Seikusu, Zone Industrielle, 22h31.
Dans un ancien entrepôt désaffecté, se déroulait une compétition très particulière. Un tournoi de combat de rue avait eu lieu tout le mois dans la ville, et des combattants du monde entier étaient venus, sachant qu'ici se trouvait la championne en titre, Flying Blow, invaincue depuis plus de trois ans. C'est dans ce vieux bâtiment que se déroulait la finale, des webcams étaient installées pour rediffuser le match en direct sur le net. Des spectateurs, ainsi que les participants vaincus (et encore valides), s'étaient placés aux premières loges sur des passerelles supérieures, qu'on atteignait grâce à un escalier situé juste à gauche de l'entrée principale. Des caisses de bois, contenant divers produits qui avaient été abandonnés là, avaient été volontairement laissées de façon désordonnée dans la grande pièce principale. La seconde pièce étant le petit local où le personnel prenait son café, remplissait la paperasse et allait pisser.
La championne, décontractée, étirait ses bras en l'air en croisant ses mains, alors que son adversaire, le teint pâle, des cheveux longs et noirs et le torse nu, s'approchait d'elle avec une démarche chancelante. A croire qu'il s'était fait briser une jambe lors des demi-finales, mais qu'il tenait tout de même à combattre. Mais à ce qu'on disait, il était comme ça depuis son premier combat. Il s'arrêta à environ quatre mètres, la tête et les épaules voutées en arrière, les bras pendants, en riant bêtement. On aurait dit une goule.
La jeune fille dévisagea de bas en haut son adversaire, et pencha la tête sur le côté en affichant une moue d'incompréhension. C'était un genre de style, cet effet "zombie"? Ca devait être ce que les rôlistes du lycée appelaient un "berserker", ou quelque chose comme ça. Vous savez, ce genre de types tellement malades qu'ils cognent sans réfléchir, et ne sentent quasiment rien. Elle se contente de montrer un index, pointé vers le haut à son adversaire:
- Une seconde.
Cette seule parole attira l'euphorie de l'assemblée, qui levait les poings en l'air, ou secouaient la main en faisant une grimace empathique envers l'adversaire. Dans le Street Fight, cette parole ne voulait pas dire "attends une seconde, je refais mon lacet", elle signifiait plutôt "Je vais t'éclater en une seconde". Réaction prévisible de l'ennemi, il fonça tête baissée vers elle, afin de lui flanquer un bon coup de poing. Elle n'eut qu'à faire un pas de côté pour l'éviter, se saisir de son bras, lui asséner un coup de pied à l'arrière de la tête pour le faire tomber en avant, et de lui faire une clé de bras tout en maintenant son visage au sol avec le pied. Bilan, traumatisme crânien, coude retourné, évanouissement et sol fissuré. C'était fini, déjà.
Elle poussa juste un soupir, alors que la foule lui faisait ovation, et que les fans se bousculaient vers l'escalier pour la féliciter. Habituellement, elle faisait durer le plaisir dans un combat, mais un combat d'une seconde en finale, c'était la classe, et ça flattait son orgueil.
Le premier de ses admirateurs à descendre l'escalier se prit la porte d'entrée dans le nez et tomba en arrière. Les battants s'étaient ouverts dans un grand fracas, attirant l'attention de toute la salle. Kamishini mit ses mains derrière la tête, et regarda vers l'entrée avec nonchalance. Un type fort costaud se trouvait là, mais elle n'avait pas l'air impressionnée. Il régnait dans la grande salle un silence de mort. Jusqu'à ce qu'un type s'écrie soudain:
- Hé, c'est ce type!
- Qui ça?
- Je l'ai déjà vu en ville, il est flippant.
Flying Blow regarda l'homme sans tourner la tête. Il avait des oreilles pointues, ce n'était pas un Humain. Puis son regard revint sur le nouveau venu. Elle avait entendu nombre de rumeurs sur un inconnu, qu'on prétendait redoutable, et détestable à souhait. L'homme en question avait la même description que cet homme-là, qu'on disait très fort. A vrai dire, Kamishini avait trouvé l'idée de le rencontrer intéressante au début, mais plus elle en entendait sur ce mystérieux gars, moins elle avait envie de le croiser. Mais ce soir, il était venu à elle. Et elle, elle affichait un visage plus que flegmatique, avant de lancer simplement:
- T'as un problème? Tu t'es paumé?