Lloyd et Rachel restèrent assis. Il y eut un léger moment d’hésitation, où les secondes se rallongèrent délicatement, et pendant lesquelles Lloyd se mit à craindre que le capitaine ne cherche à les agresser. C’était tout à fait envisageable, connaissant la situation dans laquelle Steve se trouvait actuellement, et Rachel se tenait prête à activer son armure pour se défendre. Mais, au lieu de ça, l’homme se dirigea dans la cuisine, où il se mit visiblement à boire de l’eau. Rachel et Lloyd se regardèrent, puis ce dernier haussa les épaules. Visiblement, la situation était plus compliquée pour Steve. Il fallait croire que l’appât sur Lesprotovo l’avait attiré comme le duo l’avait espéré. L’homme avait mordu à l’hameçon, mais le plus dur était encore loin d’être fait.
« Capitaine ? » finit par demander Lloyd, alors que les secondes commençaient à s’accumuler.
Ce dernier finit par revenir, et s’assit à nouveau en face d’eux. Rachel était de plus en plus nerveuse. La situation était très tendue, et cette tension pouvait très aisément se sentir. Elle était, pour ainsi dire, palpable. Rogers pouvait très bien rester calme comme les attaquer subitement, et Rachel, si elle se battrait, avait peur d’y aller trop fort... Ou de se faire rétamer. Ce n’était pas une attitude très professionnelle, encore moins militaire. Le doute n’était pas permis, et, s’il existait, il fallait le contrôler, mais, face à une légende, ce serait plus risqué. On pouvait presque lire l’indécision dans les yeux de Rachel, ce sentiment que, si les choses dégénéraient, elle risquait de perdre l’une des choses les plus sacrées chez un militaire : son sang-froid. Le Capitaine se remit à parlmer, avant de leur demander s’ils étaient venus seuls :
« Mais avant toute chose, est-ce que vous pouvez me certifiez que vous êtes venus seuls ? Si ce n'est pas le cas ... Je crains que notre discussion ne pourra guère se poursuivre. »
Lloyd sourit, et répondit rapidement, du tac-o-tac :
« Honnêtement, Capitaine, si nous étions venus avec toute une brigade, vous croyez que nous serions venus discuter avec vous ? Nos agents auraient commencé par former deux équipes, une sur les escaliers, l’autre en rappel sur la façade. La porte aurait été enfoncée, et des grenades fumigènes auraient été balancés dans l’appartement, avant qu’on ne vous mitraille avec des balles renforcées, spécialement prévues pour des cuirasses solides. Au lieu de ça, deux pauvres clowns sont venus taper à votre porte. Ceci nous amène à deux hypothèses... »
Se raclant la gorge, Lloyd commença à les énumérer, allant au bout de sa démonstration :
« Soit l’armée américaine, ce n’est plus ce qu’elle était, et cette approche ne serait pas très éloignée de la vérité, soit nous ne sommes pas venus pour tenter de vous neutraliser. »
Lloyd aurait bien pu en dire plus, mais il choisit alors de se lever, estimant que cette explication était suffisante. Sur ce point, Rachel était assez d’accord. Il n’y avait pas vraiment besoin d’en dire plus.
« Si ça ne vous dérange pas, je vais aller préparer un café. »
Sans vraiment attendre de réponse, Lloyd s’avança vers la cuisine, laissant Rachel seule avec Rogers. Cette dernière se racla la gorge, et reprit, comprenant que Lloyds lui laissait la main libre pour continuer :
« Le SHIELD a connu beaucoup d’évolutions depuis votre fuite, Capitaine Rogers. Dans la situation houleuse qui a suivi votre contestation, les gouvernants ont commis quelques erreurs, qui ont gravement blessé le SHIELD, endommageant ses structures et son fonctionnement. Une scission s’est opérée au sein de l’organisation, mais les choses sont maintenant rentrées dans l’ordre. Le chaos général a permis à Fury de vous envoyer discrètement sur une ancienne base désaffectée de SWORD, mais nous savons que vous y sommes. »
Il était évident que le SHIELD continuait à opérer une surveillance, même de locaux désaffectés se trouvant ailleurs. Le SWORD était une organisation dépendant du SHIELD, un acronyme pour « Sentient World Observation & Response Department ». Il s’agissait concrètement d’un organisme spécialisé dans la lutte contre les menaces extraterrestres, et c’était dans le cadre de ses missions que SWORD avait établi une cellule à Seikusu, et réussi à obtenir la construction d’une base avancée sur Terra, désormais désaffectée.
« Le SHIELD a reçu de nouvelles accréditations du gouvernement. De manière générale, le gouvernement estime que les super-héros constituent un contrepouvoir qui, non seulement, déshonore l’autorité légitime du pouvoir, mais constitue également un puissant facteur de risque et d’inefficacité judiciaire. La plupart des criminels arrêtés par des super-héros ne restent jamais en prison, car, ces derniers étant arrêtés par des agents non assermentés, et qui ne témoignent pas lors des procès, les preuves sont difficiles à constituer. N’importe quel avocat mielleux de la défense se frotte les mains quand il traite un dossier de ce genre. »
Il pouvait se les frotter d’autant plus que la Cour Suprême avait une jurisprudence farouchement hostile aux super-héros, ce qui était fidèle à sa conception traditionnelle de la procédure pénale, où la transparence devait prévaloir, afin de limiter les abus. Rachel n’avait suivi aucun véritable cours sur les super-héros, seulement de simples conférences traitant de la question. Elle n’allait pas parler à Rogers de la jurisprudence Miranda, qui témoignait de cette importance de la transparence, et choisit donc de continuer sur sa lancée :
« A Seikusu, le SHIELD tente d’organiser sa propre variante du projet Initiative dans l’Asie du Sud-Est. Comme vous le savez, la criminalité évolue. Les criminels du 21ème siècle n’ont plus rien de commun avec ceux du 20ème. Il faut donc que le gouvernement évolue. Nous ne cherchons pas à nous débarrasser des super-héros, mais à travailler avec eux. Vous êtes un militaire, Capitaine, vous avez affronté les nazis en Europe. Mieux que personne, vous devez donc savoir à quel point un contrepouvoir discréditant l’efficacité de l’autorité légitime est dangereux. »
Pour elle, tout cela était clair, mais elle espérait que ce le serait aussi pour le Capitaine.