Assez ironiquement, revenir à Sylvandell serait encore plus rapide que de rejoindre l’emplacement où se trouvait le portail qui y menait. La Princesse n’avait plus rien à faire ici, et pesait le pour et le contre. Retourner chez Mélinda ? Flâner en ville ? Ou retourner chez elle ? Elle opta rapidement pour la dernière solution, afin de fouiller sa bibliothèque personnelle. Depuis qu’elle était toute petite, à chaque fois que les Commandeurs partaient en mission, ils lui ramenaient fréquemment des livres, et sa bibliothèque était plutôt bien remplie. De plus, lorsque des libraires itinérants passaient par Sylvandell, Alice était généralement aux premières loges pour prendre des livres. La lecture, voilà sa grande passion. Une passion compréhensible : quand on avait passé sa jeunesse enfermée dans une tour, à suivre des entraînements militaires idiots et inutiles, les livres représentaient une fenêtre d’évasion. La princesse partit donc sur cette résolution : retourner à Sylvandell, et fouiller dans sa bibliothèque pour trouver des livres concernant Confucius, ou assimilé. Elle aurait pu aller chez Mélinda, mais, pour l’avoir vu, elle savait que sa bibliothèque était surtout axée autour de la pornographie et de l’érotisme... Peu de choses à voir avec l’étude du confucianisme, selon elle.
Pour retourner chez elle, il lui fallait trouver le portail menant au royaume, et ce portail ne se trouvait pas au manoir de Mélinda, mais dans un endroit isolé, et sûr. Quittant le lycée, elle se dirigea vers la station de tramway se trouvant près de ce dernier, inconsciente que le jeune homme rencontré à la bibliothèque la suivait dans son dos. Avec ses écouteurs sur les oreilles, elle était bien incapable de penser à autre chose que la musique qui défilait dans ses oreilles. La première fois qu’elle avait utilisé un baladeur, elle avait poussé un cri de surprise en sentant la musique émaner de ces petits appareils cylindriques s’enfonçant dans les oreilles. Comment est-ce que cette mécanique fonctionnait, voilà la question qu’elle avait posée, en recueillant comme réponse un haussement d’épaules. Elle avait depuis longtemps compris que, si les Terriens et les Tekhans employaient des technologies bien plus développées qu’eux, très peu en comprenaient le fonctionnement. Plutôt amusant, quand on y pensait. L’homme, fondamentalement, restait toujours le grand ignare qu’il avait toujours été, guidé et amélioré par une petite minorité d’individus suffisamment intelligents pour concevoir des éléments technologiques révolutionnaires. Il y avait sûrement une grande morale à en tirer, mais, tout ce à quoi l’esprit d’Alice pensa, c’était à pénétrer dans le tramway qui venait d’arriver.
Elle trouva rapidement une place où s’asseoir. En ce milieu d’après-midi, il n’y avait pas la cacophonie habituelle qui caractérisait les fins de journée, et où les véhicules de transport public ressemblaient à d’énormes boîtes de sardines entassées. Alice s’assit sur un banc, et enchaîna sur une nouvelle musique, alors qu’elle observait la ville :
Fireflies, de Owl City. Une autre musique qu’elle aimait beaucoup, et elle ferma les yeux, remuant un peu la tête, alors que le tramway s’élançait. La première fois qu’elle était grimpée là-dedans, cette secousse l’avait surprise, et elle était tombée sur le sol, faisant glousser les lycéennes qui se chargeaient de l’accompagner. Elle resta donc bien assise, et le tramway s’élança joyeusement.
Il se remplit progressivement, se vida un peu, se remplissant de nouveau, jusqu’à ce qu’Alice descende, dans une station longeant les bas-fonds. Elle s’avança assez rapidement, sur un pas élancé, et s’enfonça dans une ruelle sur sa gauche. Un endroit assez sordide. Si quelqu’un la suivait, et la connaissait, il pourrait sans doute se demander ce qu’une jeune femme pouvait bien faire par ici. On aurait plutôt tendance à y voir des drogués venant réclamer leurs doses quotidiennes, ou des prostituées de bas étage, dans des opiumeries sinistres ou des bordels miteux. Elle s’enfonça dans une impasse avec une série de tags, et sortit de ses affaires une clef, qu’elle enfonça dans une porte verte. La porte grinça, et Alice rentra. L’endroit puait toujours autant, une odeur de renfermé et de moisi agressant les narines d’Alice. C’était un ancien entrepôt industriel, qui avait fermé lors de la crise des années 1990’s, en même temps que l’usine de textile auquel il était rattaché.
La Princesse était entrée par la section administrative, comprenant les bureaux, et s’avança vers l’accueil, allant chercher une lampe-torche. Elle referma ensuite la porte derrière elle, à clef. Une protection qui semblait en soi bien superflue, car il y avait d’autres entrées possibles, mais, de manière générale, il n’y avait pas grand-monde qui venait ici. Il n’y avait rien à voler, et les jeunes cherchant à faire des fêtes préféraient d’autres endroits. En allumant sa lampe, Alice suivit un couloir, et grimpa à l’étage. À travers les vitres crasseuses et poussiéreuses, on pouvait voir les autres bâtiments délabrés de cette partie de la ville. La Princesse fila dans un ancien bureau. Il ne restait plus rien que des lézardes le long des murs, et un placard. Elle regarda furtivement autour d’elle, puis ouvrit ce dernier. Dans un sac plastique, il comprenait ses vêtements de princesse. Elle ne pouvait pas non plus retourner au Château avec un uniforme scolaire, et entreprit de se changer. Elle enfila ses longs gants blancs, ses collants, et une
simple robe blanche.
Ainsi parée, la Princesse partit sur la gauche. Elle rangea ses affaires dans le placard, et poussa la porte à gauche. Cette dernière émit un grincement, audible dans une bonne partie de l’entrepôt. Derrière, il y avait une étrange mécanique : des glyphes sur le sol, et une portail silencieux au centre, relié par des fils à un étrange cristal violet dans un coin. Un mélange de magie et de technologie, permettant de générer un portail de déplacement dimensionnel. La Terre et Terra étaient des planètes extrêmement proches, sur une sorte de même ligne dimensionnelle, et il était donc facile de les rejoindre. C’était le même logique que les miroirs de téléportation que les mages utilisaient. La Princesse s’approcha du cristal, et l’enclencha. Il se mit à luire, et un vortex bleuâtre apparut au milieu de la pièce.
«
Home sweet home… » lâcha-t-elle.
Elle s’y enfonça alors,
disparaissant dans le vortex.