La petite nouvelle accepta de suivre Mélinda, qui ravala un éventuel sourire. Personne n’avait osé venir la gêner. Si les camarades ignoraient normalement qu’elle était une vampire, ils savaient que son corps élégant dissimulait une force insoupçonnable, et ceux qui avaient déjà essayé de la remettre à sa place, notamment des grands-frères ou des petits-amis de filles à qui elle avait crûment balancé leurs quatre vérités, en avaient pris pour leur grade. Mélinda ne se trouvait pourtant pas si insupportable que ça à vivre... C’est juste qu’elle n’aimait pas qu’on lui marche dessus, ou qu’on la traite avec mépris. Autant dire que, dans un lycée, lieu par exemple des commérages, des ragots, des rumeurs, et des colportages blessants, c’était demander l’impossible. Une jeunesse qui représentait fièrement la population terrienne, dans le fond.
*Ils me détestent parce qu’ils me jalousent... Ils aimeraient avoir mon cran, ma beauté, et ne pas avoir si peur de la solitude. Ils n’ont même pas vingt ans, mais la solitude les effraie autant que s’ils en avait quatre-vingt, les forçant à s’entourer d’amis, pour le simple plaisir de pouvoir fièrement se coucher le soir en se disant qu’ils servent à quelque chose, et ne sont pas comme les solitaires et les marginaux. C’est pathétique.*
Mélinda avait bien choisi son pays. Le Japon... Un pays sclérosé, perdu entre le poids écrasant des traditions, du passé, et les innovations technologiques. Un pays qui était en pointe sur toutes les prouesses techniques, les derniers gadgets, mais qui, paradoxalement, continuait à imposer aux élèves l’uniforme scolaire, et disposait toujours d’un Empereur, une chose impensable dans le reste du monde. La démocratie était le dogme terrien, avec tous ses défauts et ses imperfections. Mélinda laissait silencieusement son esprit divaguer, jusqu’à ce que Yukio la rejoigne.
«Alors, de quoi voulais-tu me parler ? »
La vampire la regarda. Yukio avait l’air si douce, si innocente, si... Si naïve, dans le fond. Elle était un régal pour les yeux, avec sa belle chevelure bien coiffée. L’uniforme scolaire renforçait ce côté juvénile. Est-ce que, comme elle, elle détestait porter ce truc ? Mélinda préférait largement ses amples et longues robes fines, mais les rites terriens, particulièrement ici, imposaient un protocole vestimentaire à respecter.
« Je voulais te mettre en garde... » commença-t-elle prudemment.
Mélinda avait les bras croisés en disant ça, et les décroisa. Elle jeta un bref regard à gauche et à droite, comme pour s’assurer que personne ne les écoutait, et elle s’élança :
« Pourquoi crois-tu que ces gens sont si attentionnés envers toi ? Dès que le senseï a prononcé ton nom, ils ont oublié Yukio, et n’ont retenu qu’Onoki. »
La vampire n’agissait pas par charité gratuite. Cette jeune fille l’intriguait, et elle s’empressa de poursuivre :
« J’ignore pourquoi tu as décidé d’aller dans une école publique, alors que tu avais probablement bien des portes d’ouvertes, mais sache qu’ici, ça fonctionne, sur ce point, comme n’importe où : sur dix personnes, il n’y en aura que deux ou trois en qui tu pourras véritablement te fier. Lana et Shizua, les deux filles qui t’ont abordé, sont, pardonne-moi du terme, de vraies pétasses. »
Mélinda entendit alors du bruit venant du haut de l’escalier. Le senseï approchait. La salle de cours était au premier étage, et il venait du troisième étage. Il débarqua sur un pas élancé, sourire aux lèvres, courant presque, son eau de Cologne le faisant sentir à des kilomètres à la ronde. Il devait avoir entre la vingtaine et la trentaine, et faisait également jeune par son look. Ne portant aucun costard avec une cravate, il arborait un jean avec des baskets, et passa rapidement devant les deux femmes. Cauvigny, puisqu’il s’appelait ainsi, était une espèce d’institution dans le lycée. Il était à la fois prof’ de chimie et de mathématiques.
« Allez, allez, on se dépêche ! »
Mélinda le laissa passer, puis regarda à nouveau Yukio :
« Le paraître et l’hypocrisie sont également importantes ici... Je ne te dirais pas que je suis la seule personne fiable de ce lycée, car ce serait exagéré, mais je suis honnête. »
Plus ou moins...
« Si on ne me supporte pas, c’est parce que je n’hésite pas à dire ce que je pense de ces types. Leurs seules préoccupations dans la vie sont de savoir quel parfum mettre, quand organiser une prochaine soirée... Quand ils seront à la fac’, il faudra aussi rajouter : savoir avec qui baiser le soir. A moins que ça ne soit déjà le cas... Tu crois qu’elles t’aimeront, qu’elles verront en toi une amie, mais elles te jalousent déjà. Pour ta beauté naturlele, ton innocence. Ta richesse les fait saliver, et ta candeur les insupporte. Confie-leur un secret intime, et elles s’empresseront de le raconter à n’importe qui. Bienvenue dans la normalité de l’adolescence, Yukio ! »
Ce qui ressortait indéniablement de ces quelques explications, c’était l’espèce de mépris assumé que Mélinda vouait à ses camarades de classe. On aurait presque pu la croire cynique, vu sa manière de dépeindre sa classe, mais l’esclavagiste estimait plutôt être réaliste. Pour elle, les êtres humains n’étaient pas faits pour se diriger eux-mêmes. Ils avaient été créés par les Dieux pour être des adorateurs, des prêtres, des soumis. C’était inscrit dans leurs gènes, pour elle. Mélinda s’arrêta alors, et se retourna vers Yukio :
« Au fait... Ça te tenterait, d’être ma partenaire pour le TP ? J’ai toujours un mal fou à en trouver... »