Le duo se retrouvait maintenant sur un autre plateau, emmenés ici par de grands corbeaux de fumée dont l'envergure dépassait celle de nombreux bateaux. Ils avaient été informés par Rukhmar de la situation et, bien qu'honoré, le rebelle ne connaissait vraiment pas grand chose aux oiseaux, et encore moins aux oisillons ; en tout cas, il n'avait de connaissance qui l'aiderait à trouver la solution qu'on attendait de lui. C'était une situation compliquée pour lui, car il aurait été bien incapable de dire, à première vue, quel oisillon était orphelin. Tous semblaient nourris et soignés, et sûrement celui-ci était-il pris en charge par le reste du vol -ce qui prouvait sa compassion et sa sociabilité-. Alors, comment le trouver ?
Lamnard tenta de trouver la réponse chez Shad, mais la louve semblait tout aussi perdue que lui ; et elle avait raison : ils devaient bien tenter l'affaire. Si Rukhmar croyait qu'il en était capable, peut-être, alors, l'était-il sans en être lui-même conscient ? Il prit la main de sa compagne d'aventure et, inspirant profondément, soufflant doucement par le nez, il la regarda et serra ses doigts.
« Merci, Shad, » dit-il calmement. « Tu m'apportes la force qui me manque. Je suis heureux que tu sois là. »
Il ne lâcha pas sa main tandis qu'il s'avançait au milieu des nombreux nids et des adorables oisillons qu'ils renfermaient. Tous étaient vifs et curieux, excités à l'idée de l'approche des deux étrangers. On devinait que leurs petits becs tendus cherchaient à capter leur odeur, à pincer leur chair rose et à les identifier. Le nordique et la métamorphe gardaient prudemment leurs distances, se protégeant et se guidant mutuellement. Là encore, le travail d'équipe était, en fait, presque indispensable ; mais ce qui aurait été difficile pour eux préalablement était devenu tout naturel. Ils n'avaient plus besoin d'un seul mot pour s'entendre et se comprendre, et se faisaient entièrement confiance.
Finalement, Lamnard arriva en vue d'un nid qui semblait vide. C'était curieux, car tous les autres étaient bien animés par leurs occupants respectifs. En approchant, le mystère s'épaissit quand il aperçut le duvet juvénile du gros oisillon l'occupant. La petite créature, même si en bonne santé et nourrie, restait prostrée en boule. Elle ne dormait pas, mais elle n'était pas attentive à son entourage non plus. Le viking se sentit attiré vers lui comme par un instinct profondément enfoui, et il arriva au bord du nid, se refusant à le toucher, sans éveiller la moindre réaction de la part de l'occupant.
« Et maintenant ? » demanda-t-il, plus pour lui-même, comme une lettre ouverte. « Est-ce que c'est lui ? Comment le savoir ? Est-ce que Rukhmar me corrigera ? Attend-il que je prenne contact ? Tu le connais, quel est son AOUTCH ! »
Le guerrier avait été interrompu par un pincement soudain et surprenant sur sa cuisse. L'oisillon avait tendu la tête pour l'identifier, et s'était replié dans son nid aussitôt. Se frottant la jambe, Lamnard se baissa pour se mettre au niveau de l'oisillon et le dévisagea un instant, lui retournant son regard mi-curieux, mi-prudent et sentant comme un dialogue intérieur se tenir entre eux. Il lui sembla que ses questions trouvaient des réponses rien qu'en l'observant. Et il finit par briser le silence.
« Tu n'as pas de nom, car tu n'as pas de famille. Tu as des tuteurs, mais tu n'as pas de parents. Je serai ta famille si tu acceptes le nom que je te donne. Que dis-tu de Trollfagel ? »
A ce mot, l'oisillon se dressa sur ses pattes et poussa un cri juvénile en agitant les ailes ; et ses semblables alentour répondirent comme pour reconnaître son acte. Lamnard s'était redressé, surpris, et scrutait le ciel, une main sur une arme ; mais aucune menace ne vint, et il sourit à Shad en croisant son regard, conscient d'avoir rempli l'ultime épreuve tandis que Rukhmar se posait une fois de plus près d'eux dans la tempête du battement de ses ailes.