Centre-ville de Seikusu / Re : Le regard a quelque chose de traître [Zorro Wolfen]
« le: samedi 14 décembre 2024, 19:43:38 »Deux siècles.
Un an.
Zorro avait d'abord vécu près de trois cents ans dans un monde qu'aujourd'hui encore il appelait "chez lui". Trois cents années d'aventures, de combats, de découvertes. D'amour aussi, en la personne d'une jeune femme qu'il avait rencontré alors qu'un souverain immortel exerçait sa domination sur le monde un qu'un groupe de rebelle s'était ligué contre lui.
Puis, alors que la victoire semblait proche, il avait été forcé de tout abandonner. Son monde, ses amis, son amour. Sans savoir comment, il s'était retrouvé dans un autre monde, nu, terriblement affaibli. Perdu.
Terra. Ainsi ce nommait ce nouveau monde. Une terre de magie, à la fois si semblable et si différente de son monde natal. Il lui avait fallut du temps pour se remettre du "voyage", pour apprendre la langue, les us, les coutumes. Mais l'aventure, et les emmerdes, avaient une nette tendance à poursuivre le mercenaire, et il s'était mis en route.
Pendant une vingtaine de décennies – il avait perdu le compte exact – il avait parcouru ce monde étranger jusqu'à ce qu'il lui devienne familier. Il avait exploré beaucoup de lieux merveilleux ou terribles, fait moults rencontres. Aimé aussi, à nouveau, même si le souvenir de Malya restait dans son esprit. Il avait aussi appris l'existence de portails reliant Terra avec d'autres univers. Une multitude d'univers. Dont, peut-être, le sien.
Et un jour, dans une montagne, il était tombé sur un de ces portails. Ou plutôt DANS un de ces portails. Il avait glissé, chuté, et avant de comprendre comment, il s'était retrouvé ailleurs, allongé dans une herbe fraîche et épaisse. Un lieu inconnu, avec une langue inconnue et une architecture, ou un mélange, comme il n'en avait encore jamais vu, malgré la diversité des lieux qu'il avait vu au cours de ses voyages.
Le cycle avait recommencé.
La Terre était un monde étrange, très différent de chez lui ou de Terra. Tout semblait vouloir aller beaucoup plus vite, trop vite même. Et surtout l'argent semblait régir absolument tout.
Certes, il avait déjà une place prépondérante dans les autres mondes, mais au moins le voyageur avait-il toujours eu la possibilité de survivre en chassant ou récoltant des plantes. Ici, cela semblait impossible, du moins à Seikusu, là il avait atterri.
Au cours de l'année écoulée, il avait enchaîné les petits boulots, grapillant ici et là de quoi subsister. Etranger dans une terre étrangère, les locaux peinaient à lui faire confiance de prime abord. Il les comprenait : le mercenaire dépassait d'une bonne tête la plupart des habitants de la ville, était plus large qu'eux, et les quelques personnes qu'il avait rencontré avec une carrure similaire à la sienne semblaient toutes faire partie de gangs et autres groupes de bandits – des "yakouza" s'il avait bien comprit.
Il avait cependant fini par rencontrer quelqu'un, une vieille femme reconnaissante qui l'avait accueilli chez elle, après qu'il l'ait débarrassée d'un groupe de jeunes délinquants. Ce n'était pas le grand luxe, mais au moins n'avait-il plus à se trouver un coin tranquille pour dormir ou à fuir les autorités locales !
Voilà où Zorro en était, à peu près un an après son arrivée. Ses boulots lui rapportaient de quoi vivoter sans avoir à dépendre d'Azumi "obachane" en permanence, et il parlait et lisait maintenant correctement japonais et anglais, même si sa prononciation avait encore des lacunes.
Il retournait régulièrement dans le parc où il était apparu. Du portail, il n'avait trouvé nulle trace, mais l'endroit lui plaisait, un petit coin de nature presque sauvage où les animaux pullulaient et gambadaient avec insouciance.
Il s'y trouvait d'ailleurs ce jour-là, profitant de l'air doux et du calme des lieux quand des éclats de voix lui parvinrent. Un peu plus loin, à proximité de la sortie du parc, deux jeunes femmes se disputaient. Ou plutôt l'une d'entre elle, une sombre beauté aux cheveux de jais, engueulait son parfait opposé, un ange au teint clair et la chevelure de neige.
De ce qu'il pouvait percevoir à cette distance, la première reprochait à la seconde d'avoir pris trop de risque et de ne pas être rentrée assez tôt. Un peu comme une grande sœur rouspétant auprès de sa frangine. Ou une mère contre sa fille indisciplinée.
La scène était plus amusante qu'autre chose et Zorro l'oublia bien vite, retournant à sa nouvelle vie.
Plusieurs jours, et même semaines passèrent, et le mercenaire commençait à s'ennuyer un peu. Chose paradoxale, lui qui se plaignait régulièrement de sa vie trop mouvementée et n'aspirait qu'à une petite maison entre forêt et lac où vivre en toute quiétude.
Mais pour quelqu'un qui avait passé son existence à se battre, la relative sécurité de Seikusu, si l'on excluait quelques tensions avec les gangs et mafias locales, manquait peut-être un peu trop de rebondissements. Et Zorro avait l'impression confuse que s'il n'agissait pas bientôt, l'aventure viendrait le trouver, et que la vieille Azumi risquait d'en pâtir.
Il s'était inscrit à un club de sport de combat, espérant chasser l'ennui et le mauvais présage. Un sport qu'il ne connaissait pas, du moins pas de nom, "boxing" ou "bokushingu", mais dont le premier cours n'aurait pas lieu avant encore quelques jours. Ce qui au final l'arrangeait ; il lui fallait maintenant trouver un travail un peu plus stable, pour payer l'abonnement en plus de ses dépenses habituelles. Puis il voulait remercier Azumi pour sa gentillesse, elle qui l'hébergeait depuis maintenant près de neuf mois.
Heureusement, la chance lui avait souri. De la manière la plus simple du monde. Une annonce dans le journal, annonçant qu'un groupe de musique, il en avait oublié le nom, MIRENA ou quelque chose du genre, recherchait de la main d'œuvre pour ses prochains concerts. Rien de compliqué en soit : porter et poser des caisses là où on lui demandait, aider les équipes à installer le matos en suivant des instructions … cela convenait parfaitement au mercenaire. D'autant que la paie, pour des tâches aussi simples, était tout à fait correcte, et que le contrat était pour plusieurs mois. Charge à lui d'être suffisamment efficace pour qu'ils veuillent le prolonger.
Il avait débuté le matin même, après avoir été rapidement présenté à l'équipe et surtout à son responsable. Du groupe de musique, il n'avait encore rencontré personne et avait tout juste découvert qu'il s'agissait d'un groupe de jeunes femmes au succès retentissant. Son ignorance avait rassuré les quelques membres de la sécurité : au moins n'était-il pas un fan en furie ayant réussi à s'infiltrer pour harceler les musiciennes !
Le travail avait commencé, simple comme prévu. Porter des caisses, soulever et déplacer des charges et éléments de la scène, nettoyer au besoin, brancher des câbles entre eux … Avec sa force et son endurance surnaturelles, Zorro effectuait le travail de quatre ou cinq personnes sans même s'en rendre compte. En revanche, à la pause de midi, ses collègues amusés purent constater que s'il bossait comme cinq, il mangeait aussi comme trois !
La pause passa, le travail reprit, plus calmement. Le plus gros des tâches du jour avaient été effectuées, et si l'aventurier n'y était pas étranger, les autres travailleurs avaient aussi fait leur part.
Chargé d'emmener un lourd projecteur sur la scène, un travail requérant généralement deux personnes, Zorro marchait dans un couloir, l'éclairage sur l'épaule, quand il aperçu une silhouette blanche un peu plus loin.
Petite, du moins comparée au mercenaire, elle semblait avoir des difficultés à atteindre un carton haut perché, dressée sur la pointe des pieds, son débardeur sombre remontant de plus en plus sur son dos dans ses efforts désespérés.
Amusé malgré lui, tâchant de le cacher, Zorro s'approcha d'elle de son habituel pas souple, sans faire d'effort de discrétion particulier, un sourire aimable aux lèvres.
- Besoin d'aide gente dame ?
Il n'avait pas attendu la réponse, ayant déjà posé son projecteur.
Recouvrant l'inconnue de son ombre, il s'empara sans difficulté du carton convoité et recula d'un pas avant d'en épousseter le couvercle et de lui tendre la boite, toujours le même sourire sur le visage, ses yeux verts brillants légèrement dans la pénombre de l'étroit couloir.
- Et voilà pour toi. Sale idée qu'ils ont eu de mettre des trucs hors de portée. Surtout sans escabeau à proximité !
Le ton se voulait convivial, léger, une plaisanterie entre collègue. Le mercenaire n'avait aucun moyen de savoir qu'il avait en face de lui une des artistes du groupe pour lequel il travaillait. Tout ce qu'il voyait, c'était une superbe jeune femme aux yeux de saphir et à la crinière plus pure que la sélénite, qui était confrontée à un problème de "taille".
- Zorro, pour te servir.