" Cesse de fumer, Erwan. "
" Je n'aime pas ta voix. "
Il n'était pas habitué à Seikusu. Les yeux rivés sur un paysage masqué par un brouillard fin, Erwan dévisageait l'atmosphére. Son appartement se situait auprés de Pigalle, toute son attention était rivé dessus. Il tira une bouffée sur sa cigarette.
Lukas lui avait dit de lui faire confiance, qu'il se chargerait de tout, pour ce soir. Il lui avait dit d'aller se reposer. Qu'il s'occuperait de trouver une danseuse, qui remplacerait Elena, tombée malade. La grippe était virulente. Et ainsi, le jeune homme ratissait du regard les environs, les yeux fixés sur Lukas, planté devant la boîte. Pour l'instant, il faisait bien son boulot. Tandis que lui-même venait de passer une demi-heure des plus tenaces et exacerbantes avec une japonaise à la voix suraigue. Diable, lui qui trouvait les longs cheveux noirs si exquis, venait à souhaiter les voir toutes mourir. Les européennes me manqueraient-elles à ce point ?
Puis il en vit une. Atypique. Danser devant Lukas. C'est quoi, ça ?
" Quel con. "
Il n'eut pas de remords à abandonner là son jouet - elle n'avait aucun interêt, celle-ci, sinon des jambes de 22cm - et à enfiler un complet noir. Chemise immaculé, pantalon et veston noir, veste grise, une montre à gousset plantée dans la poche.
Ses yeux étaient ce qu'il y avait de plus noir. Il descendit les escaliers, sortit dehors, alluma son portable, invitant ce cher Lukas à venir le rejoindre dans son bureau. Qu'il rejoignit lui-même en peu de temps. Il traversa la salle, regardant les danseuses, devinant la silhouette fluide de la "nouvelle" derrière une porte entrouverte. Qu'elle soit bonne ou pas, cela n'empêcherait pas Lukas de s'en prendre une belle. La dernière fois qu'il lui avait fait confiance, il s'en souvenait encore ... Me ramener une junkie, c'était innomable ... Alors, quel est le talent de celle-ci, cette fois ?.
" Patron, vous vouliez me voir ? "
" Je peux savoir ce que tu as fait ? "
Par réflexe, il s'alluma une nouvelle cigarette.
" Pardon ? "
" Qui as-tu fait entrer ici ? "
" Ecoutez, elle était plutôt sympathique, et fluette, ça changera de ... "
" Tu ignores ce qu'elle est ! "
Erwan se massa les tempes, cherchant à se calmer.
" Fais la sortir d'ici " ordonna t'il.
" Je ne peux pas, elle ... "
Il bondit hors de son bureau. Déjà, elle était là, sur scéne. Il s'en souviendrais, tiens ! Même si la môme se débrouillait bien, il détestait ces initiatives grotesques.
Il resta un moment, à la regarder, tandis que Lukas quittait le bureau, dépité. Il n'y prêta aucune attention. Ses yeux restaient rivés sur cette fille, qui avait une attitude assez étrange ... Avait-elle de l'expérience ? Il haussa un sourcil. Peut-être qu'il ne s'était pas trompé, en la prenant ... Rassuré, il s'apprêtait à quitter la pièce pour se reposer, quand il surprit la main de la petite blonde se glisser dans une poche. A quoi joue t'elle ? Il connaissait ces gestes. Lui-même, à Paris, avait vue certaines filles se conduire ainsi ... Il n'y préta pas attention, tout d'abord, mais se décida à passer inaperçu aux yeux de cette fillette.
Le manége dura ainsi une paire de soirées. Chaque soir, il la surveillait, essayant de se remémorer ces gestes indiscrets et inventifs, ancrés dans sa mémoire, sans pour autant avoir de visage. Il s'était excusé auprés de con acolyte, le remerciant, mais restant gêné par sa présence, et un soir, il décida de faire partie de ce public. De la regarder. Se faisant passer pour un client, espérant percer le mystére de cette inconnue. Il s'installa prés de la scéne, et regarda le spectacle d'un oeil furtif, peu convaincu, toujours sur ses gardes.
Et vite, le mystére fut éclairci. En un éclair, même. Vif, perçant, le jeune homme sentit rapidement que sa montre à gousset n'était plus sa poche. Il eut un sourire. Bien joué.
Sa main gantée attrapa le poignet de la jeune fille, avant qu'elle ne disparaisse de son champ de vision, et il planta son regard dans le sien.
" T-t-t ... On ne joue pas à ça, ici. "
Lança t'il d'une voix calme, posée et délicate, sans même une once de violence. La seule violence qu'il exerçait sur elle, était cette poigne qui serrait son poignet, sans le lâcher sans cesser de la regarder. Il fit claquer ses doigts, et une nouvelle danseuse arriva.
Il profita de cette diversion pour entraîner la jeune fille avec lui, sans lâcher son poignet, sans même se montrer violent, vers son bureau. Il la jeta à l'intérieur, sans pour autant l'envoyer valdinguer sur les murs, et ferma la porte. Erwan se retourna vers elle, appuyé contre la porte, sans mots dire, la regardant. Il ne savait même pas à quelle réaction s'attendre venant d'elle. La surprise sera meilleure ...