Son estomac ne tarda pas à gargouiller.
Entre l’armure et sa porteuse, il y avait définitivement un lien, quelque chose que Shaina aurait qualifié de symbiotique. Massacrer tous ces moines avait été, pour Crying Wolf, comme se tenir devant un restaurant, à en inhaler les délicieuses odeurs qui en sortaient, ces odeurs de grillades qui vous donnaient envie de filer immédiatement à l’intérieur. La comparaison était exactement la même : il lui suffisait de fermer les yeux pour revoir les corps démembrés, trempant dans leur sauce, se voyant les déchiqueter. Crying Wolf n’avait pas de bouche ni de dents, mais on trouvait toujours un moyen de s’arranger. Généralement, l’armure broyait la chair, et Shaina reprenait ensuite son apparence normale pour la manger. La chair restait encore potable, si on se dépêchait de la manger. Shaina le savait par expérience, et ce ne serait pas la première fois qu’elle le faisait.
Cette idée lui revenait constamment en tête, car il était difficile, pour elle, de se concentrer. Cet endroit sentait le moisi, l’odeur de renfermé, il y avait des araignées partout, les manuscrits étaient poussiéreux, et s’effritaient entre ses doigts. Ils racontaient la plupart du temps des choses n’ayant absolument aucun intérêt, qui lassaient très rapidement Shaina. Elle était censée trouver quelque chose d’utile dans ce bric-à-brac, mais ne tombait pour l’heure sur rien. Le dernier manuscrit qu’elle venait de lire concernait la fermentation du fromage. En voyant ces documents, on prenait conscience que cette communauté de moines était plutôt paisible. Xénophobe et hostile à l’égard du monde, certes, mais ils n’étaient pas dangereux. Ils ne pratiquaient pas de sacrifices rituels, élevant leurs pâturages en priant leur divinité aquatique. Elle était aussi tombée sur de nombreux manuscrits évoquant les prières. Elle admirait la prolixité de ces moines. Ils étaient capables de disserter pendant des heures sur ce qu’ils éprouvaient en étant assis en position de prière devant leur Déesse. Des documents sans intérêt.
Son estomac gargouilla encore, alors qu’elle entreprenait de lire un autre manuscrit.
Il concernait un « pèlerinage » effectué par l’un des moines. Quand elle était tombée sur le premier manuscrit parlant de ce pèlerinage, Shaina avait cru qu’elle trouverait enfin des informations, mais elle avait déchanté. Visiblement, tous les moines effectuaient à un certain moment un pèlerinage, consistant pour le moine à marcher seul, sans provisions, vers une grotte souterraine « sacrée ». Elle était décrite comme immense, avec une profonde rivière souterraine, et avec « des stalactites qui brillaient comme les étoiles, tels le manteau protecteur des Dieux ». Selon leurs récits, la vue de cette grotte plongeait les moines dans une situation de transe.
*Il est possible que le cristal magique se trouve dans cette grotte...*
À ce stade, elle ne pouvait toutefois pas se contenter d’une simple possibilité. Elle avait besoin d’une certitude. Elle choisit de conserver ce document dans un coin de la table, et allait en saisir un autre sur l’un des étagères, quand, pour la troisième fois, son estomac se rappela à elle. Shaina s’arrêta alors, et réfléchit. Ce n’était pas son genre de ne pas tenir compte des bruits de son corps, des plaintes silencieuses, mais non moins réelles, de ce dernier. Si son corps avait faim, elle se devait de le satisfaire. De toute façon, pour elle, personne ne pourrait venir la déranger. Elle avait donc bien le droit de se détendre un peu, de savourer la chair fraîche d’un humain. Père ne pourrait pas lui en valoir, c’était lui-même qui lui avait dit de satisfaire ses penchants, et de ne pas chercher à réfréner ses pulsions.
Décidée, Shaina sortit de la salle, et attrapa son propre cristal. Il se mit à luire entre ses doigts, et opéra rapidement. Shaina sentit sa colonne vertébrale changer, alors qu’une couche de métal, de circuits électriques et d’implants, la recouvraient. Elle dut se mettre à quatre pattes, et sentit immédiatement, alors que Crying Wolf se réveillait, un sentiment bestial l’envahir, ainsi qu’une faim dévorante. Crying Wolf grimpa rapidement le long des marches, retournant dans le bâtiment de repos des moines, et s’arrêta sur le cadavre près de l’escalier. Il était tout simplement parfait, et elle ne chercha pas loin.
Sa queue s’enroula autour de la cheville du cadavre, et elle grimpa à nouveau les marches tremblantes, le corps se traînant derrière elle, puis fila dans une chambre à la porte défoncée par ses propres soins. Elle déposa le corps au milieu du sol, ce dernier s’affalant mollement sur le côté, et elle entreprit, avec son museau, de le renverser, l’envoyant se coucher sur le dos. Son corps était parcouru de traînées sanglantes, et elle l’observa silencieusement, salivant devant ce buffet qui se tenait devant elle. Lentement, elle entreprit de le déshabiller. Le goût de fibres synthétiques dans ses lèvres n’était pas très bon. La première fois, elle avait été trop empressée. Les vêtements, c’était comme l’emballage protecteur de n’importe quel aliment : avant d’attaquer ledit aliment, il fallait les retirer. Elle déshabilla ainsi totalement l’homme, et entreprit de renifler le cadavre. La viande n’avait pas encore pourri, mais elle ne pouvait pas se permettre de traîner. Manger de la viande avariée, il n’y avait rien de pire. C’était à vous en donner des crampes à l’estomac !
Les pattes frappèrent le corps de l’homme, violemment, broyant les os, qu’elle entendait craquer, le corps se tortillant sur le sol. Elle continua son petit manège pendant un certain temps, avant de reprendre sa forme normale. Le corps était aplati, beaucoup moins solide, avec des plaies purulentes ici et là. Une vive odeur agressait ses narines, une odeur qui ne la repoussait pas, mais l’attirait frénétiquement. Son rythme respiratoire était accéléré. Si Crying Wolf ne voyait là que de la nourriture, comme n’importe quel prédateur, pour Shaina, il y avait... Autre chose. Elle ressentait une sourde et croissante excitation, et vint planter ses ongles dans une plaie, tirant sur cette dernière. La peau en elle-même n’était pas très bonne, car il y avait des poils, mais, ce qu’il y avait dessous. C’était de la viande, tout simplement. Elle aurait préféré la faire cuire, mais, à défaut, la viande crue lui allait aussi très bien.
Elle était tranquillement en train de dévorer les cadavres quand Shaina entendit du bruit. Elle se releva alors rapidement, réalisant qu’elle n’était pas seule. D’autres moines ? Ceci n’avait rien d’impossible. Ses lèvres étaient trempées de sang, ainsi que ses mains, et une partie de son corps. Elle portait toujours sa combinaison, n’ayant pas eu le temps de la retirer. Elle se rapprocha d’une fenêtre, et vit plusieurs rôdeurs s’aventurer rapidement dans la cour.
*Des Skavens !*
Les Skavens étaient des hommes-rats qui, généralement, n’étaient pas franchement les bienvenus. Ils étaient sauvages, cruels, sadiques, vicieux. C’était un curieux hasard, que des Skavens viennent pile le même jour où Shaina se rendait dans le monastère. Elle fronça légèrement les sourcils. Un hasard... Vraiment ? Elle connaissait bien Père, et elle savait que, avec lui, les coïncidences n’étaient jamais totalement fortuites. Était-il responsable de l’envoi de ces Skavens ? Cette hypothèse ne pouvait pas être écartée. Elle vit plusieurs Skavens rentrer dans le bâtiment où elle se trouvait.
*Père me les aurait envoyés pour me mettre à l’épreuve ?*
Ceci lui ressemblerait bien. Dans tous les cas de figure, elle devait se débarrasser d’eux. Des rats... Que pouvaient-ils faire contre un loup ? L’un des Skavens monta rapidement l’escalier, reniflant l’odeur de sang, et s’arrêta sur le palier, sentant probablement quelque chose d’autre... Une odeur qui n’avait rien à voir avec celle d’un cadavre. Il se rapprocha plus prudemment de la porte, de la chambre où gisait, sur le sol, un cadavre baignant dans une mare de sang, avec de la peau retournée à hauteur du ventre, et plusieurs parties du corps en moins, à moitié déchiquetés, gisant sur le sol. Ce fut tout ce qu’il put voir pendant quelques secondes.
Ensuite, le mur de la chambre explosa, et Crying Wolf jaillit sur le Skaven. Elle ignorait les intentions des Skavens, mais c’était sans importance. La seule alliée d’une Beast était une autre Beast. Les autres n’étaient que des ennemis. Elle heurta le Skaven, repoussant ce dernier, qui passa contre la rambarde de l’escalier en bois, tombant sur le sol. Crying Wolf poussa un grondement électronique, et bondit vers le sol, poursuivant le Skaven.
C’était l’heure des grands fauves !