Un problème d'inondation, leur avaient dit les représentants de Nexus en début de matinée. Une trombe de pluie impressionnante s'était abattu sur Nexus au cours de la nuit, et en particulier sur la place du marché. Il avait été déclaré que les ventes seraient stoppé, au moins pour aujourd'hui, le temps de retrouver un sol solide à la place des trombes de boue. C'était bien mal connaître les marchands, qui s'organisèrent chacun de leur côté (et non pas entre eux - ça aussi, s'aurait été mal les connaître) pour continuer à faire tourner la boutique, dans le dos des autorités de la ville. Le trafic d'esclaves à domicile aurait été tant fastidieux à contrôler, qu'il était illégal. Il fallait donc être discret. Heureusement, les autorités de la ville étant occupés à constater les dégâts sur la place, le va-et-vient des personnes entrant et sortant des maisons était peu remarqué.
Ce n'était pas Myriade qui était mécontente de ce brusque changement de situation. La pluie n'avait rien d'amusant pour elle ; elle la détestait, en avait peur, même d'une simple flaque. L'eau ne la répugnait pourtant pas en général, mais la pluie... entraînait les orages, le vent, et par la même occasion, sa propre peur incontrôlable et sourde à sa raison.
La trappe s'ouvrit pour la quatorzième fois de la journée - un esclave proche s'amusait à compter les visites. La mince raie de lumière s’atténua, écrasée par la silhouette d'un homme, emmitouflé dans une épaisse cape. Un voyageur, chuchota une autre esclave, tout prés de la moinelle qui avait d'ailleurs été encerclée dans ses bras, servant de doudou vivant depuis le début de la matinée. Il faut dire qu'il ne faisait pas très chaud dans ce sous-sol, et humide par-dessus le marché, ce qui entraînait les différent(e)s esclaves à se pelotonner les un(e)s contre les autres.
La bourse fut bien vite sortie, le doigt tendu vers la sélection du client. Myriade mit un moment à comprendre que c'était d'elle que l'on parlait ; il lui fallut remarquer les dizaines de têtes pointés vers sa personne, aux expressions voilées par l'obscurité de la cave. Sa compagne la lâcha, et elle sortit de son coin en se retenant de bailler, à moitié endormie. Sa petite silhouette n'était pas bien impressionnante, ses formes non plus. Il n'y avait pas beaucoup de femmes à vendre dans la pièce, les dernières qui n'avaient pas été acheté étaient des adolescentes au physique ingrat, comme c'était courant à cet âge. Myriade était la seule à être un tant soit peu mignonne, mais aussi à dégager une forte candeur qui ne permettait absolument pas d'estimer son potentiel sexuel. Mais enfin. De toutes façons, depuis le début de sa location, on louait uniquement ses services pour la cuisine, le ménage ou la vaisselle. Pas pour son corps. Autant dire qu'avec Silence, des tas de surprises allaient l'attendre.
Une fois dehors, la terranide prit bien soin d'éviter les flaques de pluie en battant très légèrement des ailes pour se mettre en lévitation. Puis ils arrivèrent.
La petite maison où entra Myriade était modeste, humble. Par rapport aux habituels palais où l'emmenaient les riches fortunés qui la louaient pour la journée, cette demeure était presque cocasse. Mais en entrant, l'adolescente fut impressionnée par le confort et la chaleur qui se dégageait de la pièce principale. Après avoir passé toute une journée dans une cave humide et moisie, on était ravie d'entrer dans un semblant de chez-soi.
Sa première tâche fut comprise très vite. Préparer un dîner ? C'était dans ses cordes ! La terranide s'y attela avec ardeur, et finit par préparer un repas digne d'un bourgeois - on lui avait après tout appris à satisfaire les plus fortunés, ce qui signifiait qu'elle cuisinait rarement de la nourriture de cantine. Le temps de trouver un peu de vin pour parfaire le tout, et c'était prêt.
Les escaliers furent vite montés sans encombres, et la terranide toqua à la porte. Une fois invitée à entrer, elle déposa le plateau sur le lit où Silence s'était installé, sans s'y asseoir à son tour, s'aurait été grossier.
« Votre dîner, messire. J'espère être à la hauteur de vos exigences culinaires. »
La moinelle avait déclaré cela avec calme et un sourire aimable, et très machinalement. C'était une phrase toute faite qu'elle sortait à chaque fois qu'un dîner de sa main était servi à un client. Son vocabulaire personnelle n'était pas aussi évasif, il était même plutôt limité quand il s'agissait de trouver ses propres mots. Elle n'avait appris à parler correctement qu'il y a quelques années, après tout.
« Si vous disposez d'un instrument de musique et que vous daignez que je l'emprunte, je pourrais vous jouer un morceau durant votre repas. » continua-elle, toujours avec autant de politesse - et donc peu de naturel.