Bon départ, mauvais terminus (Shizuka Shunya)

Au moins, je ne suis pas la seule à rigoler de ma remarque. Que ça soit réellement volontaire ou non, j'ai bien éradiqué la mauvaise ambiance qui avait été installée. Plus ou moins par moi-même, certes, mais au moins l'air est bien meilleur maintenant. Moins lourd de mauvaise humeur passagère mais remplit de sourires touristes sur les rails de l'allégresse. En revanche, ça ne change pas la question initiale que je me suis posée. Est-ce que je vais réussir à planter mes dents d'humaine pleine de vie et de jeunesse dans ce que je vois maintenant comme une des fesses de Shizuka ? Si je n'y arrive pas, j'aurais l'air idiote car la guérisseuse sais ce qu'il en advient. Mais si je le fais, je vais certainement rougir comme une pivoine après avoir rapproché ma mâchoire de cette merveille de boulangerie. Dans tout les cas, j'aurais l'air idiote, pas vrai ?

En reposant dans son panier le petit pain qui vivra un petit peu plus longtemps que prévu, je relève les oreilles et redresse le visage à ce que viens de dire Shizuka. Heureuse de m'avoir rencontrée ? Ho et bien, tout le plaisir est pour moi. Je doute avoir besoin de lui dire ce que je pense mais sait-on jamais ! De toute façon, n'importe qui de censé peut deviner qu'à partir du moment où il y a conversation amicale et banale autour d'une table, c'est qu'il y a bonne entente. En revanche, j'avoue que la partie concernant le "croquage" de fesses, comme dirais certains jeunes peu intéressés par la langue mère,me fait littéralement exploser de rire. Un peu brusquement certes... Mais j'avoue ne pas m'y être attendu ! De la part de cette petite timide c'est... Surprenant on va dire ! Mais pas désagréable. Ho elle viens de me poser une question :

- Ah ah ah... Ho rhhhmmm pardon. En vérité je ne suis pas allée plus loin qu'Ashnard ou Nexus à vrai dire. En fait, la plupart des autres contrées ne m'attire pas ou me font peur...

Oui j'ai un peu honte de l'avouer mais c'est comme ça. Sur Terra les peuples sont bien plus divisés que sur Terre, j'ai l'impression. Autant par les différences ethniques que technologique, sans oublier la connaissance et la puissance, Je ne nie pas que dans l'autre monde tout est équilibré, ce qui est faux, mais Terra fonctionne de manière très différente à tout ça. Ne serait-ce que par la présence de non-humains :

- Tekhos est trop ouvert à la technologie pour moi, le Royaume Terranide est un peu trop sauvage... J'ai même entendu parler d'un pays dirigé par "La Reine blanche" qui serait en fait une ombre aux pouvoirs surpuissants. J'avoue que cela ne me donne pas trop envie d'y aller...

Cette fois, c'est moi qui me ratatine sur place. Il existe tant d'endroits différents des uns des autres que je ne saurais pas quoi y faire et surtout si ça serait une bonne idée d'y aller. J'avais déjà eut comme projet d'aller à Edoras pendant une période de vacances. Mais jamais je n'en ai eut l'occasion, malheureusement. C'est dommage car j'ai entendu dire que c'était un pays dirigé par une femme qui privilégiait aider toutes formes de femmes et dénigrait plus ou moins les hommes. Hinata Kakuya si ma mémoire est bonne... Mais je peux me tromper.

Ho mais une bonne odeur s'approche par ici dites donc ! Ça sens la volaille aussi tendre à découper au couteau que délicate en bouche tout ça. S'il auraient pas proposé de poisson, je pense que j'aurais  pris la même chose. Avec des épices bien entendu. Le serveur de tout à l'heure dépose le plat commandé par Shizuka, mais... Comment dire... Il ne manquerais pas quelque chose d'important dans cette livraison ? :

- Excusez-moi. Il y a un soucis avec le poisson que j'ai commandé ?

J'ai l'air d'être pressée, ce qui est vrai puisque je ne désire rien d'autre que de manger ma petite merveille, mais pourquoi est-ce qu'il n'a pas pris les deux plat si tout est prêt ? Ho non, voilà que je me met à paniquer

L’humour leur permettait de se détendre, de se calmer, de voir les choses plus calmement. Shizuka se sentait mieux, oui, et écouta donc Hécate. Comme elle s’y attendait un peu, elle ne connaissait pas Meisa, et n’avait été que dans les plus grands États terrans : Nexus et Ashnard. C’était déjà en soi assez courageux, car l’Empire était relativement éloigné de Nexus, de l’autre côté du continent, et les routes commerciales menant de Nexus à Ashnard n’étaient pas les plus sûres du monde. Hécate ne pourrait donc pas la renseigner sur Meisa. Les rares personnes connaissant ce petit État lui avaient dit qu’il était très beau, un État presque exclusivement tourné vers la magie, ce qui en faisait généralement une étape indispensable pour les apprentis mages. L’académie de Meisa avait une correspondance avec celle d’Edoras, et c’était le choix de destination de Shizuka pour y parfaire et y terminer ses études.

Hécate continua à lui parler de Terra, lui disant qu’il existe un royaume dirigé par une « Reine blanche ». Shizuka en avait vaguement entendu parler durant ses cours. Un pays fait d’ombres... Mais tout cela était fort lointain, et ne l’avait, à vrai dire, pas passionné. La géopolitique la lassait vite, car elle n’avait jamais imaginé devoir quitter les États tekhans, que ce soit Edoras, Novac, ou même Caelestis. Au lieu de ça, elle se retrouvait à Nexus.

*J’aurais du être plus attentive...*

Shizuka hocha la tête.

« Je te comprends, il y a beaucoup d’endroits sur Terra qui ne sont pas très recommandés... Et, comme Meisa est assez éloignée de Nexus, je m’inquiète un peu... Même si tout le trajet se fera par bateau. »

Il y avait toujours des risques de tomber sur des pirates, des corsaires ashnardiens ou des monstres, mais c’était assez rare. Les flottes nexusiennes étaient assez actives dans cette partie du globe, chassant les monstres, éradiquant les flottilles et les bases pirates, afin d’assurer la traversée paisible de la mer. Cependant, Shizuka n’était pas non plus à l’abri d’une subite tempête qui engloutirait le navire... Plus elle y réfléchissait, plus elle se disait qu’elle aurait du choisir d’aller à Novac, comme les autres, plutôt que de se perdre à Meisa... On disait même qu’il existait des Amazones sur Terra, un peuple entier qui pillait les petits villages, et kidnappait les femmes, afin de les violer pendant des mois.

*Cependant, si j’étais restée chez moi, je n’aurais pas rencontré Hécate...*

Shizuka n’osait pas le dire, mais elle aimait bien Hécate. Alors qu’elle y réfléchissait, le serveur lui apporta son repas : du bon poulet garni et délicieux avec des frites, exactement comme Shizuka les aimait.

« Excusez-moi. Il y a un soucis avec le poisson que j'ai commandé ? » demanda alors Hécate.

Le serveur releva la tête vers elle, et répondit rapidement, comme pour dissiper tout doute :

« Non, Madame, il est un peu plus long à cuire et à préparer, mais il arrivera vite, rassurez-vous. »

Shizuka remercia le serveur pour le poulet. On avait enlevé la peau, laissant le blanc, ainsi que deux belles cuisses. La guérisseuse était tentée de manger, mais elle savait les bonnes manières. On ne mangeait pas avant que l’autre soit prêt. Elle préféra donc boire un peu de vin, reniflant l’odeur délicieuse du poulet, qui lui ouvrait l’appétit, comme si son estomac était en train de fondre, de se liquéfier sur place.

Elle n’eut fort heureusement pas à attendre trop longtemps. Le serveur revint avec un plat comprenant du poisson, et le déposa devant Hécate.

« Je vous souhaite un bon appétit. »

Shizuka le remercia encore, et souhaita également à Hécate un bon appétit... Puis mangea.

Apparemment, je ne risque rien puisque la cuisson semble plus longue que pour le poulet de me nouvelle amie. C'est vraiment regrettable. Je n'y connais pas grand chose en cuisine mais j'étais persuadée qu'il serait plus rapide de faire cuire un poisson plutôt qu'un poulet. Peut-être qu'il y a un temps et une préparation différente, et du coup plus longue, qu'un simple poulet. Ou alors j'ai eut la main lourde avec la garniture. C'est également probable mais je n'ai aucune preuve pour avancer l'une ou l'autre des théorie. Et puis... Ho attendez une seconde. Il vient de m’appeler "Madame" !? Sérieusement !? :

- Mademoiselle...

Oui je rougis un peu. Je suis célibataire et je n'ai pas dans l'immédiat envie de me caser quelque part. Certes cela ne me dérange pas, mais cela me vexe que l'on m’appelle ainsi. J'ai plus que la majorité, certes, mais... Ho et puis zut, ça ne me servira à rien de me donner encore plus de cheveux blancs que j'en ai déjà. En tout cas, le poulet sens divinement bon ! Bon sang, si je serais malhonnête, je pense que j'aurais essayé de chiper un peu de blanc sans que personne puisse me remarquer. Mais mon estomac tiendra bon ! Allez Hécate, on serre les poings et on résiste comme une grande... Ah voilà mon doux poisson tant rêvé :

- Merci Monsieur. Bon appétit Shizuka !

J'en ai les yeux en étoiles, limite prêts à fondre en larme tellement ça sens bon. Du bon poisson blanc taillé en filet avec un léger coulis le surplombant, se déversant dans des partie vides de l’assiette. Ajoutez à cela des petit morceaux de légumes verts et rouges comme des haricot ou des poivron, le tout sentant chaudement le poivre et la nature... Oups voilà que j'ai pris une pose un peu ridicule à passer mes mains au-dessus de mon assiette et un regard de... Perverse !? Oulà on se calme et on respire.. Puis on attrape la fourchette et on mange en silence tout en savourant ce plat que même les dieux les plus purs envies tant cette sensation au palais et ce déluge de saveurs sur la langue... C'est si doux ! Une des merveilles Nexusienne les plus accessibles et les plus agréables qu'il m'a été donnée de goûter.

Il y a un juste une chose qui me gêne. Une seule et unique petite chose. C'est que ça se mange relativement vite... Du coup, certes je suis rassasiée comme il faut après avoir complètement éradiqué le contenu de mon assiette, mais il n'y a déjà plus rien... Si ça ne serais pas de la nourriture, j'aurais déjà pleuré toutes les larmes de mon corps. Une petite tape sur le ventre et on se redresse, tout en étant contente de ce repas de Reine :

- Ah j'ai bien mangé. Mais j'en reprendrais bien une deuxième fois

Quand le serveur amena le poisson, ce fut comme si on apportait le Saint-Graal à Hécate. Shizuka en pouffa légèrement, tournant la tête de côté, en essayant de se contrôler. Elle finit par manger à son tour, avalant le poulet. C’était un petit poulet, fait pour une seule personne, et elle dévora avec joie. Cette aventure dans la boutique d’Hécate ne lui avait pas spécialement permis de se sustenter, et l’énergie qu’elle avait dépensée pour soigner Hécate avait accru sa faim, qui s’était réveillée dans l’auberge à toute allure, en étant si proche de cette nourriture juteuse, happée par les odeurs délicieuses des grillades. Cependant, elle n’avait pas le rythme d’Hécate, qui dévorait presque le poisson.

*Deux affamées en manque, se disait Shizuka, c’est quelque chose...*

Shizuka veilla donc à ne pas manger trop vite. Elle était une guérisseuse, et elle savait qu’il fallait se laisser le temps de manger, afin d’éviter des crampes à l’estomac. La guérisseuse y allait tranquillement, en profitant pour savourer le charme et la beauté champêtre du décor. Elle adorait observer les étoiles, notamment. À Tekhos, dans le cœur de la ville, on ne les voyait quasiment jamais, à cause de la pollution. Les étoiles étaient bien plus visibles à Edoras, compte tenu de l’absence d’usines dans ce pays. Nexus aussi n’avait aucune industrie, aucune raffinerie libérant des gaz capables d’obstruer la vue du ciel. Les chandelles et les lampions gênaient la vue des étoiles, mais Shizuka pouvait néanmoins distinguer les constellations brillant dans le ciel.

Hécate avait mangé, et envisagea la possibilité d’en reprendre. Shizuka, qui était en train de décortiquer son poulet pour obtenir le blanc, et le décoller des morceaux d’os, lui sourit.

« Aujourd’hui fut une journée en émotions fortes, avoua-t-elle. Je crois que tu peux te le permettre. »

Elle le pouvait d’autant plus qu’elle n’était pas épaisse. Shizuka, elle, estimait qu’elle était un peu trop grosse, et ce quand bien même elle avait une silhouette magnifique. Le regard qu’elle avait sur elle-même n’était pas fidèle à la réalité, car elle mésestimait ses capacités. Si elle reconnaissait être une bonne guérisseuse, pour tout le reste, ou presque, elle se trouvait assez moyenne. Dans sa tête, les comparaisons d’Hécate lui revenaient perpétuellement à l’esprit quand elle avait parlé des petits pains chauds. Des « jolies fesses » et une »poitrine de jeune femme toute douce »... Elle avait la certitude qu’Hécate l’avait dit en pensant à elle, et ce type de compliments troublait Shizuka, car ils laissaient entendre que Shizuka était belle. Elle n’avait jamais estimé qu’elle pouvait être belle, ayant toujours tendance à se trouver des défauts quand elle s’observait devant le miroir. C’était une perspective troublante.

Shizuka se mit à rougir sans pouvoir comprendre pourquoi, se tortillant sur sa chaise. Belle, elle ? Non, elle avait du mal comprendre !

*Ou alors, c’est que je serais... Agréable à regarder ?*

Elle n’avait pourtant jamais trouvé qu’elle avait une poitrine aussi agréable, ne pouvant s’empêcher de la trouver petite par rapport à ces héroïnes des films tekhans, des femmes aux formes parfaites, qui déclenchaient les fantasmes des Tekhanes. Shizuka recommença à manger. Tout en mangeant, elle recommença à discuter avec Hécate.

« En tout cas, je dois admettre que Nexus est une belle ville... En venant ici, j’avais peur de me faire agressée, car les bas-fonds de la ville sont mal réputés chez moi. Mais je dois bien admettre qu’on s’y sent bien... »

Sérieusement, ça faisait longtemps que je n'avais pas mangé un aussi bon poisson. D'habitude, quand je m'occupe de le faire cuire, l’assaisonner et rajouter un petit accompagnement, c'est loin d'être aussi succulent et nourrissant à la fois qu'ici. Donc soit ce que je prends est d'une qualité vraiment médiocre, soit les poissons et légumes de la Terre sont naturellement moins goûteux et riches, soit il y a quelque chose qui cloche dans ma façon de cuisiner. Il n'est pas impossible qu'il s'agisse de plusieurs de ses réponses comme toutes à la fois, étant données que je ne connais pas tout de ce monde nouveau et que mes talents de cuisinière sont relativement... Rudimentaires. Mais enfin, trêve de vagabondages et concentrons-nous sur ce qu'il se passe devant nos yeux :

- C'est pas que je ne veuille pas, mais j'ai un budget... Limite à respecter.

Et oui. Étant donné que les monnaies entre les deux mondes ne sont pas les même, je dois réserver mon budget d'un monde pour les activité de ce monde. Et vu que je paye relativement cher les divers composant et canalisateur de magie, je me dois de respecter un minimum une certaines limite à ne pas dépasser. Sinon, c'est la faillite assurée. Bref, concentrons-nous sur ce que fait Shizuka pour changer un peu de registre. Elle décortique à merveille sa volaille qui sens drôlement bon, il faut l'avouer. Néanmoins, je suis certainement rassasiée suffisamment pour ne plus être appâtée par un regain d’appétit. Même pas un petit dessert ou... Hmmm quoi que, peut-être que s'ils sont des cookies... Non pas de cookies ! Il y a une ligne à ne pas franchir pour garder la mienne ! D'ailleurs, c'est bizarre qu'avec ce qui m'est arrivé je n'ai pas plus faim que ça...

Tiens ? C'est moi ou Shizuka viens de rougir ? Ho ho, quelque chose me dis qu’elle doit repenser à ce que j'ai dit sur les petits pains. Prude comme elle est, cela ne m'étonnerais pas. Mais bon je peut me tromper également. Qui sais à quoi elle peut penser, hein ? Ho me dites pas que c'est moi qu'elle imagine en voyant ces petits amuse-bouches !? Me dites pas que quand elle disait qu'elle croquerait volontiers s'il s'agissait d'une fesse, c'était une des miennes !?Ho là là... Voilà que je m'imagine Shizuka me morde une fesses comme s'il s'agissait de nourriture. Oulà là qu'est-ce que j'ai chaud d'un coup à me faire de tels films... Ho elle me parle. Allez on arrête de rougir bêtement et on se gifle gentiment les joues à plusieurs reprises pour évacuer toute ces idées... Ta collègue de table va se demander ce qu'il t'arrive :

- Rhhmmrhmm... En effet Nexus est belle comme il faut. Le mieux c'est au crépuscule, quand on parle silencieusement sur les routes pavées. Enfin, il faut marcher dans la bonne rue car elles ne sont pas toutes orientée plein crépuscule !

Et on rigole un peu, histoire de lui faire oublier mon petit moment d'égarement. C'est vrai que l'union entre le jour et la nuit et un moment des plus agréable à voir dans cette citée. Le mieux reste quand on voit l'eau de la fontaine recouvrir entièrement le soleil se coucher au loin. A mon avis de célibataire, se balader main dans la main dans un moment pareil doit être d'un romantisme... Wahou ! :

- Après si tu as peur des bas-fonds, il suffit juste d'apprendre à éviter les rues trop petites ou trop sales. En règles générales, on y voit des prostituées réduite en esclavage. Ou l'inverse je sais plus...

Je déteste l'esclavage. Oui c'est tout.

Ça devait être la faute du vin... On disait que le vin déliait les langues, et Shizuka, même si elle n’avait pas bu beaucoup, avait quand même une expérience magique détonante tantôt. Le vin devait sans doute contribuer à lui permettre d’avoir des idées et des pensées qui étaient tout, sauf chastes. Nexus, c’était une échappatoire, un subterfuge pour ne pas avoir à songer trop longtemps au corps d’Hécate et à ses formes langoureuses. Elle avait bien mangé, et elle se sentait donc de bonne humeur, sereine, ce qui, en d’autres termes, constituait chez elle une porte ouverte à des pensées érotiques, le genre de pensées qu’elle se refusait à avoir en temps normal.

La conversation dérivait donc sur Nexus, et il y avait beaucoup de choses à dire sur Nexus. Elle était considérée comme la plus vieille du monde, et, d’après les historiens, la ville était auparavant le fleuron de la civilisation elfique. On considérait d’ailleurs que Nexus était symbolique de la chute de la civilisation elfique, les historiens datant l’avènement de l’ère humaine quand la royauté humaine fut instaurée à Nexus, ce passage symbolisant le déclin des elfes au profit des humains. Shizuka connaissait plutôt bien l’Histoire de Nexus, au moins dans les grandes lignes. Depuis quelques décennies, la ville avait considérablement décliné, et le massacre des Ivory, qui avait mis sur le trône une jeune Reine adolescente, avait considérablement affaibli le pouvoir royal, permettant à d’autres pouvoirs de s’émanciper, notamment la bourgeoisie, avec de redoutables conséquences : hausse du paupérisme, de la corruption, accroissement des sentiments révolutionnaires et antimonarchiques... La liste était longue, et, si Nexus restait encore une ville sûre, il y flottait comme une odeur de poudre. La municipalité déconseillait fortement aux touristes de s’aventurer dans les bas-fonds, et il était fréquent que les corps de garde interne menant aux bas-fonds soient restreints, les individus ne pouvant y entrer qu’ne ayant une autorisation, quand il y avait des soupçons sur une révolte à venir.

Shizuka se mit à lui parler de l’esclavage, en lui assurant que les bas-fonds grouillaient d’esclaves. Shizuka secoua la tête.

« Je hais l’esclavage ! Je n’arrive pas à comprendre pourquoi une nation aussi évoluée que Nexus continue à la pratiquer... Mais même les Tekhanes le tolèrent, c’est incompréhensible ! »

Concernant l’esclavage, Edoras avait une politique assez hostile. L’esclavage était toléré, mais dans des conditions telles que le simple fait de gifler son esclave était assimilé à un traitement abusif. Sur ce point, Edoras se voulait exemplaire, tout en évitant de se livrer à des actions terroristes, comme les Celkhanes pouvaient le faire. Concrètement, Edoras soutenait officieusement Caelestis, mais évitait de le faire savoir. C’était un secret de polichinelle au Temple de la Lune.

« Enfin, j’ai bien mangé, c’est l’essentiel... Et je suis très contente de t’avoir rencontré, Hécate. »

Autant ne pas noircir cette belle soirée en parlant de choses aussi horribles et archaïques que l’esclavage.

« Tu voudras un peu de dessert ? Ils font des gâteaux au chocolat exquis ! »

J'ai marqué un point ! En même temps il n'est pas difficile de deviner qui est pour l'esclavage et qui est contre. Une guérisseuse qui serait pour cette pratique, ça serait comme une Terranide poisson qui aime manger du cabillaud, c'est à dire hautement paradoxal. Personnellement, je déteste que l'ont atteint à la liberté d'autrui en lui privant contre son gré. Et encore plus s'il s'agit d'une voie qu'il n'a pas choisi alors qu'il vivait en paix sans rien faire d'illégal ou de guerroyant. Que l'ont fasse des prisonnier de guerre ceux qui ont comploté pour renverser une nation, donc pas les pauvres soldat qui n'ont rien demandé à personne, je peux à la limite comprendre en forçant. Mais les civils vivant en campagne ne sachant pas manier plus dangereux qu'une fourche à foin, là j'avoue que ça me dépasse.

Du pouvoir... Du pouvoir qu'ils disent.

Changeons de conversation. Et Shizuka semble avoir eut la même idée que moi en me mettant sur un petit piédestal. C'est... Gênant et agréable à la fois je dois le reconnaître. En même temps, je pourrais lui dire la même chose même si ça n'est pas vrai à 100 %. Je ne la déteste pas hein, loin de là ! Mais... Il y a certaines choses qui me gênent plus qu'autre chose. Je ne pense pas apprécier cette fille autant que je le voudrais mais bon, c'est déjà bien. Ho elle me propose de prendre du gâteau au chocolat.... Mais elle semble avoir oublié que j'ai un budget serré à conserver. Simple oublie j'espère :

- Euh... Tu as oublié ce que j'ai dit ? Je n'ai pas des tonnes d'or sous la couette hé hé hé...

Oui je suis un peu gênée de le redire. Se répéter n'est vraiment pas dans ma nature mais bon, on va dire qu'elle mérite l'exception. Mais juste pour cette fois ! Et pour rajouter une petite raison, je me pince un peu le ventre :

- Et puis... je ne voudrais pas avoir de bourrelais gênant... Tu vois ? Bien que toi tu as l'air d'avoir de quoi stocker...

Zut je vise sa poitrine ! Elle va comprendre de suite de quoi je parle si elle me remarque à viser comme ça. Bon d'accord il n'y a absolument rien de pervers à ce que je dis ou fait mais... Quitte à détendre l'atmosphère pour oublier l'esclavage autant le faire à fond ! La preuve, je me met à rire à pleine dent de ma bêtise, bougeant sur ma chaise comme si elle allait tomber. Je ne me moque pas bien sûr, ce n'est pas mon genre. Non, je rit juste de joie à partager un aussi bon moment avec une fille aussi jolie que gentille rencontrée parfaitement par hasard et... Oulà ça tangue, je vais tomber. JE VAIS TOMBER ! … Aie. Me voilà ventre à terre :

- Ouille... Ça fait mal...

Ça m'apprendra à dire n'impor... Hum ? C'est moi où je sens plus de vent que d'habitude sur ma peau en dessous de la ceinture ?

Depuis qu’elle était arrivée à Nexus, Shizuka avait pu constater qu’elle avait pris un ou deux kilos. Tekhos étant un État très féminin, où la beauté était sacrée, le poids avait une certaine importance. La technologie aidant, perdre du poids n’était, en soi, pas très difficile. Il suffisait juste d’utiliser des machines électroniques en suivant un programme pour perdre progressivement du poids. Les plus fortunées faisaient appel aux nanomachines de Novac, qui se chargeaient eux-mêmes de dévorer la graisse en trop. Edoras, sur ce point, était un peu plus traditionaliste que le reste des États tekhans, en encourageant une alimentation saine et équilibrée. À Nexus, où la volaille se mélangeait à la viande, le petit régime équilibré de Shizuka volait en éclats, au fur et à mesure qu’elle s’empiffrait de viande, de frites, de crevettes chaudes trempées dans des épices, de sauces délicieuses. Pour le coup, il fallait bien admettre que les Nexusiens mangeaient plutôt bien. Ce que Shizuka mangeait dans son assiette correspondait, à peu de choses près, à ce qu’on trouvait dans les grands restaurants chics tekhans : une nourriture saine, qui n’avait pas été traitée et purifiée par les pesticides des bio-fermes tekhanes, ou par les nanomachines.

Hécate lui rappela alors qu’elle n’avait pas les moyens de s’offrir un dessert. Shizuka hocha la tête, et fut bien tentée de lui dire qu’elle pouvait tout à fait payer pour elle, quand cette dernière enchaîna :

« Et puis... je ne voudrais pas avoir de bourrelets gênants... Tu vois ? Bien que toi tu as l'air d'avoir de quoi stocker... »

Shizuka se mit à légèrement rougir en écarquillant les yeux. Aurait-elle eu l’esprit un peu pervers qu’elle aurait sans doute compris à quoi Hécate faisait allusion en voyant ce qu’elle regardait. Malheureusement, dans son innocence et sa naïveté, elle pensait qu’Hécate regardait, non pas sa poitrine, mais son estomac. Était-elle en train de dire qu’elle était grosse ? Que son estomac était suffisamment constitué de bourrelets pour lui permettre « de quoi stocker » ? Shizuka rougit donc, et baissa la tête.

*Peut-être que je mange effectivement trop...*

Cette idée l’angoissa. Elle porta sa main à son ventre en se ratatinant sur sa chaise... Lorsqu’Hécate se mit à rire. Shizuka releva la tête en clignant des yeux. Un rire hystérique semblait traverser la Nexusienne, qui se mit à onduler sur sa chaise, sans que l’Edorassienne ne puisse comprendre. Un léger sourire naquit sur ses lèvres. Ce rire était assez communicatif, même si Shizuka n’y comprenait pas grand-chose. Elle nota progressivement qu’Hécate, à force de se dandiner et de rire à gorges déployées, était en train de perdre son équilibre... Et, à force de tanguer, la chaise finit par tomber en arrière.

« Hécate ! » s’exclama Shizuka.

La guérisseuse se redressa. Hécate s’était affalée sur le sol, sa jupe se relevant. Shizuka avait peur qu’elle se soit fait mal, et loucha brièvement sur les belles jambes de la femme. Elle se rapprocha d’elle, et posa une main sur son épaule, alors que la femme se retournait.

« Ça va ? Tu n’as rien ? Tu ne t’es pas faite mal ?! »

L’inquiétude transpirait dans le ton de Shizuka. Elle avait fait une belle glissade, après tout. Cependant, il semblait qu’il y avait eu plus de peur que de mal. Shizuka rougit alors en remarquant que tous les clients les regardaient, plus particulièrement depuis le fou rire d’Hécate.

« Je... Euh... Ça fait toujours du bien de rire, après... Même quand on se retrouve le cul par terre... »

Shizuka se releva lentement, repensant alors à ce qu’Hécate avait dit. Elle rougit à nouveau, brièvement, et lui parla encore :

« Tu sais, je... Je ne mange pas autant, d’habitude... Je... Je n’ai pas l’habitude d’une nourriture assez grasse à Edoras... »

Quelle gourde non mais franchement ! J'ai beau avoir eut d'excellents résultats dans la plupart des choses que je fais, je reste toujours un peu trop emportée. Serait-ce le châtiment divin qui s’abat sur moi après avoir délicieusement dévoré ces pauvres poissons sans défense ? Ou encore parce que j'ai honteusement louché plusieurs fois sur les formes attrayantes de la belle guérisseuse ? A moins que ce sois en réalité parce que je suis une idiote trop concentrée sur sa chaise... Si je serais pas en public, j'en aurait presque versé une larme de tristesse solitaire. Mais bon... Tout va bien vu que je n'ai pas spécialement mal. Plus de peur que de mal comme on dit ! Même si j'ai honte à m'être ainsi affalée sur le sol comme une vraie andouille...

Allez on se retourne et... Sourire ! Shizuka semble être réellement inquiète de mon état vu la voix de panique paranoïaque qu'elle a prit. Je ne peut pas lui en vouloir après tout, surtout après le dévouement de dingue qu'elle m'a montré auparavant :

- Hé hé... Désolée je me suis un peu emportée. Tout va bien ne t'en fait pas

Puis je me redresse en frappant mes vêtements qui doivent avoir un peu de saleté sur eux. Juste un peu on va dire car l'établissement n'est pas crado à ce point. A part peut-être de la poussière porte par le vent et quelques traces de pas à peine visibles, je ne risque pas d'aller a la laverie pour si peu. Allez on remet la chaise en place et on regarde la demoiselle. Elle est trop mimi quand elle bégaye un peu ! Bon je suis un peu méchante mais c'est pas comme si je lui faisait volontairement du mal. Surtout qu'elle a l'air de s'en faire plus toute seule en vue de ce qu'elle me dit. Je croise les bras, et prends un air dubitatif :

- Quelqu'un qui mange beaucoup, c'est soit qu'il est affecté par le temps orageux qui arrive, soit parce qu'il est en pleine croissance, parce que c'est un nécessiteux, ou alors parce qu'il est amoureux

Puis je fais les gros yeux. Amoureuse ? Hmmmm si elle est amoureuse depuis qu'elle est arrivée ici, je pourrait peut-être savoir de qui il s'agit. Je connais quelques personnes dans le coin et je peux même me renseigner dessus si je veux ! … Bon je ne vais pas le faire car ça serais égoïste et impersonnel mais j'aimerais TANT savoir ! :

- Tu ne me cacherais pas par hasard que tu aurais trouvé ton Âme sœur à Nexus à tout hasard ? Allez tu peux tout me dire à moi...

Et je lui donne un petit coup de coude taquin avec le petit air qui va avec. Avec l'effet du vin, ça pourrait marcher même si je doute réellement obtenir de réelles informations. Ah zut c'est le moment où il a fallut que le serveur arrive pour prendre les commandes et/ou le prix du repas... Grrr j'ai pas de chance aujourd’hui !

« Quelqu'un qui mange beaucoup, c'est soit qu'il est affecté par le temps orageux qui arrive, soit parce qu'il est en pleine croissance, parce que c'est un nécessiteux, ou alors parce qu'il est amoureux. »

Cette tirade amena Shizuka à longuement cligner des yeux. Amoureuse ? Elle en rougit, n’osant rien dire. Est-ce qu’elle était amoureuse ? Shizuka regarda furtivement autour d’elle, joignant les mains dans son dos, ce qui, en soi, constituait presque un aveu. Elle savait très bien ce qu’elle était, mais le dire... Peut-être bien qu’elle n’était pas si sûre que ça, en fait. En tout cas, elle se demandait si ce qu’elle ressentait pouvait être assimilé à de l’amour, à cet amour chanté et narré par les poètes et les romantiques. Le doute était permis, et, alors qu’elle y réfléchissait, Hécate poursuivit dans le sens, lui demandant clairement si elle n’avait pas un amoureux à Nexus. La guérisseuse en rougit, en perdant son latin, se recevant un coup de coude, comme pour souligner le caractère plaisantin de la demande.

Elle comptait bien y répondre, mais le fait est qu’elle ne savait pas par où commencer.

« Je... Euh... » commença-t-elle.

Elle en perdait son latin, et un serveur s’approcha alors, un léger sourire sur les lèvres.

« Tout se passe bien, Mesdames ? »

Il avait vu l’une des deux femmes tomber sur le sol, et venait donc se renseigner. Son intention n’était pas de leur offrir l’addition, ou de leur dire de dégager. On était à l’auberge du Coucher de Lune, pas dans un vulgaire estancot. Il était de mauvais genre de demander ça aux clients, surtout à deux jeunes femmes. Shizuka lui indiqua que tout allait bien, tout en lui demandant une carafe, le remerciant poliment. L’homme fila rapidement, et revint avec une carafe d’eau, partant ensuite pour secourir d’autres clients désœuvrés. Shizuka le remercia poliment, puis se remplit une carafe, se raclant la gorge, et en but un peu, puis regarda Hécate.

« Je... Hum... »

Elle aurait bien aimé faire de l’humour, mais la jeune femme était encore un peu trop gauche, trop maladroite, pour ça. Elle se mordilla donc les lèvres, réfléchissant rapidement, et poursuivit, ayant un visage en tête :

« Bon, je viens d’Edoras, et... Euh... Edoras est dirigé par une Princesse, Hinata. Et, euh... »

Elle bafouillait, ne sachant pas trop comment l’aborder, mais le simple fait de mentionner le nom de la Princesse faisait bondir son petit cœur dans sa poitrine.

« Je... J’ai toujours essayé de m’inspirer d’elle, d’avoir un peu de son courage... Quand j’étais jeune, Edoras a vécu un drame national... »

Elle avait serré ses mains autour de son verre d’eau, sentant la fraîcheur de l’eau se refléter sur ses doigts. Elle observait les remous de l’eau à la surface du verre, n’osant pas regarder Hécate, et poursuivit, les joues légèrement rouges :

« Il y a une tentative de coup d’État par le frère de la Princesse, Shin. Shin... Il en est mort, mais il a eu le temps de tuer plusieurs membres de la famille royale. La Princesse Hinata a survécu, et moi... »

Un gros soupir s’abattit sur ses épaules, comme si elle était en train de s’affaisser sur elle-même. Le passé... On disait qu’on n’oubliait jamais d’où l’on vient, et, elle avait beau se trouver à Nexus, elle revoyait encore les mouvements, les bruits de pas derrière la porte, les gens qui couraient, les hurlements, et les coups frappés précipitamment... Elle se revoyait encore, dissimulée sous le lit, serrant nerveusement sa peluche en la mordillant, la mordillant le plus fort possible, pour se retenir de hurler.

« La Princesse a survécu à son passé, alors que moi... Ce souvenir continue à me hanter. J’ai toujours voulu être aussi forte qu’elle, j’ai toujours voulu lui ressembler, voir en elle un modèle. Elle ne le savait jamais, mais, quand j’étais face à des difficultés, je me demandais : ‘‘Et qu’est-ce que la Princesse ferait à ma place ?’’ C’est comme ça que j’arrivais à les surmonter, à aller de l’avant, et à continuer. »

Elle haussa les épaules, puis regarda Hécate, pour conclure :

« Si c’est ça, de l’amour, alors je crois bien l’être... »