Rachel mangea avec appétit, et vit que Steve était rapidement parti. Visiblement, l’homme n’avait pas un aussi bon appétit que la jeune femme. Elle ne s’en formalisa nullement, et discuta avec Lloyd, essentiellement de Captain America. Lloyd était soulagé de voir que l’homme, qu’on disait borné, avait accepté leur offre. Il avait même dans la tête de former une escouade d’individus ayant des capacités surnaturelles. Ceci rentrait dans les prérogatives du SHIELD, qui envisageait, sur le long terme, de développer l’Initiative aux pays-membres de l’OTAN et à ses alliés. L’Initiative était un programme militaire américain désignant l’implantation, dans chacun des 50 États de la fédération, d’une agence super-héroïque destinée à promouvoir la sécurité. Développer un tel projet dans d’autres pays posait des problèmes évidents de souveraineté, et le Japon était bien placé par rapport à d’autres pays, dans la mesure où, en vertu du traité de 1951, les Etats-Unis avaient des bases militaires implantées sur le sol japonais. Ce traité, bien que contesté par l’opposition japonaise, constituait le socle légal permettant aux Marines d’agir au japon et dans les eaux territoriales, même si ce dernier avait été limité par la suite. Rachel songeait à tout cela. Elle ne l’avait pas spécialement vu en cours, mais s’était renseignée sur la question. Elle avait ainsi appris que l’implantation des bases militaires américaines au Japon était un véritable débat de fond, notamment autour des bases situées à Okinawa, un débat qui contenait en substance celui, plus problématique encore, de l’existence ou non d’une armée japonaise. Rachel continuait à y songer, en discutant un peu avec Lloyd. Les deux avaient chacun leur propre opinion. Pour Lloyd, que le Japon se dote d’une armée était une chose, mais il ne fallait pas pour autant désorganiser la défense américaine. Qu’on le veuille ou non, qu’on critique la présence américaine et ses atteintes à la souveraineté, les Américains avaient toujours la meilleure armée du monde, tant d’un point de vue matériel, stratégique, que logistique. De plus, les bases américaines n’avaient pas qu’une simple fonction militaire, elles avaient aussi un poids économique, social. Les exemples ne manquaient pas, et l’avis de Lloyd était loin d’être caricatural. Rachel, elle, soutenait plutôt que le gouvernement devrait réviser l’article 9 de sa Constitution, article qui interdit le maintien permanent d’une armée au Japon. Une telle révision était possible, dans la mesure où le Japon, dans les faits, entretenait des « forces d’autodéfense », délicieux euphémisme juridique pour désigner une armée forte de 240 000 hommes. En somme, là où Lloyd avait un point de vue atlantiste, fédéraliste, basé sur la compétence reconnue des Américains et la nécessité, dans un monde où des pays comme la Chine acquéraient un poids de plus en plus important, Rachel avait une vision plutôt souverainiste.
« Bon, finit par lâcher ce dernier. J’ai des rapports à taper, et toi, une armure à entraîner.
- Ouais... La routine quotidienne.
- Et tâche de t’occuper de Steve, je crois qu’il t’apprécie. »
Le regard de Lloyd semblait vouloir dire : « Si tu vois ce que je veux dire ». Rachel n’avait rien vu de tout cela, et haussa les épaules.
« Je pense surtout qu’il me prend pour une bleue...
- D’un certain point de vue, tu ne t’es encore jamais vraiment battue avec cette armure.
- Ça ne veut pas dire que je n’ai aucune expérience.
- Je n’ai jamais prétendu une telle chose » se défendit l’homme en levant les bras.
Rachel haussa les épaules, puis sortit du réfectoire. Elle commença par se changer. Quand on enfilait l’armure, les vêtements sous cette dernière avaient une fâcheuse tendance à finir en piètre état. Elle opta donc pour une minijupe et un très court débardeur blanc, puis se rendit dans la salle d’entraînement, où, sans réelle surprise, elle retrouva Captain America. Dans sa courte tenue, sans chaussure, le disque noir était, par un effet adhésif, collé contre son ventre. Il y eut un léger silence, avant que Steve ne lui avoue avoir envie de voir l’armure en action.
« Et mon offre est toujours d'actualité » précisa-t-il alors, avec un regard intense.
Rachel esquissa un léger sourire, et pencha la tête, avant de s’avancer. Le sol était recouvert de tapis de protection.
« Vous savez, Steve, ce n’est pas à moi, ni à vous, qu’il revient de déterminer des équipes. Ce sont les supérieurs qui en décident, en fonction d’une série de critères. Vous êtes une légende de l’armée, capitaine. Vous avez affronté les nazis, et votre patriotisme n’est pas quelque chose qu’il s’agit de remettre en doute. Mais, en définitive, c’est à nos supérieurs que la décision définitive reviendra. »
Elle le regarda alors, en croisant les bras :
« J’ai servi en Afghanistan, et je suis ressortie de mes études avec des notes qui m’auraient permis de rejoindre les plus prestigieux cabinets d’avocats d’affaires du pays. Alors, à la vérité, le plus probable, c’est que vous finissiez sous mes ordres. »
C’était même d’autant plus probable que, même s’il avait été gracié par une loi d’amnistie, Steve restait tout de même un terroriste. Avant de lui confier la tête d’une escouade, il allait devoir faire ses preuves. Rachel n’eut pas le temps de poursuivre, car des individus entrèrent. Il y avait plusieurs scientifiques, certains en blouse, parce qu’ils ressortaient du laboratoire, d’autres avec des chemises. Il y avait des Américains, mais aussi des Japonais.
« Ah, M. Rogers. Permettez-moi de vous présenter la fine équipe. Je suis le Dr. Cunningham, mais vous pouvez m’appeler Michael. »
L’homme avait les cheveux bouclés, et serra la main de l’homme.
« Une poigne à la hauteur de votre réputation, M. Rogers. Je vous présente deux des membres de mon équipe : le Docteur Hiruko Tasegawa, et le Docteur Jeannette Frost. Le premier nous vient tout droit d’un laboratoire privé, et la seconde du CNRS. Quant à moi, si je vous dis d’où je viens, je serais dans l’obligation de vous supprimer instantanément. »
Son visage se fendit d’un léger sourire, annonçait qu’il plaisantait, puis il se retourna vers Rachel. Cunningham et son équipe étaient chargés de l’entretien de l’armure. L’homme s’avança vers une petite porte latérale, et entra dans un bureau, puis appela des ordinateurs. Sa voix résonna alors depuis un haut-parleur.
« Très bien, gentlemen. Veuillez vous écarter de la dame, please. Okay... Mlle Hawkes, veuillez nous faire l’honneur de mettre votre belle robe sexy et high-tech. »
Rachel pencha la tête, et appuya sur le disque de l’armure. Immédiatement, ce dernier se mit à briller, tandis que l’armure se déploya, les plaques jaillissant, recouvrant ainsi progressivement tout le corps de la jeune femme. Elle tourna sa tête vers l’homme, et parla de sa voix mécanique :
« Alors, qu’en dites-vous ? »