Nouveau projet, je sais... Encore une nouvelle. Je dis bien une nouvelle, cette fois. Pas une succession d'histoires courtes comme l'étaient les Addendum ou Blank Dot (bien que Blank Dot se rapprochait de la nouvelle, puisque le lien apparaissait au final entre toutes les histoires courtes.) Un ange en bouteille se divisera en cinq ou six parties selon mon inspiration. Et si j'ai envie de donner un bonus après la chute, genre une sorte d'épilogue, alors il y a une possibilité de septième partie. Sachez que cette partie 1 a inspiré Hobo, un de mes persos récents, inconnus et non joués. (Pour l'info inutile, sachez que Hobo est un croisement entre Blank Dot, disponible dans l'Art également, et Un ange en bouteille.)
Partie 1 : Le démon de la bouteille
Il n'était pas ici par hasard. Du moins c'est ce qu'il voulait penser. Lui, c'est cet homme brun aux cheveux courts et à la barbe naissante qui regardait avec un air quelque peu mélancolique la vie autour de lui. Assis sur un banc, une bouteille à la main. Il avait pourtant pris la résolution d'arrêter de boire, mais l'appel était trop tentant. Il regardait les passants, comme un ivrogne regarderait cette foule. Il était même un peu effrayé à l'idée qu'il faisait lui aussi partie de cette foule aux yeux d'un autre. Sa main se leva, sa tête s'inclina légèrement vers l'arrière. Le goulot de la bouteille effleura ses lèvres et le liquide descendit dans sa gorge. Avec un petit frisson, il reposa la bouteille sur le banc, à côté de lui. Pour lui, rien ne valait la petite bouteille de whisky au petit matin pour se réchauffer et se réveiller. Il ne voulait pas admettre qu'il s'était un peu perdu dans cette foule, et se cramponnait à l'idée qu'il n'était pas là par hasard. Il continuait à observer la foule de son oeil si méfiant : tout ce qu'il y voyait ici n'était qu'un ramassis de déchets, pire que lui encore. Lui, il était libre, assis sur son banc dans un parc, entouré de pigeons idiots qui pensaient pouvoir cohabiter avec cet homme. Il regarda d'un air dédaigneux l'un desdits pigeons avant que son pied ne parte, comme par réflexe. Par chance pour le pigeon, qui s'envola tout de même avec la peur de se faire toucher, il était trop engourdi par le froid, le sommeil et l'alcool pour réussir à toucher sa cible.
Lentement, il releva la tête. Il voulait rentrer chez lui. Il le voulait, mais il ne pouvait pas. Comment rentrer chez soi alors que l'on est perdu ? Et surtout, comment rentrer chez soi alors que ledit chez soi n'existe pas réellement ? Il prit une deuxième gorgée du liquide ambré. Son oeil, automatiquement, scruta tous les coins de rue. Aucun membre des forces de l'ordre ne se trouvait dans le coin : tant mieux. Il pouvait continuer à boire tranquillement, sans que personne ne lui demande quoi que ce soit. D'un air agacé, il se leva et commença à tapoter toutes ses poches, une à une. Il finit alors par trouver ce qu'il cherchait : un briquet de couleur orangée et un paquet de cigarettes usé. Ses joues se creusèrent tandis que son pouce glissait sur la roulette. L'instant d'après, le bout incandescent de la cigarette consumait une petite partie de celle-ci, et un panache de fumée sortait de la bouche de cet homme. Il détestait la première bouffée, il lui trouvait un goût horrible. Pourquoi avait-il commencé à fumer ? Lui-même ne savait plus. Pour suivre les autres ? Non, ce n'est pas son genre. Parce que ça avait l'air "cool" ? Il se foutait éperdument des autres. Non, c'était sans doute pour passer un autre cap dans sa vie. Il avait passé ce cap, mais il n'avait pas réussi à arrêter la machine infernale qui lui avait servi de pont.
Peu importe. Il s'en foutait. Sa vie ne valait plus grand chose.
Son coeur battait de plus en plus lentement. Il le sentait, au fil des années. Il s'épuisait plus vite, il était de moins en moins poussé par ses instincts. Il ne vivait déjà plus, il ne faisait que grimper la haute colline des blessures silencieuses. Combien de personnes avaient déjà péri dans son entourage ? Il avait perdu le compte après l'enterrement de sa mère. Il avait été à celui de son père peu après, l'air absent. Là où plusieurs personnes se seraient écroulées, lui était resté debout. Il était resté debout le long des deux enterrements, sans verser la moindre larme. Non pas qu'il ne souffrait pas, au contraire. Son esprit s'était arrêté de fonctionner ce jour-là. Tout s'était arrêté dans son corps, et tout était en miettes dans son intérieur. Il collectait à peine les dernières pièces du puzzle.
Il ne se souvenait plus vraiment de ce qu'il faisait avant. Il ne se souvenait plus rien. Non, la seule chose dont il se souvient, c'est qu'il ne voulait pas que le destin lui prenne sa femme. Cruel destin, hélas. Sa femme n'était pas morte, mais elle était partie. Elle avait emporté quelque chose d'important avec elle. Qu'était-ce ? Si il pouvait s'en rappeler... Quelque chose vibra dans sa poche. En poussant la bouteille, il réussit à atteindre l'objet convoité : un vieux téléphone portable miteux, à l'écran fissuré. Ledit téléphone vibrait silencieusement dans la main usée de l'homme, qui pressa la touche ornée d'un téléphone vert avant de porter l'appareil à son oreille et prononcer un mot qu'il répétait inlassablement depuis des années. Sa voix rauque passa dans le combiné.
- Allô ?
- C'est moi. Viens à l'adresse habituelle, c'est urgent.
- Encore ?
- C'est pour toi que je fais ça, tu le sais ?
- Ouais, ouais...
- Alors je compte sur toi, Nath.
Nath. L'abréviation de son véritable prénom, Nathaniel. Un prénom comme un autre à ses yeux : pas détestable, pas admirable, rien de spécial. Enfin si, quelque chose de spécial tout de même. Il avait le mérite d'être rare, et en plus d'être son prénom à lui. Le prénom qui lui offrait le simple plaisir du petit sursaut à l'entente de ces quatre syllabes lorsqu'il ne s'y attend pas, et le souvenir de l'angoisse qu'il sentait lorsqu'il était gamin. Quand ce nom était prononcé par son instituteur, sans raison apparente. Tout le monde connait cette peur. Celle de se faire gronder après une énième connerie. Un léger sourire gêné leva les coins de ses lèvres le temps d'un instant. Le temps qu'il range son vieux portable dans sa poche, qu'il rentre la bouteille par-dessus le portable et qu'il se lève. Le froid avait engourdi ses jambes, mais il avait un endroit auquel se rendre.
Au bar des Huit Eclairs, le plus grand centre d'informateurs de la ville, regorgeant de pseudo-clients en fait informateurs et clients des informateurs. Le pseudo-barman, lui, était l'informateur direct de Nath. Il faut dire que récupérer des informations sur une femme qui disparaît sans laisser aucune trace avec sa fille demande un minimum de compétences, et que le patron de tout ce réseau avait bien plus que ce minimum. Raijin, qu'on l'appelait. D'où le nom du pseudo-bar : le dieu de la foudre et ses huit informateurs.