Odile n'avait pas vraiment le moral, depuis ces derniers jours... Cela faisait bientôt trois semaines que l'adolescente était arrivée au Japon. La raison qui l'avait poussée à fuguer était le dégout qu'elle éprouvait pour l'hôpital dans lequel ses parents l'avaient placée, qu'elle percevait comme une véritable prison à l'odeur écœurante, mais elle n'avait pas choisi le Japon par hasard. La seule amie qu'elle avait vivait ici, à Seikusu, du moins c'était ce que cette dernière lui avait dit un jour sur Skype. Sauf que... sauf que voilà, trois semaines ont passées, et elle ne l'avait toujours pas trouvé. Il faut dire aussi que ce n'était pas forcement une idée très judicieuse, de parcourir plusieurs milliers de kilomètres pour lui rendre visite sans l'en avoir informée, même si au fond elle n'avait pas trop eu le choix.
Allongée sur son lit, dans une chambre d'hôtel au confort correct, Odile se morfondait, seule. L'unique raison pour laquelle elle se trouvait là était l'espoir un peu fou de la rencontrer, d'échapper à son ancienne vie pour en entamer une nouvelle, même éphémère, en compagnie de son amie. Mais cet espoir semblait peu à peu se faner, à mesure que le temps passait, à mesure qu'Odile se rendait compte que ce n'était après tout que de la lâcheté déguisée. Elle était condamnée à mourir. Elle le savait. Et ce n'était pas en fuyant la réalité que les choses auraient pu changer, ça non.
* Si j'commence à déprimer là ça va pas le faire, songea-t-elle. Je devrais aller prendre l'air, ça me fera du bien... *
Bondissant avec agilité hors de son lit, déjà parée de sa ravissante robe bleue, Odile s'en alla errer dans les rues de Seikusu. La nuit était tombée depuis peu, et la frêle adolescente ne passait pas inaperçue, à cette heure où les gens essayaient plutôt de rentrer chez eux rapidement pour éviter de mauvaises rencontres. Cela ne faisait simplement pas partie des préoccupations de cette jeune blonde, qui se trouvaient ailleurs. Elle errait au hasard des rues, guidée par une brise fraiche et légère, chacun des ses pas apportant son lots de pensées déprimantes qu'elle s'efforçait de chasser de son esprit. Elle arriva finalement sur le pont de Seikusu, sur lequel circulait encore quelques voitures, et où les piétons pressaient le pas pour rentrer chez eux. Odile, elle, ralentissait. La lune n'était pas pleine, mais suffisamment lumineuse pour consteller la rivière de scintillantes étoiles, et captiver le regard de la jeune fille. Elle contempla quelques instants ce spectacle, qui lui rappela ces contes pour enfants où l'on racontait que les âmes des personnes défuntes s'envolaient au ciel, pour y demeurer sous forme d'étoile...
- ...
Une larme incontrôlable perla sur sa joue. Cela allait lui arriver, un jour, c'était son inéluctable destin. A quoi bon luter, sa vie n'avait plus de sens, autre que celui d'attendre sagement que la mort ne vienne l'emporter, se disait-elle. L'adolescente s'approcha de la rambarde, sur laquelle elle s'appuya quelques instants. C'était vrai, après tout, à quoi bon vivre, si c'était pour vivre ainsi... Elle sauta par dessus la rambarde, atterrissant sur le rebord étroit, et s'y assis doucement. Elle était consciente des risques qu'elle prenait, mais elle s'en fichait bien. Il était même possible qu'au fond d'elle même, elle espérait secrètement perdre l'équilibre, que tout soit enfin terminé. Elle resta assise, ignorant les passants interloqués, observant le fleuve bordé par les lumières de la ville qui s'écoulait jusqu'à l'horizon, ses jambes ballotant dans le vide au dessus du profond cours d'eau.