavre. Je cru mourir de douleur.

Mais le pire était à venir, car il est toujours à venir.

Le comte vint dans ma chambre, un soir, trois mois après la délivrance du mort-née. Cela faisait trois mois que je ne l'avais vu.
Il me fixait de son regard dur. Assise dans mon lit, couverture remontée sur mes jambes, je le fixais pareillement, bien décidée à ne plus me laisser approcher par ce rat répugnant que j'avais épousé.
Il ne décrocha pas un mot, mais défit lentement sa ceinture et sa ôta sa chemise. Il s'approcha du lit. Le regard fixe et planté devant moi je ne me résignais ni à me coucher pour le laisser œuvrer, ni à le regarder car ç'aurait été lui accorder trop de crédit. Il s'assit à côté de moi et, me saisissant à la gorge, entrepris de me coucher.

_Lâchez-moi !

Les mots étaient sortis sans que je ne les contrôle et mon regard le fusillait sur place. Mais il ne semblait pas vraiment s'en soucier. Il recommença son manège et ma main tenta de dégager ma gorge. Son autre autre main s'en empara aussitôt. Je tentais de le gifler, mais là encore il me maîtrisa. Passant par-dessus moi, il s'assit sur mes jambes tendues sous les draps. Il me dominait de toute sa taille mais je n'avais pas peur. Mon sang battait trop de haine, de mépris, et de soif de sang pour que je puisse avoir peur. J'avais déjà affronté bien pire comme situation et comme homme, je ne comptais pas me laisser avoir ni par son intimidation ni par sa violence. Ses mains, dures, grosses, rassemblèrent mes deux poignets dans l'une de ses paumes, et il les maintint au-dessus de ma tête tandis que de sa main libre, il défaisait mon corsage.

_Je vous ai dit de me lâcher.

Ses yeux se posèrent sur moi. Sa main lâcha les lacets de ma chemise. Je commençais à gagner... du moins le cru-je, car cette main s'abattit sans douceur sur ma joue. Le choc fut si violent que mes oreilles en bourdonnèrent et que je fus un instant désorientée.
Je pensais avoir gagné, et je le cru encore lorsqu'il se releva, cessant de m'écraser de tout son poids. Mais j'avais tort, encore une fois.
Agrippant mes cheveux, il me sortit du lit et me jeta au sol. Je le vis lentement ramasser sa ceinture.

_Je suis votre épouse ! Comment oseriez-vous me traiter ainsi !?

Il eut une sorte de sourire énigmatique :

_Mais comme ceci, ma chère.

Et la ceinture s'abattit.

Je ne sais combien de temps il s'amusa à cela, ce que je sais en revanche, c'est que pour achever de m'humilier, de me blesser et de me traiter en animal, il ouvrit une des fenêtres de ma chambre, et, faisant reposer mon buste contre le bois, il entreprit de me prendre ainsi, permettant à tous nos sujets d'entendre mes plaintes et de voir ce que leur maître était capable de faire, même à son épouse.

Je passais trois jours alitée. Mon corps et son étonnante capacité à se régénérer était déjà cicatrisé, les barres sanguinolentes que mon cher époux avait ouvert dans mon dos, sur mon ventre, et sur mes seins, ainsi que les innombrables hématomes avaient disparu, mais je ne voulais plus me lever. Si mon corps était fort comme l'acier, il me semblait que mon esprit ne l'était plus du tout et que la mort était le seul moyen de me soulager... tout autant qu'impossible à atteindre. Je passais trois jours dans mon lit, à pleurer. Et j'aurais volontiers voulu y passer plus de temps, si mon mari n'était pas venu me chercher de lui-même.
Du temps où nous nous entendions, je lui avais brièvement parlé des étonnantes capacités de mon corps – en omettant bien entendu de préciser mes véritables origines et mon âge – et s'il avait pu en avoir un aperçu après mes deux accouchements, car j'avais cicatrisé bien plus vite que la normale, me retrouver aussi fraîche que la rosée après la correction qu'il m'avait infligé trois jours plus tôt, sembla le réjouir et presque l'émerveiller.
Ce soir-là il me contrit à rejoindre la cour de Versailles où l'on s'impatientait de me revoir. Du moins c'était ce qu'il disait. Et de toutes façons, en tant qu'épouse d'un des diplomates du Roy, je n'avais d'autres choix que de revenir à la cour.
J'y restais quelques semaines, juste assez pour découvrir que j'étais de nouveau enceinte. Je fus horrifiée : quelle sorte de monstre je pourrais porter au monde après la façon dont il avait été conçu... ?

Le pire, une nouvelle fois, était à venir, car je donnais naissance à un fils. Qui, lui, vécut. J'eus peur de cet enfant dès qu'il vit le jour car il était le résultat de la nature la plus noire de son géniteur, son souhait le plus cher et il ne pouvait pas sortir quelque chose de bon de ce fruit.
Cet enfant fut nommé Donatien Alphonse François de Sade, comte par hérédité, de Sade. Plus tard, il sera connu comme le marquis mais aujourd'hui vous le connaissez tous sous son titre : le marquis de Sade.
Je tentais tout pour l'éloigner de l'influence néfaste de son père, mais je n'étais qu'une femme et n'avais, par conséquent, aucun véritable droit sur cet enfant...
Lorsque notre fils commença à approcher de l'âge d'homme et que sa virilité commença à se manifester physiquement, Jean-Baptiste décida qu'il était temps de lui enseigner ce qu'était, être un homme.
Je pourrais sans doute vous décrire en long et en travers ce que fut cette éducation, mais je pense que vous le comprendrez aisément. Mon époux était un homme profondément sadique, et tout ce que mon fils fit, par la suite, et relata dans ses épouvantables ouvrages, fut plus ou moins testé sur moi. L'un comme l'autre avaient bien cerné les avantages qu'offrait mon incroyable capacité à cicatriser de tout sévisse. Jamais je ne fus plus honteuse que durant ces trois années. Entre les viols, les passages à tabac et les humiliations, ma vie était des plus misérables. Sans doute si je n'avais pas été si fière les choses auraient-elles été plus... douces ; mais je m'évertuais à me murer dans une dignité que je puisais dans mon passé, ce qui encourageait mes bourreaux, époux et fils, à continuer, aller toujours plus loin pour me briser.
Ils n'y parvinrent jamais.

Jugez-moi si vous le voulez mais, lorsque mon mari entreprit de me répudier sous prétexte que je ne pouvais lui prodiguer d'autres enfants, je ne cherchais pas à récupérer mon fils. Je n'avais jamais voulu de cet enfant et savais par ailleurs qu'il m'avait déjà échappé...

Je me retirais en province où je pus vivre plus que décemment grâce à ma fortune accumulée par mon passé de tenancière. Je suivais de loin les affaires concernant mon ancien époux et son fils – car il ne pouvait plus être le mien et le divorce, la répudiation, m'avait, de toutes façons, privée de tous droits à son encontre.
Cet enfant fut emprisonné presque toute sa vie. Et je n'en blâmerais personne, sinon moi-même. J'aurais dû tuer son géniteur plutôt que de porter pareille vie sur terre. Les mains de mon enfant, couvertes de sang, avaient souillé les miennes. Jamais je ne me le pardonnerais. Peut-être, si j'avais su aimer cet enfant, les choses n'auraient-elles pas été ainsi.
Il finit ses jours en maison d'internement. Le jour de son enterrement fut la dernière fois que je le vis, et la première depuis ma répudiation, soit plus de soixante ans.

Durant toutes ces années j'avais coulé une vie confortable et, achetant des actions de la Compagnie des Indes, je m'étais constituée une certaine fortune. Entourée de serviteurs de confiance, en nombre très réduit, j'envisageais ma disparition. En effet, si la vie en tant que femme du peuple était difficile, elle présentait aussi l'avantage de ne pas avoir à manigancer une fausse mort. Deux semaines après avoir vendu mes titres et après avoir caché l'argent, nous subtilisâmes le corps d'une femme me ressemblant vaguement, et nous le jetâmes du haut de la falaise proche de ma propriété. Après ça, emportant ce qu'il restait de ma fortune, sonnante et trébuchante, je disparus.

Grâce à cette fortune, je pus racheter des actions, sous un autre nom, et je prospérais de la sorte.


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La Révolution, la Terreur, l'Empire... des périodes sombres pour l'Histoire de France.
Et pourtant, ma capacité à m'adapter au monde des hommes, me permis l'incroyable : j'entrais à l'université.
Loin des conquêtes aussi indécentes que folles, je construisais, petit à petit, mon éducation.
Depuis la Révolution et les débuts de la République Française, les armées de France avait toujours été victorieuse, pour le plus grand plaisir du peuple qui y voyait, à juste titre, une certaine puissance et donc légitimité de la République. Néanmoins les guerres et les batailles menées en son nom, n'était que des batailles internes, et l'on pouvait légitimement s'interroger sur ses capacités à tenir face à une autre armée, car, après tout, l'armée française était à l'image du pays même : un peu perdue, étourdie par les changements qui l'ébranlaient. Si la République était le corps du peuple, l'armée en était le bras, encore secoué par les tremblements irradiant de la base.
Mais loin de ces préoccupations, je m'inquiétais plutôt, comme je vous le disais, de mon éducation car mon expérience à la cour m'avait démontré qu'un esprit affûté pouvait bien plus souvent sauver des vies qu'une arme, et si je savais me battre depuis des siècles, les progrès scientifiques, intellectuels et philosophiques m'étaient restés plus ou moins inconnus jusqu'à présent, ce que je voulais combler au plus vite afin de mettre toutes les chances de mon côté. J'avais aussi et surtout compris que, le domaine des armes étant réservé aux hommes, j'avais tout intérêt à faire montre d'indéniables intelligence et culture pour me maintenir à flot.

Grimée sous l'apparence d'un jeune homme, je m'inscrivis donc à l'université. J'y suivis tous les cours que je pus, y appris l'art de la philosophie, la méthode des sciences et l'art de la dissertation qui me permis de découvrir une nouvelle façon de me battre : avec les mots.

Pendant longtemps, et encore aujourd'hui, et ce à bien des égards, Napoléon Bonaparte fut critiqué en France, mais je crois que ce fut surtout le cas car il a oeuvré contre la République et le peuple français, en établissant l'Empire. Si le peuple français devait par ailleurs être rapidement défini, ce serait sans doute sur cette susceptibilité vis-à-vis de la République. Et pourtant, sous le Consulat, puis sous l'Empire, Bonaparte mit en place des structures et des institutions aujourd'hui encore utilisées et qui sont même devenues des symboles de ladite République.
Le 1er mai 1802, il crée définitivement, si l'on puis dire, le système que nous connaissons aujourd'hui : école primaire, écoles dites secondaires et enfin lycées ou écoles spéciales. L'Etat prenait en charge ces deux derniers, promouvant, de ce fait, une éducation élevée. Toutefois, il faut convenir que tout le monde ne pouvait guère s'offrir ces études, puisque quelles que soient le niveau d'étude, leur accès était payant.
Il faut que vous sachiez qu'en dépit de l'interdiction des femmes d'accéder à la très grande majorité de ces écoles, je n'étais pas la seule à me déguiser en homme pour m'y rendre, loin de là. Lorsque j'entrais au lycée de Paris, nous étions cinq. Est-ce que nos camarades étaient à ce point persuadés qu'aucune femme ne braverait jamais l'interdit pour ne pas voir notre vraie nature, ou est-ce qu'ils préféraient feindre l'ignorance... ? J'ai cessé de chercher la réponse à ces questions depuis bien longtemps maintenant, car que la réponse soit l'une ou l'autre, le résultat était le même, et c'est ce qui m'importait : nous étions traitées en égales, puisque nous apparaissions comme tel.
Alors connue sous le nom d’Édith, je liais rapidement amitié avec les quatre autres femmes qui partageaient ma condition. Nous formions un groupe soudé. Il y avait Marie, fille d'un riche commerçant prospérant dans le tabac, Solange, originaire de province, Élisabeth, fille d'aristocrates – elle était par ailleurs très agaçante, du moins le plus souvent – enfin, il y avait ma très Aglaé.
Aglaé était une jeune femme mystérieuse et je ne sus jamais vraiment d'où elle venait, ni même ce qu'elle venait chercher dans ces études ; mais ce que je voyais d'elle et ce qu'elle me laissait sentir d'elle me persuadait que nous étions en quête de quelque chose, d'un quelque chose qui saurait nous libérer de notre condition qui, pourtant, n'était pas à plaindre.
En effet, si je ne disposais d'aucun moyen de justifier de mon identité, il m'avait pourtant été facile d'acheter, en quelque sorte, cette identité. Car de tous temps, quelque soit votre nationalité, quelque soit votre sexe ou même votre tête, il est aisé de se constituer une histoire et une origine, du moment qu'on y met le prix. J'étais donc, aux yeux du monde, Édith Du Noyer – un nom ridicule mais qui sonnait bien français, et c'est ce qu'il m'importait – fille de riches propriétaires terriens et heureux actionnaires de différentes entreprises.
Enfin, j'étais riche, j'étais belle et ma connaissance ancestrale de la condition humaine faisait de moi un esprit vif et éveillé qui se plaisait plus que tout dans ce lycée.
Néanmoins, je le quittais avant la fin du cursus. Non pas par souci d'argent, ou par ennui, mais parce que je ne désirais pas passer ma vie déguisée en homme et que je ne pourrais jamais faire reconnaître ce diplôme en tant que femme. J'y avais trouvé ce que je désirais, et cela me suffisait. Aglaé fit le même choix que moi, sans même que nous nous concertions. Étonnant hasard, n'est-ce pas ?
Aglaé parlait peu, mais chacune de ses sorties était pertinente, intelligente et juste, quand elle n'était pas hilarante. Cette jeune femme possédait en effet un esprit si vif et si acéré qu'elle n'avait pas son pareil en matière de répartie et, qu'elle soit sous ses atours de femme ou ceux, factices, d'homme, elle ne se privait jamais de remettre à sa place un interlocuteur, quel qu'il soit. J'en venais presque à attendre ces sorties, me délectant à l'avance de la pique qu'elle saurait lancer. Je ne m'y trompais jamais et, à chaque fois, je devais me contenir à grands renforts de profondes inspirations pour ne pas perdre toute contenance car, homme ou femme, du moment que vous apparteniez à la haute société, un comportement quasi protocolaire était attendu de vous.
Ce protocole ne me dérangeait pas outre mesure, pas plus que ma présence presque obligatoire aux salons, aux réceptions, aux dîners mondains. Mon passé en tant que femme de la cour m'avait, à ce titre, beaucoup servi, plus que je ne l'aurais jamais imaginé.

« Modifié: samedi 05 juillet 2014, 22:29:07 par Law »

Astrid

Créature

Re : Au travers des âges [Law]

Réponse 1 samedi 05 juillet 2014, 13:21:35

Néanmoins, après mon escapade d'étudiant(e), il fallut bien que je rejoigne les rangs : je devais me marier.
Encore.
Il me semblait que la vie d'une femme se résumait ainsi, en de perpétuelles alliances, très rarement souhaitées, hélas. Qu'elle soit de bonne ou « mauvaise » condition, la femme n'avait, en effet, pas vraiment le choix : elle devait se marier, se faire une « situation », comme l'on disait alors, même si cette situation était bien souvent plutôt celle de l'époux que de la femme.
Mes leçons passées m'avaient servies, en particulier mon expérience avec feu le comte de Sade, et si je n'avais d'autres choix, pour rester à flots et vivre convenablement, que de me marier, j'avais la ferme intention de choisir consciencieusement mon futur.
J'étais une jolie jeune femme, à l'esprit affûté et, s'il était moins prompt que celui d'Aglaé en ce qui concernait les piques acerbes et ingénieuses, je ne déméritais pas pour autant. Ensemble, et sans même se concerter, ce qui, finalement, devenait coutumier entre nous, nous décidâmes de chercher l'amant et l'aimé idéal, tant pour nous même que pour l'autre : je cherchais mon mari idéal, tout autant que je cherchais celui d'Aglaé, qui en faisait autant pour moi. Cela se traduisait parfois par des situations plus que cocasses car, lorsque je badinais avec un jeune homme à mon goût et à qui j'apparaissais être de même, il arrivait qu'elle s'introduise dans la conversation et, décontenançant ce monsieur en quelques répliques bien senties, il m'était par la suite impossible de le considérer sérieusement tant je ne voyais plus qu'en lui le petit être sans un sou d'esprit ou du moins d'éloquence.
A dire vrai, enivrée par les leçons que j'avais suivies au lycée, je rêvais d'un amant qui sache me déclarer son amour avec la même verve sublime qu'un Cyrano de Bergerac.
J'avais en effet découvert la pièce d'Edmond Rostand sur le tard mais ne pouvais plus me passer de ses mots, à tel point que je relisais l'oeuvre au moins une fois par semaine, récitant bien souvent les vers plus que je ne les lisais. Je détestais la préciosité ridicule de Roxane, cette préciosité qui lui avait fait perdre le seul véritable amour de sa vie, qui avait entièrement gâché sa vie : elle lui avait donné l'illusion d'un bonheur parfait dont la perte brutale n'était apaisée que par un deuil religieux digne des plus grandes héroïnes tragiques raciniennes, alors que, tout ce temps, la seule vérité résidait en son cousin. L'aveuglement de cette coquette m'agaçait prodigieusement, car si je me pliais – parfois avec plaisir, je le confesse – aux différentes exigences de la mode et de ses coquetteries, je méprisais volontiers celles et ceux qui y accordaient trop d'importance. La beauté d'un visage ou d'un corsage, n'était rien, pour moi, comparée à la piété, à l'honnêteté et surtout au courage. Et dieux, qu'il était difficile de trouver alors un homme de cette envergure, qui ne soit pas militaire et trop austère...
Il y eut pourtant un homme pour faire chavirer mon cœur, alors même que je pensais cela impossible. Si je cherchais cet homme idéal, portant, comme Cyrano porterait son feutre, l'élégance, la prestance, l'éloquence, la dignité, la bravoure, l'honnêteté et l'indépendance – je le conçois, cela fait beaucoup pour un seul homme – enfin, si je cherchais cet homme parfait, c'était plus par confort que par idéal de l'amour. Je n'avais, depuis Didrick, plus jamais aimé et je crois que je m'y refusais. La chute de mon monde initial m'avait forcé à constater de la réalité du monde nouveau qui s'offrait à moi et, dans ce nouveau monde, je ne voyais aucun homme qui puisse être digne de mes valeurs, et donc encore moins de moi. Je m'étais par conséquent fait à l'idée de ne trouver que des compagnons, pouvant être des amis, mais jamais un amant au sens sentimental du terme, un amant aimé, si vous préférez.
Pourtant, je rencontrais un homme. De ceux que l'on ne rencontre qu'une fois. Il ne me parlait pas d'amour, il en dissertait, et ce avec une telle aisance et une telle intelligence, une telle justesse et une telle beauté, qu'il m'était tout simplement impossible de lui résister. D'abord charmée, j'en vins très vite à l'aimer, et ce, de toute mon âme. Jamais je n'avais connu un homme capable de parler autant de l'amour et surtout, de les penser dans le même temps. Car à la cour, certes nous parlions d'amour, mais il s'agissait bien plus d'un jeu libertin – liberticide pour certains – que d'un amour sincère, vrai, touchant.
Cet homme, mon Cyrano à moi, combinait beauté de l'être et beauté d'âme et nous étions sincèrement épris l'un de l'autre. Mon Gontrand. Oui, je conçois que ce prénom, aujourd'hui, ne soit guère attrayant, surtout pas à l'époque où les prénoms monosyllabiques ou à consonances anglophones sont si en vogue. Oui, je conçois qu'entre Steven et Gontrand, il y ait un monde. Mais je n'aimais pas un prénom, j'aimais un être de chair et de sang, qui avait pour moi bien plus de corps et de beauté que n'importe qui sur cette terre. Plus que Didrick ? Il ne s'agit pas de comparer. Ce n'était pas la même époque, ni le même endroit, et surtout, je n'étais plus la même femme.
Si mes convictions et mes valeurs n'avaient que peu changé, pour ne pas dire pas du tout, celle que j'avais été avait complètement cessé d'être, et il ne restait de cette pâle et lointaine Eduarda que de pâles et lointains souvenirs.

Je me mariais donc avec Gontrand, et je connu un bonheur sans faille. Un tel bonheur que, bientôt, j'annonçais la nouvelle, celle qui enorgueillit l'homme et anoblit la femme : un enfant.
Je crois que je n'avais pas été si fière, de toutes mes grossesses, depuis celles engendrées par mon Jarl. Pour Didrick, la fierté que je ressentais était plus celle de donner à l'homme de notre clan une légitimité supplémentaire, d'asseoir sa puissance, quand bien même le Jarl n'était pas nécessairement un titre héréditaire. Mais je faisais la fierté de mon homme, et j'étais fière de ça. J'aimais sincèrement mon époux, mais le fait est que nos rapports étaient davantage fondés sur nos passions communes pour l'honneur, le clan et la guerre, que pour une passion dévorante entre nous... Tandis qu'avec Gontrand... Cette fois je vivais l'Amour. Celui dont parlent les poètes, souffrent les plus rêveurs d'entre eux, courent les jeunes et les cœurs tendres, je vivais la passion sincère et profonde et cette fois, mon ventre s'arrondissait de cet amour et le concrétisait. Cet enfant à naître n'était plus un dû à la société ou à mon mari, il n'était plus une étape de plus dans la vie de couple dictée par un code social, non, cet enfant était notre enfant, la chair de nos chairs, le sang de nos sangs, il était notre naissance en tant que couple.
Nos amis s'extasiaient du bonheur qui irradiait de notre union, et Aglaé, seule dont je sois restée proche, se réjouissait de même pour moi.

Mariée un an avant moi, elle avait eu, peu de temps après, une ravissante enfant, répondant au prénom de Suzanne, mais tout le monde l'appelait déjà Suzon. Âgée de seulement quelques mois, l'enfant s'avérait pourtant d'une remarquable intelligence, ses yeux en pétillant. Je n'en étais pas vraiment étonnée, connaissant sa mère et son passé. Son mari était par ailleurs ce que j'aurais autrefois volontiers appelé un gentilhomme, doux, prévenant, tendre et merveilleux de gentillesse, sans oublié d'être drôle – et fortunué. Je ne sais pas si Aglaé l'aimait vraiment, et ce n'était pas le genre de conversations que nous nous permettions d'avoir au demeurant, mais je lisais dans ses yeux qu'elle lui portait tout de même une profonde affection et une douce tendresse. Ils formaient à leur manière un très joli couple, qui inspirait le calme, la douceur et la sérénité.
Moi qui n'avait porté que des fils, du moins était-ce le seul sexe auquel mon ventre semblait accorder vigueur, j'enviais mon amie et sa si jolie enfant, et je me prenais fréquemment à caresser pensivement mon ventre, invoquant parfois Frigg pour qu'elle m'accorde enfin la petite princesse qu'elle m'avait refusé si longtemps.

Mai, en pleine nuit, je suis éveillée par des douleurs insupportables.
Mais une Shield Maiden ne crie pas.
Réveillant mon Gontrand avec la douceur dont j'étais capable malgré ces conditions, je lui lâchais, entre deux serrements de dents, d'aller quérir le médecin le plus vite possible : notre enfant se manifestait.

Le travail dura plus de dix heures. J'étais épuisée, tout comme le médecin et les accoucheuses l'assistant. Je souffrais le martyr, mais la consécration de notre amour ne souffrait aucun renoncement. A chaque contraction, saisissant mes genoux, j'accompagnais la poussée de l'enfant. Entre mes lèvres desséchées et perlées de sueur, je psalmodiais des prières à Frigg, dans ma langue originelle. Le médecin et les accoucheuses pensaient que je délirais, car ma langue leur était parfaitement inconnue. Le temps s'étirant et comme je n'articulais que des paroles incompréhensibles, le médecin finit par quitter la chambre un court instant. Je tremblais car je savais ce qu'il était allé trouver là bas : mon cher mari, et lui demander, qui, de moi ou l'enfant, il préférerait sauver. Plus déterminée que jamais, et alors qu'il était encore dehors, je poussais plus fort que je ne l'avais fait jusqu'alors, et comme je ne m'en pensais pas capable. Mais je ne pouvais décemment pas laisser mon époux prendre la vie de l'un ou de l'autre de ses amours, il me fallait nous mener à terme, tous, sains et saufs.
Alors que j'arrivais à la fin de cet effort, désespérant presque de pouvoir donner la vie, l'accoucheuse s'écria

_Docteur, docteur ! La tête!

Mon cœur battait la chamade et assourdissait mes oreilles, je n'entendis pas les consignes de la jeune femme dont le visage épuisé et suant était éclairé par une joie et un espoir incroyables. Je poussais, encore, puisant dans ce que je pouvais posséder de réserves, luttant, en parfaite Shield Maiden, contre fatigue et peine, car je devais vaincre pour laisser vivre mon enfant.

Enfin, enfin, ils sortirent mon enfant !

Mais nul cri ne retentit.

Et alors que j'allais demandé ce qu'il se passait, une nouvelle douleur fulgurante me traversa : une nouvelle contraction...

_Madame... il y en a un autre! me souffla l'accoucheuse, à bout de force.

Mais je ne voyais pas mon bébé. Hurlant, à la fois pour réclamer mon enfant, comme pour conserver la force de donner la vie, je cherchais des yeux ce petit qu'on cherchait à me cacher. Je vis un bras bleui, presque violet, s'échapper d'un bout de drap. Le petit bras, si petit, ne bougeait pas du tout. Les tout petits doigts, au bout, étaient tout à fait inertes. Aucun souffle de vie ne semblait animer sa poitrine...
Les larmes affluèrent dans mes yeux. Malgré les manifestations de mon corps, je me pris brusquement à refuser de pousser cet autre enfant hors de moi. Je ne pouvais pas supporter de laisser un autre petit corps bleu sortir du mien. Et alors que je semblais bloquer mon bassin, un cri. Le cri d'un nourrisson. Mon enfant, en vie, la tête hors de mon corps, s'époumonait et réclamait de sortir complètement.
Aussitôt, je me redressais, et, du mieux que je pus, poussais de nouveau. Poussais, poussais, poussais. Mains tendues vers mon petit, on me permit – chose exceptionnelle – de le saisir encore tout chaud de mon propre corps.
Un garçon. Encore un garçon. Les yeux clos, il eut pourtant le réflexe de se saisir d'une de mes mèches de cheveux. Les larmes me vinrent aux yeux. Mon fils, mon tout petit, ma merveille...

Lorsque l'accoucheuse me le reprit pour lui faire toilette, je demandais à voir l'autre enfant. On me le refusa mais, lorsque je menaçais de me lever afin d'aller voir ce petit ballotin laissé comme un malpropre dans un coin de ma chambre, le médecin se résigna.
Hésitant, il s'approcha avec le petit paquet dans les bras et le déposa sur mon ventre souillé.
Les mains tremblantes, j'écartais les replis du drap dans lequel on l'avait enveloppé. Le tout petit corps d'une petite fille, tout froid, s'y trouvait. Bleue des pieds à la tête, elle semblait dormir. Une main hésitante vint lui caresser le mince duvet qui lui recouvrait le crâne, un duvet que l'on devinait blond.
Ma petite fille... J'aurais pu mettre au monde les deux sexes, réaliser mon rêve tout en prodiguant descendance légitime à mon époux... Mais je n'avais plus qu'un fils. Un fils que j'aimais et que je chérissais déjà plus que tout, mais j'étais néanmoins injustement privée de ma fille, de cette petite princesse.
Doucement, mes larmes ruisselant sur mes joues, je passais mes mains sous son petit corps que je vins serrer contre ma poitrine.
Respectueusement, le docteur, les accoucheuses et les domestiques se retirèrent, emportant mon fils avec eux pour le présenter à son père, tandis que je disais au revoir à ma fille.

La berçant tout doucement contre moi, je sentais son corps froid sur ma peau. Je tirais la couverture sur moi pour la garder au chaud et entamais en chuchotant une petite berceuse de ma première vie. Elle racontait l'histoire d'une Valkyrie tombée amoureuse d'un humain et qui, étant dans l'incapacité de se donner à lui, le fit mourir afin de le retrouver dans leValhalla. Néanmoins, Odin, mécontent de ce stratagème, refusa l'accès au jeune et beau guerrier, qui fut donc condamné à l'errance éternelle en raison d'un trop grand égoïsme de la Valkyrie.

Pleurant doucement sur le corps de mon enfant, je fermais les yeux, la serrais contre moi, continuais de la bercer.


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Octobre 1914.
Je tentais de m'introduire dans l'armée. Néanmoins, femme, et entourée de quelques sages conseils, je finis par abandonner l'idée : on ne pouvait pas se faire éternellement passer pour un homme dans cette guerre ; un jour ou l'autre, la vérité finirait par éclater.
Je décidais donc de rester en retrait, et de m'appliquer à sauver le pays français en œuvrant dans les usines. Mais ce travail ne me satisfaisait pas. Debout, à accomplir la même tâche, encore et encore, j'avais l'impression de dépérir sur place. Le salaire était misérable, mais le gouvernement comptait davantage sur le dévouement du peuple qu'autre chose.
Cependant, rapidement, il apparut que la guerre ne se terminerait pas aussi rapidement que nous l'avions envisagé et, pire encore, les blessés commençaient à affluer. Une opportunité s'offrait ainsi à moi : devenir infirmière. L’afflux des blessés était tel, et les infrastructures inadaptées, que les volontaires étaient accueillies les bras ouverts et formées sur le tas. Néanmoins, il fallait reconnaître que, formées ou non, les infirmières étaient bien souvent complètement désemparées, comme tout le reste de l'équipe médicale, face aux blessures des soldats qui étaient des blessures jusqu'alors jamais vues.
L'artillerie allemande et son efficacité avaient en effet été sous-estimées par nos pairs et les obus teutons faisaient des ravages effroyables. J'étais terrifiée par les blessures de la majorité de nos hommes : ici, une mâchoire arrachée, la langue raccrochée au fond d'un reste de gorge, mais ne reposant sur rien d'autre, la bave se mêlant au sang et gouttant à grosses gouttes, et cet homme qui refusait de mourir et se condamnait à une vie de souffrances éternelles.
On ne comptait plus les amputations, c'était même rapidement devenue la procédure classique. Aujourd'hui nous aurions sans doute été en mesure de sauver la plupart de ces membres, mais à l'époque le nombre des blessés et l'urgence étaient tels que nous n'avions pas vraiment le choix.
Je me souviendrais sans doute toute ma vie de ces soldats qui nous imploraient de ne pas leur prendre leur jambe, ou leur bras, nous suppliaient de les tuer plutôt que de leur prendre leur membre... Mais cela ne dura guère longtemps car bientôt le front s'immobilisa et l'idée qu'un membre en moins vous protégeait du front à jamais fit son chemin dans l'esprit des soldats. Ils en venaient presque à nous supplier de leur ôter un membre, plutôt que de les soigner, de les guérir, et de les condamner, par l'exercice même de notre métier, à retourner sur le front.
Et les premières mutilations apparurent.
Dans un premier temps, ces mutilations apparurent comme des blessures, certes stupides, mais néanmoins involontaires, de guerre. Cependant, le nombre croissant et presque alarmant des blessés à la main attira bien vite l'attention : pour ne plus pouvoir tirer, et donc être inaptes au combat, les soldats n'hésitaient pas à sortir une main de la tranchée, une cigarette allumée à son bout : en pleine nuit, le faisceau rouge de la cigarette brillait comme un phare et le tir ennemi ne manquait jamais son coup. Cette habitude devint telle que je finissais par me demander si cet ennemi était réellement un ennemi, et pas plutôt un allié providentiel pour nos soldats dans leurs tentatives – voire réussites – d'auto mutilations.
Rapidement, l'Etat-Major, prenant conscience de la gravité de ces défections, réagit, et ce de la seule manière qu'il connaissait et semble encore connaître : la sanction. Alors que le pays entier s'était soulevé contre le Boche, contre le nouvel ennemi héréditaire des français, alors que toute la nation, comme animée d'un seul souhait, s'était ébranlée pour aller secourir l'Alsace et la Lorraine, on ressentait déjà, après quelques mois seulement de conflit, la lassitude et la résignation en ce peuple. Le gouvernement ou l'Etat-Major refusait de laisser passer le moindre comportement défaitiste par peur qu'il contamine par gangrène tout un régiment, puis tout le front et tout l'arrière, où de nombreux réservistes attendaient encore, des jeunes finissaient d'être formés aux rudiments (de plus en plus rudimentaires au fil des mois) du combat, et surtout les inaptes aux armes, travaillaient d'arrache-pied pour maintenir la cadence de cette guerre qui s'annonçait déjà comme une véritable industrie meurtrière.
Vous n'avez pas idée à quel point l'homme peut s'avérer inventif et créatif en matière de tuerie. Sincèrement, depuis la Révolution Industrielle, je n'avais plus revu une telle frénésie, un tel engouement et de telles prouesses techniques. Si les français s'imposèrent comme la meilleure aviation et artillerie volante existant alors, les allemands, eux travaillaient sur des armes dont l'efficacité n'avait d'égale que la terreur qu'elle inspirait à nos soldats, le plus terrible étant bien sûr les différents gaz testés et utilisés. Dès qu'une alerte au gaz était lancé, et où que vous soyez, s'il y avait d'aventure un soldat blessé ou en permission dans les parages, vous pouviez être sûrs que sa panique serait des plus effroyables. Certains de nos patients, lorsqu'une de ces terribles alarmes hurlaient, se roulaient par terre, rampaient entre les lits de fer, se glissaient sous leur matelas, certains, dont l'équilibre psychique avait été clairement atteint, se voyaient mourir, ils suffoquaient, ils suffoquaient réellement, devenaient bleus, leurs veines se gonflaient, leurs yeux semblaient prêts à éclater, ils convulsaient dans tous les sens, et certains en venaient même à mourir, comme si leur cœur ne pouvait supporter pareille frayeur.
Nous étions parfaitement impuissants mais les médecins perçurent alors qu'il y avait un nouveau champ d'investigation qui s'offrait à eux et qu'il ne fallait surtout pas négliger : le pouvoir de l'esprit sur le corps. Plusieurs années après que Freud ait démontré la somatisation, l'expression de l'esprit dans le corps, les médecins semblaient enfin le croire. Après tout, quoi de plus normal ? Les médecins sont des cartésiens s'il en est, il leur faut voir pour croire, et cette fois, il n'y avait plus de doutes à avoir.
Je me souviens de ce soldat, âgé de 26ans qui nous fut envoyé, afin qu'un avis médical soit donné. Ses supérieurs jugeaient qu'il jouait la comédie, et il risquait la guillotine pour cela : dès qu'il voyait l'uniforme ou une partie de l'uniforme (un képi, un brassard, que sais-je), il se mettait à convulser de frayeur, se cachait les mains et reculait en criant de grands « hon hon hon » comme un enfant en très bas âge face à quelque chose qui le terrifie. Pour ses supérieurs lointains, mis au fait par les rapports de ses supérieurs directs, vivant avec lui l'horreur des tranchées, il n'était pas question de traumatisme – et c'est d'ailleurs à peine si le mot existait à l'époque – mais bien d'une tentative d'échapper à son devoir en feignant la folie, ce qui était aussi répréhensible que lâche et ne méritait guère que la mise à mort, pour l'exemple. Il n'avait dû sa survie qu'à l'un de ses supérieurs directs, obstiné et surtout apprécié dans les hautes sphères : puisqu'il feignait l'aliéné, il suffisait de le conduire devant des spécialistes, qui sauraient définir s'il y avait comédie ou non ; il acheva de les convaincre en soulignant le fait qu'en faisant appel à des médecins et des spécialistes du domaine, la tromperie et la lâcheté de ce soldat ne seraient que plus évidentes et éclatantes, ce qui serait, de fait, une aubaine inestimable pour la propagande.
Mais ce soldat ne jouait pas au fou. La guerre l'avait rendu fou. L'éclatement perpétuel d'obus au-dessus de sa tête lui avait fait perdre près de 50% de son audition, tandis que les éboulements à répétition des tranchées, mal consolidées, et soufflées par les explosions, lui avaient laissé de violentes crises de spasmophilie durant lesquelles il fallait le maintenir attaché afin qu'il ne se blesse pas, qu'il ne casse rien et qu'il ne frappe personne.
Cet homme et sa détresse me touchèrent profondément. Sa jeune et belle épouse faisait ce qu'elle pouvait pour le soutenir, et surtout continuer de l'aimer comme s'il ne s'était rien passé. Mère de trois enfants relativement jeunes – le plus vieux n'avait pas six ans – elle ne retrouvait plus en lui l'homme qu'elle avait aimé, mais plutôt un homme-enfant qui ne semblait plus capable de rien. Il lui prenait en effet d'avoir peur de la moindre chose, il était parfois incapable de se servir de son couteau, terrifié par son tranchant. Puis, il refusait de sortir de la toilette, persuadé qu'un allemand était embusqué quelque part... Il fallait de fait gérer ces angoisses au quotidien, aussi bien que les crises violentes que manifestait son corps sous l'impulsion de son âme meurtrie. Sa jeune et tendre épouse ne pouvait supporter d'avoir ainsi un époux à materner comme s'il eut été un enfant. Et je la comprenais car elle avait épousé un homme, sur lequel elle pouvait se reposer, sur lequel elle pouvait compter, auprès duquel elle se sentait en sécurité, mais la figure malingre et les yeux fous et inquiets qui la toisaient n'étaient en rien ce qu'elle avait épousé.
Vous trouverez sans doute cela terrible mais, les temps étaient tels alors, que parfois les épouses auraient souhaité être veuves plutôt que récupérer leur fiancé, amoureux, mari, frère, ou autre homme de leur famille, dans cet état. Cela fut du moins le cas les premiers temps. Les hommes tombent à la guerre, tout le monde s'était fait à cette idée. Moins à ce que ce ne soient pas les bons qui partent. J'entends par là ces hommes traumatisés, que certaines femmes auraient préféré enterrer. Néanmoins, ces idées ne durèrent pas. Les premiers morts furent pleurés, et furent terribles pour leurs proches, pourtant, la nation supportait ces pertes. Mais bientôt ce ne furent plus quelques hommes qui tombèrent, mais des centaines, des milliers, des centaines de milliers. En quelques mois, à certains endroits, les bataillons entiers étaient décimés. Rapidement, des noms furent bannis du vocabulaire courant. On ne parlait plus de la Somme, de la Marne ou du Chemin des Dames, comme si ces noms pouvaient apporter le malheur sur le fils, l'époux, le frère, le cousin, encore debout.

Je me rendais rapidement compte que mon statut d'infirmière me donnait de nombreux avantages. Outre la satisfaction que nous pouvions trouver à soigner et rendre heureux, comme nous le pouvions, nos pensionnaires, outre l'admiration de tous envers nous et la reconnaissance des familles, nous étions surtout les mieux informées, après l'Etat-Major, sans doute, de ce qu'il se passait véritablement, au front.
J'avais commencé à travailler dans les hôpitaux militaires fin décembre 1914, et dès le mois de février, alors que le nombre de morts étaient accablant – quoi qu'il fut pire par la suite – nous reçûmes l'ordre de ne pas discuter avec les soldats. La raison invoquée était que les malades pouvaient délirer et que ce délire, si nous l'écoutions avec trop d'attention, finirait par nous gagner. La plupart d'entre nous, au début, crût ce conte innocent. Quelle raison pouvait bien avoir le gouvernement, notre Poincaré ou l'Etat-Major de nous mentir ? Aucune apparente.
C'est lorsque nous vîmes nos premières gueules cassées – du moins est-ce ainsi que ces soldats finirent par se surnommer eux-mêmes – et les premiers très graves blessés que nous commençâmes à nous poser des questions. Cette guerre n'était, de toute évidence, pas comme les autres. Les premiers gazés furent les pires. Les médecins refusaient d'écouter les « délires » des soldats et ne réagirent pas lorsque la plupart d'entre eux parlèrent des étranges nuages, des « sauterelles dans la gorge » (dans les meilleurs des cas). La France réagit terriblement lentement face à ces nouvelles armes, n'ayant d'ailleurs pas nécessairement imaginé que l'on put tuer ainsi.
Ces blessés furent les pires car s'ils arrivaient à nous encore en vie, ce qui était rare, il nous était impossible de déterminer ce qui les affectait. Certains avaient les yeux ensanglantés, comme s'ils pleuraient du sang ou que leurs globes oculaires avaient explosé. D'autres semblaient se consumer de l'intérieur, leur gorge les brûlant douloureusement, aussi sûrement que si l'on avait allumé un grand brasier dans leur gosier. Il y avait aussi, plus rares, ceux qui étaient en proie à de violentes hallucinations et qui voyaient des monstres partout, si bien qu'ils devenaient extrêmement dangereux. Il y avait encore ceux qui nous arrivaient couverts de brûlures sous forme de cloques purulentes et pour qui la douleur était telle qu'ils passaient leur(s) journée(s) (quand ils vivaient plus de quelques heures...) entre les hurlements et les évanouissements, leur esprit lâchant sous la peine. Nous redoutions plus que tout de voir ces blessés car, dans les premiers temps, nous étions incapables de les soigner, et nous ne pouvions leur administrer de morphine. Savez-vous ce que c'est, que de ne pas pouvoir soigner un homme, et en plus de ne pas pouvoir lui offrir une mort un tant soit peu paisible car il faut rationner les antidouleurs... ?
Lorsqu'un convoi de blessés nous arrivait, une infirmière et parfois un aide-soignant passait dans les rangs, les auscultait brièvement avant de décréter lesquels nous étions en mesure de soigner et ceux que nous ne pouvions que regarder souffrir et mourir lentement.

Plus d'une fois, avec mes collègues, nous sommes passées au chevet d'un mourant et avons abrégé ses souffrances.
Vous n'imaginez pas ce que cela peut être.
Je me souviens de ce petit jeune... Un petit Jean, à peine 18ans, il avait menti sur son âge, c'était chose courante, davantage encore vers la fin de la guerre. Il avait été amputé des deux jambes et d'une main. La nuit, il était réveillé par des douleurs terribles dans ses « membres fantômes ». Nous l'avions crû sauvé avant de constater qu'il se faisait ronger par la gangrène. Nous ne pouvions plus rien faire. Son cas aurait demandé, hélas, trop de temps à nos médecins, des équipements qui nous manquaient, et son infection s'étendait trop rapidement, et partout, tant et si bien que nous étions impuissants.
La fièvre le dévorait lentement, mais avait au moins le mérite de calmer ses douleurs nocturnes. Un soir, alors que je venais changer ses pansements, dans un éclair de lucidité, il me saisit le bras et me supplia de le tuer. Je me souviens encore, du pauvre sourire triste et résigné qu'il arborait sur sa figure couverte de sueur : « Quel avenir puis-je avoir, Edith, sans main et sans jambes ? Je n'ai plus personne, je n'ai personne à qui manquer. Je ne retournerais pas sur le front, alors que je sois mort là bas ou ici, quelle différence... ? » Je revins en pleine nuit. Le réveillais doucement, le hissais sur une de nos chaises roulantes jusqu'à être dans le plus bel endroit du parc. Sous un saule pleureur, au pied duquel courait un petit ruisseau aux gargouillis apaisants. De là, on pouvait voir la grande ourse. Jean ne dit rien, il leva simplement la tête vers la constellation, puis, ferma les yeux, un sourire béat, heureux, apaisé, aux lèvres. Ma main ne trembla pas lorsqu'elle lui trancha la gorge. Mon geste était précis, habile, calculé. Il eut un instant l'air surpris et mourut dans un gargouillis heureux qui fit écho au cours d'eau.
Je tombais à genoux et pleurais.
Il fut ensuite temps de le remonter dans sa chambre. Après l'avoir coiffé du mieux que je pouvais, habillé en soldat qu'il était et embrassé, j'allais chercher un brancardier pour mener le corps à la morgue. Il ne posa aucune question : il était habituel de trouver des corps ainsi habillé et propret, certains autres pensionnaires n'hésitant pas à rendre ces hommages à un frère d'arme. La solidarité, la compassion et la profonde affection qu'ils avaient les uns pour les autres, sans même se connaître, était saisissante. J'imaginais par contre sans peine qu'il devait en être autrement sur le front...

Marcel, 34ans, fervent républicain en repentir. Il ne cessait de répéter qu'il avait été « sacrément con de croire en ce que racontait les hauts trou-du-culs ». Il avait été blessé au front par un éclat d'obus et momentanément atteint de cécité. Remis complètement depuis deux jours, il attendait son ordre d'affectation. Car à peine remis, on les renvoyait sur le front. C'était, je crois, le côté de ma mission que je détestais le plus : nous parvenions à sauver ces hommes, à leur insuffler la vie de nouveau et ils allaient de nouveau se faire massacrer. Une de mes collègues avait pris l'habitude de dire qu'ils étaient des « morts respirant ». Nous savions que la très grande majorité de nos blessés ne reviendrait jamais. On pouvait échapper une fois à la mort là bas, mais guère plus, et eux avaient déjà eu leur chance.
Un jour que j'allais à sa rencontre alors qu'il prenait l'air dans le parc, Marcel me lança :
_C'est ici, n'est-ce pas, que vous avez aidé le petit Jean... ?
Je restais interdite. Du menton, il avait désigné le saule et le ruisseau, que j'évitais autant que je le pouvais depuis plus d'un an, sous peine d'avoir les larmes aux yeux. Puis je fus inquiète : avait-il l'intention de me dénoncer d'une façon ou d'une autre ? Ce que j'avais fait été parfaitement interdit, et même si tous avaient cru au suicide – on se contentait de n'importe quoi à l'époque – je pouvais risquer ma place.
Voyant mon regard, il reprit :
_Ne vous inquiétez pas, je ne dirais rien. C'est Louis, qui m'a raconté... Il était dans le lit en face de celui de Jean. Il vous a vu prendre le petit Jeannot en chaise roulante. Il a claudiqué jusqu'à la fenêtre pour vous voir.
Il y eut un petit silence, puis il reprit :
C'est bien, ce que vous avez fait.

Louis avait bêtement été blessé au pied : un de ses camarades avait laissé traîné sa baïonnette sur le sol et la boue l'avait partiellement enterré, lame pointée vers le haut. Lors d'un assaut, Louis avait marché dessus. La lame avait traversé la semelle usée, le pied et le reste de la chaussure sans mal. En enlevant la grole, il y était resté deux orteils au fond. Il était donc venu séjourner chez nous le temps de la cicatrisation. Avant de repartir, car deux orteils en moins n'empêchent pas de se battre, et surtout de mourir. Je me demandais ce qu'était arrivé à Louis, qui était si gentil et drôle. Je me retins de le faire : comme je l'ai dis, la mort là bas n'épargne pas deux fois. Marcel, pourtant, répondit à ma question muette :
_Pendant l'assaut où que j'ai été blessé, un salaud de Boche a envoyé une grenade inflammable dans nos barbelés. Louis était dedans, avec d'autres, et sa ceinture de munitions a pris feu. Je l'ai vu se faire percer par ses propres balles avant que ses deux grenades n'explosent.
… Il a plu du sang de Louis.
[/i]
Nous restâmes un long moment silencieux. Pensant à Louis, à Jean, à tous ceux qui étaient déjà morts, à ceux qui étaient en train de mourir, et ceux qui ne manqueraient pas de mourir.
Les trois semaines que resta Marcel chez nous avant de repartir furent dévolues aux récits de ce qu'il avait vu. Généralement je profitais d'une accalmie pour aller le rejoindre sous le saule. Presque naturellement, nous en avions fait notre point de rendez-vous. J'y allais finalement sans trop de peine, rassurée par l'appui que mon soldat et ami m'avait donné en me disant simplement que ce que j'avais fait été bien.
Marcel était un homme simple, pas stupide ni un génie, il prenait tout de même le temps de réfléchir et de s'interroger. Plus encore maintenant qu'il avait rencontré des gens qu'il n'aurait jamais connu sans la guerre.
Ce jour où j'allais le voir, un trois de juillet, il était embêté.
_Vous savez, on est obligé de détester les Boches. Et ils sont sûrement obligés de nous détester aussi. Mais je ne peux pas m'empêcher de me dire que, comme nous, c'est des pauvres types bouffés par la vermine et tombant comme des mouches...
Une fois, je suis resté coincé sur le No Man's Land... : j'n'avais pas réagi à l'ordre de retraite et les enculés d'en face canardaient dès qu'ils le pouvaient. Je m'étais caché dans le tronc fendu d'un des rares arbres à pas avoir été descendu, mais j'avais pas intérêt à montrer le moindre poil de cul, sinon ils n'avaient qu'à envoyer une de leur saloperie d'avion et j'étais fini.
… Enfin, je dis les enculés d'en face, mais on était pas mieux, j'imagine... Dans mon champ de vision, j'avais un trou d'obus, énorme, et surtout rempli de boue. Dedans, y avait un ptit jeune Chleuh qui essayait d'en sortir, mais dès qu'une de ses mains sortaient, il était pris par notre feu. Sa main droite était déjà criblée de trous. Il s'accrochait comme il pouvait, mais il était épuisé. Il n'arrêtait pas de glisser, et s'il s'arrêtait de remonter, il crevait noyé. Le premier jour, il gueulait comme un beau diable, et on comprenait rien. J'imagine qu'il appelait ses copains pour qu'ils viennent le sauver... Si seulement ça pouvait fonctionner comme ça. Le deuxième jour, il l'a passé à appeler sa mère. J'parle pas trop allemand, mais « Mutter » et « Mutti », je comprenais. Le troisième, j'ai pas été réveillé par ses cris. Et c'jour là y a eu une offensive, comme ils disaient les chefs, moi j'appelle ça un beau bordel. M'enfin on a chargé et j'ai pu sortir de mon arbre. J'suis allé voir dans le trou, rapidement. Le gamin était mort noyé...

Il y eut un long silence entre nous, qu'il finit par rompre :

_Vous savez, on est obligé de détester les Boches... Mais ce petit sans même un poil de moustache, il méritait pas de crever comme ça.



        Moi qui était issue d'un monde que l'on qualifiait sans cesse de barbare, je mesurais, durant cette guerre, ce qu'était véritablement la barbarie.
Je retrouvais cette même barbarie lors de l'armistice – enfin. Il me semblait qu'en combat, et pendant la guerre plus particulièrement, des règles bien définies devaient exister, et il me semblait que le respect de son ennemi devait en faire partie, que veiller à l'intégrité, à la dignité de son adversaire, même vaincu était quelque chose d'important pour les diplomates. Néanmoins, tous les diplomates français avaient dû être massacrés au front, car le sort qui fut réservé à l'Allemagne fut terrible. Je comprenais alors ce que tous avaient eu en bouche depuis des années : la revanche. Elle ne consistait pas seulement à tuer le plus de ses fils possible, mais aussi à l'anéantir. Si la joie s'était répandue très vite, je craignais, justement, qu'on ne fît pas assez cas de l'orgueil allemand... Puisque c'était, en grande partie, l'orgueil français qui avait conduit les hommes au front, il n'y avait pas de doute que les allemands puissent faire pareil.... Je n'envisageais simplement pas que cela pu être à moitié aussi terrible que ce que nous avions vécu durant ces quatre ans : cette Drôle de Guerre était la Der des Der. C'était certain.


______________________________________________________


En août 1942, les rangs de la Résistance française sont devenus réellement conséquents. Car non, contrairement à ce que purent dire de nombreux hommes politiques, tous les Français n'ont pas été Résistants. Avant cette date, il faut même reconnaître que nous étions peu nombreux, et la très grande majorité d'entre nous était des Juifs.
Après l'avènement d'Hitler en Allemagne, nombreux étaient les Français à craindre son incroyable soif d'expansion territoriale, ainsi que sa verve si violente. Néanmoins, le pays semblait avoir confiance en son gouvernement et croire que les accords signés étaient garants de sécurité. Il fallut pourtant bien se rendre à l'évidence que rien ne suffirait jamais à la petite moustache.
A la mi-juillet 1940, Hitler envahit l'Alsace, la Lorraine et la Moselle. Non seulement il les envahit, mais il lança alors une grande campagne de germanisation, car nous faisions partie, dans la logique alors en vogue chez les Chleuhs, du territoire allemand, légitime et ancestral en raison du patois alsacien très proche de l'allemand. Je me trouvais en ces terres, et c'est naturellement que j'entrais en Résistance.
La Résistance, chez nous, n'était pas la même que celle qui fut plus tard pratiquée sur les territoires occupés. D'une part, nous n'étions pas simplement un territoire occupé, mais une terre annexée, et destinée à devenir entièrement allemande, nous étions territoire allemand. Loin des horreurs que purent subir nos compatriotes français, nous fûmes plutôt bien traités, puisque considérés comme allemands, ou, du moins, allemands en devenir. Par conséquent, la Résistance qui se développa chez nous était moins celle contre le régime nazi et ses idéaux que contre la germanisation à laquelle nous étions soumis : l'allemand devint obligatoire à l'école, et si nous parlions français, nous pouvions risquer jusqu'à la vie. L'alsacien fut, dans un premier temps, toléré, afin de faciliter la transition vers la langue allemande généralisée, mais fut, par la suite, punie avec une égale sévérité. Tout acte qui n'était pas clairement pro-allemand était considéré comme du sabotage et même comme de la Haute Trahison. En dépit de ces importantes menaces planant sur nous, la Résistance de la population se manifestait jour après jour : cachés des allemands, nous parlions français, écoutions la radio suisse ou anglaise, refusions le salut hitlérien, et toute menue action que nous pouvions effectuer sans être pris sur le fait, l'était immédiatement. Il fallut bien, dans un premier temps, se contenter de ces petits actes qui, au quotidien, nous soulageaient un peu de la peine et de la haine que nous ressentions. Mais bientôt, avec quelques amis, nous formâmes le groupe nommé l'Espoir Français. Il fut créé dès le 17 juillet 1940. Nos actions étaient plutôt pacifiques, nous nous contentions alors de distribuer des tracts encourageant à la Résistance passive, celle que nous pratiquions tous ou presque, et à ne pas se soumettre à l'autorité allemande. Un an après j'étais la seule survivante du groupe, tous décapités après une course contre chacun d'entre nous. J'avais eu la présence d'esprit de ne dire à aucun d'entre nous où je résidais et, surtout, je faisais en sorte de changer sporadiquement de planque. J'avais de nombreux amis, et, surtout, les mouvements de foule de la sorte était récurrent : il n'était pas rare, en effet, qu'une habitation soit réquisitionnée par une troupe allemande de passage. Il me suffisait de dire, aux amis chez qui je logeais, que mon habitation était réquisitionnée, puis, le moment venu, de leur dire que je la récupérais, et ainsi de suite. A chaque fois, je précisais à mes amis que je ne souhaitais pas que les autres habitants soient au courant, que j'étais gênée par ces événements, et je faisais toujours en sorte que personne ne me voit sortir de la maison où je logeais, si bien qu'il était quasiment impossible de savoir où j'étais.
Si je ne disais pas à mes camarades du groupe où je vivais, ce n'était pas par un manque de confiance en eux, mais je me méfiais des allemands et de leur capacité à torturer les gens. Le souvenir des blessés de la Grande Guerre était encore vivace en mon esprit, et je savais que les hommes ayant construit les armes servant à blesser de cette façon n'étaient pas loin, qu'il existe toujours des bouchers, et que rares sont les braves à pouvoir le supporter. Je tenais à la vie, du moins suffisamment pour ne pas tomber entre les mains de la SS. Je craignais, qui plus est, à l'heure où nous étions aux balbutiements de la génétique, que l'on se serve de mon incroyable capacité de régénération pour améliorer, d'une façon ou d'une autre, les organismes des soldats.
Ce qui apparaissait encore comme de la Science Fiction ne me semblait pour autant pas impossible.

A la fin de notre groupe, l'Espoir Français, j'entrais dans un autre, plus petit et que l'Histoire semble avoir oublié. Nous nous étions sobrement nommés Les Français, car nous agissions en tant que Français, car nous considérions, au-delà de l'annexion, comme tels et que nous agissions pour tous les Français qui craignaient les Allemands.
Si les actions de l'Espoir Français étaient plutôt « calmes », celles des Français furent bien plus virulentes. Nous fîmes sauter des lignes allemandes, sabotions les chars et les voitures destinées aux troupes en transit dans la région afin de retarder, voire empêcher leur cheminement jusqu'à l'intérieur des terres françaises. Certaines voies de chemins de fer sautèrent aussi, destinées à acheminer des convois de prisonniers, de Juifs et autres jugés indésirables par le Reich. Nous ignorions, bien sûr, qu'il existait des camps d'extermination, mais nous connaissions l'existence des camps de concentration, de transit et de cantonnement. Nous savions que les gens y étaient entassés comme du bétail, qu'ils y vivaient dans des conditions indignes et que dans certains, les prisonniers étaient forcés à travailler jusqu'à ce que mort s'en suive. Nous refusions cela. Radicalement.
Quoi que petite, notre équipe était plus qu'efficace et, surtout, ses membres n'hésitaient pas à mettre leur vie en péril pour nos missions. Nous étions de jeunes fous, et nul ne pouvait nous arrêter.
Du moins, je le pensais.
Ces actions dangereuses et sauvages comblaient amplement mon besoin d'action, bien en mal pendant les Années Folles et l'avant-guerre.
Il est amusant de constater que l'être humain est incapable de se satisfaire d'un calme, paisible et mérité, l'Histoire se répète inlassablement, et cela comblait à merveille la Shield Maiden que j'avais été. J'avais eu, de tout temps, une bataille à mener, et celle-ci était magnifique. Le but était grand, beau, et les moyens insidieux ravissaient mon esprit de femme.
Néanmoins, et j'aurais dû m'en douter, après toutes ces années, tous ces siècles traversés, les choses ne se passent jamais comme on le prévoit.

C'était une mission simple. Enfantine. J'avais pourtant insisté pour en être chargée, en dépit du fait que, d'ordinaire, j'étais appelée à de plus importantes missions. Je devais simplement m'introduire dans un des cabarets où les soldats allemands en permission se rendaient. C'étaient des soldats sans attaches ou avec des permissions si courtes qu'ils s'arrêtaient chez nous, plutôt que de rejoindre leur famille. Il était amusant, et écœurant, de voir que ces brutes, qui prônaient l'Ordre par-dessus tout, étaient capables de s'adonner à de telles frivolités, voire débauches. Il faut reconnaître qu'en ces temps-là, entre les privations, les rationnements et les substituts répugnants, les fins de mois étaient difficiles pour les jeunes femmes, tandis que les soldats se sentaient seuls et perdus dans un pays dont ils ne maîtrisaient ni la langue, ni les coutumes. Je ne donnerais pas de plus amples informations, la chose est assez claire, ce me semble.
Je me faisais donc passer pour une danseuse frivole du cabaret. Je devais récupérer les plans de construction de nouvelles voies de chemin de fer qu'un officier était censé avoir avec lui, et qui était tout autant censé se trouver dans ledit cabaret. Malheureusement, rien ne se passa comme je l'aurais souhaité, ou comme nous l'avions imaginé. J'étais censée accaparer l'attention de l'officier – ce qui, soyons honnêtes, n'aurait pas été par trop compliqué – puis, lors d'un rapprochement, récupérer lesdits plans. En d'autres termes, je devais câliner le bellâtre, le faire boire jusqu'à ce qu'il en oublie jusqu'à son nom, le faire monter dans les étages, puis, enfin, au moment opportun, l'assommer et dérober ses plans.
C'était bien moins dangereux et compliqué que ce que nous avions pu faire par le passé.
Nos informations étaient hélas fausses. L'officier était bien là, et je captais en effet son attention. Mais s'ils n'avaient pu m'attraper du temps de l'Espoir Français car nul ne savait où j'étais, ils avaient tout de même une description assez précise de ce à quoi je ressemblais. Loin de boire, comme je m'y attendais, l'homme, au demeurant charmant, me conduisit presque immédiatement dans les étages et les chambres obscures. Je pensais innocemment que cela pouvait être en ces lieux que j'arriverais à le faire boire et que je pourrais récupérer les plans... Encore une fois, rien ne se passa comme je l'imaginais. A peine arrivés en haut, il m'assomma d'un coup violent derrière le crâne.

Je me réveillais dans une salle que je compris immédiatement être une salle d'interrogatoire. Ils ne comptaient pas m'épargner, de cela, j'en étais certaine.
Pour la première fois de la soirée, je ne me trompais pas : quatre hommes entrèrent et, me jetant à peine un regard, ils commencèrent à me rouer de coups. Ils ne me posèrent aucune question, mais me laissèrent avec le nez cassé en deux endroits, un genou brisé, plusieurs côtes enfoncées, et des hématomes un peu partout ailleurs.
Pourtant, dès le lendemain matin, j'étais aussi fraîche et disposée que s'il ne s'était rien passé. Les hommes, stupéfaits, en référèrent immédiatement à leur supérieur, qui vint constater lui-même de la chose. Loin de croire ses subalternes, et les traitant de pauvres femmelettes incapables, il décida de me donner lui-même la correction que « la chienne de française » que j'étais, méritait. J'en ressortis encore plus meurtrie que la veille. Le sang goûtait sous moi, à grosses gouttes.
Le lendemain, ô miracle, j'étais de nouveau fraîche comme un gardon. Cette fois, le sous-officier ne put ignorer les faits, et dû, par ailleurs, reconnaître ses torts envers ses sous-fifres, quand bien même il ne l'énonça pas clairement. Je n'avais jamais vu un allemand se précipiter avec une telle angoisse mêlée à de l'euphorie vers un téléphone.
On me laissa dans ma cellule durant deux jours, en me nourrissant avec générosité, vues les circonstances. Je commençais alors à comprendre ce qu'il risquait de m'arriver : des batteries effroyables de tests visant à déterminer d'où pouvait provenir mon incroyable facilité à guérir et, surtout, comment l'on pouvait s'en servir au mieux, l'exploiter, l'appliquer à des soldats dont la brutalité n'avait d'égal que leur fanatisme. J'en frissonnais d'avance. Mon sort m'importait peu, mais envisager un seul instant ce à quoi mon organisme pouvait mener... cela me terrorisait.

Au matin du troisième jour, la porte de ma misérable cellule s'ouvrit sur deux officiers. Et de très haut-gradés, à voir leurs multiples décorations, dont la très illustre Croix de Fer.
A leur tour, ils s'adonnèrent à un passage à tabac. Ils me laissèrent pour morte. Une de mes côtes avait perforé mon poumon. Il me fallut cette fois deux jours entiers pour récupérer entièrement. Chaque matin, puis régulièrement dans la journée, les officiers, accompagnés d'un médecin, venaient m'examiner. Lorsqu'il n'y eut plus aucun doute sur mon organisme extraordinaire, je fus transférée dans un hôpital militaire, dévoué aux diverses expérimentations possibles et imaginables.
Le bloc A était dévolu aux expériences vouées à l'échec, mais que de soit-disant chercheurs et médecins souhaitaient malgré tout effectuer : on enlevait un muscle à tel cobaye – parfois sans même l'endormir avant – pour voir s'il était tout de même capable de marcher par la suite, par exemple... On y transférait des convois de prisonniers de façon hebdomadaire ; et la moitié d'entre eux mouraient durant le trajet. Le bloc B, lui, constituait les bâtiments administratifs : archives, registres, documentations diverses... Il y avait également le bloc C qui regorgeait de cobayes divers : des prisonniers robustes, et des femmes choisies pour leur beauté et leur caractéristiques génétiques. Ce bloc C fut l'une des nombreuses origines des mystérieuses et quasi légendaires Fontaines de Vie allemandes. Si vous ne savez pas ce qu'étaient ces Fontaines de Vie, prenez simplement la Solution Finale, et retournez-la. Si le Reich visait à l'éradication d'une prétendue race, il voyait parallèlement l'avènement et la domination d'une autre. A l'origine, ces Lebensborn étaient des lieux où les jeunes fille-mères au profil typiquement aryen pouvaient venir accoucher, et abandonner leur enfant aux SS, car ces établissements, quoi que médicaux, étaient gérés par ces agents. De lieu de naissance et d'enfance (pouponnière, crèche et foyer d'accueil), ces établissements devinrent également et rapidement des lieux de conception : de jeunes femmes dites aryennes, et donc blondes aux yeux bleus, de préférence grandes, y résidaient et avaient pour tâche de concevoir des enfants, de vrais petits aryens, avec des soldats de la SS ou d'autres, moins bien considérés, mais toujours typiquement aryens. Ainsi, alors qu'Hitler détruisait impitoyablement un peuple entier, il visait, parallèlement, à la création d'un autre. Nul doute qu'après les Juifs, les homosexuels, les communistes, les handicapés, les tziganes et toutes les autres victimes des camps, c'eut été au tour de tous ceux qui auraient eu le malheur de ne pas être blond, ou de ne pas avoir les yeux bleus.
Le bloc C était donc une des origines d'un Lebensborn qui devait s'établir non loin. En attendant que le bâtiment soit convenablement rénové et aménagé, les naissances, et les rencontres entre jeunes gens se déroulaient là bas.
Enfin, le bloc D, celui où j'étais détenue, était destiné à l'un des plus obscures projets du Reich. Comme il existait un pendant aux camps d'extermination, il existait un pendant au Ragnarok, la fin des dieux, ou plutôt le crépuscule des dieux, de mes dieux passés, car le Reich se revendiquait d'un héritage viking... J'avais été horrifiée de voir que mon passé était ainsi souillé par ces immondes bâtards dégénérés, et j'avais voué ma si longue vie à détruire chacun d'entre eux. Et j'étais finalement emprisonnée, à la merci de ces hommes.
Ma compréhension de l'allemand, et leur certitude que je ne parlais que français m'avaient permis d'apprendre tout cela.
J'étais donc devenue en peu de temps et bien malgré moi l'élément central et crucial de leur Götteraurora, soit leur Aube des Dieux, qui n'avait pour autre but que de créer le soldat parfait, plus fort, plus rapide, plus vif et intelligent, insensible à la douleur. Et ma formidable propension à survivre à tout leur apparaissait comme un signe de Dieu, et des dieux païens eux-mêmes desquels ils se revendiquaient tant.
Ils me firent subir, comme je m'y attendais, une batterie de tests, une longue, très longue série. Tests sanguins, musculaires, tests d'efforts et j'en passe...
Rapidement, ils décidèrent de faire des tests génétiques avec mon sang. Le but de leur opération Aube des Dieux pouvait ainsi être servi par mon incroyable organisme, et cela ne me réjouissait en rien.
Je commençais à m'inquiéter, par ailleurs, pour mes collègues du groupe Les Français, desquels je n'avais aucune nouvelle. On ne m'avait pas même interroger à leur propos, comme s'ils n'avaient jamais existé ou que je n'en avais jamais fait partie. Cela m'angoissait d'autant plus que je ne savais pas même s'ils avaient eu connaissance de mon sort... Il se pouvait qu'ils aient cru que je les avais trahi, ou que j'avais été tuée... Et puisque j'étais maintenant au cœur de l'Allemagne, ils ne risquaient pas de venir me chercher. Non, j'étais seule. Seule et effrayée. Plus que je ne l'avais jamais été. J'aurais même préféré revivre mon cauchemar auprès de Jean-Baptiste et Donation, mon époux et mon fils Sade, j'aurais mille fois préféré subir une nouvelle fois leurs sévisses plutôt qu'être l'animal au service des allemands, car je ne mettais, auprès des miens, que ma propre vie en danger tandis que dans ce bloc D, je mettais en péril des dizaines, voire des centaines – si ce n'est plus – de vies. S'ils parvenaient à leurs fins, alors le monde basculerait pour toujours dans l'horreur, la folie et la terreur. J'étais absolument tétanisée par ces idées et basculais presque dans la folie par mon impuissance.
Une jeune femme, Magda, allemande et fervente partisane du parti, du Reich et du Führer travaillait dans mon bloc et était chargée de prendre soin de moi. Elle devait me surveiller durant ma toilette, veiller à ce que je ne manque de rien, du moins, dans les limites raisonnables, car je restais une prisonnière. Il faut toutefois reconnaître que je n'étais pas des plus à plaindre. Alors que des millions de personnes, prisonnières dans les camps, étaient à l'agonie, souffrant du froid, de la malnutrition, de la fatigue et sans doute de centaines d'autres maux ; j'étais au chaud, nourrie, soignée et je pouvais même avoir accès à certains divertissements tels que la radio – allemande, bien entendu – certains livres qui n'avaient pas été censuré... Même si je manquais d'outils pour exercer mon entendement et mon libre-arbitre, je ne dépérissais pas et cela me consolait.
Magda, comme beaucoup, hélas, de personnes en Allemagne, était facile à manipuler. Il m'avait été aisé de lui faire croire que j'étais fière de servir les intérêts de notre patrie, oui, notre, car, après tout, j'étais originaire d'Alsace, et qu'était cette région sinon un territoire allemand... ? Elle me crû donc être une patriote, comme elle, et fervente admiratrice d'Hitler. J'avais eu à ma disposition Mein Kampf, et je l'avais longuement étudié, il m'était donc facile de parler de cet hurluberlu et de son idéologie effroyable. La jeune femme me pris rapidement en amitié et même, je crois, en admiration, car j'étais capable de faire ce qu'elle ne pouvait pas même rêver, et je mettais ma personne au service de la Nation à un point formidable. L'Empire qui durerait mille ans me devrait beaucoup, elle en était persuadée.
Innocemment, je lui demandais presque chaque jour si des progrès étaient faits, si des nouvelles avaient filtré, sans succès. J'étais rassurée : ils échouaient systématiquement. Magda me confiant que les morts des cobayes volontaires, pour la plupart, étaient nombreuses et que les scientifiques commençaient à perdre espoir. Elle me confia que certains haut-placés envisageaient d'autres solutions, mais qu'elles n'étaient pas satisfaisantes aux yeux du Führer. Lorsque je lui avais demandé quelles étaient ces solutions, elle ne m'avait pas répondu, mais avait jeté un regard vers le bloc C. J'avais eu un frisson de dégoût. Ils envisageaient donc de m'enfermer là bas et de me faire prendre par de bons petits aryens... ? Ils envisageaient de faire de moi une vulgaire pouliche... ? J'aurais pu les tuer tous de mes propres mains. Je savais déjà que les Lebensborn n'accueillaient pas, ou plutôt plus, uniquement des jeunes femmes volontaires, mais que des soldats, missionnés dans des villages plus ou moins lointains, parfois jusqu'en terres annexées ou occupées, allaient enlever de jeunes filles en âge et forme de procréer et correspondant à l'idéal allemand.

Pourtant, un matin, Magda entra dans ma cellule, absolument hystérique. Elle ne cessait de répéter que le Führer avait réussi l'impossible, que le Reich aurait ses golems... et je n'y comprenais rien. Je parvenais à la calmer et elle m'expliqua enfin le fin mot de l'histoire : deux semaines auparavant, les médecins du bloc avaient annoncé les résultats d'un des premiers essais. Tous étaient morts, sauf un. Il s'agissait d'un baron. J'hésitais entre soulagement et terreur. Certes, j'étais soulagée car grâce à cette première réussite, je ne serais pas une pouliche du bloc C, mais j'étais terrorisée à l'idée qu'ils aient pu réussir à insuffler mon incroyable vie à l'un de leurs fantassins dérangés. Je me gardais de toute réaction inadaptée à celle que je prétendais être devant Magda et me contentais de feindre l'exultation.
Je me demandais ce qu'ils comptaient faire de moi, désormais, car puisqu'ils avaient obtenu de moi ce qu'ils voulaient, je craignais pour mon sort. Allaient-ils se débarrasser de moi ou continueraient-ils à se servir de et sur moi ?

Astrid

Créature

Re : Au travers des âges [Law]

Réponse 2 samedi 05 juillet 2014, 13:23:55

Heureusement pour moi, la même année l'aviation américaine, nouvellement basée en Angleterre, commençait ses bombardements en Allemagne, y compris dans le centre du pays. En 1942, les américains entreprirent des bombardements massifs sur l'Allemagne, aussi bien sur les lignes de front qu'ils avaient encore, que sur certains de leurs navires, que dans l'intérieur des terres où ils visaient avant tout les infrastructures industrielles telles que les usines d'armement, chimique, etc. L'hôpital et ses quatre blocs furent heureusement pour moi, pris pour cible par les bombardiers. La panique aidant, je pus m'échapper. Les portes des cellules, qui n'avaient pas été conçues pour résister à des chocs aussi violents qu'une bombe s'écrasant au sol, s'étaient en partie ouvertes et il suffisait d'une poussée de l'épaule, aidée par un peu d'élan, pour qu'elles achèvent de s'ouvrir. Dans les couloirs, le personnel et des SS couraient dans tous les sens. Je me cachais derrière des portes de cellules défoncées. Malgré leur incroyable discipline, les allemands semblaient quelque peu dépassés, ce qui fut à mon avantage : j'avais su réagir rapidement, et cela me sauva, car le moment de panique et de flottement des soldats ne dura pas, et alors qu'ils vérifiaient les cellules et commençaient à rattraper certains de leurs prisonniers-cobayes échappés, j'étais déjà sortie du bloc. Il me fallut encore traverser le grand jardin qui encerclait le bâtiment, grand jardin sur lequel pleuvait une myriade de bombes.
Une fois encore, heureusement pour moi, l'hôpital avait été établi en rase campagne et il me fut aisé de me cacher. Je pu ainsi rallier un village voisin, dissimulée par les forêts et autres bosquets que m'offrait la nature comme abris. Dans une ferme isolée, je volais des vêtements en train de sécher sur une corde, et jetais les miens dans un ravin. Si les allemands me cherchaient, ils sauraient bien trouver ces vêtements, mais en robe bavaroise traditionnelle, j'étais tout de même moins identifiable. J'avais en effet déjà vu ce genre de robe dans certains livres, et pu par la même, déterminer la région dans laquelle je me trouvais. La Bavière, une des plus belles régions d'Allemagne, mais je n'avais pas le temps de faire du tourisme. Pour ma propre sécurité, il fallait que je sorte au plus vite du pays, et comme la France était désormais entièrement occupée, grouillante d'allemands, je devais partir, et mon choix se porta naturellement vers l'Angleterre. Là-bas s'y trouvait le général De Gaulle et j'avais plus confiance en lui qu'en Pétain et sa manie de plaire à Hitler.
Néanmoins, mon envie de contrer l'hégémonie allemande était mise à rude épreuve par mon envie de contrer la créature – car il ne pouvait s'agir d'un homme – que les scientifiques avaient créé à partir de mon propre sang. Cette envie était d'autant plus grande que je me sentais spoliée et responsable des éventuels dégâts que cette bête pourrait créer... Il fallut pourtant que je me rende à l'évidence que je ne pourrais l'empêcher : je ne connaissais rien de l'homme transformé qu'ils avaient créé, si ce n'est qu'il était un baron. C'était bien maigre, et, de toutes façons, tous les SS devaient avoir mon signalement et étant à l'origine de leur projet l'Aube des Dieux, il n'y avait aucun doute sur le fait qu'ils devaient être à ma recherche. Mon désir de vengeance, si je décidais de m'y plier, me mènerait à ma perte, une perte qui n'aurait servi à rien. Je me ravisais donc, amère, et me promettais de me venger plus tard, si cet homme bénéficiait, comme moi, d'une longue vie. Je le trouverais, et je le tuerais.

Le 3 décembre 1942, j'arrivais en bordure d'une ville nommée Starnberg. Une ville était l'endroit idéal où se cacher : plus grand qu'un village, son étendu offrait de multiples solutions en cas de problèmes avec les autorités et, de plus, la population, plus dense, diminuait le nombre de contrôles d'identités. Je n'avais plus de papiers, et un contrôle m'eut été fatal.
Mais les dieux, non contents de m'avoir béni d'une longue vie, m'avaient sans doute également béni d'une chance inouïe : alors que je me cachais dans le quartier pauvre de Starnberg, je rencontrais Georg, un jeune homme ayant pour un temps appartenu à Die Weisse Rose, la Rose Blanche, mouvement pacifique et étudiant mené par une poignée de jeunes gens qui avaient été exécutés sans cérémonial par les nazis. En dépit de mon parfait allemand, il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que je n'étais pas allemande, et que, surtout, je devais être la plus invisible possible où que je sois. Il ne lui fallut pas une heure pour me mener au QG de son nouveau groupe de résistance interne, et je fus à ce titre étonnée qu'il ne se méfia pas davantage de l'inconnue que j'étais. Arrivée dans leur cachette, je compris pourtant : un avis de recherche à mon nom avait été lancé. Ma photo était en grand format dessus.
Georg et ses camarades m'apprirent qu'une de leur mission était de rechercher et trouver, si possible avec les nazis, toutes les personnes contre lesquelles était lancé un avis. Certains de ces documents étaient placardés dans les villes – comme il était, semblait-il, le cas pour moi – mais d'autres n'étaient distribués qu'à quelques officiers, voire régiments, et les jeunes gens que j'avais devant moi s'employaient alors à en récupérer quelques exemplaires. Leurs actions étaient, pour un groupe au centre de l'Allemagne, impressionnantes : outre les tracts et les affiches qu'ils distribuaient et collaient chaque jour, ils n'hésitaient pas à saboter des rails, des voitures, des lignes téléphoniques, voire à détruire des hangars d'armement. J'étais époustouflée par leur audace, d'autant plus grande qu'ils étaient au plein centre de l'Allemagne, que les contrôles étaient fréquents, et que Starnberg se trouvant à 25km de Munich, ils n'étaient pas loin des impressionnants régiments, dont la force de frappe était terrible.
Georg me conta l'histoire de la Rose Blanche et de sa fin, de comment il avait quitté Munich, rejoignant un groupe plus virulent. Il me raconta sa peine et sa culpabilité : s'il avait quitté Die Weisse Rose, c'était parce qu'il trouvait leurs actions trop minimes, et pourtant, cela avait coûté la vie à tous ses membres, pour de simples tracts... Il se sentait coupable de les avoir quitté, se disant, comme beaucoup à cette époque, qu'il aurait peut-être pu faire quelque chose pour les aider, ou les sauver...
Le groupe avec lequel je venais de lier connaissance était l'un des deux Rote Kapelle, soit l'Orchestre Rouge. L'un, basé à Berlin et Paris, était contrôlé par de hautes instances, tandis que celui dans lequel je venais d'atterrir était plus sauvage. Un lien, tout de même entre ces deux groupes, au-delà du simple nom : la revendication d'être des groupes communistes. Si ce nom ne vous dit rien, sachez que le Rote Kapelle de Starnberg fut un des groupes de Résistance allemande à l'origine de l'attentat contre Hitler de 1944. Décidément, j'étais destinée à fréquenter du beau monde.
Quoi que j'admirasse les actions qu'ils menaient, je n'avais toujours pas abandonné mon souhait de rallier l'Angleterre, aussi exposais-je mon souhait, après deux semaines passées dans leur cachette. Georg fut déçu ; il avait cru déceler en moi la parfaite étincelle qui aurait su donner une ampleur à leur groupe, mais il comprenait mon choix. Deux jours après, ils me procurèrent de faux papiers : je m'appelais désormais Magda Strindberg, inspiré, vous l'aurez deviné, de ma petite infirmière à l'hôpital.
Je partis le soir même, sans un mot, mais laissant sur la table un petit pécule pour les remercier de tout ce qu'ils avaient fait pour moi.

Avec ma nouvelle identité, voyager fut plus aisé. En dépit des affichettes à mon image placardées un peu partout dans la région, je pus rejoindre le nord du pays sans trop de difficultés : la photo me représentant ne correspondait plus vraiment à la femme que j'étais devenue, j'avais coupé mes cheveux et les avais teint en blond, et troqué mes vêtements d'aventureuse contre des robes traditionnelles ou des vêtements maintes fois repris, comme ceux que portaient la majorité des femmes allemandes. Ma seule crainte était désormais de me faire arrêter et emmener dans une Fontaine de Vie, puisqu'avec mes cheveux blonds, j'avais adopté un trait aryen.

Passer par le Luxembourg puis la Belgique était quasiment impossible, en raison de l'occupation. J'avais donc décidé de passer par le nord du pays, et de m'embarquer clandestinement sur le premier bateau venu. Cela ne fut pas l'étape la plus difficile de mon périple.
En pleine mer, le navire fut pris pour cible par des avions britanniques, et c'est en toute hâte que j'avais rejoint un des canots et l'avait mis à flots. Je ramais durant trois jours entiers. Entre le froid – car j'avais eu l'esprit de partir en février... l'urgence n'aide pas à la réflexion, hélas ! - la faim et la soif, je doutais d'atteindre mon but et doutais même de pouvoir accomplir un jour ma vengeance contre le baron qui avait pris de mon sang.
Mais une nouvelle fois l'aide des Dieux vint à moi : un navire au pavillon de la Queen perçât mon horizon. Défaisant ma un de mes jupons, je l'attachais à une rame et le secouais au-dessus de ma tête, incapable de crier tant ma gorge était sèche.
C'est par leur biais – et après de très longs et très nombreux interrogatoires, que je pu enfin gagner la terre libre d'Angleterre.

Là encore, mon parcours fut semé d'embûches, car il fallut que je démontre que je n'étais pas une espionne à la solde des allemands, puis que j'explique en long et en travers pourquoi je voulais rejoindre les FFL, et c'est finalement en leur confiant l'épisode de l'Aube des Dieux qu'ils envisagèrent – enfin ! - de me laisser jouer un rôle sur leur territoire, auprès des Forces Françaises de Libération.

A la fin de la guerre et à la Libération, lasse et écœurée par l’Épuration française, je décidais de migrer en Irlande, car si l'Angleterre m'avait sauvé la vie, je souhaitais rompre avec les acteurs principaux de la guerre, et me désintéressais complètement de la suite des événements.
L'Histoire se répétait trop à mon goût.

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Mais il faut croire que j'apportais avec moi le malheur, car quelques années après mon arrivée en Irlande, des tensions éclatèrent de nouveau. D'abord installée à Dublin – ville pour laquelle j'avais et ai toujours une affection sans borne – j'avais finalement décidé de m'installer plus avant dans le pays, dans les campagnes autour de Belfast. Grand mal m'en prit. Dès le début des années 60, des mouvements et des rumeurs commencèrent à gronder, menant, petit à petit, à de récurrents bains de sang. Il fut bientôt impossible de quitter la région, la Grande-Bretagne ayant comme encerclé la zone de conflits, pour tenter d'endiguer le phénomène. Nous étions pris au piège entre les opposants, ne pouvions que subir leur querelle qui dura par trop longtemps. Les années les plus éprouvantes furent les années 90, comme tout le monde le sait, en partie popularisées, si l'on peut dire par les groupes U2 et leur tube Sunday, Bloody Sunday et The Cranberries avec leur célèbre chanson et le clip poignant de Zombies.
J'espère que vous m'excuserez, mais cette fois, je ne m'étalerais pas en détails et en histoires, car ce nouveau conflit, duquel je fus cette fois victime et non actrice, m'est encore douloureux : il venait trop tôt après la Seconde Guerre Mondiale, et en plein durant les terribles révélations à son propos. Je n'étais pas prête et j'avais perdu toute foi en l'Humanité, en découvrant ce qu'une poignée d'hommes avait été capable d'accomplir... Les légendes sur du savon juif n'était, par exemple, pas qu'une légende, et j'étais malade à l'idée d'avoir pu participer, d'une façon ou d'une autre, à la destruction de cette communauté, comme des autres.

Le conflit nord-irlandais cessa autour des années 2000. Les historiens sont en désaccord sur la date. D'aucun prétendent qu'il s'achève en 1997, tandis que pour d'autres, il faut l'étendre jusqu'en 2007. Sachez simplement que je quittais l'Irlande en 2000, et m'envolais pour des terres lointaines, qui me semblaient aussi exotiques qu'inconnues : l'Asie et, plus particulièrement le Japon.

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          Finalement, après plus de 1100ans passés en Europe, c'est avec soulagement que je découvrais un nouveau continent. J'avais beau être une Shield Maiden, la guerre, toujours la guerre, une répétition sans fin et sans faille des mêmes erreurs me pesaient. Certes, j'aimais et j'aime la guerre, les combats, quand ils ont un but noble. But que j'avais eu durant la Seconde Guerre Mondiale, mais que j'avais eu l'impression d'avoir trahi en apprenant ce qu'avait réellement été le nazisme.
Enfin, j'arrivais dans un nouveau pays, dans un nouveau continent et, même s'il avait été, lui aussi, acteur de cette guerre et pas du meilleur côté, si l'on peut dire, j'étais heureuse de recommencer une vie, en dépit de 1100ans d'existence.

J'arrivais à Tokyo, ville qui commençait déjà à s'étendre et à revendiquer une appartenance aux pays développés, ville qui copiait les grands vainqueurs, à savoir les Etats-Unis (desquels je me méfiais, et pour lesquels je n'avais, comme le Général, que du mépris). Les hauts buildings poussaient de partout, et plus rapidement encore que les pâquerettes. C'en était étourdissant. Néanmoins, il me faut reconnaître que la vie au Japon, pour une jeune femme occidentale, présentait de nombreux avantages.
Ce pays, en pleine révolutions industrielle et technologique tardives était peu cher et surtout offrait des opportunités comme nul part ailleurs on pouvait en trouver, tant et si bien qu'il devint, dès 1968, la seconde puissance mondiale – au grand dame de l'Europe qui peinait encore à se relever de la 2GM et qui, surtout, était paralysée par la Guerre Froide.

Depuis tout ce temps, j'avais vécu de la fortune que j'avais accumulé au fil des siècles, néanmoins la guerre avait rapidement rongé cet argent, et je me rendis rapidement compte que, quoi que la vie me soit peu chère au Japon, il me fallait trouver un emploi si je voulais pouvoir vivre et faire ce que j'entendais. Ce pays, s'il était économiquement puissant, était resté très ancré dans ses traditions, et il était difficile pour une femme de monter sa propre entreprise, et de prospérer seule. Il me fallut donc, de nouveau, trouver un époux. Je n'espérais pas avoir la chance, une seconde fois, de connaître le parfait amour comme je l'avais vécu avec Gontrand, aussi je me résignais à faire ce que beaucoup avant moi avait fait : trouver un vieillard décati par le temps qui ne saurait que faire de son argent et, de préférence si vieux qu'il serait incapable de me toucher, car je conservais ma dignité.
Il me fallut donc infiltrer de nouveau un milieu mondain, milieu plutôt clos et qu'il était difficile d'atteindre, à plus forte raison car j'ignorais pour ainsi dire tout des coutumes et traditions japonaises. Fort heureusement pour moi, la chance qui me poursuivait avec une écœurante ténacité vint une nouvelle fois à ma rencontre en me mettant sur le chemin d'Ayumi, une vieille femme toute ridée au sourire édenté mais qui n'avait pas son pareil en générosité et gentillesse. Elle m'avait vu errer dans les rues de Tokyo, et m'avait suivi, intriguée, comme beaucoup, par l'aura que je dégageais et que tous s'accordaient à dire qu'elle était puissante et enivrante. Après plus d'une heure de filature, elle se décida à m'accoster. Je reconnais sans honte que je ne compris rien à ce qu'elle me disait car si la majeure partie des langues parlées en Europe trouvaient leur source dans un dialecte commun, le japonais, lui, issu d'une autre culture, d'un autre continent, d'un autre temps, m'était complètement étranger.
Nous parvînmes néanmoins à nous comprendre, à grand renfort de gestes – ce dont les japonais n'étaient pas avares lorsqu'ils voulaient se faire comprendre. Elle me conduisit, en me faisant de grands signes de mains, au travers de ruelles et de passages étroits jusqu'à sa demeure : une maison traditionnelle qui, bien qu'elle fut modeste, me coupa le souffle. Cette maison était à l'image de sa propriétaire : un peu biscornue, mais qui dégageait la quiétude de la force tranquille ; et le jardin, à l'arrière, modeste, était absolument divin. J'appris, plus tard, que l'art du jardinage, était un des passe-temps favoris et profondément rituel des japonais, comme beaucoup d'autres choses dans leur culture.

Je passais deux ans auprès d'Ayumi. Deux ans durant lesquels elle m'apprit leur langue, leurs us et coutumes, leur religion, aussi.
J'étais émerveillée par cette culture. C'était, en quelque sorte, un prolongement de ma culture première, du monde des vikings. Chez les japonais, comme dans mes veines, coulaient intrinsèquement le respect, la dignité, l'honneur et la beauté. Je retrouvais de nombreuses valeurs que j'avais cru perdre, dans ce nouveau monde et mon cœur guerrier fut enfin apaisé. Après de si longues années passées parmi les hommes, comme une étrange humaine, cachant mes siècles d'expérience, mes croyances et ce qui me constituait réellement, je trouvais enfin le monde moderne dans lequel je me sentais véritablement libre de vivre telle que j'étais, telle que je suis.
Ayumi ne me demanda jamais rien, ni en échange de son hospitalité, ni de sa gentillesse, ni même d'où je venais... Elle se contentait de m'apprendre, et d'être une amie, une mentor. Je la considérais donc rapidement comme une grand-mère pour laquelle j'avais un respect et une tendresse sans borne.
Au bout de ces deux ans, elle m'inculqua les valeurs du mariage selon la tradition ancestrale, ce qui était attendu d'une épouse, et ce qui faisait, selon leurs coutumes, un mariage heureux. Je n'avais pas eu à lui dire quoi que ce soit, elle avait su lire dans mes intentions comme dans un libre ouvert, et c'est avec beaucoup d'application que je m'astreignis à apprendre les différents préceptes de l'épouse idéale : pondération, discrétion, honneur, dignité, raffinement, raison, dévotion... La liste était longue, mais faisait corps avec leur culture et je n'eus, finalement, pas de mal à les apprendre, les intégrer, et les appliquer. Ce qui me posa, en revanche, plus de problèmes, fut la cérémonie du thé. Très codifié, ce moment de la journée représentait un moment clef dans la vie quotidienne, tant sociale que spirituelle, cette action était, pour ainsi dire, millimétré ; et en dépit de l'amour qu'Ayumi pouvait me porter – et que je savais qu'elle me portait – elle se montra d'une effroyable sévérité tout le long de mon apprentissage dudit cérémonial.

C'est un matin de printemps, un de ceux que l'on imagine dans les fantasmes populaires, les cerisiers fleuris et embaumant l'air, que ma petite protectrice vint me trouver, ses petits pas feutrés lui donnant cette allure dandinante si caractéristique, portant un paquet à bout de bras. Elle s'arrêta devant moi, et posa le paquet à mon côté, sa vieille face ridée fendue d'un large sourire. Intriguée, j'ouvris j'écartais le carton, le papier de soie à l'intérieur, pour découvrir un magnifique kimono de soirée, dont je n'aurais pas même pu rêver un jour.

_Lorsque j'ai eu 16ans, mes parents m'ont offert ce kimono, dit-elle avec sa voix douce et légèrement chevrotante maintenant que tu es prête à entrer dans notre monde, je pense qu'il te revient de droit.

Je n'osais prendre le vêtement, moins touchée par sa beauté que par ce qu'il représentait. Le fait qu'Ayumi me donne une telle splendeur était un témoignage de son amour, mais aussi et surtout de son respect pour moi, un acte d'autant plus fort que nous étions encore fortement ancrés dans une société traditionnelle où les occidentaux étaient plutôt mal considérés... En me donnant ce kimono, elle me faisait entrer dans leur univers, dans leur société, elle me reconnaissait comme, pour ainsi dire, l'une des leurs.
Les larmes perlèrent à mes yeux et je tâchais de les ravaler du mieux que je pus, ne voulant pas me montrer indigne dans un tel moment, mais Ayumi prit ma main entre les siennes et me la serra si fort, que je levais les yeux vers elle : son regard, tout comme le mien, était embrumé de larmes, et laissait deviner une immense fierté, un immense amour.
Ne sachant que dire ou que faire, j'eus, pour la première fois depuis longtemps, un comportement typiquement occidental qu'elle pourrait me pardonner : je la pris dans mes bras et la serrais avec amour. Elle me rendit cette étreinte. 

Le soir-même, je me rendis à une soirée mondaine organisée par un ponte de Tokyo. Ayumi, je ne sais comment, m'avait procuré une invitation. J'étais incroyablement anxieuse, mais également très fière, dans ce kimono. D'un vert profond et éclatant, il était brodé de mille et un fils dorés, fluide, il glissait sur ma peau comme la plus pure des secondes peaux... Bref, il était magnifique, et sans doute l'un des plus luxueux kimonos présents dans la salle, ce que je commençais à réaliser petit à petit. En m'offrant ce vêtement, ma protectrice m'offrait plus que son respect et son amour, elle m'assurait par là même de me faire remarquer, au-delà du simple fait d'être la seule occidentale, j'étais une des femmes les plus élégantes et ma connaissance de la culture japonaise me rendrait bientôt incontournable dans la soirée. En un mot, ma chère vieille pomme ridée avait fait en sorte que je sois au centre de l'attention et que je me trouve l'époux que je recherchais.
Et cela ne manqua effectivement pas : je devins rapidement une sorte d'attraction, plus encore lorsque j'entrepris de servir le thé à trois hommes s'étant installés à la table devant laquelle je m'étais moi-même assise.
C'est lors de cette soirée que je rencontrais celui qui devait être mon mari : un homme d'environ soixante-dix ans – je ne su jamais son âge exact – à la fortune ahurissante, et à la tête d'une longue et importante chaîne de restaurants, principalement destinés aux touristes, encore rares alors, mais malgré tout présents.

Il me faut reconnaître que la vingtaine d'années que nous passâmes ensemble n'eut rien d'extraordinaire. Je ne pus échapper aux exigences du mariage très longtemps et il me fallut finalement laisser mon époux consommer notre union. Néanmoins, et heureusement – encore et toujours – pour moi, rien ne vint jamais de mon ventre. Je ne sais si mon ventre avait fini par s'éteindre ou si cela était dû à son volcan, mais rien ne naquit de notre union. J'avais eu mes derniers enfants avec Gontrand, et cela me convenait grandement comme ça, je tenais à ce que cela reste ainsi.
Cette vie, si elle m'apportait la sécurité matérielle que j'avais souhaité, ne me satisfit pas longtemps, et l'attente de la mort de mon mari me parut interminable.
Après son décès, ma libération, et après un temps que la société japonaise put juger raisonnable, je décidais de partir et d'aller à la découverte du reste du territoire. Avant de partir, j'allais trouver mon amie, ma chère, très chère Ayumi, car je souhaitais la revoir et, surtout, lui rendre son kimono.
J'eus le cœur brisé en la retrouvant car le temps, ce cruel ennemi, l'avait petit à petit privée de ses yeux. Elle me reconnut pourtant, à ma démarche, dit-elle, et plus sûrement au son de ma voix. J'eus beau insister, elle refusa de reprendre son kimono, assénant qu'elle n'avait pas de fille à qui le laisser, et qu'elle n'aimait pas assez ses belles-filles pour le leur laissé. J'en fus gênée car, justement, l'une d'elles prenait soin de cette vieille femme, et elle avait tout entendu : une occidentale, qui n'était pas même de la famille, la privait d'un héritage légitime. Pourtant, elle ne dit rien, elle ne dirait jamais rien, car la parole ancestrale est sacrée.

Je restais dans la région jusqu'au décès de ma petite pomme ridée. Sa belle-fille, en dépit de l'inimitié qu'elle me portait, avait insisté pour que je reste. Ayumi était en effet fort âgée et pouvait nous quitter à tout moment. Je restais donc, je restais près d'un an, puis, à l'issue de ses funérailles, je partie à la découverte de ma nouvelle patrie, et plus j'en découvrais, plus je l'aimais.

Il y avait pourtant un nuage à mon bonheur, et pas des moindres : en tant que l'une des rares occidentales ayant décidé de s'établir au Japon, je ne passais pas inaperçu et mon incapacité à mourir ou même à tomber malade commençait à sensiblement se faire remarquer. Il me fallait trouver une solution, et ce, rapidement.
C'est par hasard que celle-ci se manifesta à moi, sans doute par l'aide de mes dieux ancestraux, une nouvelle fois.
J'avais alors fait escale dans la ville de Seikusu, petite ville à la délinquance élevée, mais au demeurant sympathique par le dynamisme de sa population, principalement étudiante. Alors que je errais dans les rues, flânant, rêvassant, je vis un homme disparaître comme par magie par un court mais étincelant éclair l'ayant traversé de part en part. Il ne pouvait pas être mort, et j'étais certaine de ce que j'avais vu, aussi décidais-je tout simplement d'attendre devant cette ruelle, pour voir s'il reparaîtrait, ou si quelqu'un d'autre disparaîtrait ainsi. Je ne m'y attendais pas, mais ce fut l'inverse qui se produisit : une jeune femme à la beauté terrible et hypnotiseuse sortit de nul part, une longue cape claquant dans son dos et la chevelure rousse secouée d'insensibles bourrasques.
Elle me vit du coin de l'oeil et eut un vague sourire moqueur, comme si elle s'amusait du fait que je ne sache pas quelque chose d'important, ou d'évident... La conviction me vint qu'il fallait que je vois par moi-même ce qu'était cet éclair furtif. A pas mesurés, j'avançais dans la ruelle. J'avançais, j'avançais, j'avançais... Rien ne se passait. Je continuais, toujours très prudemment, quand, brusquement, levant le nez, je remarquais que je n'étais plus du tout au même endroit.

Les gens allaient et venaient sur une grande place publique, visiblement au centre d'un village aux allures médiévales qui n'étaient pas sans me rappeler un lointain passé. Peu avaient l'air asiatique, mais je vis passer d'étranges créatures : qui avec des tentacules à l'image des poulpes, qui à l'allure féline, canine, équine, voire bovine... J'étais estomaquée, perdue, pour ainsi dire. Et j'étais immobile, plantée au milieu de cette place, incapable d'articuler le moindre son...
Soudainement, on se saisit de mon bras, me tirant à l'écart. Un homme me faisait face. De stature impressionnante, c'était surtout sa mâchoire qui m'intimidait car il semblait capable de briser un os humain à pleines dents.

_Tu viens de Seikusu, toi, non ?/

Encore sous le choc et incapable de parler, je me contentais d'hocher du chef, comme une enfant. Il eut une moue laissant deviner qu'il s'y attendait avant de décréter qu'il me fallait le suivre. Comme une enfant, je me laissais guider, incapable de quoi que ce soit d'autre. Sans douceur, il me poussa, après de longues minutes de déambulation, dans une auberge dont j'entrevis le nom, quelque chose en rapport avec la lune. Il m'installa d'autorité à la table d'un bellâtre qui, pourtant, ne semblait pas du genre à plaisanter. Il me posa une série de questions, sur la région de laquelle je venais, ce que je venais faire à Nexus – je compris petit à petit que tel était le nom de la ville où j'avais atterri – sur mes intentions, etc. Finalement, et semblant satisfait de mes réponses, il entreprit de m'expliquer où j'étais : Terra, une sorte de duplicata de la Terre, dont peu avait connaissance, et dont même la majorité des habitants ignoraient qu'elle était un doublon d'une autre planète. Il tenta de m'expliquer la situation politique de ce nouveau monde qui s'offrait à moi : le monde libre de Nexus, qui guerroyait contre la dictatoriale et austère Ashnard, villes qui s'affrontaient généralement par des coups bas à Tekhos, ville neutre. J'appris que ce monde était bien plus vaste que la Terre et, surtout, qu'il était peuplé de créatures bien plus étranges que moi.... Avais-je donc trouvé mon véritable chez moi, après tout ce temps... ?

Notre discussion dura un long moment, tant et si bien que l'épuisement, nerveux et moral, l'emporta sur moi. Mes nouveaux compagnons me prirent une chambre, dans laquelle ils me montèrent, et où je me réveillais le lendemain matin.
Assoiffée par la curiosité et le besoin de nouveauté, je passais la journée à explorer la ville jusque dans ses moindres recoins. Je pu ainsi, en effet, constater de l'incroyable diversité d'humanoïdes que portait ce monde. Je venais presque à m'en sentir normale.

Alors que le soleil commençait à décliner sérieusement dans le ciel, je rejoignis l'auberge ou je retrouvais mes deux nouveaux compagnons. Je m'asseyais à leur table, devant leur face goguenarde de ma propre mine sérieuse.
J'avais pressenti de ce que pouvait m'offrir ces nouvelles terres mais, avant de m'engager dans quoi que ce soit, j'avais encore besoin de précisions et d'informations.

_Je ne suis pas naïve. Je présume que vous êtes en guerre contre Ashnard. Vous avez la tête de combattants qui se battent plus pour leurs idées que pour autre chose. Me serais-je trompée?

Ils ne répondirent rien, se contentèrent de sourire plus largement.

_Bien, concluais-je de moi-même.
Il y a quelques années, là d'où je viens, je dus lutter contre une armée autoritaire. Je suis prête à recommencer. Rien ne me retient plus sur Terre, je n'ai ni enfant, ni époux qui m'attendent, et je n'ai jamais trouvé aucune terre qui soit à ma mesure.
J'ai vécu plus de1800ans sur Terre, et j'en suis lasse. Si vous me laissiez rejoindre vos rangs, je mettrais à profit près de deux millénaires d'expérience guerrière, et saurais y trouver mon plaisir dans le fait de voyager pour vous.
En un mot ? Engagez-moi.


Ils se regardèrent longuement, et, comme un seul homme ils acquiescèrent du chef.


Dès lors commença ma nouvelle vie. Je m'engageais dans l'armée, pour ainsi dire, sous-marine de Nexus. Missionnée à Tekhos où j'étais censée démanteler certaines armées tout aussi sous-marines que les bataillons auxquels j'étais affiliée, je m’astreignais à servir du mieux que je le pouvais les personnes qui m'avaient engagé. Finalement, je trouvais dans cette nouvelle vie, tout ce que j'avais toujours cherché : une bataille pour des valeurs telles que la liberté et la fierté, un milieu guerrier, et une liberté sans borne. Car si je me devais en effet de répondre aux différentes exigences qu'on avait à mon encontre, si je devais exécuter certaines missions avant une date définie ; je pouvais en revanche aller où bon me semblait le reste du temps, ce qui me comblait.
A la différence de la dernière guerre à laquelle j'avais pris part, je pouvais, ici, aller et venir comme je le voulais, sans craindre d'être contrôlée puis, ou, me faire arrêtée, torturée...

Au bout de quelques années de service auprès de l'armée de Nexus, je me livrais totalement aux deux hommes qui m'avaient trouvé et qui, par la force des choses, étaient devenus des amis. Ils prirent étonnement bien mon incapacité à mourir, mais, après réflexion, ce n'était pas chose si extraordinaire sur Terra. Ils comprirent également ma détermination à retourner de temps en temps sur Terre afin de tenter de trouver l'homme qui avait bénéficié, durant la Seconde Guerre Mondiale, de mon sang et de ses incroyables capacités.
Je n'avais toujours aucune information à son sujet, mais j'étais pourtant persuadée qu'il était toujours en vie, car, après tout, la principale caractéristique de mon organisme était son incroyable longévité.
Ils m'autorisèrent donc – eux ou la haute sphère, je ne le su jamais vraiment – à retourner occasionnellement sur Terre, pour retrouver cet homme. Par ailleurs, ils commencèrent à m'envoyer sur la Base Spatiale, où l'on avait pris connaissance de l'implantation de certaines bases ashnardiennes. J'avoue que j'en profitais de temps en temps pour mener une guérilla personnelle contre l'Académie et sa suprématie que je trouvais écrasante.


Le monde a changé. Le monde a changé.
Je n'ai pas bougé d'un cil.
Mais le monde a changé. Oui, le monde a changé...
Aujourd'hui j'ai un nouveau monde à ma portée.



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Il la regardait, les yeux débordant d'amour. A peine l'avait-il vu qu'il la désirait. Ce n'était pas tant sa beauté qui l'avait ému, mais cette étrange aura qu'elle dégageait et qu'elle semblait semer où qu'elle passe. Elle avait cette étrange et mystique beauté que dégageaient les orages, les pluies diluviennes, cette étrange beauté que l'on savoure au chaud chez soi, en admiration, à la fenêtre, devant le déchaînement de la nature. Et pourtant elle avait en elle cette force tranquille, douce et apaisante, mais que l'on sentait redoutable. Edith était une femme complexe, à la beauté tout aussi complexe.
Il aimait sa grâce, son élégance, il aimait son port de tête, il admirait la rectitude de son dos, prolongement parfait de son implacable et magnifique esprit. Il aimait sa froideur moite, sa chaleur hivernale, il adorait sa distante dignité aux aspérités torrides. Il admirait ses façons, ses yeux noirs aux reflets changeant, son parfum de velours aux accents fruités, sa démarche fluide et altière, la fierté qui transpirait dans chacun de ses actes, il aimait son sourire, son rire, les fossettes qu'ils dessinaient dans ses joues, la parenthèse qu'ils ouvraient sur son visage.
Il avait pour elle un amour inconditionnel, une admiration sans borne et un respect total. Lorsqu'elle donna le jour à leur fils, au détriment de la petite fille, il vit en elle l'achèvement de sa féminité et de leur amour. Si elle eut du mal à surmonter ce deuil, elle fut pourtant une mère exceptionnelle. Elle semblait comme sublimée, comme entière.
Edith avait pour elle une beauté sans limite, associée à un esprit fin, vif et parfois railleur qui ravissait tout le monde, exception faite des egos surdimensionnés, mais cela ne le dérangeait pas outre mesure, bien au contraire. Il pouvait passer pour un homme faible auprès de certains de ses amis, car il laissait son épouse s'exprimer comme il le souhaitait, néanmoins cela l'amusait et il ne pouvait, de toutes façons, pas concevoir de brider cette femme, qu'il aimait pour sa liberté et son esprit.

Où qu'il regarde, il ne voyait qu'elle. Elle et sa taille fine qui s'évasait en deux monts superbes de hanches qui roulaient sous ses pas, une poitrine abondante dans laquelle il pouvait se perdre jusque des heures entières, laquelle se soulevait avec violence lorsqu'elle riait et irradiait de sa joie, de son bonheur... Non, aucune femme ne lui arrivait à la hauteur. Oui, il existait des femmes dont la beauté était éclatante, plus éclatante même que celle d'Edith, mais aucune ne pouvait et ne pourrait jamais rivaliser avec ce qu'elle dégageait. Même celles et ceux qui ne l'aimaient pas ne pouvaient s'empêcher de la suivre des yeux où qu'elle aille, ne pouvait se départir d'une attraction envers elle, comme si elle avait été un aimant...

Oui, il était fou d'elle. Et aucune femme au monde n'aurait pu le convaincre de la tromper, de la quitter, ou même le convaincre qu'elle n'était pas la plus extraordinaire qu'il lui ait été donné de côtoyer.

Car au-delà de sa beauté, c'était son esprit aussi qui le charmait. Elle était d'une intelligence rare, et surtout, s'accrochait à ses principes et ses valeurs plus que quiconque. Elle n'avait que du mépris pour ceux dont loyauté, respect, honneur et dignité étaient des préceptes inconnus, et sans même qu'elle ne lui ai jamais dit, il savait qu'elle aurait préféré mille fois mourir plutôt que d'être privée de cette dignité qui la suivait partout, plus proche d'elle que ne l'était son ombre. Elle voyait des signes de dignité – ou de son absence – partout, et démontrait un grand respect à tous ceux qu'elle en jugeait dignes. Il était si palpable et l'on se sentait alors si grandit, que le respect qu'on lui témoignait en retour était presque religieux, mystique.
Non, jamais il n'aurait pu trouver meilleure épouse et il se plaisait même à penser que les hommes mondains qui le tournaient en ridicule, sous prétexte que sa femme lui volait toute la lumière, que l'on venait davantage chez eux pour elle que pour lui, il se plaisait à penser qu'ils étaient simplement dévorés par la jalousie et sans doute n'avait-il pas tort ; car l'Empereur lui-même avait qualifié Edith d'un des plus beaux joyaux de l'Empire.

Oui, il était fou d'elle, et lorsqu'elle disparut mystérieusement, il garda jusqu'à son dernier souffle près de lui, le dernier portrait qu'il avait été fait de son épouse. Il le chérit plus qu'il n'aima son fils, mais il ne put jamais se résoudre à oublier celle qui avait été sa femme.



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Citer
En résumé?
Astrid est une viking bénie d'une longue vie. Après avoir traversé les âges, les époques et l'Histoire, elle a migré, au fil de ses pérégrinations, au Japon, puis, comprenant qu'il était de plus en plus ardue pour elle de changer d'identité – chose nécessaire par son immortalité – elle s'installa sur Terra, où elle se rendit à Tekhos. Faisant partie de l'armée de Nexus, en guerre contre Ashnard, elle se rend également souvent en mission sur la base spatiale afin d'y exécuter des contrats, mais aussi à titre personnel pour y organiser une sorte de rébellion contre la suprématie qu'elle juge écoeurante de l'Académie.
En somme, c'est un personnage militaire et politique, oui.

Cassidy Green

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Re : Au travers des âges [Law]

Réponse 3 samedi 05 juillet 2014, 14:41:06

Bienvenue ;D
Voici mon topic pour découvrir mes autres comptes. Veuillez aussi me contacter sous ce compte pour mes autres personnages, vu que je suis plus souvent connecter avec Cassidy Green qu'avec les autre ;D

SSiegfried

Humain(e)

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 4 samedi 05 juillet 2014, 22:34:40

Une femme.

Hm hm.

J'ai le sang d'une femme dans les veines.

Hm hm.

Humiliation.

Oui. Mais une femme badass, admet-le. Une Shield Maiden.

Une femme. Viens me chercher, si tu l'oses.
SS-Hauptsturmführer Anton, baron von Königsberg.

Cette image mène à mon RP que je l'aime bien.

Ce personnage n'a pas pour but de faire l'apologie du nazisme et cherche au contraire à avoir une réflexion sur les suites de l'idéologie à travers le temps, la survivance des endoctrinements meurtriers et la reconstruction des esprits détruits.

Le joueur et son perso sont à dissocier.

Law

E.S.P.er

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 5 samedi 05 juillet 2014, 22:37:08

Je valide, mais c'est bien parce qu'on me paie pour !

... Non, en vrai j'ai adoré ^^ C'était génial. J'ai beaucoup vu l'esprit de la joueuse... Et ça m'a plu d'autant plus.

Tu peux donc aller jouer avec l'autre fils de pute de génocidaire. Ou avec les autres, aussi, d'ailleurs.

<3

Ancien Despote, admirateur de Moumou la Reine des Mouettes, président/trésorier/unique membre de l'association des cultistes de Frig, directeur du club des Persos Vitrines, Roi des Bas-Fonds de Nexus, grand-maître de l'ordre du caca masqué, membre des Jmeféchié, médaille triple platine de l'utilisation du Manuel des Castors Juniors, premier gérant de l'association "Cthulhu est votre ami", vénérateur de la cafetière, seigneur de la barbe et des cheveux, chevalier servant de ces dames, Anarchiste révolutionnaire, extrémiste de la Loi.



Je suis pour la réhabilitation des Userbars.
Les userbars sont VOS amies. Elles sont gentilles.
Utilisez des userbars. <3

Astrid

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 6 dimanche 06 juillet 2014, 11:31:34

Merci <3

(j'ai trop l'exclu du "valhistoriquée" =3 )

Psycho-Mouton

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 7 dimanche 06 juillet 2014, 13:10:13

J'ai tout lu... au point d'oublier de poster un message hier ^^
Donc bienvenue et félicitation

Astrid

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 8 dimanche 06 juillet 2014, 15:27:16

Merci encore à Stephen pour ce super kit \o/

Et merci psycho-mouton ! ^^

Kyle Macross

Valinichonneur

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  • FicheChalant

    Description
    ◄ Sentinel Prime ►
    (En plus d'avoir des plus grosses couilles que ton père, il porte mieux les collants que ta mère.)

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 9 dimanche 06 juillet 2014, 23:54:02

Je passe juste pour dire que j'ai pas lu.
Mais promis je le ferais.

Voilà.
Je t'aime.


Salomée

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 10 lundi 07 juillet 2014, 10:56:41

En tant qu'historienne cette fiche m'a ravie !  ;D
Belle plume!

Re-bienvenue, d'après ce que j'ai compris!

Marie Raven

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 11 lundi 07 juillet 2014, 22:24:42

Je lirai pendant mes vacances !

Rebienvenue du coup ^^




DC d’Alice Korvander.

Consultez ce topic pour une présentation détaillée de mes personnages.

Pour une demande de RP, je vous encourage, soit à poster sur le topic susmentionné, soit à envoyer un MP sur mon compte principal.

Astrid

Créature

Re : Au travers des âges [Valhistoriquidée !]

Réponse 12 jeudi 17 juillet 2014, 17:28:09

Merci beaucoup Salomée, cela me touche beaucoup !

Je t'attends de pied ferme, Marie, mais merciii ! =D


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