[TERMINER]Tes croyances n'ont pas réponses à tout (Pv Lamnard)

   Lamnard avait moins été surpris par la démonstration et la taille de la forme draconique de Shad que par sa démonstration, volontairement intimidante. Il lui en voulait un peu de s'amuser quelque peu à ses dépends, mais dès sa forme normale reprise, tout près de lui et la main contre son corps, la tension redescendit aussitôt, et il oublia vite la mauvaise plaisanterie pour sourire à sa remarque et hocher la tête à sa question. Oui, elle avait bien répondu à sa question, et de façon très extensive pour tout dire. Il avait la sensation de mieux la connaître ; pas vraiment comme s’il la connaissait depuis plus longtemps, mais leur combat commun contre ce monstre et le récit de ses aventures avait aidé à dresser un autre portrait de la Terranide. Forme draconique, lupine ou non, le préjugé avait disparu, et il se rendait compte de son étroitesse d’esprit à présent. Pour tout dire, il se sentait idiot et ne savait trop s’il devrait le dire, ni comment. Admettre ses torts était probablement une des choses les plus compliquées du monde.

« Merci de m’avoir révélé tes capacités. Je réalise que c’est une marque de confiance, et je suis d’accord avec toi : les épreuves doivent être relevées de la manière dont elles ont été pensées pour être remplies. »

   Il hésita un instant, resta brièvement bouche bée avant de finalement rajouter :

« Je t’ai jugé rapidement, et j’en suis désolé. Tu es une compagne d’aventure honorable, et … ta saga est digne des péripéties d’une véritable déesse ! Je n’en reviens pas que tu aies vécu de telles choses ! Pour moi, tout cela, c’est quelque chose d’exceptionnel et de trépidant, mais pour toi, c’est presque le quotidien. »

   Il songea au quotidien, à son navire. Il risquait fort de rater le départ de son équipage, c’était vrai. Il le rattraperait et reprendrait sa position, il le savait. Il n’avait même pas à douter sur ce point : il les connaissait trop bien et savait qu’ils ne trouveraient pas meneur plus accepté. Cette absence pouvait même renforcer sa position au final.

   Et il songea comme le quotidien s’était bien vite trouvé bouleversé, comment une simple personne rencontrée au pied d’un arbre par un temps affreux avait soudain changé le programme de ses prochains jours et transformé à jamais sa perception des choses. Il disait que ses aventures étaient dignes des dieux, mais il songeait sérieusement que son intervention pouvait être divine. Si elle n’était pas une déesse, et même si elle n’en avait pas conscience, leurs chemins devaient s’être croisés pour une raison supérieure, pour s’inscrire dans un plan bien plus vaste. Les semblables de Lamnard pensaient que le Destin d’une personne était écrit dès avant sa naissance. Même les Ases ne pouvaient échapper au Destin, après tout. Et si tout cela était une des mystérieuses roues du Destin en action ?

   Il échappa à son raisonnement métaphysique, porté par la chaleur du feu et du corps proche, qui réveillait ses sens après un long moment passé dans l’humidité et le froid. Il n’était certes pas pudique et un corps nu n’éveillait pas en lui les émois que l’on notait chez d’autres. Il pouvait très bien se trouver là avec elle, dans le plus simple appareil, sans forcément s’éprendre d’elle. Mais le cadre, le contexte et l’instant se prêtaient au rapprochement. Ce moment les avait rapproché, il le croyait fermement. Comme pour exprimer son sentiment d’acceptation et de rapprochement, il passa une main sous son bras pour l’attirer contre lui, la laissant se blottir en refermant ses bras en une étreinte. Tout de suite, leurs chaleurs mutuelles furent comme décuplées, et l’engourdissement du froid polaire qu’ils avaient traversé s’évanouit presque. Il soupira d’aise.

« J’ai peur de n’avoir pas grand-chose à raconter de mon côté. J’ai été un esclave toute ma vie. Mes parents ont encore vécu dans les royaumes de mes ancêtres, mais une armée vassale de Nexus les a anéanti pour alimenter le commerce d’esclaves de sa famille. Je me suis rebellé, ai rejoint Son’Da … J’ai trouvé leur passivité révoltante, alors j’ai fini par les quitter, à fonder un groupe de … d’affranchis, de pirates, de révolutionnaires … Je ne peux pas dire que nos méthodes soient très différentes de celles de nos ennemis. »

   Et, parfois, ce constat le faisait douter, tandis qu’il sentait le feu d’une lutte sanglante ronger son âme ; mais cela, il ne le dirait pas à voix haute. Pas encore, en tout cas.

« Ne sois pas désolé ! Je comprends tout à fait ta méfiance, comme je me méfie des humains. Mon histoire est certes parsemées d’aventures diverses et variées dans lesquelles je me suis fait des amis mais…ma route croisa également bon nombres d’êtres qui devinrent mes ennemis…Et si à cela que tu comptes que je reste une terranide – elle le regarda – Ne crois pas que j’ai toujours eu ces capacités, j’ai dû apprendre à les maîtriser comme tu apprendrais à maîtriser ta hache pour pourfendre tes ennemis. Oh et à ce propos, je sais également maîtriser les armes, mais tu as sans doute dû le deviner. »

Elle donna un bref coup de menton vers ses sabres posés non loin au sol et si le Viking avait été vigilant il aura noté la présence de couteau de lancés sur l’épaulière droite de la Lycane et sur son poignet gauche. Prenant appuie contre lui, elle s’apprêta à reculer afin de reprendre sa place précédente mais fut surprise de se sentir attirée d’un bloc contre son torse. Clignant des yeux sous la surprise, elle referma ses bras autour de l’abdomen de Lamnard, enserrant ses mains dans une étreinte douce et chaleureuse.  Fermant ses yeux, elle semblait se lover contre lui, écoutant attentivement à la fois son histoire et ses battements de cœur. De l’Okami capable de réduire en cendre n’importe quel ennemi imprudent, elle avait à présent l’apparence d’un être en manque de tendresse. Nul besoin d’aller plus loin, cette simple étreinte était déjà des plus agréables et marquait la fin d’une querelle sourde avec le guerrier.

« Nous partageons tous les deux un point un commun, l’esclavage. Mais, malgré mon statut de Terranide je n’ai jamais mis les pieds dans la capitale. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé !  Comment est-elle justement ? J’ai cru entendre que les habitants haïssaient tous ceux qui n’étaient pas Terranides et vu que tu es humain…Cela n’a pas dû être facile tous les jours. Enfin, je ne vais pas juger ta façon de faire, j’ai à présent bien trop de sang sur les mains pour te faire la morale. Mais je suis ravie qu’un humain essaye de changer les choses. »

Ce qui était rare ! Resserrant un peu son étreinte, la Terranide bougea légèrement afin de chercher une position plus agréable, sa poitrine se frottant quelques instants contre le torse musculeux. Mais elle ne chercha pas à attiser plus que cela la flamme de l’envie. Dirigeant un instant son regard vers les flammes, elle les attisa un peu grâce à sa magie, faisant danser leurs ombres contre les parois de la grotte.

« Je ne pense pas que nous risquions quelque chose ici, et si tel serait le cas, nous serons à mène de rivaliser contre l’adversaire qui se dressera contre nous. La tempête est loin d’être finie et d’autres épreuves nous attendent encore. Autant se reposer. »

Fragile. Voilà à quoi elle ressemblait entre ses bras. Outre la chaleur de son corps, sa queue apportait également un surplus de chaleur non négligeable dans de telles conditions. Fermant les yeux et posant sa tête contre le torse de Lamnard, la Lycane se laissa aller au sommeil. Mais la position de ses oreilles sur son crâne démontrait qu’elle restait vigilante et que tout son suspect serait enclin de la tirer de son sommeil.

Leur route reprendrait à la fin de la tempête et cette dernière dans « sa clémence » allait leur permettre de profiter de quelques heures de repos afin d’être d’aplomb pour la suite de leur voyage.

   La paix était effectivement signée très clairement entre les deux aventuriers. Lamnard appréciait ce moment de chaleur mutuelle et d’échange. Certes, leur position était on ne peut plus tendancieuse, mais les deux étaient majeurs et vaccinés et assez mûrs pour ne pas se faire des idées immédiates. La tranquillité et la relaxation étaient des luxes dont ils devaient profiter à cet instant. Qui savait ce que la prochaine étape de leur périple allait leur réserver ? Il était difficile de songer que Rukhmar les aurait tous deux envoyé à la mort, mais le troll de glace s’était révélé un adversaire de taille ; vite éliminé, mais potentiellement mortel, et, s’il était leur premier obstacle, il était bien hasardeux et angoissant de songer au prochain. Car il y aurait un prochain obstacle, à n’en pas douter. Il était rare d’avoir un seul ennemi dans ce genre de récit. Il fallait souvent passer par des épreuves sollicitant divers talents : la première épreuve était une combinaison de coopération et de puissance brute ; rien de bien exceptionnel. Quelle pourrait bien être la seconde ? En fait, il pourrait bien s’agir d’autre chose qu’un ennemi.

   Mais songer à cela ne les aiderait pas à se reposer. Comme le disait Shad, il leur fallait profiter du temps que la nature leur avait alloué. Tandis qu’elle se relaxait, il lui contait son passage par Son’Da, il y a des années de cela.

« Son’Da était un peu un Eden pour nous autres affranchis. C’était si loin de Nexus, et plus loin encore de nos terres natales … Mais ça ne faisait que renforcer le sentiment de Terre Promise ! C’est vrai qu’en arrivant, les choses se sont révélées plus terre à terre. Nous avons vite compris que les Terranides préféraient être entre eux. Ils constituent l’immense majorité de la population, et ils sont très méfiants vis-à-vis des autres, les humains en particulier. »

   Alors qu’il disait cela, sa voix se faisait un peu lasse. Cet aspect du royaume terranide était ce qui l’avait le plus chagriné, avec le recul. Il avait vu tant de rejet et de racisme d’un bout à l’autre du monde, et même eux n’avaient su dépasser ces carcans complètement. Il s’était efforcé d’accueillir tout le monde à bord de son navire et au sein de son équipage, et pour tout dire tout le monde s’entendait assez bien. Il y avait parfois des accrochages, mais rien de bien terrible. Globalement, les limites des uns étaient compensées par les forces des autres. Du coup, on respectait son camarade pour ce qu’il apportait au groupe.

« Nous sommes pas mal restés entre nous ; entre humains, je veux dire, et Nordiques plus particulièrement. N’ayant plus de royaume où retourner, nous avons fini par être plus ou moins acceptés. J’ai passé quelques années là-bas. Nous avons constitué une troupe humaine pour leur armée en construction. J’y ai appris ce qu’il fallait pour être un chef ; ici et ailleurs. »

   Oui, l’armée terranide avait été un bon endroit pour mettre à l’épreuve ses compétences comme ses points faibles. Les rencontres là-bas comme ailleurs dans et autour de Son’Da avaient fait partie des plus formatrices de son existence. Elles ne l’avaient pas empêché de devenir et de rester un mystique quelque peu enfermé dans ses conceptions cultuelles de l’univers, mais le temps chassait les nuages des gens intelligents, et nul doute qu’il l’était. Shad était une de ces rencontres qui marquent une vie à jamais.

« Quand j’ai compris que nos manœuvres et nos grands projets ne mèneraient peut-être jamais à rien, j’ai rendu mes armes et je suis parti, avec des camarades nordiques et d’autres ; humains, mais terranides aussi. Nous avons construit notre bateau, et je dirige ces révoltés sans pays depuis. Vers quoi, vraiment, je l’ignore. Mais plutôt ça que de rester les bras ballants entre deux hivers glacés. »

   Sa voix vibrait de détermination comme il prononçait ces paroles. Assurément, l’inaction lui inspirait les pires des sentiments. Certaines personnes étaient ainsi, incapables de rester assises pendant que la grande scène de ce monde jouait ses actes les plus flamboyants sous leurs yeux. C’était quelque peu arrogant, mais il fallait aussi un immense courage et des idées fortes pour vouloir s’y faire une place.

   Soupirant en chassant les images de ces terres gelées, il passa une main dans les cheveux de Shad, dont les paupières alourdies se fermaient malgré elle. Elle s’endormit bien vite et, après avoir un temps épié les sons de la caverne et les variations de la tempête, il s’endormit à son tour, persuadé d’être à l’abri, après avoir donné quelques coups au feu pour le raviver pour les prochaines heures.

La nuit s’était déroulée sans la moindre encombre et la nature avait été plus que clémente avec les deux aventuriers, les laissant dormir sans que rien ne vienne déranger leur sommeil réparateur. Mais toutes les bonnes choses ont une faim et aux premières lueurs de l’aube, la Lycane émergea. Sa première réaction fut de vérifier si la tempête s’était enfin terminée. Le blizzard avait en effet laissé sa place à un ciel bleu des plus éclatant sans la moindre trace de nuage. Mais mieux valait être prudent, le temps pouvait changer de manière drastique. Doucement, elle se retira de l’étreinte, ravivant le feu et partant vérifier l’état de leurs effets. Ces derniers avaient bien séché et le risque de maladie était donc écarté.

Enfilant sa tenue et vérifiant ses armes, la Lycane quitta rapidement sa tenue d’Eve pour une plus à mène de répondre aux besoins de protections en cas d’attaque. Ravivant un peu le feu et contemplant les flammes dansantes de ce dernier, la Louve ne pouvait s’empêcher de se demander quelle serait la prochaine épreuve et combien en tout ils devraient affronter. Et puis, que pouvait-il les attendre au bout de ce voyage ? Bien qu’au départ malsaine, cette tempête avait eu pour avantage de rapprocher  la Terranide et le Viking et certaine animosité s’était ainsi effondrée. Rien de telle qu’une bataille en commun et une nuit où les langues se délient.

« Bien dormi ? »

Une question des plus banales mais il fallait bien commencer la journée par une petite note d’inquiétude non ? Une fois l’heure du départ arrivée, le feu fut rapidement éteint et tout ce qui aurait pu être utile dans leur progression fut inspecté dans la tanière du troll. Malheureusement soit l’objet était en morceau, soit bien trop grand pour être correctement utilisé, autant partir avec les affaires déjà en sa possession. Sortant de la grotte, la Louve  haussa ses oreilles et huma l’air. Rien, pas le moindre son ou d’odeur particulière. Mais mieux valait rester vigilant. Elle se tourna vers Lamnard :

«  Je doute que nous croiserons un troll des glaces avec ce temps dégagé…Une idée de ce qui pourra bien nous attendre ? »

Prenant par la suite la route, les deux compagnons de fortunes durent faire face à quelques obstacles sur leur route,  mais rien n’insurmontables. Les tas de pierres  ou les imposants troncs d’arbres  qui leur barraient leur chemin étaient rapidement escaladés et traversés. Mais lors d’une dernière ascension, la Louve s’arrêta subitement une fois arrivé au sommet de l’imposant tronc et jura.

« Ca….Ca va nous demander plus de temps à monter. »

En effet,  plus loin sur le chemin, une imposante paroi de plusieurs mètres se dressaient face au Viking et à la Terranide. Et aucun autre chemin ne semblait être possible. Attrapant la main de Lamnard pour l’aider à monter sur le tronc, même si cela n’était réellement pas nécessaire, la Louve reposa son attention par la suite vers leur futur obstacle.

« Dans ce cas, j’ai tendance à utiliser ma forme de lycanthrope pour gravir une telle paroi. Je peux si tu le veux te porter, enfin il faudra que tu t’accroches. Ou bien…si tu as de quoi le faire par tes propres moyens. Et si tu te le demandes, oui je l’ai déjà fait et avec un homme qui s’était vu transformé en statue en plus ! »

Et la montée n’avait pas du tout était une mince affaire. La Lycane fronça cependant les sourcils et émit un grognement.

« Pourtant…J’ai l’impression que c’est trop simple. J’ai le sentiment que quelque chose nous y attends. »

   Le repos avait été fort bienvenu, et à présent il était temps de se rhabiller et de reprendre la route. Avec de la chance, le temps serait aujourd’hui clément et propice à une belle avancée. Bien que les deux voyageurs s’en sortent bien, chaque jour passé au combat était un jour où le corps et l’esprit étaient mis à l’épreuve, et personne ne souhaitait souffrir des conséquences morales que le combat pouvait avoir sur un être sensible. Shad et Kystrejfter s’étaient préparé sans évoquer l’étreinte passée, mais avec le moral plus ferme et une détermination plus résolue. Ils avaient appris à se connaître un peu mieux et se sentaient prêts à affronter toute épreuve qu’on viendrait mettre sur leur chemin. L’ascension fut d’ailleurs aisée au début, et à la question de Shad, à savoir s’il avait une idée des autres obstacles qu’ils pourraient rencontrer, il haussa les épaules avec une certaine nonchalance.

« Si les Ases ont conçu cette épreuve, alors nous pourrions tomber sur n’importe quoi. Ils sont maîtres du vivant comme de l’esprit. Comment savoir quel plan ils suivent ? »

   Les légendes nordiques regorgeaient en effet d’histoires de héros brutaux pourfendant des monstres géants, mais aussi d’énigmes et de gens malins surmontant par la malice et la logique les devinettes et les labyrinthes des dieux. En fait, toutes les cultures avaient ce genre de légendaire aux plusieurs visages, rendant hommage à chaque trait bénéfique des héros : le courage, l’intelligence, l’audace le plus souvent. Comme il le songeait hier, Lamnard n’avait aucune idée de ce qui allait les attendre plus loin, monstre ou énigme. Et tandis que l’ascension plus difficile leur révélait une grande paroi verticale, il fronçait les sourcils en s’interrogeant sur la présence de cet obstacle. Si tester leur force était la finalité du troll, pourquoi cette escalade ? Quel pouvait être le talent mesuré ici ? La paroi lui inspirait une profonde suspicion. Mais ce n’était peut-être qu’une paroi, l’épreuve, la vraie, pouvait se trouver à son sommet.

« C’est bizarre. Peut-on voir un endroit d’où contourner ? Non … Je vais monter, dans ce cas. Je peux y arriver. Shad, tes pouvoirs nous seront utiles si j’active un piège, tu devrais me couvrir. Et … Penses-tu que ton araignée pourrait jouer le rôle d’éclaireur pour moi ? »

   Aussitôt dit, aussitôt fait. Le collier arachnéen de Shad prit vie à son commandement et la grosse bête noire s’élança rapidement vers la paroi, précédant le grand blond d’une belle longueur en inspectant les prises et les crevasses. C’était un éclaireur de grande valeur, qui évita à Lamnard plusieurs prises branlantes et d’être dérangé par un insecte dans un creux de la paroi. Le viking arriva assez rapidement à mi-chemin, où il fit une pause et estima la distance parcourue, et ce qui lui restait à parcourir. S’assurant à une main avec une hache fichée dans un trou, il essuya son front transpirant, reprit sa respiration, plus courte à si haute altitude, et profita un instant du panorama, à peine obstrué par les volutes de nuages se lovant contre la pierre à cette altitude. Leur parcours semblait de plus en plus les conduire vers le toit du monde.

   Mais Lamnard allait reprendre son chemin quand il crut voir du mouvement dans les nuages. Se figeant, il fixa une sorte d’ombre mouvante, espérant qu’il ne s’agisse que d’un effet d’optique. Pourtant, il cria de frustration en voyant soudain émerger une vouivre, ou wyverne, cousine naine des dragons, peau écarlate, griffes tranchantes, dents acérées et écailles cornues, du nuage où elle restait cachée. Elle essaya de fondre sur le guerrier, mais le rata de bien peu quand il se rabattit contre la paroi, une de ses serres impressionnantes tailladant son dos à son passage. Lamnard hurla de rage en sentant son sang s’écouler lentement, et chercha à gagner une position plus sûre sur la paroi.

« Shad ! Attention ! Elle plonge vers toi ! »

   Et en effet, telle une flèche en chute libre, plus vite qu’un grand dragon pouvait le faire, la silhouette rouge sang de la créature siffla en piqué vers la Terranide.

Plongeant pour éviter l’attaque, la Louve roula rapidement sur le côté et se remit sur ses deux jambes afin de pouvoir plus facilement esquiver la prochaine attaque que la vouivre était en train de préparer.  Sa propre queue vint à fouetter l’air d’un coup sec et roulant sur le côté, elle évita de justesse une seconde attaque. Que faire ? Cet adversaire était bien trop rapide pour espérer  le contrer au moment propice. Et quand bien même, avec l’angle d’attaque pouvait-elle espérer lui infliger la moindre blessure ? Regardant rapidement en direction de la paroi, une idée commença à germer dans l’esprit de la Terranide. Mais avant tout, elle devait s’assurer qu’une part importante fonctionnait et pour cela, il fallait que la wyverne reste plus ou moins à la même place.

Elle voulait donc l’attaquer ? Soit ! Elle allait se laisser attaquer mais non sans prendre une forme qui serait plus efficace en termes de défense. Quand la créature plongea sur la Terranide pour la lacérer, ses serres rentrèrent en contact non pas avec un épiderme mou mais avec une rangée d’écailles durcie. Profitant des quelques instants de confusion, la Louve à présent dragonne donna un coup de queue pour repousser son adversaire qui, vaillamment revint inlassablement à la charge. Elle aurait pu s’envoler, attraper Lamnard et ignorer ses assauts incessants mais tout cela n’aurait été que trop facile. Si le troll était une épreuve de force, la Wyverne devait en être une toute différente. Restait à savoir la quelle.

De temps en temps, sa gueule claquait dans le vide, loupant de peu la vouivre qui passait tout près. En réalité, Shad ne cherchait pas réellement à attraper la bête, bien que si elle y parvenait elle n’y serait pas contre, mais plutôt à l’encourager à continuer ses attaques dans un but précis : L’obliger à rester plus ou moins à la même place.  Une chance que son corps possédait une armure naturelle des plus efficaces ! Petit à petit, la wyverne commençait à revenir toujours au même point avant de relancer son attaque. Parfait.

« Lamnard ! Attaque-le ! Pourfend le de ta hache ! Je te rattraperais, ais confiance !! »

La confiance….Etait-ce peut être là le but de cette épreuve ? Tirant une petite sphère de flamme sur la wyverne pour capter son attention et lui faire complétement oublier le viking, la Lycane s’apprêtait à s’élancer dans les airs afin de le rattraper et…atteindre le sommet de la paroi. Après tout, pourquoi recommencer de tout en bas ?  Mais encore fallait-il que le plan fonctionne. Dans tous les cas, elle se tenait prête à bondir et à lui éviter de se retrouver les os explosés au sol. Quant à la cible, elle continuait sans fin ses attaques, revenant toujours au même point pour repiquer par la suite vers sa cible.

   L’affrontement avait tourné assez court pour le jeune humain, qui observait maintenant sa compagne et leur ennemi s’affronter. Shad avait pris sa forme draconique, et elle attirait, par la menace qu’elle représentait, l’attention toute meurtrière de la vouivre affamée. Comme beaucoup d’animaux et de créatures, elle se montrait plus déterminée et plus agressive avec la faim au ventre, mais pas au point d’ignorer une menace sérieuse pour se retrancher sur la chair bien molle du grand blond, qui hésitait à se détacher de son médiocre refuge pour terminer son ascension. Il se retrouvait agrippé à la paroi, observant avec une attention teintée d’inquiétude l’affrontement qui ne tournait pas en faveur de la magicienne terranide. Certains auraient été surpris, mais elle n’était simplement pas assez rapide. A ce rythme, la vouivre allait finir par l’épuiser. C’était sûrement son objectif. Elle avait adopté un schéma d’attaque récurrent qu’elle devait considérer comme étant sûr. Il l’était : Lamnard aurait pu l’attaquer de dos, mais il aurait dû, pour cela, se sacrifier ; faire preuve d’un courage et d’une abnégation dont il se trouvait incapable, pas ici, pas maintenant.

   Mais Shad avait elle-même réfléchi à la tournure que prenait le combat. Elle connaissait ses limites, ses faiblesses et ses forces, savait si elle saurait ou non accomplir un acte ou non. Quand elle l’interpella pour qu’il frappa la bête, il comprit immédiatement que leur pensées s’étaient jointes. Le guerrier n’en demanda pas plus pour s’élancer, croyant dans les capacités et en l’expertise de la Terranide. Sans demander son reste, il attendit que la créature hostile se remette en position, prête à fendre l’air à nouveau. Cette fois, quand elle s’immobilisa ce bref instant, elle ne tarda pourtant pas à pousser un cri déchirant. Ses haches plantées à la base de ses ailes, Lamnard la déséquilibrait et l’entraînait vers le bas de son poids. La vouivre n’était pas une créature très grosse, ce qui fait qu’un simple homme pouvait constituer un poids mort insurmontable pour une bête blessée. Mais, seulement blessée, elle se débattait furieusement. Lâchant ses armes, le Nordique tira son stylet et le planta entre deux larges écailles de la bête, derrière sa tête. La lame dut frapper en plein centre nerveux, car elle se tendit brusquement, propulsant par son geste son agresseur dans les airs, avant de tomber raide comme une pierre.

   Lamnard se retrouva dans les airs, chutant rapidement, vers sa mort peut-être ; mais, bien vite, une surface dure et squameuse le recueillit, et il s’agrippa comme il le pouvait au dragon Shad, qui s’éleva à travers les nuages et jusqu’au sommet de la falaise sans grand effort, se posant sur ce qui semblait être le sommet du monde. Par-delà le plateau aride et rocailleux où ils avaient fini, rien ne se dressait. De rares éminences perçaient la couche nuageuse alentour, sans plus. C’était le genre de lieux où les mortels rencontraient les dieux. Et, effectivement, un monolithe se tenait là, ancien et secret. Dès qu’ils se trouvèrent tous deux à proximité, sa pierre terne et immaculée se mit à diffuser une lumière étrange, à la fois de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et d’une teinte changeante au rythme des battements du cœur.

« Merci, Shad. Nous n’y serions jamais arrivés sans toi. Mais … Où sommes-nous, au juste ? »

A l’instant même où Lamnard fut éjecté du dos de la Wyverne, la dragonne s’élança dans les airs, filant rapidement pour le recueillir sur son dos, espérant toutefois qu’il n’ait pas de blessures suite à la chute qu’il aura subit. Elle ne perdit pas de temps pour remonter le long de la falaise et se posa par la suite sur le plateau. Laissant le viking descendre en s’abaissant du mieux qu’elle le pouvait, elle reprit par la suite sa forme de Terranide observant à son tour les alentours. Rien, mise à part quelques sommets de montagnes s’extirpant de la couche de nuages, une légère brume où il se trouvait et cet étrange monolithe qui se mis à vibrer de différentes couleurs quand les deux êtres s’en approchèrent. Etrange…vraiment étrange.

« Tu l'es aussi pour beaucoup Lamnard, c’est toi qui a tué la Vouivre, ne l’oublie pas. Et non, je n’ai pas la moindre idée où nous sommes mais je pense que nous avons devant nous notre prochaine énigme. »

Pour être sûre de n’avoir rien manqué, la Terranide fit quelques pas dans les environs, mais elle se retrouvait rapidement à bord de falaise, et cela dans toutes les directions possibles. Il n’y avait  en apparence aucun chemin possible. Du moins, c’est ce qui aurait pu être déduit si cet être monolithe n’était pas présent en ces lieux reculés. La Louve se rapprocha de nouveau de ce dernier et…recula de quelques pas…avant de réavancer, observant que les couleurs devenaient plus diverses et plus vives quand elle était plus à proximité. Posant une main sur la pierre froide, ou du moins ce qu’elle pensait être une pierre froide, la Lycane fut quelque peu étonnée de sentir une légère chaleur s’en émaner, elle nota également les pulsations des couleurs au niveau de la pierre et retira sa main.

« Je vais tester quelque chose…Pendant ce temps, essayes de voir si tu as les mêmes couleurs… »

A ces mots, la Louve partit simplement..courir. Oui courir afin d’augmenter la fréquence des battements de cœur afin de vérifier une simple hypothèse. Elle aurait aussi bien pu décider de s’assoir et de méditer mais…la solution de la course était la plus simple en cet instant. Elle revint après avoir fait quelques tours du plateau et posa de nouveau sa main sur le monolithe, observant cette fois que les pulsations étaient bien plus rapides.

« Bon..Hum…ca réagit à nos rythmes cardiaques, soit faut trouver le bon rythme soit…en avoir un identique ? Tu peux poser ta main également sur la pierre pour voir ce que cela donne ? Et puis mince, c'est censé faire quoi ? Ouvrir un portail invisible ? Il n'y a rien autours ! »


Oui, c'était sans doute l'hypothèse la plus proche de la vérité.
 

   Les aventuriers faisaient leur maximum pour comprendre l’énigme placée devant eux. La solution aurait pu prendre un millier de formes, mais Lamnard considéra que la chose ne pouvait être si complexe que cela. Jusqu’ici, les obstacles avaient été plutôt simples à régler ; pour peu qu’ils aient été placés là pour eux ? Il avait fallu faire preuve de cohésion pour vaincre le géant, et faire preuve de confiance pour vaincre la vouivre. L’affranchi avait du mal à considérer la suite. Pouvaient-ils aller plus loin que se faire confiance avec leurs propres vies ? C’était fou !

   Tout en songeant à la solution possible, il considéra le chemin accompli. Les choses avaient pris un tour bien étrange depuis qu’il s’était assis sous ce chêne à attendre que la pluie passe. Il n’aurait jamais pensé finir ici, à relever des défis mortels au côtés d’une Terranide magique, au sang lupin et aux pouvoirs draconiques. Tout cela défiait l’entendement à l’esprit du Lamnard qui s’était assis sous l’arbre, mais tout semblait à sa place en cet instant. Peut-être était-ce cela ? Plus loin qu’une confiance mutuelle était l’honnêteté et la reconnaissance. Il prit la main de la louve tandis que tous deux restaient appuyés de leur main libre sur la pierre. Leurs regards se croisèrent.

« Nous étions des étrangers il y a peu, mais je ne saurais m’imaginer aux côtés d’une autre personne pour braver cette épreuve. Tu m’as changé pour le meilleur, et je t’en serai toujours reconnaissant. »

   Le temps se suspendit presque pendant un bref instant. Les yeux dans les yeux, ils s’échangèrent un sourire.

   Un flash de lumière les interrompit et les éblouit. Soudain, il faisait plus chaud, et le vent s’était levé. Aveuglé par la violence du flash, Lamnard se recroquevilla, s’assit et se mit les mains sur le visage. Il n’entendait rien de particulier, non plus. Il avait l’impression d’avoir voyagé jusqu’au bout des mondes et de n’avoir pas bougé en même temps. Mais la première pensée fut pour sa compagne de périple.

« Shad ? Est-ce que tu m’entends ? Je ne vois rien ! »

En guise de réponse, la Louve posa une main sur l’épaule du viking, mais aucun mot ne traversa la barrière de ses lèvres. Elle était parvenue à ouvrir ses yeux avant lui et pu contempler le paysage qui se tenait devant eux. Des plaines verdoyantes, une forêt luxuriante et tout cela entourés par des massifs rocheux. Le duo était en hauteur et leur champ de vision était donc assez large. La Lycane fouilla dans ses souvenirs, cherchant à se rappeler d’un lieu ressemblant à ce dernier, mais rien ne lui venait à l’esprit. Où étaient-ils donc arrivés ?

« Lamnard….Tu devrais voir ça…. »

Elle le laissa aussi contempler la vue, avant qu’un croassement se fasse entendre. Posé sur le monolithe, un corbeau les observait, étirant ses ailes, il émit un deuxième croassement avant de prendre son envol et de tournoyer autour de Lamnard, se posant par la suite quelques instants sur son épaule. La Terranide observa simplement, se rappelant que ces oiseaux étaient bien vus dans la culture de Kystrejfter. Une simple coïncidence ? La Lycane en doutait fortement, et ses doutes se dissipèrent quand le corbeau repris son envol, volant quelques instants en cercle dans une direction précise vers un autre pan de montagne, situé…à l’opposé de leur position actuelle.

« Je pense que nous avons notre prochaine destination. Elle se retourna – Tu me fais confiance non ? »

A ces mots, la Terranide pris son apparence animale et s’approcha du viking, le fixant de ses yeux azurés, son souffle souleva quelques mèches blondes du viking et elle se coucha sur le sol, lui permettant ainsi de monter sur son dos.  Une fois qu’il était en place, elle se secoua légèrement, afin de vérifier qu’il avait une bonne prise puis elle s’approcha du bord et observa en contrebas. La corniche était loin d’être complètement raide et certains points d’appuis étaient disponibles. Mais encore fallait-il les attendre. Et sous cette forme, cette éventualité était tout à fait possible.

« Accroches toi ! »

Prenant appui sur ses pattes arrière, la Louve s’élança dans le vide, atterrissant sur une première plateforme, avant de bondir vers une seconde, puis une troisième…Continuant ainsi jusqu’à arriver au bas de la falaise. Elle aurait pu s’arrêter mais préféré continuer sur sa lancée, transporter Lamnard ne la gênait nullement et au moins une partie du trajet sera déjà fait ! Tout en continuant sa route, elle reprit la parole :

« Tu me dis si tu veux arrêter ! C’est vrai qu’on aurait pu prendre la voie des airs mais…J’ai tendance à croire que nous pourrions rater quelque chose en faisant cela ! Au fait le corbeau sur ton épaule, c’était bien un signe de bon augure ? »

   Depuis leur arrivée sur cette nouvelle terre étrange, Lamnard avait gardé le silence. Il n’avait rien dit en découvrant la plaine montagneuse devant eux, et n’avait rien dit en voyant le corbeau descendre sur lui, en le sentant se poser sur son épaule, en le fixant prendre son envol pour s’envoler vers le lointain. Il était perdu dans une sorte de contemplation intérieure tandis qu’il découvrait ce monde, et donnait un sens à ce qui venait de se passer. Shad lui rendit un grand service en prenant sa forme lupine géante pour se dévouer et traverser les étendues, et sauter de corniche en corniche pour escalader une autre falaise. Cette fois, pas de montre à l’horizon. Le Nordique était fatigué par leur longue route, et il appréciait de pouvoir simplement s’accrocher et guetter les alentours, à l’affût du moindre danger. Il savait que le flair et l’ouïe de la louve devaient être bien supérieurs aux siens, mais il pensait que sa vue devait être limitée, aussi jouait-il le rôle de ses yeux. Il ne se résolut à briser son silence que lorsqu’une question exigea une réponse. Il laissa un silence planer entre eux avant de s’exprimer, sa voix hésitante et trahissant ses songes.

« Un augure, oui, mais est-il bon ? Je ne sais pas. Je ne prétends pas pouvoir comprendre les signes des dieux. Je n’ai pas ce don. Et les dieux peuvent donner beaucoup pour mieux reprendre. »

   Il restait incertain, continuant de s’interroger en observant ce qui les entourait.

« Prends-moi pour un fou, mais je crois que nous ne sommes plus chez nous. Les légendes en parlent : les dieux se déplacent entre les mondes en empruntant le Bifrost ; l’arc-en-ciel. Ce que nous avons trouvé aurait pu être … je ne sais pas … Est-ce que ça aurait pu être un terminus ? Je n’ai aucune idée de comment c’est censé fonctionner ! »

   Il avait prononcé ces derniers mots comme dans un râle de frustration. Confronté en chair et en os à ces histoires racontées au coin du feu, Lamnard subissait une crise existentielle. Certes, il croyait dans ses dieux, et il croyait au Destin, et il croyait aux légendes et aux sagas, mais il avait toujours gardé un doute raisonnable dans un coin de sa tête, une idée qui, étrangement, le rassurait : ce monde appartenait aux vivants et les dieux n’étaient que le fruit d’une certaine magie. C’était peut-être toujours vrai, mais pouvait-il croire qu’un simple mage, aussi puissant soit-il, ait pu forger un sort tel que le Bifrost ? Il l’ignorait, et son doute le faisait douter de sa vertu à présent. Pour garder l’esprit clair, il cherchait à identifier leur monde d’arrivée.

« Impossible aussi de dire quel est ce monde. La présence d’Odin ne nous place pas à Gotheim, où se trouve Asgard, car il voyage librement entre les mondes. Ce pourrait être ce monde, ou Vanaheim ; ou Alfheim ; ou même Jötunheim ? Est-ce possible que nous soyons en fait à un autre endroit de Midgard ?! »

« Pourquoi je te prendrais pour un fou Lamnard ? Les dieux existent, mais ils sont bien plus nombreux que tu ne pourrais le croire. Le Bifrost doit être liés à tes dieux, rien ne prouve qu’il n’existe pas et je serais tentée de croire que c’est le cas. Quant au monde où nous sommes…j’ai plus l’impression qu’il faudrait se demander se demander plutôt «  pourquoi nous y sommes » que plutôt « où sommes-nous ? ».

En effet, pourquoi avaient-ils été amenés ici ? Quel  dessein les attendait ? Toutes ces épreuves ne devaient pas être là sans raison, chacune avait au fond un but précis et un déterminant commun : Leur permettre de travailler ensemble malgré une première rancœur qui aurait pu naître de la part du viking face à l’appartenance lupine de la Terranide.

Elle s’arrêta quelques instant, humain l’air, observant les alentours. Tout était calme, du moins rien de dangereux à l’horizon. La forêt offrait une mélodie apaisante, quelques fois brisée par le croassement d’un corbeau volant au-dessus des deux étrangers à ce monde.  Repartant sur le chemin, la Louve repris :

« Je ne sais quelles sont les différences entre les mondes que tu as cités mais si nous sommes arrivées sur l’un d’eux, nous devrions pouvoir y repartir. Mais j’ai comme l’impression qu’avant cela, nous devons suivre notre guide volatil…La forêt est calme, je ne pense pas que nous aurons spécialement à nous battre, du moins, je l’espère, dans tous les cas, je pense que nous arriverons à bout de notre adversaire ! »

Tous deux étaient d’incroyables combattants. Ensembles ils avaient affrontés un troll des glaces ainsi qu’une wyverne, un autre ennemi pouvait aussi bien se dresser face à eux, il connaîtrait leur fureur au combat ! Mais la Terranide était aussi méfiante et ne criait pas victoire trop vite, tout adversaire aussi faible soit-il pouvait s’avérer extrêmement redoutable, surtout quand il venait d’un monde inconnu.

« Dis Lamnard…Les mondes que tu as cité…Tu voudrais bien m’en parler pendant notre progression ? J’ai bien peur que nous en avons encore pour un moment avant d’arriver à destination et je suis assez curieuse d’en apprendre plus, d’un autre côté si tu as des questions à me poser, je suis toute disposée à t’y répondre ! »

Donnant donnant. D’un côté, ce n’était guère le temps qui leur manquait. Les falaises étaient encore loin, bien que visible de par leur hauteur dépassant la cime des arbres. La Louve haussa les oreilles, entendant cette fois non pas un, mais deux croassement de corbeau. Leur guide venait d’être rejoint par un confrère et petit à petit d’autres venaient se rajouter à ceux déjà présents. Cela pris du temps et ne se fit pas en un claquement de doigts mais à présent un nuage de corbeaux planaient au-dessus de la Terranide et du Viking.

« Je suis ouverte à toute proposition quant à ce qui se passe au-dessus de nos têtes ! »

Tandis que l'ascension se poursuivait, les deux compères allaient de leurs récits et de leurs bons mots pour tenter de démêler les mystères entourant leur présence ici et l'épreuve qu'ils devraient rencontrer au terme de leur voyage. Avec ses quelques savoirs sur les dieux qui tiraient manifestement les ficelles de leur périple, Lamnard essayait de comprendre en vain les plans et les articulations de toute cette série d'événements. Quoi qu'il en soit, il pouvait être certain d'une chose : leur aventure était déjà écrite, et quiconque les attendait là-haut connaissait sûrement le dénouement de tout ceci. Quant à la nuée de corbeaux, encore distante, dont parlait Shad à mesure de leur approche du sommet, il avait bien sa petite idée sur leur présence.

« On attribue généralement les nuées de corbeaux à Odin, le père des dieux et le Roi des Ases. Ces oiseaux lui accordent leur vision, et il est le seul à avoir le droit d'observer les mondes depuis son trône, à travers leurs regards. Mais des fois, dit-on, il foulerait les mondes de ses pieds ; quoi qu'on en soit jamais sûr, il disparaît toujours bien vite et sans un mot, quand il n'apparaît pas sous les traits des autres et avec un nom d'emprunt. »

Oui, Odin pouvait être farceur, ou juste malicieux. D'ailleurs, jamais il ne se présentait comme un roi, et il préférait paraître comme un vagabond ou un ivrogne, testant l'esprit et les qualités des Hommes.

« Je peux te parler de ces mondes dont j'ai parlé. Il y a neuf mondes reliés par les branches d'Yggdrasil, l'arbre-monde, sur trois plans différents. Midgard, le monde du milieu, est notre monde, où s'entrechoquent les puissances de l'univers. Gotheim et Vanaheim sont les mondes supérieurs et opposés des dieux Ases et Vanes, autrefois ennemis et alliés aujourd'hui. Alfheim est sur le même plan que Midgard, et c'est le monde des Elfes et des fées. Oui, nous avons des Elfes aussi en Midgard, mais ceux-ci sont venus sur notre monde, peut-être par accident, il y a longtemps. Jötunheim, c'est la terre des géants. On en sait peu sur eux, sinon qu'ils ont plus d'une fois défié les dieux et que Loki, dont je t'ai déjà parlé, est le fils d'un géant et d'une femme humaine. N'ayant vu aucun de ces mondes, je ne peux qu'imaginer que nous pourrions les fouler, sans vraiment le savoir ... »

Face à la limite de sa connaissance et de ses sens, le nordique ne pouvait qu'admettre avec humilité ses limites et l'étroitesse de son savoir face à l'immensité et la diversité de cet univers.

« Mais toutes ces histoires n'expliquent pas le culte de Dei que beaucoup suivent sur Terra ; ni leurs propres croyances. Penses-tu que nous pourrions nous tromper ? Que tout ceci pourrait être une épreuve posée par une autre entité magique et puissante voulant nous mettre face à une épreuve ? »

« Ces mondes ont l’air bien différents les uns des autres mais dans l’état actuel…oui il nous ait impossible de clairement définir dans lequel nous nous trouvons. Et cela pour une simple raison, nous n’avons, mise à part les corbeaux, croiser aucune âme qui vive en ces lieux. Il serait  condescendant de définir exactement si nous sommes encore sur Midgard ou bien sur un  des autres mondes que tu as cité. Le seul moyen que nous avons  pour savoir cela est de continuer à avancer. Dans tous les cas, je te remercie pour ces explications, cela me permet d’avoir une plus grande connaissance sur tes croyances. »

La Louve s’arrête quelques instants suite à l’évocation du culte de Dei et émis un grognement avant de reprendre sa route, suivant toujours la nuée de corbeaux qui semblaient leurs indiquer la voie à suivre.

« Ce culte est mis bien trop en avant par l’Ordre Immaculé…et ces derniers n’apprécient que très peu les Terranides…A vrai dire comme pas mal d’êtres sur Terra. Le culte d’un Dieu Unique ne me gêne pas , tant qu’il n’empêche pas d’autres croyances de vivres mais cet Ordre Immaculé…semble vouloir que leur religion soit la seule et l’unique sur Terra. Je pense que chaque dieu, chaque croyance a le droit de vie. Est-ce ce Dei qui est en train de nous faire subir ces épreuves ? Ou bien peut-être Odin ? Ou même un autre dieu issu d’une autre croyance ? Cela, j’en ai pas la moindre idée mais je sais que nous aurons notre réponse en temps et en heure. Et surtout….pourquoi une telle épreuve ? Qu’avons-nous à prouver ? Les pensées des Dieux et leurs actions sont bien mystérieuses si tu veux mon avis…Mais ce ne seraient pas des entités divines s’ils seraient aussi simples à comprendre que nous pauvres mortels que nous sommes…et attends…,nous ne sommes plus seuls. »

En effet, à quelques mètres devant eux, une silhouette humanoïde se dessinait. Drapé dans des vêtements pouvant faire penser à un oracle, elle tenait dans sa main droite un long bâton ornée de plusieurs symboles runiques. Un crane d’animal mort était posé sur son crâne et les orbites vides se plaçaient parfaitement devant les yeux de l’inconnu. Un corbeau vint se poser sur son épaule et poussa un croassement en direction de la Louve et de son cavalier avant de reprendre son envol.  Tout cela était bien étrange mais ils n’avaient pas fait tout ce chemin pour reculer face à un inconnu ! La Louve repris donc sa marche jusqu’à s’arrêter à une distance respectable, abaissant son museau en signe de salutation.

L’homme les regarda alors sans un mot, décrochant simplement un vaste sourire emplit de mystère et faisant volte-face les invita à les suivre. A cela, la Terranide changea simplement de forme une fois que Lamnard fut descendu et elle  regarda le Viking :

« Le suivons-nous ? »

L’intéressé lui ne prononça aucun mot, s’étant simplement arrêté dans l’attente d’une décision commune.

   Lamnard n’avait pas émis d’observation face aux critiques de Shad sur le culte de Dei. Elle n’avait pas vraiment tort quand elle disait que son aspect syncrétique n’était qu’une façon d’effacer tout autre culte à son profit. Pour un intérêt politique, peut-être ? L’affranchi restait assez peu éduqué. Il avait appris beaucoup à force d’expérience et d’épreuves, mais il fallait bien admettre qu’il était loin de pouvoir juger des motivations derrière ce culte. Il ne savait que peu de choses sur l’Histoire et ses nombreuses subtilités. Certainement, ses dieux à lui étaient réels ; quant à savoir ce qu’il en était de Dei, c’était encore à déterminer de son côté. Il avait entendu beaucoup de choses bien compliquées à cerner sur cette entité divine, et aucune ne l’inspirait vraiment. Il ne pouvait simplement pas juste ignorer l’existence de croyants de Dei et la possibilité qu’ils aient raison, eux aussi. Il y avait beaucoup d’êtres magiques dans la mythologie nordique, et chacun d’entre eux pouvait inspirer son propre culte à d’autres, tandis que d’autres êtres pouvaient toujours se cacher, sur d’autres mondes.

   Il resta ainsi silencieux, mais leur ascension arriva bien vite à son terme, et ce qu’ils découvrirent au sommet ne fit qu’accroître leur perplexité. Face à eux, un être aux allures de gothi, de shaman, les accueillait sous la nuée d’oiseaux, leur volant la vedette sans mal par son apparence et son attitude singulière. Il aurait pu se tenir là depuis une éternité comme il semblait qu’il venait d’apparaître à cet instant précis. Instinctivement, Lamnard sentit que quelque chose d’inhabituel chez cet individu, une force magique qui semblait vibrer autour de lui. Leur course entre les mondes semblait prête à prendre fin, ou à toucher au but. Le guerrier sentit qu’il pouvait maintenant descendre, laissant Shad reprendre sa forme initiale avant de répondre avec un mélange d’indécision et de fatalisme à sa question.

   « Qui que ce soit, je doute que nous ayons un autre choix. »

   Il pointa le doigt vers le ciel, où les corbeaux semblaient changer de formation, enveloppant peu à peu l’espace céleste entre l’individu mystérieux et eux. Peu à peu mais de façon très perceptible, il semblait que leur essaim formait une espèce de toile se refermant sur le trio. Le nombre des volatiles était incalculable et semblait changer à chaque instant. Ils n’étaient pas naturels, c’était assez clair, et celui qui les menait n’était pas à prendre à la légère.

   Il les mena le long du plateau qu’ils avaient gagné, semblant évoluer sur le toit du monde entre la terre et les cieux, et peu à peu il sembla aux deux aventuriers que l’air changeait, et que leurs alentours se chargeaient d’une magie presque palpable, qui caressait leurs peaux et revigorait leurs muscles de façon discrète, effaçait la fatigue de leur voyage. Pour le grand blond, c’était trop de mystères et de magie pour rester calme. Il accéléra le pas pour se rapprocher de l’inconnu tandis qu’ils gravissaient une dernière montée vers ce qui semblait être le pic de cette éminence. « Où nous mènes-tu ? Qu’est-ce que tu veux ? »

   L’étranger ne répondit pas, ne réagit même pas à ses injonctions, et Lamnard allait s’élancer pour lui barrer la route quand ils arrivèrent au sommet, et il s’immobilisa tandis qu’il découvrait, interdit, un cercle de pierres d’un genre qu’il n’avait jamais vu, une relique d’un temps immémorial dressé par des géants ayant aujourd’hui disparu de cette terre. Six monolithes se dressaient en cercle au sommet du monde, et, en leur centre, une septième pierre monumentale, taillée grossièrement pour prendre la forme d’un oiseau légendaire, se tenait, immobile, patientant depuis l’éternité. Shad arrivant à son niveau et découvrant la scène à son tour, il souffla à son intention, presque inquiet de déranger la tranquillité sempiternelle des lieux.

   « Je ne sais absolument pas à quoi rime tout cela, mais je pense que nous allons enfin avoir nos réponses. »