Les démons. Drôles de créatures si l'en était, celles qu'il était le plus facile de tenter, avec lesquelles il était le plus aisé d'obtenir des faveurs charnelles. Ils n'étaient pas regardants, ils prenaient ce qu'on leur offrait, et aussi ce qu'on ne leur offrait pas parfois il fallait l'avouer, sans faire la fine bouche... Les consoeurs de Calliope, servantes d'Aphrodite, aimaient pour certaines beaucoup les ébats avec les membres appartenant à cette race. Il fallait leur reconnaître que beaucoup étaient bien membrés, mais au-delà de ça, ils avaient une vigueur, une ténacité, une endurance et une bestialité dans l'acte que n'avaient pas d'autres races d'humanoïdes. Alors, c'est sûr que les soeurs de la Muse préférant les relations romantiques et empruntes de douceur n'allaient pas solliciter le concours de démons... Mais les autres, plus farouches et plus... Animales, s'en donnaient à coeur joie.
Calliope, elle, était en demi-teinte à leur sujet. Ayant plusieurs milliers d'années, elle n'était pourtant pas parvenue au cours des siècles à vaincre la réticence et la réserve qu'elle possédait vis à vis de certains de ces représentants... Elle n'avait, par exemple, jamais pu s'accoupler avec des minotaures ou autres monstres, alors que ses soeurs, oui. Elle, elle n'y parvenait pas. La Déesse était plus « vieux jeu » concernant ce point là, ne pouvant prendre de plaisir qu'avec des créatures humanoïdes, à tête et corps entièrement humains. Elle tolérait aisément les appendices animales, queues, oreilles, cornes... Mais le reste de la physionomie devait être humaine, sinon son dégoût était trop important pour qu'elle n'éprouve la moindre envie.
Cependant, ces réflexions étaient bien loin des préoccupations qui la tenaillaient pour l'heure. En effet, allongée sur une table molletonnée, les bras croisés sous son menton et les yeux fermés, elle se laissait masser avec délices par l'une des prêtresses de rang inférieur du temple d'Aphrodite. Les huiles essentielles qu'elle utilisait emplissaient délicieusement son nez et brouillaient son esprit, le rendant plus lointain, moins terre à terre. Soumise aux gestes de son homologue, Calliope se détendait. Mais le travail d'une Muse n'est jamais terminé.
Les yeux bleus grisés de la Déesse s'ouvrirent d'un coup. Elle sentait que l'on avait besoin de son soutient, qu'un esprit en proie au doute avait besoin d'inspiration. Elle ignorait encore l'entreprise pour laquelle on la sollicitait, elle espérait simplement assister à une scène romantique. Quoi de plus beau pour une prêtresse de l'amour et muse de la poésie que d'inspirer pour une demande en mariage, ou la révélation d'une passion ardente? Rien, bien sûr. Alors elle congédia sa soeur, quitta la table et claqua des doigts. En un instant, elle fut vêtue d'une robe de prêtresse aux armatures de métal, de couleur rouge. Une couronne d'or, symbole de sa suprématie sur les autres muses vint orner son front, et ses cheveux se retrouvèrent tressés de rubans et de guirlandes de fleurs parfumées. Ainsi devaient être les muses lorsqu'elles prodiguaient leur inspiration à qui la demandait.
Une fois prête, elle ferma les yeux et se concentra sur l'origine de la demande, puis usa de ses pouvoirs pour se téléporter derrière Adramelech. Une silhouette floue, mal définie, aux couleurs estompées. Voilà ce qu'aurait pu voir le démon s'il s'était retourné. Ca n'était pas plus mal, car la déesse avait l'air vraiment surpris de se retrouver dans un endroit aussi incongru, qu'elle n'avait jamais visité auparavant. Aussi silencieuse et légère qu'un courant d'air, elle s'approcha quelque peu du démon et regarda par dessus son épaule en contrebas. Un discours... Voilà donc la raison de son doute. Soupçonneuse, la Muse coula un regard vers le démon, qui semblait rasséréné par sa simple présence. Puis, elle soupira silencieusement et leva les yeux au ciel. Après tout, une créature était une créature. Il avait besoin d'inspiration, elle lui en donnerait. Attendant qu'il prenne une bouffée d'air, signe qu'il se mettrait à parler, Calliope posa sa main sur son épaule avec douceur, chose qu'il ne put sentir cependant, et ferma les yeux. Elle laissa l'inspiration passer d'elle au démon, lui soufflant les mots à utiliser et le préservant de l'hésitation, du doute. Une fois le discours terminé, la Muse ôta sa main de l'épaule du démon et fit un petit tour dans la pièce ou elle se trouvait, observant ici et là avec curiosité. Puisqu'elle était dans un endroit inconnu, autant en profiter pour l'explorer... Refermant le couvercle d'une petite boîte sans douceur, manifestant ainsi clairement sa présence, prenant à cet instant corps, forme et vie, elle adressa un sourire au démon, avant de disparaître. Lorsqu'elle reparut, elle était en contre-bas, une cape rouge sang sur les épaules, une capuche dissimulait sa tête. Vive et féline, elle se faufila dans la masse, ce qui était relativement aisé étant donné que les démons, groupe hétéroclite et coloré, la dissimulait sans peine, sans même chercher à l'arrêter, trop occupé à acclamer leur seigneur.