[Cher lecteur hypothétique : Plusieurs personnes, dont certaines estimables, se sont méprises sur le sens du texte ci dessous. Il aurait été possible de le modifier pour éviter toute ambiguïté, mais je préfère de loin cette méthode de rustre qui est de m'adresser à toi, à brûle pourpoint. Sache donc que lorsque je fait mention de sabots de bois, il s'agit nécessairement d'un type de chaussure rudimentaire, et non pas de sabots de chevaux, ceux-ci étant constitués de corne, et éventuellement recouverts de métal. Voilà, bonne lecture à toi.]
Maelie et Lucas se trainaient péniblement, dans un quartier qui leur était totalement inconnu. Leurs jambes étaient lourdes d'avoir couru pour échapper à la garde, qu'ils avaient finalement semée au hasard des rues. La rouquine ne rêvait rien de plus que de s'assoir. Et d'une limonade, peut être. Mais poser son derrière aurait déjà été pas mal. C'est ce qu'elle finit par faire, se laissant glisser le long d'un mur, à même le pavé, comme une chiffe molle.
Que faire maintenant ? Leur signalement devait circuler, les entrées de la ville devaient être surveillées. Plus moyen de sortir tranquillement. Elle jette un oeil à son petit protégé, puis pose ses coudes sur ses genoux, la tête enfouie entre les bras. Que faire que faire ?... Il devait y avoir une solution. Pour passer la porte sans être vus... la seule idée qui s'imposait à elle était de se cacher dans une charrette pleine de marchandise. A supposer que les gardes ne contrôlaient pas les cargaisons, ce qui lui semblait assez peu probable, surtout maintenant qu'un monstre sanguinaire était recherché en ville. C'était pourtant la seule solution qui lui venait. Cherche Anastasia, cherche. Elle cogitait de toute ses forces, mais plutôt que de trouver une solution, il lui semblait que son esprit tournait en rond. Trouver un charrette, s'y glisser discrètement... à supposer qu'un marchand laisse ses denrées sans surveillance... non c'était impossible.
Le son de sabots de bois claquant avec une calme régularité sur le pavé la sortit de ses tergiversions. Un grand homme brun, la trentaine, mal rasé, mal coiffé, l'air un peu fatigué, passa devant eux en leur jetant un regard de travers. Celui-ci s'attarda sur la succube, qui n'en fit pas grand cas : presque tous les hommes qu'elle croisait la zyeutaient avec plus ou moins d'insistance, selon leur degré de savoir vivre. Celui-là, visiblement, était dans la moyenne basse. Il venait de détourner les yeux et commençait à s'éloigner, quand Anastasia, sans trop qu'elle sache pourquoi, se décida à l'interpeler :
"Excusez moi !..." ; elle se remit péniblement sur pieds et s'époussetant le derrière. "Je, euh... nous sommes perdus..."
Elle ignorait à peu près ce qu'elle attendait de lui, en lui posant cette question. Peut être le chemin à suivre pour rejoindre une sortie, peut être autre chose. L'inconnu semblait plein de bonne volonté. Il la jaugea en souriant, mâchonnant un bâtonnet de bois entre ses dents, avant de répondre :
"C'est pas franchement le meilleur endroit pour se perdre ici, vous savez. Y'a pas que des gens bien. Heureusement que vous êtes tombés sur moi, dites donc..."
Il attrapa son bout de bois entre le pouce et le majeur et le fit sauter en tourbillonnant, dans un geste qui rappelait un claquement de doigts.
"Si vous allez dans cette direction, c'est le centre-ville, le marché, tout ça... bon, vous en avez pour une trotte, mais on a vu pire. Ça, s'est si vous voulez retrouver vos parents, et si vos parents veulent vous retrouver."
Il marqua une nouvelle pose. Il s'exprimait lentement, sur un ton monotone, presque ennuyé.
"Par contre, si vous êtes... brouillés avec vos parents... vous pouvez toujours venir avec moi. Mais je ne suis pas responsable des bêtises que vous pourriez faire."
Une lueur d'espoir naquit dans les yeux de la jeune fille ; un moment elle crut qu'on leur offrait l'hospitalité. Mais visiblement, ça n'était pas ce que l'individu proposait.
"Peu de parents tiennent assez à leurs enfants pour venir les chercher à la Cour des Miracles. Après, c'est comme vous voulez. Sachez qu'on trouve à peu près... ce qu'on veut, là bas."
Il se tait et observe la demoiselle, pendant que celle-ci ouvre et referme la bouche, indécise. Indécise, jusqu'à ce que finalement...
"D'accord. Viens Lucas !"
... elle se remette en marche, suivie de son serviteur, à la suite de leur nouveau guide.