ÉLISE
Le nid d’Élise abritait les plus grosses araignées qu’elle avait à disposition, des araignées géantes qui avançaient dans l’obscurité, dans de sinueuses galeries. Celles-ci pouvaient tuer les hommes, car elles avaient été conçues pour. En l’état, les Terranides ne les voyaient pas, mais elles étaient bel et bien là, protégeant le nid, vigilantes, attentives. Élise, quant à elle, avait adopté sa forme d’araignée, lui permettant de se déplacer bien plus vite. Elle n’avançait pas sur le sol, mais depuis les nombreuses toiles tissées entre les arbres, rejoignant ainsi l’endroit d’où le feu était le plus proche.
C’est ainsi qu’elle rejoignit l’orée de la forêt, où elle reprit sa forme humaine. Relâchant la toile, tournoyant brièvement dans les airs, elle se réceptionna sur les jambes, entre plusieurs arbres... Et entendit les miaulements et les hurlements. Avec horreur, la Reine constata que sa forêt n’était pas en train de brûler. Le feu venait d’autre chose.
«
Enfoirés... »
Des cavaliers s’avançaient rapidement, en ayant dressé des croix en bois, des croix de l’Ordre, sur lesquels ils avaient crucifié des Terranides, avant d’enflammer les croix. Toutes les croix brûlaient, de hautes flammes dansant dans le ciel, laissant des volutes de fumée noirâtre s’envoler dans les airs. Des chapelets de fumée, alors que la chair des Terranides brûlait. Certains venaient juste d’être immolés, et se tortillaient en hurlant. La forêt se parcourut d’un frémissement, faisant écho à la rage que la Reine des Araignées ressentait devant ce spectacle. Il s’agissait très certainement de Terranides torturés, trop faibles pour pouvoir être exploitables. Plutôt que de simplement les tuer, les chasseurs d’esclaves les avaient mis là, traînant les croix depuis leurs chevaux, pour ensuite les planter, avant d’y mettre le feu. Il y avait une dizaine de croix, et les miaulements et les hululements se faisaient entendre. Il était très tentant de sortir, de fondre sur ces monstres, et de les tuer, mais elle savait qu’ils n’attendaient que ça pour l’attaquer. Sa main se crispait au tronc d’arbre, alors qu’elle pesait le pour et le contre.
*
C’est un piège, ne le vois-tu pas ? Ils veulent te provoquer, te forcer à sortir !*
Élise ne remettait pas du tout en cause ses propres talents au combat, sa propre habileté, mais elle savait aussi, clairement, qu’elle était loin d’être invincible. Hors de la forêt, elle était tout à fait mortelle, et on pouvait la blesser, voire même la tuer. Sans elle, qui protégerait les Terranides ? Élise ne pouvait pas s’y risquer. Le feu n’atteindrait jamais sa forêt, les cavaliers n’osaient pas s’en approcher. Elle les voyait rire entre eux, narguant la forêt, effectuant des gestes obscènes.
La Reine vit alors des chariots se rapprocher. Ils avaient des bâches, mais, quand les hommes les retirèrent, ce fut pour voir, à l’intérieur, des Terranides apeurés. Élise, silencieuse, muette, observait la scène. Les chasseurs ouvrirent les grilles, et tirèrent sur des cordes, faisant tomber les Terranides sur le sol. Ils gémissaient, suppliaient, imploraient de l’aide. Un autre homme s’approcha alors, chevauchant une abominable créature grise, qui claquait des dents. Élise ne le reconnut pas, mais il s’agissait de Brahmin. Tandis que plusieurs de ses hommes enquêtaient dans le Village des Toiles, lui avait décidé de soumettre un ultimatum. Il s’avança à droite et à gauche, et se rapprocha d’une sorte de mégaphone en or. Il l’attrapa, et sa voix résonna furieusement, ses accents remontant jusqu’au nid de la Reine.
«
À la créature qui préside en ces lieux ! »
La voix était tonitruante, et Élise serra les dents, sentant ses oreilles se faire agresser. Brahmin s’avança un peu, dépassant la ligne des croix, tandis que, derrière lui, les Terranides gémissaient et se tortillaient, certains étant battus et fouettés.
«
Vous abritez des fugitifs ! Des esclaves en fuite que nous avons pour ordre de ramener ! Le feu ne nous effraie pas ! Nous vous laissons jusqu’à ce soir pour nous les ramener ! Autrement, nous incendierons vos putains de toiles, et je pisserais sur votre cadavre ! »
Les discours les plus courts étaient les meilleurs. Élise déglutit lentement.
«
Ramenez-les moi ! Ramenez-les moi tous d’ici le coucher du soleil ! Si vous ne le faites pas, la nuit brûlera de vos arbres ! Je raserais toute votre saloperie de forê,t j’écraserais toutes vos araignées, je violerais vos putes, et ma Wyvern dévorera vos cadavres ! »
Comme pour appuyer ses dires, les hommes qui l’accompagnaient se mirent à hurler, approuvant les dires de Brahmin. La Wyvern se déplaçait de gauche à droite.
«
Terranides, si vous m’entendez, sortez d’ici ! Vous vous croyez à l’abri, mais vous ne l’êtes pas ! Rendez-vous par vous-mêmes, et je vous assure que votre châtiment en sera sensiblement atténué ! Refusez, restez avec la pute qui dirige en ces lieux, et, quand je brûlerais les parois de votre sanctuaire, je vous étriperais tous ! Je vous torturerais longuement avant de vous remettre entre les mains de vos geôliers, soyez-en assurés ! »
Les esclavagistes se retirèrent ensuite, dans des rires gras et mauvais, laissant les croix.
Blême, Élise attendit encore quelques minutes, avant de retourner vers les profondeurs de la forêt.
Elle allait devoir réfléchir, et, pour commencer, rassurer les Terranides.
MÉDONÉE
Vaguement, Médonée crut sentir une odeur de brûlé, venant de loin. Elle renifla un peu, humant l’air, avant de reporter son attention sur les trois visiteurs. Cependant, la question du visiteur la replongea dans ses pensées.
«
Des araignées géantes ? Décidemment…Et tu vas me dire que vous avez une encore plus grosse que toute les autres qui vous sert de dieu ? »
Elle réfléchit un peu. Pourquoi tant de questions ? Cet homme était étrangement curieux.
Trop curieux. Médonée, qui savait ce qu’on disait de la Forêt et du Village dans les villes proches, savait aussi que certains chasseurs et guildes recherchaient Élise, dont la tête était mise à prix. Une belle femme-araignée, ça ne courait pas les rues, et il arrivait parfois que certains chasseurs veuillent la capturer. Ils passaient par le village, ou s’enfonçaient directement dans la forêt, et finissaient généralement morts, dévorés par les araignées géantes de la Reine.
«
Que de curiosités... Espériez-vous peut-être faire un safari ? Exhiber fièrement dans votre chaumière la tête décapitée d’une araignée géante ? Si tel est le cas, je ne saurais que vous recommander certaines tours de mages désolées dans les montagnes. Les araignées géantes de certaines grottes y ont élu domicile, et l’endroit est moins dangereux que cette forêt. »
Médonée percevait toujours une odeur de brûlé... Ainsi que des sonorités venant de loin. Que se passait-il donc ? Les autres résidants de la taverne s’inquiétaient également, et l’un d’entre eux sortit dehors. La grand-rue du Village était soudain plus animée, les quelques habitants du Village sortant de leurs antres. Il y avait notamment la belle
Félice Namor, qui sortit avec les seins à l’air de sa maison, rapidement rejoint par deux hommes légèrement épuisés.
La prêtresse d’Élise reporta ensuite son attention sur les voyageurs :
«
Je suis convaincue que vous n’êtes pas là par hasard. Je ne crois pas aux coïncidences. Et je pense que cette odeur de brûlé est liée à vous. Vous pouvez nier, mais je sais très bien ce que vous êtes venu voir... Vous voulez des informations sur notre Reine, n’est-ce pas ? Je peux vous mener jusqu’à chez elle, dans les profondeurs de la forêt, si vous y tenez. »
Elle se pencha un peu vers eux, en souriant légèrement.
«
À moins que ces braves hommes ne soient trop effrayés pour oser s’aventurer dans la forêt ? »