C’est fou comme quelques mots pouvaient désormais la rendre heureuse. Un sentiment profond de fierté l’avait envahi lorsqu’elle avait lu dans le regard de Damien la satisfaction, et un orgueil démesuré explosa sur son visage de porcelaine à entendre « Gentille Poupée ». Son sourire avait percé aussi surement que s’il lui avait fait une véritable déclaration d’amour, ou complimenté sur un travail délicat. Cette fois, Kara se sentait invincible à l’entente de quelques petits mots anodins. Oui, c’était une gentille Poupée, elle était obéissante, et il aimait ça. Et désormais, la jeune femme savait combien elle était récompensée pour ses efforts, et cela l’excitait particulièrement. Sans savoir se l’expliquer, elle souhaitait viscéralement que Thorn soit content d’elle, et cela passait maintenant par aller se divertir en restant attentive au moindre de ses gestes.
Dans les faits, cela ne lui semblait pas très compliqué, ignorant tout des liens invisibles qui reliaient tous ces êtres présents dans le Club. Juste danser avec d’autres gens et revenir vers lui quand il en aurait envie, bah, c’était de la rigolade, non ? D’autant plus alors qu’elle exécutait un nouvel ordre, en buvant le bouchon de l’alcool qui lui brûlait, chaque fois un peu moins fort, la gorge. Les détails de la table libre ou des regards lui passaient au-dessus, consciemment ou non, à cause de l’ivresse, Kara ne s’en souciait que peu… Depuis le début, l’Héritier agissait avec un flegme assuré, et tout semblait toujours lui réussir. Une seconde, elle se demanda s’il avait déjà connu l’échec, et un léger sourire tira ses lèvres, malicieux, sarcastique, en observant le visage du jeune homme, et le paradoxe de son attitude digne d’un cinquantenaire, vis-à-vis de son faciès de minot. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il agissait ainsi pour paraître plus âgé ; dans le monde des Affaires, il ne faisait pas bon être trop jeune, et il avait surement développé tous ces petits travers de domination pour compenser son âge, se venger des remontrances des vieux briscards du milieu, prendre sa revanche…
Une seconde, elle le considéra ainsi, le menton haut, le regard presque défiant, alors que son visage ou son attitude n’exprimaient en rien la rébellion. C’était ainsi, Kara se pliait désormais à ses volontés, y trouvait plus d’intérêt qu’elle n’y aurait cru, et surtout, le désir qu’elle en retirait était d’une nature insoupçonnée. C’était la première fois qu’elle participait à ce type de relation, et n’en connaissait pas les codes. Peut-être que c’était normal, après tout, dans ce genre de communauté ? Puisqu’elle avait décidé de s’y adonner et d’obéir à Damien, il restait son guide dans un océan nouveau.
L’alcool glissait dans sa gorge aussi surement que les doigts caressaient sa petite joue devenue rouge par l’ébriété. Elle en sourit, presque de manière tendre, mais déglutit alors même que ce simple geste l’excitait. Le magnétisme de l’Antéchrist fonctionnait à plein régime sur sa petite personne soumise, et lorsqu’il la chassa, lui ordonnant d’aller s’amuser, ce sourire attendri s’élargit pour plisses ses yeux en amande.
« Oui Monsieur Thorn ! »
Cacher son enthousiasme était vain. Ce nouveau jeu, puisqu’elle prenait la chose ainsi, ce nouveau test, aussi, songeait-elle, la rendait impatiente, bien que mal à l’aise. Kara se savait piètre danseuse, mais elle avait réussi, plus ou moins, à satisfaire son spectateur en s’effeuillant de manière presque sexy, alors, danser ne serait sans doute pas plus compliqué. Se levant de manière langoureuse, du moins l’espérait-elle, la Commerciale se dirigea vers le centre de la piste, même si la musique n’était pas à son goût. Peu importait, quand elle allait elle-même en boîte, ce n’était aucunement pour le son. Cette fois, quelque chose lui disait que ce serait pareil…
Arrivée au centre de la piste, elle s’étonna cependant des attentions qu’elle attira, bien qu’elle ait été un peu prévenue par Damien. Kara n’attirait pas forcément les regards, mais l’étonnement passa rapidement, merci l’alcool, pour laisser la place à un énorme sentiment de fierté. Son assurance augmentait avec le nombre de regard, de sourire, le nombre de danseurs qui s’approchaient d’elle… C’était nouveau, déconcertant, grisant. Sans se l’expliquer, elle se prit immédiatement au jeu. Au début, elle tournait ses petits yeux vers Thorn toutes les minutes, ressentant cette crainte de manquer son signe. Au fur et à mesure qu’elle commençait à apprécier les basses résonnant dans sa poitrine, la proximité de ses partenaires qui allaient et venaient, se collaient à elle, s’éloignaient, revenaient, Kara espaçait ses regards vers le Riche Héritier.
Une femme derrière elle glissait sa poitrine contre son dos, un homme empoignait sa nuque pour qu’elle se serre à lui, un autre ouvrit l’ouverture de la longue robe fendue pour caresser son genoux, puis sa cuisse. Une immense blonde laissa une trace de son gloss odorant dans son cou, la laissant suffoquante. Les danseurs fortuits lui souriant tous, la regardaient d’un air étrange, comme personne ne l’avait jamais observé. Elle avait l’impression qu’ils la désiraient… Il lui était impossible de se souvenir combien de mains l’avaient effleurée, touchée ou palpée plus sévèrement avec le temps. Elle croyait qu’ils étaient de plus en plus insistants, et sans pouvoir rien y faire, elle leur souriait en retour, se sentait ivre de leur contact, jusqu’à elle-même les provoquer. Elle se surprit à faire un signe à un type aux yeux vairons qui luisaient à la lueur des néons, de l’index, pour qu’il vienne à elle.
Kara se sentait toute-puissante. Ivre de tous ces parfums, des couleurs, de la musique qui l’abrutissait. La mauvaise danseuse se déhanchait et aguichait sans plus de filtre, riant lorsqu’elle se sentait victorieuse, grognant à ceux qui s’éloignaient après un échange. C’était bizarre qu’ils se tirent ainsi, non ? Soudainement, ses yeux s’arrondirent de stupeur. Cela faisait de longues minutes qu’elle s’amusait, hors du temps, et ce léger détail lui revint en mémoire.
Damien.
Immédiatement, la jeune femme se tourna vers la banquette baroque où elle l’avait délaissé. Son cœur se mit à accélérer, et la peur lui serra l’estomac. Elle l’avait oublié. Etrangement, autour d’elle, un cercle c’était formé autour d’elle, lui faisant ressentir d’autant plus une profonde solitude coupable. Son regard embrumé chercha le sien, la bouche ouverte.