Le Temps est une constante invariable, disaient-ils. Il a été prouvé qu'une multitude de points de départ pouvaient émaner d'un seul moment. Par exemple, prenons l'exemple du petit déjeuner. Si vous ne saviez pas que vous alliez vous étouffer avec votre tartine et en mourir, vous la mangeriez et mourriez. Mais supposons que vous le savez. Il se crée alors deux situations : celle où vous mangez la tartine et mourrez, et celle où vous ne mangez pas la tartine et n'en mourrez pas. On peut aussi trouver des cas intermédiaires, comme manger la tartine, et s'arrêter une bouchée avant que l'on s'étouffe, et ainsi continuer une infinité de fois ce scénario, jusqu'à revenir au scénario initial.
Quel est le rapport entre cette tartine et l'histoire de Sleiko Eld, lycéen et futur cobaye ? Il s'agit des points de divergence. Si Sleiko avait su ce qui se cachait derrière la lettre glissée dans le livre qu'il lisait, jamais il ne l'aurait ouverte, et jamais il n’aurait fait la "connaissance" d'Aza, la chercheuse dans le labo où il avait été emmené de force. Cependant, il a ouvert le livre, il a trouvé la lettre, et il l'a lue. Et ceci est aussi l'histoire de cette chercheuse, Aza, pour qui Sleiko n'était qu'un sujet de recherche de plus. Ou encore, pour Sleiko, la femme qui lui a tendu un guet-apens.
Encore faut-il replacer tout ceci dans le bon contexte. Bibliothèque municipale de Seikusu, silence de mort. Sleiko feuilletait des livres tranquillement, rassasiant sa soif de connaissances parmi divers sujets. Reposant un livre pour en prendre un autre, il vit de loin un homme en imper noir, borsalino et lunettes de soleil opaques. Le stéréotype même du type louche. Sleiko frissonna. Il commença à trembler lorsque l'homme en imper se rapprocha de lui, lentement. D'ailleurs, il fit tomber le livre tant il tremblait. Ce fut l'homme en imper qui ramassa le livre et qui le tendit à l'homme aux cheveux violets, avec un petit sourire. Sleiko se détendit. L'habit ne fait pas le moine, disait-on...
Du moins pensait-il quand il vit un papier dépasser d'une des pages. Il prit le papier en main, regarda le recto, le verso. Une enveloppe, sans nom. Aucun destinataire, pas d'expéditeur. La curiosité étant le propre de l'homme, et à plus forte raison le propre de Sleiko, il ne put s'empêcher d'ouvrir l'enveloppe et de lire ce qui était écrit sur un semblant de papier.
"Nous avons ce que tu recherches.
Viens dehors, nous sommes là.
Aza."
Aza ? Qui était-ce ? A l'époque, il n'avait remarqué qu'une chose dans cette lettre, le manque total de style et le stéréotype total qui en émanait. Peut-être était-ce fait exprès ? Il n'y avait de toute manière qu'une seule façon d'être fixés. Sleiko s'approcha du bureau du bibliothécaire, fit les emprunts qu'il était venu faire et sortit, le cœur battant. Il n'entendait que sa respiration sifflante et ses pas. En dehors de sa propre existence, il n'entendait rien. Il descendit lentement les marches, et atterrit sur le palier de la bibliothèque, en face d'une femme aux longs cheveux noirs. Elle faisait un peu poupée sur les bords, d'ailleurs. Fallait-il mentionner sa taille ? Non, il était mal placé pour en parler. Avec ses talons, elle était plus grande que lui. Il se décida à ouvrir la discussion.
-Êtes-vous... Aza ?
Il ne put ni voir ni entendre la réponse. La seule chose qu'il vit fut une main se plaquer sur son nez et sa bouche, avec un mouchoir dans la main. Il tenta de se débattre, les yeux écarquillés, sans succès. Non seulement il n'avait aucune force, mais petit à petit, il se sentait de plus en plus faible. Il comprit bien vite. Chloroforme. Un piège. Pourquoi ? Il ne savait pas. Il ne voulait pas savoir. Il n'était pas en état de savoir, ni de réfléchir. Dormir...