Qu’elle était naïve ! Ou innocente, au choix... Elle ne voyait pas pourquoi Cahir l’aurait sauvé, si ce n’est pour l’avoir avec lui. L’apatride, lui, voyait plutôt bien ce qu’il pouvait en faire. A vrai dire, s’il avait pris de l’aider, il avait aussi des arrière-pensées qu’il ne comptait pas lui formuler. La renarde était très belle, suffisamment belle pour lui rapporter une bonne somme à un marché d’esclaves. C’était l’intention initiale de l’ancien Ashnardien : la conduire au marché, et la vendre à un esclavagiste pour de l’argent. Il monta derrière elle sur Sombreval, et attrapa les rênes.
« Sortons de la ville lâcha-t-il tout simplement, avant de sourire. Et en route pour l’aventure... »
Elle devait sans doute le prendre pour une espèce de missionnaire, de chevalier désintéressé appartenant à un quelconque ordre chevaleresque. Il ne tenait pas à briser cette image qu’elle avait de lui, et s’éloigna du village. Sombreval quitta rapidement les lieux en passant par la rue principale, et Cahir galopa vers le pont menant à Égreville, tout en continuant à réfléchir sur ce qu’il devait faire de cette dernière. La vendre ? C’était son idée, mais, étrangement, elle ne le tentait pas.
*Cet enthousiasme dont elle fait preuve... Je suis parti du principe qu’elle ne serait qu’une tare dans mon voyage, mais en suis-je si convaincu ? Ne suis-je pas en train de la sous-estimer à cause de son apparence ?*
Il est vrai que Louane était loin de ressembler à une guerrière, mais elle avait l’air très déterminée. Et Cahir ne lui avait pas menti. On l’avait constamment sous-estimé, à l’académie, en raison de son absence de pouvoirs magiques, ou de facultés paranormales. Il n’était qu’un simple humain, et avait, en conséquence, du travailler au moins trois fois plus que les autres pour réussir à rester dans les critères très sélectifs de l’académie militaire impériale. Cahir songeait pensivement à tout cela, et se dit qu’il allait la mettre à l’épreuve. Avoir une écuyère ne présentait pas que des inconvénients, loin de là. Même quand on n’avait pas de maison, l’intendance était importante. Cahir devait nettoyer son cheval, ses vêtements, essorer son arme, et lubrifier son armure. Une armure sale était bien moins efficace, et, plus simplement, il ne tenait pas à avoir l’apparence d’un pouilleux.
Le petit pont ne fut pas difficile à rejoindre. Un simple pont en pierre, surplombant un petit ruisseau, et Cahir le passa, suivant une route escarpée qui le conduisit assez rapidement vers un poteau indicateur. « ÉGREVILLE » apparaissait sur l’une des pancartes, et l’apatride partit par là, sans parler à Louane, la laissant contempler le paysage. Elle était entre ses bras, sa tête aux oreilles pointues proche de son cou. Comme elle n’était pas bien lourde, elle ne dérangeait nullement Sombreval.
*Je ne peux pas m’attacher... Hum... Je n’aurais jamais du aider cette fille...* se sermonnait-il, sans grande conviction.
Il finit par parler, alors que le sentier longeait une forêt :
« Nous allons nous arrêter là. »
La neige ne recouvrait plus le sol, et on n’apercevait plus depuis longtemps le village qu’ils venaient de quitter. Cahir dirigea Sombreval sur la droite, et le cheval entra dans la forêt, passant entre plusieurs arbres. Impossible d’évaluer la taille ou la profondeur de la forêt, et, surtout, si elle était dangereuse ou non. De manière générale, une forêt était toujours dangereuse. Cahir s’avança un peu, Sombreval avançant au pas, évitant les arbres et les branches qui se dressaient.
« Sois attentif au moindre bruit, Louane... Celui qui commet l’erreur de ne se reposer que sur ses yeux n’est qu’un cadavre sur pattes... Et, comme les canidés comme toi ont de grandes oreilles, j’en déduis qu’ils doivent mieux percevoir les sons... Une branche qui craque, un grognement, un sifflement lourd... La vie d’un guerrier se résume généralement à un simple mot : ‘‘Pourquoi ?’’ Pourquoi cette branche a craqué ? Pourquoi n’entend-on pas les oiseaux gazouiller ? Chaque chose inhabituelle est généralement source de dangers. Dès lors, il faut être particulièrement vigilant. »
En l’occurrence, Cahir ne détectait rien d’anormal. Les oiseaux gazouillaient, et la forêt n’était pas très profonde. La végétation ne l’étouffait pas, et ils finirent par s’arrêter près d’une rivière, au milieu d’arbres. Cahir descendit du cheval, et aida Louane à descendre, la tenant entre ses bras. Elle avait un petit corps chaud, et il se surprit, quoique brièvement, à sentir la douceur de son corps, cette chaleur si féminine, et si attirante... Ce fut toutefois bref, et il la relâcha ensuite. Cahir avança ensuite Sombreval vers le ruisseau, et le cheval se désaltéra. L’apatride, de son côté, commença à ôter son plastron, et offrit à Louane, pendant quelques secondes, la vue de son dos. On pouvait y voir une longue cicatrice qui barrait son dos en diagonale, du haut vers le bas. Se penchant vers le ruisseau, il but un coup, trouva l’eau bonne, et en remplit sa gourde, avant de s’en passer un peu sur le visage. Le guerrier se releva ensuite, se retourna vers Louane, et enfila un vêtement noir plus léger. Son torse était imberbe, dénué du moindre poil, et on pouvait voir un homme assez musclé, même si, là et là, quelques cicatrices illustraient son passé de guerrier. Il enfila ensuite son vêtement, puis s’avança vers Louane.
« Nous allons commencer à évaluer tes capacités. Pour commencer, tu vas me dire si tu es capable de te déplacer sur tes quatre pattes. J’ai vu bien des Terranides le faire, et une telle position présente bien des avantages. Ensuite, tu vas me dire si tu t’es déjà battue, si tu as déjà porté une épée, ou quelque chose comme ça... Mais, avant ça, j’ai besoin d‘évaluer ta force physique. Et, pour ça, je veux que tu me frappes dans le ventre. Avec toutes tes forces... En évitant de sortir tes griffes, j’ai assez de cicatrices comme ça. »
Il donna rapidement des explications, conscient que cette demande pouvait paraître surprenante :
« Ne t’en fais pas ; tes petits poings ne risquent pas de me faire trop mal, mais j’ai besoin d’évaluer rapidement tes compétences. Tu vas donc frapper avec toute ta colère, et, si tu n’arrives pas à être en colère, alors je te considérerai constamment comme une neko. »
Louane, visiblement, n’aimait pas qu’on la compare à une neko. La fierté des renardes... Dans tous les cas, il n’avait pas peur. A vrai dire, s’il y en avait une qui risquait de se faire mal, c’était plutôt elle. Cahir était musclé, et s’entraînait tous les jours.