Pourquoi rester là? Cette question traversa son esprit plus d'une dizaine de fois pendant que Nicolas lui cherchait une tenue de remplacement. Le suivant des yeux mécaniquement lors de ses quelques allers-retours dans les diverses pièces de l'appartement, la jeune femme laissa vaguabonder son esprit. Peut-être que ce... coup du destin n'était pas si mal finalement. Changer d'air, mettre de côté ses contrariétés quelques jours, souffler un peu. Oui c'était ce qu'il lui fallait, exactement ce qu'il lui fallait en fait. Dans l'ordre des choses, prendre "congé" n'aurait même pas dû l'effleurer. Ce n'était pas réellement une transgression en soi, ni une tentative de rébéllion ou de désobéissance quelconque, mais ce n'était, en principe, pas permis pour elle. Le contact avec autrui n'était pas autorisé, sauf pour une immersion directe dans la foule en cas de nécessité "absolue". Il en était de même pour les moments de relâchement. Rubis était ici dans un but précis, pas anodin, pas dérisoire, mais précis. La fatigue, la remise en question, le doute, la peur, tout cela ne devait pas faire surface. C'était sans doute en prenant en compte ce genre de risques qu'envoyer des entités comme elle sur Terre était périlleux et non sans conséquences. La vie d'en bas est pétillante, attirante, variée, imprévisible, débordante de nuances dans un monde imparfait où il est interressant d'y vivre... Vivre... L'ange soupira. Elle devait rester la plus impartiale possible si elle désirait continuer à marcher droit. Sa chance ici, elle l'avait déjà eu.
Le tas de vêtements sur le canapé attira son regard. Nicolas avait visiblement trouvé le nécessaire et lui proposait d'aller s'apprêter, tout en précisant qu'elle pouvait lui demander assistance si besoin. Elle resta néanmoins perplexe sur un "problème existenciel" qu'il avait mentionné. Haussant les épaules pour elle-même, elle jeta un rapide coup d'oeil sur ses futurs habits. Tout était là, il avait même pensé à une veste pour conclure la tenue, ce dont elle fut ravie. Prennant la légère pile de vêtements entre ses bras et après un remerciement envers son hôte, elle retourna dans la salle de bain qu'elle connaissait plutôt bien à présent. Une fois la porte fermée, elle se débarrassa de sa chemise pour s'emparer des sous-vêtements. Le fait que ceux-ci ne soient pas harmonieux ne lui posait pas de problème, du moment qu'ils étaient à sa taille. Ce qui fut le cas, par chance! Un léger réajustement des brides du soutien-gorge suffit à son maintien parfait. Elle regretta toutefois, une fois le jeans enfilé, que celui-ci ne soit pas plus moulant, ou que Nicolas ne lui aie pas fourni une ceinture. Ce n'était pas bien grave, le pantalon n'allait pas se faire la malle et le long t-shirt qui le suivit cacha sans mal la partie du dessus qui faisait "défaut". Avisant son reflet dans la glace, la jeune femme s'observa quelques instants, immobile, cherchant comme une opinion extérieure. Elle secoua la tête et s'aspergea le visage d'eau froide que donnait le robinet de l'évier juste en dessous. Une fois la frimousse rafraichie et essuyée, elle entreprit de coiffer ses cheveux sombres en une longue tresse qu'elle attacha avec un élastique trouvé au hasard, histoire d'être à l'aise. Le résultat lui convenait. C'était simple, pratique.
Tenant le blouson en cuir d'une main, elle quitta la salle d'eau pour entrer dans la chambre de Nicolas. Les traces de son passage avaient été complètement effacées, difficile d'imaginer qu'elle avait pris possession de son lit pendant une soirée. Elle déposa sa chemise pliée sur les draps et récupéra ses bottines, laissées dans un coin de la pièce. Une fois prête, elle s'arrêta, observant le lieu où elle avait dormi précédemment, sans trop savoir pourquoi. Sentiment de nostalgie? Il est vrai que les chances qu'elle y retourne étaient minces, revenir dans l'appartement même de Nicolas après leur tour dehors n'était pas des plus envisageables non plus... du moins pour elle. La porte fermée, elle revint au salon, portant son regard sur son compagnon qui jonglait entre la lecture et l'ordinateur.
- Je suis prête, on y va quand tu le souhaites.
Ce que c'était stupide de dire ça! Autant ça tombait sous le sens, autant c'était Nicolas qui l'attendait et pas l'inverse. N'avait-elle donc rien de mieux à dire? Non. Pas pour l'instant en tout cas. Ces quelques mots, c'était juste pour établir une communication brève. Il l'avait bien fait hier, à son tour de faire un petit fort pour éviter de se retrouver dans un silence de mort. Le temps pour Nicolas d'enfiler un pardessus, d'éteindre les éventuels appareils et ils étaient sortis. Pendant qu'ils descendaient les marches et progressaient à travers les différents étages, Rubis se surprit à se remémorer une nouvelle fois l'ascencion de la veille. Il était vrai que l'angle était tout autre à présent et ça lui paraissait drôle, presque cocasse.
Arrivés au rez-de chaussée, elle enfila rapidement son blouson, cachant ainsi, à la vue des autres, les marques qu'affichaient ses ailes recourbées dans le t-shirt. Un seul pas à l'extérieur suffit pour que l'atmosphère change complètement. Fermant les yeux, profitant de la douce caresse que lui prodiguait la brise sur son visage, la jeune femme poussa un soulagement de volupté. Que c'était agréable. Le contexte et les bruits de la ville ne formaient certes pas le cadre idéal, mais la différence se sentait et lui faisait un bien fou.
- Tu... Tu avais quelque chose de prévu pour la journée? Des courses à faire, des personnes à aller voir? Je ne voudrais pas t'empêcher d'effectuer tes activités quotidiennes. Maintenant si tu n'as rien au programme hm... Une promenade dans le parc à côté? C'est sans doute un peu maigre comme proposition j'en conviens. J'ai beau avoir fait plusieurs trajets dans cette ville, je m'y repère encore assez mal voire pas du tout à certains endroits. Ou alors...
Elle ne termina pas sa phrase, son attention fut attirée ailleurs ou plutôt vers le haut. Un groupe d'oiseaux migrateurs traversa le ciel à ce moment là, virevoltant à travers les fins nuages présent sur la toile bleue. C'était sans doute cela qui lui manquait le plus en fin de compte. Elle aurait payer cher pour pouvoir encore être capable de voler, pour que ses ailes aient conservé leur souplesse, leur force et surtout leur taille d'origine. Elle ne quittait pas les volatiles des yeux, enviant de toute son âme la liberté dont ils jouissaient en cet instant même pendant qu'elle était enchainée, prisonnière à la terre. Même lorsque les petits points sombres, qui qualifiaient la présence des animaux, disparurent au loin, son regard ne décrocha pas. Elle resta de longues minutes ainsi, silencieuse, à contempler une beauté qu'elle ne parcourrait sans doute plus avant longtemps.
Enfin, elle cligna des yeux et reposa son regard sur Nicolas, dont elle avait oublié la présence durant l'espace d'un instant. Elle se reprit promptement, mettant ses mains dans les poches de sa veste, l'air confuse.
- Ou alors... ou comme tu veux, simplement.