« 000009 ? Elle était là depuis beaucoup trop longtemps. C'est pas le gîte et le couvert indéfiniment ici, faut pas croire. En fait, ils l'ont… – la gardienne fronça les sourcils – …hey, putain, je suis pas sûre d'avoir le droit de te dire ça. Enfin, tu vois, ça nous fait une personne de moi à surveiller. Mais bon, Poissard et moi, on s'en fiche. On risque jamais rien, dans ce job. On surveille des microbes dans ton genre ; ou pas beaucoup plus gros. Mais à l'étage en-dessous, là, ils ont vraiment des malades. Des types ils seraient pas dans un champ de contrition, ils te feraient exploser tout le complexe rien qu'en pensant à une étincelle. C'est un peu flippant d'avoir ça sous les pieds, putain, non ? »
Elle s’esclaffa encore. La requine avait l'air d'avoir très envie de parler, et prenait visiblement un certain plaisir à parler de son travail avec un prisonnier. Peut-être était-ce parce qu'elle était si effrayante d'apparence que les détenus, en règle générale, n'osaient pas lui adresser le moindre mot, surtout sur le ton de la conversation. Elle aurait volontiers continué, mais les portes de l'ascenseur s'ouvrirent.
« Allez mon rat, c'est tout droit. »
La qualité de la pièce, qui ressemblait à un hall d'entrée, n'avait rien à voir avec celle des cellules. Les murs étaient recouvert d'une peinture gris-métallique impeccable, sans la moindre trace d'humidité, qui donnait à l'endroit un côté beaucoup plus moderne. Devant eux, il y avait un pupitre, où un petit homme d'une cinquantaine d'années, le cheveux blond et court, la face assez ridée, semblait se charger de l’accueil.
« Ah, voilà le fameux Ernest Lenoir ! La passion numéro un du docteur Carval, et donc de tout le labo. Ohoh. J'avoue ne pas comprendre pourquoi. Mais c'est en salle JANUS, deuxième porte, couloir gauche » indiqua-t-il, visiblement enthousiaste.
Il n'y avait pas beaucoup de chemin à faire : le hall d'entrée se divisait en deux couloirs parallèles. Il y avait une odeur d’hôpital. Au milieu du couloir gauche, ils aperçurent une femme en blouse qui poussait un chariot métallique sur lequel était disposé une dizaine de petites seringues identiques. Sur la première porte était indiquée « PORTUNUS », et sur la seconde « JANUS ».
La gardienne ouvrit cette dernière et invita Ernest à entrer. C'était une pièce à peine grande comme une chambre. Il n'y avait aucune source de lumière visible, seulement un miroir sur le côté gauche, et un fauteuil en métal fixé au sol, au milieu de la pièce. Il était dans un matériau brut, un peu trop dur pour être vraiment agréable.
« Tu t'assois, et tu attends » ordonna la requine.
Elle attendit que le prisonnier s’exécute, puis elle sortir en fermant la porte. La pièce serait alors plongée dans le noir pendant plusieurs secondes. Jusqu'à ce qu'une paire de diodes bleues apparaissent en hauteur, en face du fauteuil.
« Bonjour Ernest Lenoir, je suis JANUS, une intelligence artificielle destinée à vous faire passer une série de tests. Je suis capable d’interagir dynamiquement avec mon patient. »
La voix était synthétique, mais l'intonation précise. En revanche, le nom du prisonnier avait été prononcé d'une manière phonétique, plus approximative. Seul élément distinguable dans l'obscurité, les diodes s'allumaient alternativement, au rythme de la parole.
Des arceaux de métal jaillirent sur les côtés du fauteuil, enserrant les bras d'Ernest juste sous les épaules, et réduisant considérablement sa liberté de mouvement. Puis il y eut un bruit de moteur électrique, et le dossier du fauteuil s'ajusta à sa taille, faisant en sorte que son dos soit bien calé contre le dossier, quitte à raidir un peu le patient.
« Ce fauteuil est équipé d'un détecteur de mensonges. Nous allons le calibrer en vous proposant des affirmations. Indiquez-nous honnêtement par oui, ou non, si celles-ci sont justes. »
Le mutant put sentir un demi-cercle d'acier se refermer autour de son cou. Il était garni d'une multitude de petites pointes, qui appuyaient légèrement sur toute la surface de sa gorge.
« – Vous vous appelez Ernest Lenoir.
– Vous êtes le fils de Philippe Lenoir et d'Ashley Willard.
– Vous avez quinze ans.
– Vous êtes un mutant.
– Vous avez eu une relation amoureuse avec une femme disposant d'attributs félins.
– Vous êtes un traître à la Confrérie.
– Sur une échelle de zéro à dix, où zéro vaut pour « absolument faux » et dix pour « absolument vrai » : vous avec une haute estime de vous-même.
– Sur cette même échelle : vous trouvez la personne qui vous a conduite ici sympathique.
– Sur cette même échelle : vous trouvez l'homme de l’accueil sympathique.
– Sur cette même échelle : vous trouvez le concepteur de ce test sympathique.
– Sur cette même échelle : vous me trouvez sympathique.
Retour à des questions binaires.
– Votre organisme produit une puissante molécule mutagène nommée « Arachnéum ».
– Vous connaissez le docteur Richard Carval. »
Les questions s'enchaînaient sans pause. Dès qu'Ernest avait terminé de répondre à l'une d'entre-elles, une autre suivait sans commentaire ou signe particulier émis par Janus.