Depuis qu’elle avait été scellée, et qu’elle avait perdu quelques milliers de sorcières à cause d’individus venus répandre l’amour entre les hommes, Sha avait sur la Terre une influence extrêmement faible. Si elle pouvait toujours s’y rendre, elle ne le faisait toutefois que peu. Elle ne l’avouerait jamais publiquement, mais les Terriens l’effrayaient. Sha était loin d’être immortelle, et la folie des hommes avait déjà corrompu son esprit, lui offrant un dernier Attribut divin, dont elle se serait bien passée, tout en l’affaiblissant énormément. Les rares fois où elle sommeillait, elle rêvait des cadavres, des bûchers, des croix de feu, des hommes en toge blanche, des juges prononçant les sentences, de son
impuissance à défendre les siennes. Pour elle, la Terre était donc un monde sans intérêt, ou presque. Car Sha n’ignorait pas qu’il restait encore des sorcières là-bas. Pour autant, elle ne les recherchait pas. C’était bien trop risqué. D’autres, en revanche, le faisaient. Ses servantes. Ses sorcières. C’était notamment le cas d’une sorcière tekhane,
Zara, qui avait depuis longtemps compris qu’on pouvait dénicher sur Terre bien des choses intéressantes.
Pour autant, Zara n’aimait que fort peu s’éloigner sur Terre, et préférait donc rester dans les environs de Seikusu, utilisant pour se repérer un point spécial qui renvoyait dans les profondeurs d’un ravin dans la forêt. Un point qui, a priori, n’avait aucun intérêt, mais qui était en réalité l’un des nombreux Portails permettant de rejoindre le monde de Terra, et qui conduisait à proximité du temple de sa Déesse. En tenue de civile terrienne, Zara était à Seikusu, explorant les lieux, recherchant des sorcières.
Ou plutôt, une, en particulier. Avec l’aide de la magie et de la technologie tekhane, Zara traçait sur Terre des cercles de repérage, afin d’essayer d’identifier des sources de magie. A Seikusu, ce n’était pas bien compliqué, et elle peaufinait donc ses cercles, afin de ne se centrer que sur les sorcières. Elle s’était pour cela inspirée des sorcières de la Déesse, afin de limiter les fausses pistes. Elle avait ainsi repéré dans un quartier de Seikusu une sorcière. Ne voulant pas créer de fausses joies envers sa Déesse, Zara attendait toutefois d’en savoir plus, et la cherchait donc. La zone de balayage était assez grande, se centrant principalement autour du parc, et Zara se tenait en ce moment dans un bus de transport en commun. Dans un coin, elle utilisait une machine à détection magique qu’elle avait confectionné à Tekhos. La machine ne fonctionnait pas très bien, et son principe ressemblait à une espèce de sonar. Les adolescents prenaient ça pour une espèce de jeu vidéo has been retro, et elle attirait peu l’attention. L’engin balançait des ondes de balayage, afin de repérer la sorcière, mais c’était très instable.
La sorcière en question n’était cependant pas très éloignée, et le bus passa même à proximité d’elle sans que l’appareil ne la détecte, signe que l’appareil était très instable. En réalité, ce que Zara ignorait, c’est que cette sorcière ignorait qu’elle en était une, et qu’il fallait attendre une manifestation de sa part, une manifestation
magique, pour que l’appareil la repère.
*
Allez, allez, allez, stupide machine, marche ! Raah, veux-tu donc marcher ?!* s’impatientait Zara.
Elle était en ce sens moins talentueuse que la bande qui, dans le parc, attendait soigneusement la jeune sorcière. Car
eux savaient qu’ils avaient affaire à une sorcière, et étaient moins sympathiques que Zara. Ils appartenaient en effet à une secte ultrareligieuse, qui voyait en les sorcières une incarnation du Démon, les membres d’une espèce de sinistre confrérie démoniaque ayant pour but de réveiller le Seigneur des Ténèbres. Leur secte s’appelait tout simplement la Néo-Inquisition, et les services de police accusaient leurs membres d’être responsables de bien des meurtres rituels. Dans des méthodes s’inspirant en effet du Klan, à l’époque où le KKK était vraiment puissant, ces fanatiques ressemblant à des skinheads accrochaient les prétendues sorcières (généralement d’innocentes femmes qui étaient un peu trop belles, ou qui n’avaient pas de chance) à des croix en feu. Derrière le côté symbolique, religieux, certains spécialistes ne voyaient en ces assassins que de simples violeurs et monstres qui donnaient à leurs atrocités une dimension prétendument spirituelle afin d’orienter la police vers de fausses pistes. Les corps calcinés rendaient les autopsies difficiles.
Quoiqu’il en soit, les Néo-Inquisiteurs étaient désormais sûrs de leur coup. La femme qui s’avançait à travers le parc était des
leurs ! Et ils avaient avec eux des arguments fracassants. Pour commencer, elle élevait des chats ! Et il était bien connu que les chats étaient le signe du Malin. Le chat était lié à une Déesse païenne, Freyja, et, comme preuve encore plus flagrante, certains Papes eux-mêmes avaient associé le chat au Malin ! Et la Néo-Inquisition se considérait comme les fils légitimes de l’Inquisition. La nuit de la Saint-Jean, on brûlait ainsi aussi bien hérétiques, sorcières, que chatons. L’association du chat à la sorcellerie expliquait aussi, accessoirement, pourquoi l’Ombre appréciait beaucoup les félins.
Pour en revenir au cas présent, tous les indices concordaient. Toutes les femmes que les Néo-Inquisiteurs avaient tué avaient, après tout, des félins ! La jeune femme avançait. Ils avaient tout prévu. Ils s’étaient débrouillés pour que la sorcière sorte légèrement en retard, afin de louper le bus, et qu’elle passe à travers le parc. Ils étaient là, dans un lieu désert, et, quand elle se mit à courir, ils comprirent que les instincts magiques de la femme l’avaient prévenu, l’avaient alerté ! Ils bondirent alors.
Malheureusement pour la sorcière, les Néo-Inquisiteurs étaient particulièrement rapides et entraînés, et l’un d’eux plaqua rapidement Konoka sur un sentier, la renversant.
«
Ne bouge plus, salope ! -
Les mains, les mains ! Attachez-lui les mains avec les menottes, avant qu’elle n’utilise sa magie ! Vite ! »