« Je ne vois pas bien ce qu'on peut ajouter. Voyons déjà comment elle va réagir à ma présence. »
Allons bon ! Mélinda ne dit rien, mais le ton de la senseï lui semblait... Résigné, comme défaitiste. Était-ce là toute la volonté dont elle pouvait faire preuve ? Elle était comme un deux face à un flush royal. Mélinda s’écarta, et Shii commença peu à peu à émerger.
« Que... Qu’est-ce que vous comptez faire, au juste ? »
Elle parlait sur un ton suspicieux, ce qui, il fallait bien le dire, fit sourire Mélinda. Plusieurs fois, elle s’était demandée comment Shii réagirait si elle la mettait à choisir entre elle et Clara. Il y a quelques mois, voire même quelques semaines, elle était convaincue que Shii aurait, à contrecœur, choisi pour Mélinda, mais, maintenant... Hitomi avait été une vraie tempête dans la vie tranquille de ce manoir. Elle avait fait bien plus que briser le cœur de la vampire, elle avait brisé son image de Maîtresse parfaite et infaillible aux yeux de ses protégées. Pendant une intolérable semaine, les rôles s’étaient presque inversées. Mélinda n’était plus la Maîtresse des lieux, celle qui rassurait ses filles, celle qui consolait Shii quand elle avait le malheur d’avoir une mauvaise note, celle qui affirmait à Clara qu’elle ne servait pas à rien, qu’elle avait un rôle à jouer, mais que ce rôle ne serait pas sur Terre, celle qui avait permis à Kaori de réaliser son fantasme en lui offrant un sexe masculin... Non, elle avait été l’assistée, celle qui avait transformé une innocente lycéenne en vampire après l’avoir violé dans sa cave, celle qui s’était, sexuellement parlant, défoulée sur Clara, au point de réveiller ses vieilles cicatrices, celle qui avait eu besoin du calme et du réconfort de ses protégées. Elle avait vu une Clara faire la vaisselle sans protester, une Liana ne pas exiger de quatrième câlin après le troisième, une Kaori qui la regardait avec de lourds reproches dans les yeux, mais sans jamais oser les formuler... Oui, Mélinda avait vu bien des choses, et ces choses l’avaient attristé.
Alors, pour en revenir au moment présent, Hitomi devait déjà s’estimer incroyablement chanceuse de n’avoir pas été tuée sur place dès que Mélinda l’avait revu, tout comme elle devait se sentir incroyablement miraculeuse d’avoir une chance de revenir dans la vie de Mélinda. Car c’était bien ce qu’Hitomi voulait, dans le fond. C’était bien pour ça qu’elle avait débarqué en furie au manoir, la semaine dernière, en balançant à Mélinda tout un tas de reproches.
*Mais, à chaque chose, malheur est bon... Mon errance a permis à Shii et à Clara de se rapprocher. Voilà pourquoi, maintenant, je sais que Shii choisira pour Clara.*
Mélinda regarda à nouveau Shii, et lâcha :
« Nous allons éliminer les démons obscurs du passé de Clara. De cette manière, elle ne pourra que se tourner vers son futur, et je lui dirais qu’elle ne sera pas un poids dans mes affaires. »
Tout serait progressif, bien entendu. Mélinda s’aventura hors de la chambre, et se mit à réfléchir sur la meilleure manière d’aborder la situation. Indéniablement, dès que Clara verrait Hitomi, il fallait s’attendre à ce que des éclairs sifflent. Fermant les yeux, Mélinda essaya donc d’imaginer la scène, de la visualiser. Où accueillir Clara ?D ans le living room, les fesses posées sur de confortables fauteuils rembourrés en mangeant des madeleines ? Hey, Clara ! On t’a réservé une place au chaud, tu viens ? Il faut qu’on discute de deux, trois trucs ensemble, rien de bien méchant... Vas-y, goûte les petits pains, ils viennent juste de sortir du four, ils sont, mais, DÉ-LI-CIIIIEEUUUUX ! En insistant sur la dernière syllabe, à la Française !
Non... Dans le grand salon ? Mélinda fit la moue, et imagina des situations assez cocasses, ce qui la fit même glousser. Elle s’étonna de pouvoir rire alors qu’elle allait probablement affronter un cyclone sur pattes. Hitomi, de son côté, allait probablement réaliser, à moins qu’elle ne le sache jamais, à quel point le contrôle de Mélinda sur les choses était factice, et à quel point la réalité était éloignée de ses propos. Alors que la vampire réfléchissait, ses fines oreilles entendirent une porte claquer, et la voix forte de Clara résonna dans le salon se trouvant juste en-dessous, les ondes sonores filant par les portes ouvertes le long de l’escalier pour atteindre la chambre de Shii, qui avait été volontairement placée à proximité de l’entrée :
« Raah, putain, j’ai les jambes sciées en deux comme une saloperie de cul-de-jatte, et la gorge aussi sèche que le cul d’une nonne ! Saloperie de bordel ! »
Un léger sourire amusé traversa les délicates lèvres de Mélinda, qui tourna sa tête vers Hitomi, avant de lui tendre, et de lui mettre dans les mains la copie du jugement de divorce.
« Je crois que le monstre vient de rentrer. Ce papier te permettra peut-être de l’amadouer. Allons-y. »
Clara, effectivement, venait de rentrer. Elle avait très bien mangé. Les pizzas, elle aimait bien, mais un MacDo entre copines, c’était autre chose. Les Européens snobinards et les vieux cons avaient beau gueuler sur les Américains, Clara, elle, adorait la culture américaine. Hollywood, les magazines people, la téléréalité où on se foutait de la gueule de Steven expliquant à Clint ses problèmes sentimentaux avec Amy sous la douche, et... Et la bouffe, surtout ! Y avait pas à tortiller du cul pour chier droit, comme elle le disait souvent, mais, pour elle, le McDo’, c’était le restaurant quatre étoiles par excellence ! Le Big Mac était la preuve que Dieu existait, et, à chaque fois que Clara en prenait un, c’était pour elle une nouvelle explosion de sensations et de plaisir à la chaque fois. Le Big Mac était petit, rond, et tout dedans était bon, même la salade. La croûte était molle, ni trop chaude, ni trop froide, le morceau de viande était succulent, et cette sauce... Elle en avait recommandé un autre, tant elle aimait ça.
De plus, rien ne valait un McDo’ entre copines. Clara avait retiré son sailor fuku dès qu’elle était sortie de la dernière heure de cours, se changeant dans les toilettes. Taoki, l’une des poulettes du lycée, avait été offusquée de la voir sortir des chiottes avec des bottes noires en cuir, une minijupe noire, des collants, un débardeur, et des lunettes de soleil. Elle avait eu droit à un doigt bien senti, et Clara était partie rejoindre ses copines. Elles avaient parlé de tout et de n’importe quoi : qui était le plus craquant entre Edward Norton et Christian Bale, rigoler en se rappelant quand elles avaient enfermé Uzawa dans son cahier, ou quand elles avaient balancé les affaires de Tenshî dans la poubelle, en invitant ce dernier à le récupérer, et quand cet abruti d’incapable impuissant avait confondu sa trousse avec une peau de banane, savoir si Marie avait enfin réussi à vaincre Jack Lupino dans Max Payne, et, surtout, savoir enfin si Lana était en cloque de Matthieu, ou de Toni.
Bref, un repas entre filles ! Clara en était ressortie en mettant des écouteurs sur ses oreilles, afin d’écouter un album que l’une de ses copines venait lui passer. C’était Psyborg Corp, et ça déménageait bien. Elle allait enchaîner My Mechatronics après s’être tapée un grand classique, Through The Fire And Flames, quand elle était revenue au manoir. Une sucette dans la bouche, elle avait tendu la main vers Edgar en éteignant son walkman.
« Yo, Ed’ la Canaille ! »
Ce dernier avait grommelé quelque chose dans sa barbe en ouvrant la grille, et en se replongeant dans la lecture de son journal. Clara avait souri. Ed’ était foutrement drôle, ouais, mais il était aussi foutrement con. Elle avait remis sa musique, tout en se demandant comment Liana réagirait si elle le lui mettait dans les oreilles. Elle se rappelait encore de la scène, car elle en avait ri à s’en rouler par terre, et à avoir mal aux côtes. Elle en avait même pleuré ça de rire, car ça faisait longtemps, vachement longtemps même, qu’elle s’était pas bidonnée comme ça. Liana était impayable, tout simplement !
Elle dormait paisiblement, roulée en boule sur une chaise rouge. De ce sommeil paisible, avec ses petites lèvres qui s’ouvraient et se refermaient délicatement, avec sa poitrine qui s’abaissait et se soulevait. De ce sommeil qui donnait envie à toutes les greluches de la câliner, ou de la prendre en photo, tant elle semblait calme et heureuse. Et Clara, elle était en train de faire un véritable massacre sur un Call of Duty, dans ce niveau où y fallait justement buter des péquenauds dans un aéroport russe. L’un de ses préférés. Elle adorait se défouler sur ces pauvres types, et les massacrer jusqu’au dernier. Shii l’avait traité de « psychopathe compulsive » en la voyant traquer impitoyablement avec son viseur chaque dos en ouvrant le feu. Et elle était sur ce niveau quand elle avait remarqué la présence de Liana. Dans ses oreilles, AC/DC s’emportait, et on peut pas franchement dire, à notre époque, qu’AC/DC, ce soit très violent... Clara l’avait regardé à plusieurs reprises, et avait mis le niveau sur pause, avant de se relever. Quand Liana dormait, il fallait un tremblement de terre, ou l’odeur d’une viande en train de griller, pour la réveiller. Clara s’était donc rapprochée, et avait mis la musique sur pause, pile au moment où le chanteur s’emballait en hurlant son mythique « HIIIIIIIGHWAYYY TO HEEELL !!! ». Délicatement, elle avait posé le casque sur les oreilles poilues de la neko, et... !!
Même maintenant, elle en riait encore. Liana avait fait un tel bond qu’elle avait atterri sur le lustre, avant de retomber, et de se mettre à miauler comme une folle en bondissant sur la table. Le seul regret de Clara, c’est qu’elle ne l’avait pas filmé à cette époque... Une telle vidéo aurait fait le tour du Net. Au moins 100 millions de vues sur YouTube ! Rien à voir avec le macaque qui se met les doigts dans le cul ou le gros pâté qui chantait Numa Numa. Ça, c’était le buzz mondial ! Elle avait bondi comme une espèce de kangourou, avant de réussir par réflexe à enlever le casque, et à filer à toute allure.
*Je crois bien que je l’avais jamais vu courir aussi vite... La pauvre, elle a mis des heures à s’en remettre, et avait les poils tout tendus...*
Fort heureusement, Liana n’était pas rancunière. Mais, maintenant, elle essayait toujours d’être plus méfiante quand elle dormait, mais, pour une neko, dormir, c’était sacré... Clara se demanda vaguement ce que Liana penserait si elle lui balançait du Psyborg Corp dans les oreilles... Elle ouvrit l’une des multiples portes d’entrée, et la referma sèchement, avant de s’étirer d’un coup, sentant ses jambes et ses bras délicieusement craquer, et lâcha, sur un ton enjoué, comme pour signaler sa présence :
« Raah, putain, j’ai les jambes sciées en deux comme une saloperie de cul-de-jatte, et la gorge aussi sèche que le cul d’une nonne ! Saloperie de bordel ! »
Ça sortait tout seul, et c’était gratuit, on aurait tort de se priver. Attention, Mesdames et Messieurs, Clara était dans la place ! On rigole moins, hein ? L’héroïne venait de débarquer ! Et l’héroïne avait une soif infernale ! Rejoindre le manoir sous cette chaleur tropicale, ça vous sciait le cul comme si on lui enfonçait un rondin. Elle claqua des lèvres, et se dirigea vers le premier frigo à proximité. Depuis que le manoir avait été vidé de la moindre petite goutte d’alcool, à cause de l’autre pétasse, Clara était bien obligée de faire avec les moyens du bord : le Coca, et le jus d’orange. Elle ouvrit le frigo, sortit un Minute Maid, décapsula la cannette, et referma le frigo’ d’un coup de pied, avant de boire. C’était bon, et ça faisait du bien.
Ce fut à ce moment qu’elle entendit les marches de l’escalier craquer. Elles étaient plusieurs, et elle vit Mélinda entrer la première, avec une petite mine soucieuse sur le visage. Qu’est-ce qui la tracassait encore ? Akira qui boudait encore ? Clara remarqua alors que Mélinda portait un dossier bleu, et que plusieurs feuilles en ressortaient. C’est cela qui lui met les sens en alerte. Elle reconnaissait ce dossier. Mélinda en avait un sur chaque pensionnaire, dans son bureau, mais elle ne les sortait jamais.
« Un problème ? » demanda-t-elle.
Mélinda ne répondit pas sur le coup, s’humectant les lèvres, ce qui voulait dire que, oui, il y avait un problème, et que ça la concernait. Elle tenta de parler, mais Clara fut plus rapide. Elle se rapprocha de l’escalier, vit Shii qui se tenait timidement sur le pas de la porte, ainsi qu’une paire de longues jambes. Le temps sembla lentement se figer. Psyborg Corp disparut loin, Liana fut évanouie, et, au fur et à mesure que les yeux de Clara remontèrent, elle sentit une froide rage l’envahir. Elle ne sentit même pas la main maladroite de Mélinda tenter de la rattraper, et poussa Shii. La lycéenne avait remué les lèvres, mais Clara n’entendait rien, et ne voyait rien d’autre que la salope qui se tenait face à elle.
La saloperie de pétasse qui l’avait menacé d’appeler les flics. La foutue senseï de merde qui avait pas été fichue de se contenter d’avoir pourri la vie d’un pauvre con, et qui se permettait de se pointer. Shii tenta d’insister, et Clara fut un peu plus violente. Elle poussa tellement Shii que la pauvre heurta lourdement le mur, faisant tomber un tableau qui lui heurta le crâne. Mais, de cela, Clara n’avait cure. Ses yeux ne voyaient qu’une seule chose : la salope. La salope qui tenait dans les mains un délicat papier blanc qui avait tout d’un courrier officiel. Et Clara n’avait aucun doute sur le contenu de ce papier, et comprenait très bien.
*C’était plus fort que toi, hein, foutue pétasse ? Le bonheur des autres, ça te fait vomir parce que t’as foiré ta vie ! Tu les as appelés, hein ? Les flics n’ont du avoir aucun mal à faire le rapprochement, à trouver une photo dans ce lycée à la con, et la montrer à mes parents. Je suis sûre que le trou-du-cul était ravi d’entendre ma mère pleurer au téléphone en se disant que sa petite fille chérie était retrouvée, et je suis sûre que mon père se disait qu’il était temps de remettre sa petite fille chérie dans le droit chemin. Elle était un peu turbulente, après tout, mais n’avait besoin que d’une petite pousse pour se remettre dans le droit chemin... Comment tu as pu me faire ça, sale pute ?!*
Ses poings serrés témoignaient de sa rage, et elle poussa Hitomi. Ou, plutôt, tenta de la poussa, car, si elle amorça le geste de lever une main pour la pousser, elle sentit un étau de fer emprisonner son poignet. Mélinda. Et la main de la vampire n’était plus du tout maladroite. Elle était ferme, assurée, solide, vampirique. Impossible de se défaire d’une telle emprise, mais ce n’était pas encore assez. Clara gémit, et se retourna pour faire face à Mélinda.
« Elle... ! » tenta de dire Clara.
Ce fut tout ce qu’elle parvint à dire avant que la main de Mélinda ne s’abatte magistralement sur sa joue.
*PAF !*
Une bonne grosse claque comme on en faisait plus ! Clara vit trente-six chandelles, et tomba par terre, sa tête heurtant le mur. Elle s’attendait à recevoir une correction en règle, mais Mélinda n’était déjà plus sur elle. Penchée sur Shii, elle la prenait entre ses bras. Clara secoua la tête. La claque était douloureuse, oui, mais avait fait l’effet d’une espèce d’électrochoc. C’est que Mélinda avait une sacrée poigne. Clara vit alors que le crâne de Shii saignait, et que cette dernière pleurait. Et ça, ce n’était pas du fait de Mélinda, mais d’elle... Clara faisait fréquemment de la musculation et des exercices physiques... Elle avait poussé Shii sans s’en rendre compte, et la tête de cette dernière avait violemment heurté le mur, faisant tomber un tableau qui avait heurté son crâne.
« Là, là, Shii, ce n’est rien... »
Clara était à terre. Revenue à elle, elle hésitait entre se fustiger elle-même pour ce qu’elle venait de faire ou la colère... Et ce fut la colère qui l’emporta. Elle tourna la tête vers Hitomi, qui tenait toujours entre ses doigts le papier blanc.
« Qu’est-ce qu’elle fout là ?! »
Mélinda ne répondit pas, se contentant de rassurer Shii, de lui dire que les blessures sur la tête saignaient beaucoup, mais que ce n’était que superficiel, tout en lui faisant un câlin et en l’embrassant sur la tête.