Le libraire nain serait donc leur première visite. Terminant son morceau, Cahir alla verser quelques pièces, puis rejoignit la kitsune, qui l’attendait dehors. Elle faisait preuve d’un entrain enthousiasmant, et contagieux. L’apatride avait un léger sourire en la voyant. Replonger dans son passé l’avait rendu un peu mélancolique et nostalgique. Il commença à marcher, lorsque Louane s’agrippa à son bras. Surpris, Cahir la regarda légèrement, mais ne dit rien, et avança. Le respect des convenances... A Ashnard, sa femme ne l’avait jamais pris ainsi.
*Arriverais-je un jour à me convaincre que l’Empire est du passé pour moi ? Je ne suis plus un Corbeau Noir, je ne suis plus rien... Malgré ce que Sheana en dit, je ne suis qu’un vagabond. Mes noms m’ont été retirés, mon héritage m’a été volé. L’admettrais-je un jour ?*
Cahir avait déjà la réponse à cette question, et marchait silencieusement. Il aurait bien voulu parler à la kitsune, mais il ne savait pas quoi lui dire. Aucun mot ne lui venait à l’esprit, et ils rejoignirent donc le quartier des non-humains. Flotsam n’était pas une ville riche. Les grandes axes étaient pavés, mais, à plusieurs endroits de ces grandes rues, les pavés ressortaient, des touffes d’herbe pointaient ici et là. Les bicoques étaient petites, tristes, sinistres, et c’était encore plus vrai pour le quartier des non-humains, une espèce de petit ghetto avec des masures minuscules, des bassines dans des rues faites de terre et de sable. Un endroit peu reluisant, à première vue, mais Cahir savait que les apparences étaient trompeuses.
S’engageant dans le bidonville, il vit des gens qui le regardaient, des femmes et des hommes. On étendait les linges en commun, et leurs regards acérés signifiaient clairement que Cahir, l’humain, n’était pas le bienvenu ici. Cahir pouvait sentir une lourde menace. Les patrouilles flotsamiennes étaient généralement composées d’humains, qui devaient considérer avec hauteur et dédain ce tas de déchets. Ils étaient généralement des haillons, jouant aux dés dans la poussière, et Cahir aperçut à plusieurs reprises des bandes de jeunes courant entre eux, jouant à une espèce de jeu rudimentaire avec un ballon. Cahir se pencha vers Louane, lui glissant quelques mots d’avertissements :
« Regarde-les, Louane... Ils sont les rebuts de la société, des tâches dont tout gouvernement aimerait se débarrasser. Ils n’ont rien, mais garde bien à l’esprit certaines choses. Quand on a tout perdu, on ne peut plus se raccrocher qu’à sa fierté. Ne porte pas un regard trop hâtif. »
Des deux, c’était cependant Cahir qui avait le plus de chance de se faire attaquer. Il s’avança, essayant de chercher quelqu’un qui pourrait lui dire où se trouvait Baltimore. Pendant ce temps, les jeunes jouaient entre eux. Le ballon était vieux, cabossé, rafistolé avec de la colle, et les enfants, nains, humains, nekos, comme elfes, se le passaient mutuellement, essayaient de le voler, dans une troublante mêlée.
*La magie du sport... Un monde en paix serait probablement un monde où le sport remplacerait la guerre, et où les nations s’affronteraient dans des terrains... Mais je n’aurais pas ma place dans un tel monde.*
La balle s’envola alors, et roula près de Cahir, tapant contre son pied. Les enfants le regardèrent alors, et Cahir contempla le ballon. Il leva son pied, le posa dessus, fit lentement glisser la balle. Les adultes s’étaient levés, et l’un d’eux s’approcha.
« Rendez-leur la balle. »
L’ordre était sec, mais l’homme avait peur. Il n’était pas très sûr de lui. Cahir le regarda, regarda à nouveau le ballon, puis le renvoya d’un coup de pied.
« Je recherche la librairie de Baltimore. »
L’individu le regarda silencieusement, avant de lâcher :
« La librairie est hors du quartier. Près de la grand-place. »
Cahir soupira silencieusement. Tout ce chemin pour rien ! Après cette brève visite du ghetto, il retourna donc, avec Louane, vers l’auberge, et ne tarda pas à trouver la librairie, dans une petite ruelle. Un écriteau « LIBRAIRIE » pendait à l’extérieur, et l’apatride entra. La librairie était au-rez-de-chaussée d’un minuscule immeuble étroit. Il n’y avait qu’un seul client, se trouvant près d’une bibliothèque. C’était une femme, avec sa fille. Cahir, de son côté, s’approcha d’une autre étagère, et y consulta les ouvrages. Les livres étaient rangées par thématique et par ordre alphabétique. Plusieurs étaient posés sur des tables. L’apatride sourit en tombant sur le « Traité de la guerre », un imposant volume plutôt bien entretenu, et qu’il avait mangé à l’académie impériale. Il vit également un livre d’aventures qu’il avait dévoré quand il était jeune, le « Récit d’un voyage : de Nexus à Zerrikane », par Patrick Lappjÿck. Un récit autobiographique de quelqu’un qui avait suivi une caravane marchande vers la jungle profonde et hostile de Zerrikane.
Sur la table, Cahir vit l’un des quatorze tomes de « L’Encylopédie Universelle », un ouvrage collectif réalisé par de nombreux auteurs, et qui recensait toutes les espèces et tous les lieux connus de Terra, entre autres choses. « L’Encyclopédie » était édicté par les mages de la Citadelle, et mis à jour tous les dix ans. Baltimore avait visiblement la dernière édition, indiquant qu’il était bien fourni. Dans la bibliothèque du manoir familial, toute la collection de « L’Encyclopédie » était disponible.
La librairie comprenait également une arrière-boutique, et c’était là-bas que Cahir se rendit. Baltimore parlait avec quelqu’un près de confortables fauteuils. Cahir n’allait pas le déranger pour le moment. Un feu brûlait dans l’âtre d’une cheminée, et il s’approcha de nouveaux livres. La femme avec sa fille cherchait visiblement des contes de fées, et la petite fille, qui la tenait par la main, nota alors la présence de Louane, et la regarda en tendant le doigt :
« Maman ! Maman, elle est trop belle, la neko ! »
Tournant la tête, la mère en question vit ladite « neko », et fronça les sourcils.
« On ne montre pas du doigt, c’est impoli !
- Mais elle est trop belle ! On peut l’acheter, tu crois ?
- Non ! »
Souriant légèrement, Cahir finit par trouver, au bout d’un certain temps, un ouvrage intéressant, et le sortit. Baltimore continuait à parler, et il s’approcha de Louane. Il lui tendit le livre. Sur la couverture, on pouvait lire : « Pratiques sexuelles terranes », avec, en sous-titre : « L’Encyclopédie érotique ! ». L’équivalent du kama sutra, en somme.
« Tu m’as dit que tu voulais te perfectionner, non ? Voilà un bon moyen de s’instruire... »
Il se pencha vers son oreille, et murmura à voix basse :
« Je suggère que, chaque soir, nous essayons l’une des formes de ce bouquin. »