Le FS6 : sans doute la contraction usuelle de la formule d'un composé dont le groupe fonctionnel reposait sur la liaison d'un atome de fluor et d'une structure type hexasulfure, songea Archie. Il avait visiblement pour but de le neutraliser. Si tel était le cas, son effet le plus évident aurait pu être de saturer certaines des synapses artificielles qui assuraient la communication entre son cerveau et ses implants, rendant celle-ci impossible. Ce fut la dernière pensée pertinente du jeune garçon, avant que le composé n'atteigne son efficacité maximale. Avec appréhension, il sentait le liquide brûlant parcourir ses veines, il sentait sa perception décliner, son esprit devenir moins clair. En l'espace de quelques secondes, son QI venait d'être divisé par deux, sa mémoire rendu largement inaccessible, floue. Sa raison si efficace jusqu'alors était réduite à presque rien, et elle se trouvait maintenant incapable d'endiguer la vague d'angoisse qui parcourut l'adolescent.
Crier, il aurait voulu crier, mais il n' y arrivait plus. Sa bouche était pâteuse, sa mâchoire engourdie, ses lèvres collées, et le sac qu'il avait sur la tête n'arrangeait pas son état. Sans même qu'il s'en rendre compte, ses glandes lacrymales déréglées déversèrent un flot de larme le long de ses joues, trempant la toile. Le coup qu'il reçu empira encore la situation. Des étincelles de douleur vive vrillèrent sa vue et obligèrent ses jambes à fléchir. Il s'effondra sur les genoux, heurtant le sol sans douceur. Un mucus blanc, puis un liquide carmin, virent obstruer ses voies nasales. Il ne savait plus comment respirer, sa bouche prit le goût cuivré du sang.
Son analyse de la situation était très sommaire, sinon inexistante. De l'autre côté d'une vitre opaque, il l'avait à peine compris, une femme se battait contre les hommes qui tentaient de le kidnapper. Il saisit quelques mots de la langue avec laquelle il avait grandi. De ce qu'il entendait des interjections confuses des soldats, elle volait et il était inutile d'engager un corps à corps contre-elle. Au final, il n'arrivait pas à s'y intéresser ou à se concentrer sur autre chose que lui-même. Il avait une impression de suffocation, mêlé avec une incompréhensible claustrophobie (lui qui craignait habituellement davantage les espaces ouverts). Il fallait qu'il se relève, qu'il court, qu'il enlève la cagoule qui le maintenait prisonnier, qu'il s’essuie le visage. Mais toute logique, toute coordination, l'avait quitté, ses doigts étaient gauches et mous, et Archie ne parvenait qu'à pousser de faibles gémissements de détresse.
Jusqu'à ce qu'il sente un rayon chaud l'atteindre tout entier. Chaud n'était pas le mot. Il n'était pas vraiment chaud, pas directement : il brûlait, la peau, les habits, sous les habits. Un courant électrique atroce remonta le long de sa colonne vertébrale et atteint une intensité maximum à l'arrière du crâne. La souffrance, cette fois, lui délia la langue, et il poussa une plainte plus sonore, de sa voix encore aiguë. Se recroquevillant sous le choc, il s'apprêtait à tomber de nouveau lorsqu'une poigne ferme le maintint debout... et le souleva même de terre. Ses tympans bourdonnant perçurent quelques mots rassurants. L'étreinte était douce, et quoique la douleur fut toujours présente, elle suffit à la calmer un peu. A le faire patienter jusqu'à ce que ses pieds touchent le sol.
Ce furent des réflexes de survie qui dictèrent les actions qui suivirent. Heureusement, sa sauveuse l'aida à se débarrasser du sac. L'adolescent toussa, cracha pour évacuer l'épaisse glaire carmin qui s'était accumulée dans sa gorge, et put enfin respirer presque correctement. De façon empirique, il se débarrassa aussi vite qu'il le put de son tee-shirt noir, qui, de par sa couleur, avait absorbé une grande partie du rayonnement et attaquait encore sa peau. Le geste révéla sur l'épiderme anormalement blanc de son torse juvénile, normalement couvert de tâches de rousseurs, de grandes marques rouges de brûlure qui suivaient les contours de son vêtement. Son visage, son cou et ses avants-bras, nus lors de l'exposition s'étaient empourprés légèrement moins. Plus toutefois que le reste de son corps qui, ayant été protégé par des habits plus clairs, affichait une teinte moins inquiétante.
C'était bien la première fois qu'Archie retirait son haut en présence de quelqu'un d'autre qu'un des scientifiques du projet l'ayant vu naître. En effet, tourner le dos, comme c'était actuellement le cas -la femme étant passée derrière lui pour défaire le nœud-, aurait aussitôt indiqué sa nature inhumaine. La position permettait d'observer facilement les nombreuses plaquettes de métal grises qui ressortaient de ses vertèbres, de son bassin à sa nuque. Néanmoins, ce n'était pas vraiment ce qui inquiétait l'adolescent, et il était de toute façon trop hagard pour réaliser la chose.
-Je... Archie... merci, balbutia-t-il.
S'il ne constituait pas de phrases, ce n'était pas par gain de temps, mais parce qu'il n'y arrivait pas. Le japonais, cette langue si obscure qu'il avait apprise en une semaine, lui semblait alors presque inconnue. Il ne retrouvait plus les structures grammaticales, et pourtant, étrangement, il avait compris la question de sa sauveuse. Le jeune garçon respirait par petites saccades, paniqué. Il tenta de chasser la morve et les larmes qui miroitaient sur sa face d'un revers de bras, tout en reniflant bruyamment. Il reconstitua ce qui lui restait de la scène, tout était si confus...
-Me ramener... prison.