« Tu sais, Norman, tu devrais parfois sortir un peu de ton bureau...
- Félicia...
- Oh, rassure-toi, enchaîna-t-elle sans lui laisser le temps de répondre, j’apprécie l’intention, vraiment... M’appeler en pleine pause-déjeuner pour me dire que tu as besoin de moi, et ce quand bien même j’ai un cours extrascolaire après, c’est toujours agréable, mais, pour autant, je me demande si tu as vraiment choisi le bon endroit pour un rencard idéal...
- Félicia, je...
- C’est vrai que j’aime bien la vue de la mer, mais, quitte à y choisir, j’aurais préféré être en maillot de bain sur une belle terrasse en haut d’une falaise à me faire bronzer, plutôt qu’à me geler les fesses sur le toit d’une grue de hangar. Ah, et au fait... Tu es où, bordel ?! »
Félicia soupira, tenant entre ses mains un téléphone portable. Quelques secondes s’écoulèrent, avant que la voix de Norman ne jaillisse à nouveau du combiné :
« Tu as fini ?
- J’ai fini.
- Magnifique. Je suis désolé de t’avoir dérangé, Félicia, mais, si ce n’était pas une urgence, je ne t’aurais pas appelé de manière aussi… Impromptue. »
Norman Jayden était un avocat de Seikusu. Officiellement, en tout cas. Originaire des Etats-Unis, l’homme avait eu une carrière remarquable, puisqu’il avait commencé par être un agent fédéral. Au sein du F.B.I., il avait aidé à l’arrestation de redoutables tueurs en série. Il était aussi un mutant, qui avait été éduqué par Charles Xavier afin de contrôler ses pouvoirs, mais sans jamais vraiment y arriver. Il pouvait, avec ses yeux, lire dans l’âme des gens et pouvoir ainsi révéler leurs secrets. Ce pouvoir télépathe n’était toutefois pas sans poser de redoutables effets secondaires, qui l’avaient rendu dépendant à une drogue spéciale, la triptocaïne, cette dépendance ayant, officiellement encore, justifié son renvoi du F.B.I. En réalité, les capacités de Norman lui avaient permis de rejoindre une autre organisation bien plus influente et bien plus grosse que le F.B.I., puisqu’il s’agissait de l’organisation onusienne S.H.I.E.L.D. A Seikusu, Norman était l’un des responsables de cette organisation, et, accessoirement, l’agent de liaison entre Félicia et le S.H.I.E.L.D., la première faisant l’objet d’un programme de protection des témoins organisé par le second. Officiellement, encore une fois... En réalité, Félicia avait compris depuis quelques semaines qu’elle était une sorte d’agent spécial indépendant du S.H.I.E.L.D., ce qui était à la fois déplaisant et assez gratifiant.
Ça ne justifiait toutefois pas de lui gâcher sa journée en l’appelant en pleine pause-déjeuner. Elle avait du trouver une excuse rapide auprès de ses collègues, prétextant un problème familial, avait enfilé sa tenue, rejoint sa moto, et avait foncé à travers la ville pour rejoindre le quartier de la Toussaint, Norman lui ayant demandé de se rendre aux docks. En soi, rien de bien grave, dans le fond ; il s’agissait d’un cours extrascolaire. Le rater était toutefois difficilement acceptable. Elle avait choisi d’escalader une grue pour avoir une bonne vue des docks.
« Des individus peu recommandables ont débarqué en ville il y a quelques temps, Félicia, et nous manquons d’informations sur eux.
- Il existe beaucoup d’individus peu recommandables à Seikusu, Norman.
- Mais peu qui viennent spécialement traquer des individus aux capacités paranormales.
- Ne me dis pas qu’une nouvelle secte fondamentaliste vient de débarquer à Seikusu...
- ’Possible... Comme tu le sais, il rentre dans les attributions de mon... Bureau... De s’occuper de toutes les affaires impliquant des activités paranormales.
- Ça ne me dit toujours pas ce que je viens foutre, et pourquoi tu fais appel à moi... Tu n’as pas des équipes d’intervention ?
- Faire intervenir une unité d’assaut est beaucoup plus difficile que faire intervenir une super-héroïne.
- Super, je veux bien, mais héroïne, vu toutes les merdes que ça m’a rapporté dans le passé, je préfère passer mon tour.
- Bon... Nous avons fait des trucs illégaux pour obtenir des informations, Félicia... Le genre de trucs qu’il ne vaut mieux pas que la presse sache...
- Une affaire paranormale nécessite des mesures paranormales, mon cœur. Vous avez tué qui cette fois ? plaisanta-t-elle.
- Personne. Du moins, je crois... Je parle plutôt d’écoutes illégales, d’espionnage chez de simples particuliers pour en savoir plus sur nos suspects.
- Ça ferait mauvais genre si c’était épinglé à la une du Yomiuri.
- Précisément... Voilà pourquoi je tiens à éviter de faire venir une équipe d’intervention. Nous soupçonnons nos tueurs d’avoir avec eux des rabatteurs, et de se cibler sur la police. Ils ont récemment abattu une légiste, et n’y ont pas été de la plus agréable des manières.
- Et vous avez trouvé qui a fait le coup ?
- On a des pistes, mais ce n’est pas ça qui importe... Tu ne le sais peut-être pas, mais tu te tiens juste à côté d’un hangar abandonné qui sert de repaire à un gang de rue, les Jackals.
- Ils sont en guerre contre les Vipers, non ? »
Il y eut un flottement, un moment de silence. Félicia eut un léger sourire.
« Tu devrais sortir plus, Norman. Je suis prof’, je te rappelle. »
Les Jackals, les Vipers, les Hyde, et tous les autres gangs de rue étaient plutôt bien connus des lycéens. Il n’y avait pas que les Yakuzas dans la ville, et ces gangs se répandaient de plus en plus, certains étant soutenus par des clans de Yakuzas. Les Jackals étaient par exemple affiliés à un clan de Yakuzas, et les aidaient à vendre de la drogue dans les rues de la ville.
« Nous avons mené notre enquête...
- Laisse-moi deviner... Vous avez soupçonné qu’il y avait une taupe dans la police, et vous les avez mis sur écoute ?
- Nous sommes forts, mais mettre sur écoute tout un commissariat, c’est un peu osé. Non, on s’est contenté des proches de la légiste tuée, tout en poursuivant notre enquête. Il va y avoir un autre kidnapping dans la journée, Félicia. Une autre légiste...
- Ils ont une dent contre les légistes ?
- Ursula Ranger. On a... Des soupçons, mais je n’aurais pas le temps de t’expliquer tous les aboutissants.
- Et qu’est-ce que ça vient faire avec cet entrepôt ?
- On a des pistes.
- Je déteste quand tu es évasif, Norman, ça me donne l’impression de me faire avoir...
- Je te demande juste de surveiller le coin, et de te préparer à agir. Et... Hum... Je suppose que tu dois t’en douter, mais... Ursula Ranger n’est pas vraiment ce qu’on pourrait appeler une humaine normale. »
Il était alors 13h30, et Félicia soupira.
« Génial... Te voilà encore embarquée dans une superbe histoire, Félicia ! »
Fort heureusement, elle avait prévu de quoi s’occuper, et enfila ses écouteurs, tout en observant ce qui se passait. L’entrepôt semblait abandonné, et ce fut vers 15h30 environ que Norman, après plusieurs coups de fil, l’appela pour lui dire que les ravisseurs venaient de capturer Ursula. Elle avait envoyé un message à Travis, mais la connexion avait été interrompue, et le portable brisé. Impossible de la pister. Selon toute vraisemblance, le fourgon irait ici, dans cet entrepôt.
« Et si ce n’est pas le cas ?
- Parfois, il faut savoir positiver, Félicia. Il faut que tu sauves cette fille. J’ai appelé la police, mais, le temps que les renforts arrivent... Enfin, tu connais la chanson...
- Ouais, la cavalerie arrive toujours en retard. »
Félicia avait rangé ses écouteurs, de même que son portable, et s’avança le long de la grue, avant de se laisser descendre. Elle rejoignit ainsi le toit de l’entrepôt, et commença à entendre des bruits à l’intérieur. Il y avait de grandes fenêtres crasseuses sur le toit, qui lui permirent de voir une grande pièce avec des voitures qu’on réparait, des caisses, des cartons, des armes, et des hommes tatoués. Elle vit un coin loisirs, avec une télévision, une console de jeux, des fauteuils, des carcasses de pizzas sur une table. Elle n’eut pas longtemps à attendre avant d’entendre les bruits d’une camionnette qui s’approchait à vive allure. Courbée sur le toit, Félicia chercha rapidement une entrée, et descendit du hangar, atterrissant dans une ruelle jouxtant ce dernier. Elle s’approcha d’une petite porte latérale, naturellement fermée... Mais Félicia était une cambrioleuse hors pair, et la chaîne retenant la porte était rouillée. Avec sa force développée, elle réussit à forcer l’entrée, et pénétra dans un couloir poussiéreux. Sur sa droite, des vitres crasseuses permettaient de voir le grand entrepôt, et elle s’avança prudemment, se dissimulant derrière de grosses caisses, pour comprendre ce qui se passait.
La camionnette entra dans l’entrepôt, et les Jackals, tout d’un coup nerveux, s’approchèrent de la camionnette. Félicia, de son côté, était indétectable.
« Soyez prudents, les gars ! » entendit-elle.
Impossible d’intervenir pour le moment, elle allait devoir attendre qu’une opportunité se présente... Et ce serait peut-être l’occasion d’en savoir plus sur ce qui se passait ici.