C’était le soir. La nuit drapait lentement le ciel de son drap pourpre tandis que des lueurs s’allumaient dans la ville, vaine défense contre l’obscurité à venir. Tandis que d’honnêtes employés du cabinet Dolan sortaient retrouver leurs masures, d’autres personnages moins fréquentables profitaient de ce dépeuplement pour mener leurs affaires en toute discrétion. C’était le cas d’un homme vêtu d’un lourd manteau qui passa la porte du cabinet et marcha du pas assuré de celui qui sait où il va. Un homme en noir, au passé noir, espérant que la justice corrompue le nettoierait une fois de plus.
-Monsieur Dolan, votre rendez-vous, monsieur Yanagawa, est arrivé, prévint une voix féminine s’élevant du bureau de l’avocat.
William rangeant quelques documents avant d’appuyer sur le bouton de l’interphone.
-Faites-le entrer. Ce sera tout pour ce soir Niji, vous pouvez rentrer.
Un homme ouvrit la double porte en bois laqué du bureau de Dolan et le salua avant d’accrocher son manteau. Il était un peu plus petit et trapu que l’avocat, ses cheveux plaqués contre son crâne se décollait légèrement au niveau de ses tempes. Son visage n’était pas des plus gracieux car son nez plutôt proéminent pour un japonais, semblait attirer tout le reste de son visage.
-Monsieur Dolan, soupira-t-il en s’asseyant dans le siège en face de l’avocat. Vous voyez dans quel pétrin je suis ?
Yanagawa lui décocha un sourire montrant que toute cette affaire ne semblait pas lui faire de cheveux blancs.
-Oui, je vois, répondit l’avocat avec sérieux. Il y a des preuves, des témoins, et des militants qui prennent le temps de s’acharner sur vous.
-J’ai fait comme d’habitude, se défendit-il en écartant les bras d’un air innocent. Je suis sûr qu’elle a aimé en plus, du moins je me doute puisque normalement il n’y a jamais de réclamations.
-Il se trouve que cette fois, la victime ne s’est pas laissée intimider et a trouvé du soutien pour vous poursuivre en justice.
Yanagawa s’esclaffa bruyamment en agitant la main comme pour balayer au loin ces petits tracas. Cependant, son regard froid faussait sa prétendue allégresse. Il se pencha lentement sur le bureau et prit un ton plus sinistre.
-Je suis un Yakuza, membre de la famille Inagawa-kaï, fit-il en inclinant la tête, arborant ainsi le début d’un tatouage. Je n’ai pas le temps de m’occuper des piaillements de cette petite pute, ni de ces supporters. Faites votre boulot ou bien je ferai le mien, un couteau pour elle et pour toutes ces petites truies qui me crachent dessus bien planquées derrière leur écran d’ordinateur.
William ne répondit pas, se contentant d’hocher solennellement la tête.
-Bien ! Affaire réglée, déclara le Yakuza en se levant et en écourtant cette entrevue. Et la prochaine fois que je dois venir, épargnez moi ces putins de millions d’étages que je dois monter pour vous voir. Quand on te dit qu’il faut être au-dessus des autres, c’est qu’une satanée métaphore, c’est pas à prendre au premier degré !
La porte claqua et le calme revint dans le bureau, libéré des jurons de ce personnage expansif. Songeur, William s’approcha de sa baie vitrée et regarda la ville en contre-bas. Un bain de sang était la dernière chose qu’il souhaitait mais Yanagawa avait raison sur un point ; il y avait effectivement deux problèmes à régler, celui de la victime et celui du Daily Rapist. Il fallait les faire taire tous les deux. C’était ces gêneurs qui rendaient l’affaire publique qu’il fallait faire taire. Les médias sont dangereux, ils rapportent tout, même ce qu’ils ne savent pas. Mais dès qu’il se taise, plus rien n’existe. C’est eux qu’il fallait viser en premier, en commençant pas la source.
William s’était déjà renseigné sur le Daily Rapist. Il connaissait celle qui était derrière, Makoto Yamashita. Une petite journaliste en herbe. Ces gens sont curieux par nature, elle ne refusera pas son invitation. Où elle veut, quand elle veut, comme on dit.