Rose, Fiona et consorts devaient quitter la région pour un temps indéfini. Un Sabbat noir approchait et les soeurs avaient décidé d'y participer afin de regagner en puissance. Les messes obscures étaient toujours éprouvantes, demandaient nombres de complices et de préparatifs. Aussi, la communauté des sorcières évitait autant que faire se peut d'initier de pareils rites. Toutefois, cela augurait une perte de puissance et il fallait calmer les forces maléfiques d'où elles tiraient leur grandeur.
Seule Salomée était restée à la Forteresse : désignée comme Gardienne. C'était chacune son tour de monter la garde au sommet de la montagne. Et on l'avait enjointe à la plus grande prudence. C'était le moment que privilégiaient les ennemis et la concurrence pour tenter de semer le chaos au sein de leur demeure primaire.
La sorcière veillait dans la grande salle du trône où siégeaient autrefois des nobles et des empereurs aux noms oubliés, à la puissance révolue. Le trône n'était plus qu'une pierre délabrée aux vagues formes de sièges. La pierreries précieuse avait été arrachée au fil du temps par les pillards avant que Rose ne s'installe dans ce palais fantôme. L'atmosphère était particulièrement étouffante en ce jour d'été. Les orages se succédaient, ne laissant que de rares éclaircies : répits ô combien inopportuns dans une contrée de ruines et de dangers.
Sur les grandes murailles de la Citadelle, Yavanah – la louve-démone au pelage nocturne et à l'oeil ardent effectuait une ronde inlassable. Le vent lui apportait les odeurs familières de la faune locale. C'est ainsi qu'elle comprit l'anomalie en reniflant l'effluve d'un mâle étranger dont elle ne saurait pressentir l'identité ou la nature. Par télépathie, elle enjoignit sa maîtresse de ce fait troublant, lui indiquant que l'énergumène longeait l'ancienne voie impériale : celle à flanc de montagne, large et pavée – faite pour être pratiquée.
Affalée sur le siège de pierre brute, Salomée poussa un premier soupir.
« Laisse-le arriver et entrer. Qu'il vienne à moi. J'ai besoin de distraction. ».Elle savait qu'avec le temps, un téméraire oserait s'aventurer dans l'antre de la Louve Blanche. Elle avait redouté ce chasseur autant qu'elle l'avait espéré, car elle se sentait flattée qu'un homme ait le courage de s'armer pour venir à sa rencontre. De toute manière, avec les événements récents du Village le plus proche, elle s'attendait à la visite prochaine d'un fou ou d'un professionnel.
Toutefois, il serait déçu puisqu'elle n'était pas l'auteure de ces malheurs qui s'abattait sur les chaumières pauvres. Le climat, la maladie étaient parfois des facteurs on ne peut plus naturels dont la manifestation simultanée relevait du hasard. Oh, elle aurait pu leur apporter son aide. Les sorcières étaient talentueuses quand il s'agissait de fabriquer des remèdes, mais elle préférait voir périr ces ignorants puritains dans leurs croyances absurdes. Ils avaient un châtiment meilleur que la mort.
Elle quitta à la volée son trône précaire afin de travers la pièce au rythme de ses bottines blanches. Elle portait une tunique pourpre aux motifs exotiques qui n'était pas sans rappeler les
robes romaines antiques.Le long de son sillage, sa longue crinière ténébreuse dansait en flots tranquilles. Ce château fort était depuis longtemp s le repaire des ensorceleuses. Et il serait difficile pour le futur intrus d'en déjouer les pièges. Car elle dresserait moults obstacles sur sa route. Le premier se présenta sous forme de bourrasques de vents, à l'approche de la Forteresse, qui portaient des murmures lugubres avertissant le voyageur de rebrousser chemin.