Les épaules de la shaman se détendirent en voyant que Lucie était certes devenu... quelque chose d'autre. Mais au moins, elle n'était pas morte ou à l'agonie. Les dieux soient loués.
Ça restait embarrassant, cela dit, et l'elfe mit un long moment avant de trouver ses mots, se rapprochant de sa "victime" avec lenteur. Celle-ci lui parlait avec humeur, pas très heureuse de sa transformation - ce qui était compréhensible.
Finalement, le seul truc qu'Orbrea crut bon de sortir fut une réponse d'assez mauvaise foi :
"...Mh, au moins, ta blessure a complètement guéri. Tu as vu ?"
Il n'y effectivement plus de trace de la plaie sur la jambe de Lucie... un peu logique, vu qu'il n'y avait plus de muscles ou de peau non plus. Ni d'os, d'ailleurs.
Mais un peu de fierté au plafond, quand même. Concernant sa responsabilité dans cette histoire, l'aveu de l'elfe se fit tout simplement en jetant la grappe de baies par terre, maintenant inutile.
"J'avais oublié ça. Dans la potion, je veux dire. C'est pour ça que tu te retrouves, hem... comme ça, maintenant."
Se grattant l'arrière de la tête, la shaman réfléchissait à une solution. Le plus simple aurait encore été d'aller au village le plus proche pour glaner quelques informations, mais la solution se révélait bien trop humiliante pour la pauvre sauvage, qui imaginait déjà Nora répandre la nouvelle comme une traînée de poudre. Cette andouille n'avait jamais su tenir sa langue.
D'autant plus qu'Orbrea n'était pas experte sur les slimes. Elle n'en avait à vrai dire que vu rarement dans sa vie, et en avoir une devant ses yeux entraînait sa curiosité. Son regard doré se perdait sur l'apparence de Lucie, notant qu'elle n'était pas habillée, d'ailleurs.
Mais de ce qu'elle en savait, la condition dans laquelle se trouvait la pette pyromane n'était pas dangereuse. Après tout, elle paraissait en bonne santé et en pleine maîtrise de ses moyens... enfin... presque, puisqu'apparemment, elle n'arrivait pas à marcher.
Cette réflexion faite, la Gardienne se figea d'un coup, alerte. Un sifflement se fit entendre dans son oreille droite, suivi par un bruit mou.
L'analyse de la situation fut brève : une flèche venait de traverser un des bosquets, et de frôler la tête d'Orbrea... pour se diriger ensuite vers Lucie, dont la nouvelle condition lui avait heureusement évité de se prendre un projectile en plein cœur. La flèche l'avait en effet traversé de part en part, et avait fini sa course dans la flaque d'eau derrière.
La shaman tenta de se retourner, mais elle ne fut pas assez rapide. Quelqu'un vint la saisir par derrière, lui faisant une clé de bras et empêchant son autre main d'attraper le couteau qu'elle portait à sa ceinture. Ainsi immobilisée, la surprise la gagna quand elle vit trois hommes à l'apparence assez amochée, mais toujours debout, sortir des fourrés aux alentours. Ils souriaient, heureux de leur trouvaille, et sûrement guidée par la sauvage qui n'avait pas dû faire assez attention en revenant, dans sa précipitation entraînée par la peur de trouver un cadavre à la place de Lucie.
"C'est elle qui a mis Erwan à terre, je la reconnais, commenta l'un d'eux en regardant la Gardienne. Elle est aussi balèze que belle, bravo Piers. On en tirera un bon prix !"
La dernière phrase fit sourire Orbrea, habituée à ce genre de situation qu'elle affrontait de temps et temps et dont elle s'était toujours tirée - elle n'aurait rien à faire à son poste, dans le cas contraire. L'attention générale se reporta ensuite sur Lucie qui n'avait pas pu bouger à cause de sa nouvelle apparence.
"Et ça, c'est quoi au juste ? demanda l'un d'eux avec dégoût. On l'embarque aussi ? Qu'est-ce qu'on va en faire ?"
"Évidemment qu'on l'embarque aussi ! Tu sais combien ça coûte, une slime sur le marché ?"
"Ça va nous dégueulasser la caravane, non ? C'est bizarre qu'elle n'ai pas déjà commencé à s'enfuir en courant..."
Visiblement pas dans le fantasme classique de la slime, l'esclavagiste qui tenait Orbrea et qui prenait probablement le rôle de chef soupira, ennuyée par la bêtise de son camarade.
"Je t'ai pas demandé ton avis, mon gars. Et les slimes ne courent pas, elles glissent."
Remarque juste, effectivement. Les slimes prenaient rarement la peine de se former des jambes : elles préféraient glisser sur leur propre masse, et pouvaient s'y prendre assez vite, d'ailleurs.
Orbrea observait sa camarade, ses yeux lui lançant des regards insistants, virevoltant à tour de rôle vers Lucie, les opposants et... l'étendue d'eau derrière eux, qui pourrait s'avérer mortelle pour quelqu'un, disons, incapable de ses mouvements et privé d'oxygène...