Les contrées du Chaos / Re : Vous serez bienvenus chez moi | Gauvin, Alaia
« le: vendredi 17 septembre 2021, 15:55:30 »La prochaine destination qu’il choisit est la Buccolie, charmant pays dont les éloges n’ont cessé de venir chatouiller ses oreilles ; il a ainsi développé un intérêt certain pour cette région. Et alors que les chaleurs insoutenables de l’été s'évanouissent pour laisser s’épanouir un automne plus doux, le vieillard y observe l’occasion parfaite pour entreprendre ce fameux périple, longtemps repoussé.
D’un trait grossier, sur une carte approximative, il a tracé un itinéraire pour découvrir le pays, sans, cependant, passer par la capitale. Les hameaux et villages privilégiés, par faute de temps.
Leur tournée prendrait fin quelques jours avant l’hiver, afin de s’échapper du territoire enclavé avant d’y être bloqué.
Arrivés au dernier village au beau milieu de la matinée, les artistes s'installent sur la modeste place centrale. Boueuse d’une nuit pluvieuse, dotée d’un puits et entourée de sobres maisonnées. Les préparatifs sont lancés. A l’arrivée des paysans, revenant des champs pour une brève pause méritée, Pellès s’avance sur la place. Il dénote parmi les cul-terreux, par une apparence soignée - ses cheveux liliaux sont tirés en arrière, divisés en tresse, sa barbe est taillée avec précision et ses vêtements ne marquent d’usure - et sa voix rocailleuse porte, attire attention et annonce le début du divertissement.
« Messieurs, Mesdames, curieux enfants, je vous prie d’apprécier notre spectacle et d'accueillir en premier lieu l’envoûtante selkie, Alaia ! »
La rousse entre sur scène. Les tissus légers qui habillent son corps virevoltent à ses pas ; les bijoux à ses pieds nus résonnent en harmonie avec la douce mélodie, jouée par le ménestrel. En retrait, le fier nain, aux traits mesquins et à la pilosité indomptable, prend le devant de la scène, une fois la danseuse retirée. Il ravit les habitants de quelques épopées chevaleresques, chantées avec entrain.
En dernier, viendront les cracheurs de feu : Naha et Rav. Étrangers venus de lointaines terres désertiques, d’une tribu guerrière inconnue et aujourd’hui disparue, ils impressionnent et effrayent les simples Hommes, par leur maîtrise des flammes.
A la fin du spectacle, quand tous sont retournés à leur travail ou se remplir l’estomac, les enfants restent. Collant l’étrangère pour obtenir quelques démonstrations supplémentaires alors que les autres s’attèlent à préparer leur départ. Chacun possède sa tâche : quand certains rangent la caravane, l’assistante de Pellès, le dernier membre de la troupe, Eryn s’occupe de négocier des provisions, afin de garantir les repas à venir.
« Alaia, tu prendras les rennes en première. »
Si la créature n’a la meilleure conduite, on lui reconnaît un talent indéniable : celui de mener à bien les chevaux, sans les planter dans un ravin. Comme d’autres. Pour les bonnes routes, jusqu’au col, elle assurera cette prise en charge pour que le chef reposé d’une satisfaisante sieste puisse prendre sa suite.
Les derniers préparatifs concluent ; ils reprennent leur route.
Depuis presque deux heures, Alaia suit le chemin vers le col. Accompagnée d’Eryn, un silence glacial s’est installé entre les deux femmes ; l’une ne désire parler, l’autre est incapable de lancer la discussion, intimidée par sa compagnonne de voyage. A leur opposé, à l'arrière, sont installés Naha et Norm, le petit homme, les plus bavards du groupe, l’éclat de leur hilarité et de leur gaieté est audible à des kilomètres. De bruyants individus qui ne semblent déranger le vieillard endormi et Rav, à l’intérieur.
Alors qu’ils avancent à bonne allure, avec bonne espoir de quitter le pays, une ombre masculine vient les arrêter au loin, les prévenir de l’avortement prématuré de leurs plans : le col est fermé. Les deux juments ralentissent sous l’impulsion donnée par la selkie.
Agacée, l’information peine à être avalée, ses conséquences ne sont encore mesurées. A bonne distance, la caravane est arrêtée, mise légèrement sur le côté pour ne gêner une possible circulation.
La rousse descend alors.
« Pourquoi on s’arrête ? Gueule Naha, à l’arrière, visiblement contrariée. »
Ignorée, Eryn reprend la parole.
« Ce n’était pas prévu. Essaye de te renseigner sur le pays, de trouver où on pourrait s’arrêter. »
Elle acquiesce, d’un signe de tête. Les autres sont laissés derrière pour la défense de la caravane, au besoin. Peut-être n’est-ce qu’une entourloupe, visant à les séparer de leur bien et piller leur maigre richesse ? Dans cette optique, Alaia décide d’aller seule à l’encontre du chevalier.
Pied nu, aux habits légers, la selkie n’a pris la peine de mieux se vêtir après sa prestation. Elle fait désormais face à l’inconnu.
« Si vous utilisez un subterfuge aussi ridicule pour nous voler, je me dois de vous prévenir que nos biens n’ont que très peu de valeurs. Vous perdez votre temps. »
La méfiance anime son regard noisette.
Mais elle n’omet la possibilité que ses paroles soient censées. Après tout, des chutes de neige plus précoces qu’à l’accoutumée sont une possibilité envisageable.
Un soupir dépasse ses lèvres ; elle appréhende déjà l’enfer de rester bloquée plusieurs mois dans un même pays.
« Cependant si vous avez juste, savez-vous où nous pouvons trouver l’hospitalité ? Même une nuit. Nous ne connaissons que peu le pays, c’est pour ainsi dire la première fois que nous en foulons ces terres. Nous avons malheureusement besoin de revoir l'entièreté de notre itinéraire. »
Alaia s’efforce de se montrer amicale, puisant dans l’exemple d’Eryn. Mais un certain malaise demeure toujours face aux inconnus. Bloquée en Buccolie pour les mois à venir, elle aura tout le temps nécessaire pour abandonner sa méfiance.