Dès lors qu'elle sentit l'emprise diminuer, Mélisandre se redressa à la hâte sur les genoux du lord Belmont, pressée d'offrir à sa dignité une posture plus confortable. Sa poitrine abritait encore les pulsations désordonnées de son cœur. Elle frémissait, violemment, pareille à un petit animal sauvage acculé au fond d'un piège, confondue par les signaux contradictoires dont la submergeaient ses sens perturbés. La brûlure de l'humiliation surpassait celle de son cul et aurait dû la pousser à réagir pour restaurer les vestiges de sa fierté. Mais lorsqu'elle baissa subrepticement les yeux sur son corps moite, elle vit s'ériger la pointe de ses mamelons et la mouille luisante poisser l'intérieur de ses cuisses. Sa lèvre trembla, l'espace d'une seconde. Les mots semblaient faibles, inefficaces pour retranscrire l'essence de l’émotion dont elle était en proie. Sa bouche s'entrouvrit pour tenter d'exprimer son sentiment -lequel au juste ?- mais elle resta figée dans son impuissance, vibrante et sensible comme la corde d'un instrument, incapable d'émettre le moindre son. L'étreinte du démon l'arracha cependant à l'abîme de sa confusion et un frisson naquit à la base de son échine. La prison délicate de ses bras la rapprocha de lui et les omoplates féminines rencontrèrent la surface chaude et athlétique du torse. Devait-elle lutter contre ? Ou profiter du réconfort offert ? Lui laissait-il le choix ? Raidie, la belle répliqua par un léger grognement, dénaturé en un soupir vif. Son souffle n'avait pas complètement retrouvé sa mesure habituelle, emballé encore. Il empruntait à l'émoi de son corps son écoulement chaotique et emporté, néanmoins tempéré par la tendresse mâle de Connor.
« Ne me... punissez... plus », gronda-t-elle, tout bas, jouissant cependant des égards procurés, tendres et délectables contre l'incandescence de sa peau cuivrée.
Comprimée par l'autorité de ses doigts, la frimousse farouche de la diablesse se tourna vers le visage de Stephen, s'offrant à l'initiative de sa bouche, gourmande. Il put constater, par lui-même, que la flamme miroitait toujours au centre des prunelles noires. Elle brûla avec plus d'intensité encore lorsque ses lèvres s'emparèrent de celles de Mélisandre, apaisant l’épreuve de l’initiation mais entretenant le brasier méphistophélique de son corps ardent de désir. Elle commençait à reconnaître la saveur de son parfum et de sa bouche, le contact mâle et possessif de ses mains, et sa peau, toujours tiède, contre la sienne. Une petite imprudente s’y serait laissée prendre, enivrée par l’appel charnel, puissant.
La proximité de leur deux corps ne se rompit pas, même une fois les deux amants debout, l’un face à l’autre. La jeune femme contempla l’assurance de Stephen, guindé dans son rôle de petit seigneur. Avant que sa main n’achève sa caresse, délicatement appliquée contre sa joue, l’Indocile s’en empara prestement. Elle ne sut pas tout de suite ce qu’elle voulu en faire, et son regard s’accrocha aux prunelles orangées.
« Je n’ai pas fini, moi. »
Elle redessina les contours de sa propre bouche avec l’index du mâle, lapant discrètement son extrémité pour la rendre luisante de salive, puis guida sa main vers les contrées plus chaudes de son anatomie, la glissant entre ses seins, sur son ventre, puis entre ses cuisses, halitueuses. Electrisée par un frisson sensuel, Mélisandre cessa la progression. Les doigts flirtaient désormais avec sa fente, moite d’envie, légèrement entrouverte sur les replis féminins de son intimité. Oh, si elle exerçait une légère pression, poussait un peu sur les phalanges, le doigt écarterait les lèvres intimes pour s’ancrer au milieu, happé, cerné par ses chairs, confortables, là comme dans un étui fiévreux… Le visage de la belle flotta à hauteur du sien, entreprenant, provocateur, fendu d’un léger sourire persifleur.
« Si je ne venais pas d’être réprimandée pour vous avoir commandé, je réitérerais la chose en vous ordonnant cette fois de me faire jouir, avec vos doigts », souffla la jolie brune, la bouche près de son oreille.
Puis, d’un élan vif, la féline se détacha du lord Belmont, s’affranchissant de son emprise. Elle rafla la chemise blanche de son hôte, gisant sur le parquet, l’enfilant sans se donner la peine d’en attacher les boutons du haut ou du bas, se contentant d’en refermer les pans sur son indécence.
« Plus tôt vous admettrez que je ne vous appartiendrai jamais, plus tôt nous nous débarrasserons de l’un et de l’autre », édicta-t-elle calmement en jetant un dernier regard fauve en arrière.
Puis elle quitta la pièce, laissant la porte béante à sa suite. Après un rapide saut à la première salle d’eau trouvée (charmante, au demeurant, équipée d’un grand miroir mural et de vasques en marbre gris) pour se rafraîchir et effacer les éventuelles traces du passage de Connor, elle dévala les marches, toujours vêtue de la chemise. Des éclats de voix émanaient du salon, et elle s’arrêta une seconde en relevant celle d’une tierce personne, sans la reconnaître. Visite ? Résidente ? Esclave ? La voix douce et féminine et l’intonation, relativement à l’aise mais dépourvue d’orgueil, lui fit opter pour la dernière hypothèse. De toute manière, elle le découvrirait bientôt, aussi ne s'attarda-t-elle pas davantage.
Le creux de son estomac lui fit effectuer un détour vers les cuisines, dans lesquelles elle trouva Shad, affairée, indécise devant une profusion de boissons et de liqueurs en tout genre. A sa portée, deux verres propres. La démone sourcilla, puis fit claquer sa langue pour signaler sa présence.
« Ce n’était pas contre toi », lui dit-elle, aussi claire et concise que possible, impassible.
Après quoi, la belle dépassa la Terranide pour atteindre la porte menant à l’étage inférieur, là où d’ordinaire se trouvaient la cave et les réserves alimentaires.
« Un verre de lait », lâcha-t-elle sans la regarder ni se donner la peine de donner un motif à ses intentions, plus soucieuse de la voir retourner auprès des autres que d’être servie. Shad devrait logiquement se dire qu’elle allait chercher de quoi se sustenter en bas- chose qui n’était pas complètement erronée.
Sauf qu’en bas, la lumière tamisée des chandelles n’éclairait pas seulement des étagères chargées de victuailles, mais également toute une panoplie d’armures et d’armes, digne d’une armurerie seigneuriale, soigneusement entreposées le long des murs. Les arbalètes de Connor et les chakrams de Silat. En plus d’une collection de cuirasses de bonne facture, de coutelas et de lames forgées, il y avait également des glaives en bois, certainement dédiés aux entraînements. Irrémédiablement attirée, sa curiosité lui fit oublier la faim qui lui tenaillait les entrailles. La fascination succéda à l’étonnement. Après avoir hésité une poignée de secondes sur la manière dont elle allait exploiter sa fabuleuse trouvaille, l’intrépide se saisit d’une arbalète légère, frappée de l’insigne de la maison Belmont en filigrane argenté, sur le côté, et de quelques carreaux aux têtes fuselées. L’appuyant nonchalamment contre son épaule, Mélisandre choisit ensuite un trio de pommes dans un panier, en planta une quatrième à l’extrémité d’une des flèches et remonta. Inutile de se charger davantage. Elle n’avait pas d’endroit où dissimuler un poignard sous l’ample chemise et, de toute façon, il l’aurait plus encombré qu’autre chose. Rien ne l’empêcherait de revenir plus tard, si le maître de maison n’avait pas pris de mesure d’ici là. A vrai dire, la jeune femme s’en fichait, elle avait présentement envie de s’amuser un peu.
La petite garce campa un moment près du salon, hors de vue de ses occupants, cherchant à en déterminer l’identité et la disposition. Shad. Silat. L’inconnue et…. Personne d’autre. Un sourire fleurit au coin de ses lèvres. Où que soit Connor, il n’était pas ici, en tout cas. Ou alors, elle ne l’entendit pas. Elle croqua dans les rondeurs du fruit empalé sur le carreau, lui-même ancré dans l’arbalète chargée. Sucrée.
« Quelqu’un veut une pomme ? » lança-t-elle à la cantonade, apparaissant brièvement dans l’encadrement de la porte, ouverte.
Elle se focalisa d’emblée sur Silat, qui, dos à l’intruse, n’eut pas réellement l’occasion de réagir. Elle en profita pour pointer l’arme vers le canapé et actionner le mécanisme. Le carreau partit et se logea dans le rembourrage du divan, près d’eux, suscitant un petit mouvement de panique. Mélisandre battit aussitôt en retraite, derrière le mur, d’où monta son éclat de rire espiègle.
« J’en ai d’autres ! » fit-elle savoir, sans avoir pour autant l’intention de recommencer. Trop risqué.
Loin de se lasser de semer un joyeux bordel derrière elle cependant, l’Indocile ficha une pomme sur un autre carreau, sans résister à la tentation d’y goûter également. Ses incisives étaient en train d’entamer la chair savoureuse lorsqu’elle se figea soudain, frémissant discrètement en reconnaissant les pas, descendant les escaliers. La brunette plaça l’arbalète dans son dos, entre le mur et elle, puis balança les flèches restantes dans un coin de mur, à la hâte. Celle qui lui resta dans la main la fit grimacer. Elle plaça soigneusement le fruit dessus, de façon à en cacher la pointe, s’en servant ensuite comme d’une simple brochette. Comme l’ombre du démon se découpa au bas des marches, Mélisandre affecta un air détaché en s’appliquant à dévorer son butin. Sage et innocente.