Il arrivait parfois qu'à bord du Protektor, tout soit calme. Pas un pet de bruit si ce n'était celui qui se diffusait dans l'habitacle lorsque l'air recyclé y était propulsé, dans un petit shuintement rauque et discret. Parfois, de petites secousses spatiales secouaient la carlingue du vaisseau-magasin et le tout faisait tomber un enchevêtrement mal équilibré de matos stocké dans les cales et parfois Cargo et Raiga se faisaient la guerre en partant d'une minuscule étincelle. Le plus souvent, c'était la musique crachée à pleines enceintes qui encombrait l'espace et comblait les vides sonores, la bande-son changeant au fil de la volonté de celui qui avait réussi à voler la commande de la stéréo à l'autre. Si le robot n'aimait pas spécialement la musique, couper les morceaux de rock et de rap assez agressifs qu'écoutait le Ferrailleur était un prétexte comme un autre pour l'emmerder, donc une raison suffisante pour lui de s'intérésser à la l'ambiance qui secouait les parois du Protektor.
De temps en temps, Nyzy accomplissait ses tâches les plus courantes en se branchant sur haut-parleur, ce qui brisait la monotonie du voyage. Parfois, un des deux compères faisait apparaître l'image nichonnée de l'IA pour se secouer la bite en la matant, ce que Raiga avait fait moins d'une heure avant pour tromper l'ennui.
Car ces derniers temps, on s'emmerdait sec chez les bandits ferrailleurs. Eux qui revenaient d'un secteur plutôt désert n'avaient plus vu de clientèle depuis de bonnes semaines et aucune planète susceptible de leur donner envie de se poser n'était à proximité de leur cap stellaire. Ils avaient pris la direction d'une nébuleuse qu'ils ne connaissaient pas encore, mais rien n'avait troublé la paix du voyage. Et la paix, c'était quelque chose qui emmerdait profondément Raiga et Cargo. Seulement voilà, sans nouveau grain à moudre, les deux complices ne trouvaient même plus une raison de se foutre sur la gueule. Ainsi, pour le grand plaisir des capteurs de Nyzy, une chape de calme s'était abattue sur la carlingue du Protektor.
Jusqu'à maintenant, c'est à dire tout de suite et pas plus tard que ça, quand une "voix" frappa directement l'esprit de Raiga, ce qui dut résonner fortement sous le crâne pas franchement rempli.
Le drakôn, occupé à pioncer sans s'être lavé la main après s'être torturé la pine, s'était éveillé d'un coup quand la voix traînante avait retenti entre ses deux oreilles. Son premier réflexe avait été de contacter Nyzy pour lui demander si elle lui avait parlé, mais il n'en n'eut pas le temps. Un choc puissant contre la coque du Protektor le força à se lever d'un bond de sa couche pour s'extirper de sa cabine comme un diable hors de sa boîte, afin de foncer vers le poste de pilotage.
- Rapport d'avarie !"Un objet non-identifié a percuté ma coque au niveau de la cale 3, Raiga. On a perdu la moitié du matériel stocké là, mais je crois que la brèche est comblée. J'ai fermé les portes étanches et réglé la pression. Une réparation est toutefois nécessaire."
- Envoie Cargo. CARGOOOOOOOOOOOOOOOO ! Tu m'entends, fils de pute ? VA ME BOUCHER CE TROU OU JE SOUDE TA GUEULE DE BENNE A MERDE AUX PUTAIN DE RÉACTEURS ! Cargo ? CARGOOOOOO ! "Je détecte le signal de Cargo dans sa cabine, mais il semble en veille. Presse toi d'arriver aux commandes, Raiga, la manœuvre de recalibrage est une chose que tu dois effectuer manuellement."
Le ferrailleur continua d'insulter copieusement son prétendu partenaire tandis qu'il se ruait vers le poste de pilote en sautant de coursives en couloirs à la manière d'un agile félin, sans s'imaginer que Cargo avait d'autres soucis. Mais, comme Cargo était un lâche doublé d'une petzouille sans envergure, il ne comptait certainement pas les régler lui-même ou seulement se faire repérer. Bien sûr, la voix de Raiga avait retenti partout dans le Protektor, relayée par Nyzy, mais rien n'aurait put assurer à la chose -car, putain de merde, il y avait bien un truc dans le petit temple du hardporn de l'ami rouge- que Cargo était juste sous son nez.
Le robot était équipé de petits capteurs de mouvements, ce qui avait suffit à l'informer assez vite que quelque chose qui n'était pas Raiga se rapprochait de lui. Abandonnant fissa son état mobile, le petit merdeux robotisé feignit de n'être qu'un élément du décor quand le... euh... machin s'était pointé dans ses quartiers, fouillant dans ses petites affaires l'air de rien. Et à vrai dire, Cargo n'aurait même seulement jamais parlé de cet évènement si la bestiole ne s'était pas fait la malle avec deux magasines très chers à ses yeux, parce qu'il les avait acheté très légalement, sans les voler. Ainsi, dès lors que la voie fut libre, Cargo se réactiva pour se brancher sur l'intercom du vaisseau. Il savait bien que Raiga n'allait pas se déplacer juste pour lui, mais le robot savait quels leviers actionner pour faire bouger le lourdeau.
- RAIGAAAAAAAAAAAAAAAAA ! Y'a un machin dégueulasse qui s'est infiltré chez nous ! Il est dans les conduits d'aération ! RAIGAAAAAA ! Il a dit que ta mère t'avait renié parce que sucais des militaires en miaulant comme une pucelle, parce qu'en plus t'avais une petite bite !- NYZYYYYYYYYYYYYY ! COINCE MOI CE FILS DE PUTE EN FERMANT LES VOLETS D’AÉRATION ! D'un coup, les hauts-parleurs crépitèrent un peu plus fort et la voix de Raiga augmenta encore de volume dans l'ensemble du Protektor.
JE SAIS PAS QUI T'ES, ENFOIRÉ DE FILS DE PUTE, MAIS J'AI SUCE PERSONNE ! SOURIS BIEN DANS TON CONDUIT, CHAROGNE, PARCE QUE C'EST LA DERNIÈRE FOIS QUE TU VOIS TES DENTS ! J'VAIS LES CASSER AVEC MON ZIZI, T'ENTENDS ?Dans le système d'aération, quelques claquements presque aussi secs que des coups de feu se firent entendre. Ca et là, des clapets passaient en position close, afin que l'intrus soit normalement dirigé vers une pièce en particulier. En l’occurrence, ça aurait dut être la cale 4. Mais Cargo, chargé d'entretenir ces mêmes systèmes, s'en était monumentalement branlé. Ainsi, tout ne fermait pas et l'intrus pouvait encore circuler presque librement, bien que le chemin serait entravé sur quelques passages. Un vrai jeu du chat et de la souris allait s'entamer, puisque Raiga avait quitté son poste pour plonger dans les conduits à son tour, avec la grâce d'un sanglier chez un fleuriste. Même si il tenait à peine dans l'aération, le drakôn comptait bien faire sa fête au passager clandestin...