Je crois que je ne m’en lasserai jamais. Assise dans l’herbe, le dos plaqué contre l’écorce d’un arbre, j’observe tout autour de moi. Être seule ne me dérange pas du tout dans ces moments-là. Entourée de verdure, je me sens chez moi. Mon véritable chez-moi n’existe plus. Il a disparu il y a bien deux siècles de cela. L’Académie Lenwë, je ne peux pas dire que ce soit ma seconde maison, car trop de personnes me méprisent ou me jalousent et je ne m’y sens que peu à l’aise là-bas désormais. Je n’y retourne que pour Miuggrayd, pour le saluer, prendre de ses nouvelles, ou alors pour en apprendre davantage. Je ne suis jamais satisfaite, j’ai toujours besoin d’en savoir plus sur les plantes et la magie de glace. Et l’elfe est toujours là pour m’aider à atteindre cet objectif, devenir meilleure que je ne le suis. Je devrais peut-être lui rendre visite. Cela fait un moment que je ne suis pas allée le voir à Lenwë.
Mais si je veux aller le voir, cela me prendra quelques jours. Mh. Il me faut passer par la ville, histoire d’y faire le plein de provisions. Ca me permettra de lui ramener un p’tit truc aussi, pour lui faire plaisir. Enfin j’espère. Et puis, je n’aurais pas à dormir dehors une nouvelle fois. J’ai beau avoir l’habitude des nuits à la belle étoile, j’aimerais bien pouvoir me reposer tranquillement sur mes lauriers, sans être constamment sur mes gardes. Un peu de calme pour cette nuit me fera le plus grand bien.
Allez, c’est décidé. Direction Nexus. Je me lève assez rapidement et passe mes mains sur mes fesses, histoire de retirer l’herbe ou la poussière qui s’y serait déposée. Je m’abaisse un peu pour récupérer mon sac, mon plus vieux et seul compagnon de voyage, pour le poser dans mon dos. D’ici à la grande ville, je n’en ai pour pas longtemps, mais je pense qu’il fera déjà nuit quand j’y mettrais les pieds. Bon, pressons le pas, ou le sabot plutôt, pour sortir de la forêt en un morceau et tant qu’il fait clair. Pas que j’ai peur, mais je préfère être prudente.
Alternant entre de grandes enjambées, courses rapides, petits pas, ou même petits sauts pour éviter les obstacles, j’arrive enfin à la lisière des bois. J’emprunte un chemin caillouteux, assez étroit, qui mène à la route principale pour rejoindre Nexus. Raaah, merde. Il y a toujours autant de monde sur ce passage, je l’avais oublié. Heureusement que je suis à pattes. Je plains ceux qui sont en charrette. Levant mes yeux vers le crépuscule, je remarque qu’il se couvre légèrement. Oui, j’ai finalement bien fait de venir jusqu’ici. Je vais pouvoir faire le plein et me reposer sur un bon lit. Enfin, « bon » est un bien grand mot.
Je n’aime pas trop venir en ville, surtout une comme Nexus. Trop de monde, j’ai horreur de la foule. C’est ça aussi, à force de vivre seule, on a du mal à supporter les autres. Sincèrement, on se croirait vraiment dans une fourmilière. Et bien évidemment, j’attire les regards. Je sais que je suis grande et que je n’ai pas vraiment un physique commun, malgré la multitude de créatures sur Terra, mais quand même ! Pas besoin de me dévisager, bordel ! Peut-être que je leur fais peur…Bouh ? Mmh, c’est mieux ainsi. Je préfère aspirer de la peur que de l’envie, dans les rues bondées de Nexus. Je ne voudrais pas en découdre avec un homme qui a trop bu, ou pire, avec un esclavagiste.
Le ciel s’assombrit encore plus, aussi bien par la nuit qui tombe que par les nuages menaçants qui s’approchent à grande vitesse. Allez, d’un pas décidé, je me dirige vers une auberge dont je connais assez bien le propriétaire. Il aura forcément une chambre pour moi. Arrivée devant la devanture de la Taverne, je pousse la porte d’entrée assez massive, faite et sculptée dans un bois lourd et sombre, descendant les marches qui mènent directement là où je le souhaite. Mh, je dois me pencher parfois pour ne pas griffer mes cornes sur le plafond ou me prendre un haut de porte.
Pfiou. Il y a bien du monde ce soir. Certains arrêtent leur conversation ou leur jeu de beuverie pour m’observer et me détailler. Allez, ça recommence. Après, j’avoue que j’ai un peu de mal à passer inaperçue, avec en plus de mon physique pas commun, mon énorme hache dans le dos. Il faut toujours être armé sur Terra, car on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Bon, je n’y tiens pas attention et viens m’installer sur l’un des tabourets qu’il a au comptoir. J’attends un peu, avant qu’Achylle ne vienne me saluer. Une bonne poignée de mains, comme entre hommes, et un sourire pour compléter le tout.
- Hey Yukka ! Comment tu vas ? Allez, dis-moi belle Yukka, qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
- Bien, bien. Et toi ? Ta femme ? Sers-moi de ta meilleure blonde, s’il-te-plaît.
- Bien aussi ! J’te fais ça de suite !
Patientant après mon verre d’alcool, mes yeux sans pupille vagabondent sur ma droite puis sur ma gauche, sur le comptoir. Une demoiselle, qui m’a l’air bien mal en point, attire mon attention. C’est une demoiselle rousse et foutrement pâle. Elle a l’air bien jeune. Qu’est-ce qu’un jeune et fragile oiseau fait ici, dans une auberge qui regorgent de saoulards et de guerriers pervers, la plupart du temps ? Louche. Mais elle n’arrête pas de tousser et tient à peine sur son tabouret. Et elle boit de l’alcool en plus. Ca ne va pas arranger son état…
Lorsqu’Achylle revient avec ma commande, je lui glisse à l’oreille s’il peut me préparer une autre commande : un mug de lait chaud. Il devait avoir ça car sa femme venait de donner naissance à des jumeaux. Ceci fait, il me ramena la choppe chaude. Fouillant dans mon sac, j’en sorti une petite fiole au liquide translucide et un mini-pot en terre cuite. Il s’agissait là d’un miel assez commun mais très doux de Terra, et d’huiles essentielles de guarana. Alors, au lait chaud, je rajoute une cuillère de miel et trois gouttes de mon fameux liquide. Le tout mélangé et homogène, je redonne la tasse à Achylle pour qu’il la ramène à cette pauvre fille dont l’état est vraiment déplorable.
- Dis-lui qu’elle en boive. Ca lui fera comme un baume à la gorge et la requinquera pour le moment.
- D'acc, ma belle.
Et je vois l’homme s’éloigner de moi, pendant que je sirote tranquillement ma bière. Haaaa…Ca fait du bien aussi, ça.