Alice soupirait tristement, assise sur l’un des bancs des petits jardins royaux. Ils se situaient au cœur du Château, mais, comme ce dernier n’était pas bien grand, les jardins, en conséquence, étaient étroits et étriqués. On les utilisait surtout pour permettre à certains dragons de se poser, mais les jardins, concrètement, n’avaient aucune autre fonction particulière. Ils se trouvaient enfermés à l’intérieur du château, entourés par de hauts murs et des alcôves. Il y avait au centre une fontaine devant laquelle Alice se rendait parfois la nuit pour prier, généralement quand elle savait que sa femme, ou son père, étaient dans une situation périlleuse. Elle se mettait à genoux devant la statue, tenant sa croix, en priant fermement.
*Il fait beau... Pourquoi je ne peux pas sortir ?!*
La Princesse regardait ce beau ciel bleu avec un air résigné et triste. Elle n’était pas assignée aux doléances cet après-midi, son père s’en chargeant. Elle avait donc espéré pouvoir se promener dehors, et, surtout, faire du cheval, mais le maréchal-ferrant l’en avait dissuadé, lui disant qu’il y avait une épidémie de bronchites chez les chevaux, et qu’Éclipse, son cheval, en était particulièrement atteint. Si elle le prenait, le brave, n’arriverait même pas à traverser le pont avant de s’affaler sur le sol. Elle aurait tout à fait pu sortir, mais Alice, comme toutes les Princesses, était contrariée quand son désir n’était pas exaucé. Elle voulait faire du cheval, pas faire une stupide randonnée ! Elle s’était donc rendue aux jardins pour bouder, tout simplement.
Elle s’y tenait encore quand elle entendit du bruit, la faisant tirer de ses pensées. Un garde s’énervait de l’autre côté des jardins. Drapée dans sa courte robe blanche, avec ses longs gants de la même couleur, Alice se releva lentement, se demandant ce qui pouvait bien passer par la tête de cet homme pour hurler ainsi. Alice entendit alors des bruits de pas précipités, synonyme d’une cavalcade... Et n’eut pas le temps de penser à grand-chose d’autre qu’une petite forme surgit devant elle, sans la voir, et la heurta de plein fouet.
« Uff ! » s’exclama Alice.
Surprise, elle en eut brièvement le soufflé coupé, manquant tomber sur les fesses, avant que l’homme, visiblement un garçon, ne se mette à lui parler, ses yeux rivés sur... Sa poitrine.
« Oh p-pardon mad... maman... »
Et, ni une ni deux, il se lova contre elle, fourrant sa tête entre ses seins, surprenant Alice. La Princesse était d’ailleurs tellement décontenancée qu’elle n’arrivait plus à formuler les mots, se contentant d’observer cette scène en clignant des yeux. Maman ? Elle l’entendit répéter une fois ce mot, et tenta d’intervenir. Il se serrait contre elle, réclamant probablement un geste d’affection, geste dont la Princesse, pour le moment, était bien incapable de rendre. Elle en avait d’ailleurs les joues légèrement rouges. On ne l’appelait pas tous les jours « Maman » !
« Je... tenta-t-elle de commencer.
- De quel droit oses-tu importuner la Princesse, misérable ?! »
Le garde était revenu, et, avant qu’Alice n’eut le temps de dire quoi que ce soit, il attrapa le brave garçon par le col, et le renversa sur le sol, avant de lever le pied pour s’apprêter à le rouer de coups.
« Je vous défends de le toucher ! » s’exclama alors Alice.
Surpris, le garde regarda la Princesse. Autour d’eux, on se rapprochait. Des nobles, d’autres gardes, qui avaient entendu ce raffut.
« Madame, se justifia le garde, c’est un drôle, probablement un voleur qui s’est introduit ici pour voler nos pitances. »
Bras croisés, Alice fit osciller son regard entre le jeune garçon, manifestement terrorisé, et le garde.
« Si c’est un voleur, je doute qu’il agisse par malice, plutôt par nécessité. Regardez-le ! Il est complètement terrorisé !
- Nul serf n’a le droit de pénétrer dans l’enceinte sans y avoir été expressément autorisé ! Le règlement est très clair sur ce...
- Je connais le règlement ! l’interrompit Alice. Et je sais aussi que la violation de cette sanction ne saurait être punie par des blessures physiques. »
Le garde soupira. La timide Princesse, effacée, pouvait parfois se révéler très hargneuse, comme en ce moment, où elle déployait les griffes. Alice poussa le garde, et se pencha vers l’adolescent, lui faisant un sourire innocent et délicat.
« Tu vas bien ? Tu vois bien que je ne suis pas ta mère, n’est-ce pas ? Où se trouve-t-elle, d’ailleurs? Quel est ton nom de famille ? »
Il n’était pas rare que de jeunes adolescents tentent de s’infiltrer dans le Château, que ce soit pour y voler des victuailles, par simple goût du risque, ou, pour les plus précoces, pour contempler le corps parfait de la Princesse. Alice savait que le meilleur moyen de les en dissuader était un bon coup de pied dans le derrière, mais elle avait toujours eu du mal avec les châtiments corporels, même légers. Elle-même y avait eu droit dans le passé, et ça ne lui manquait pas du tout. Si elle avait l’opportunité de les éviter, il va sans dire qu’elle le ferait !