Les affaires tournaient bien. Il n'y avait eu que peu de soucis à régler - drogue dissimulée dans les casiers, talon brisé sur scéne, trois alcooliques qui ne comprenaient pas qu'ici, il n'était pas question de prostitution - à Pigalle. Cette soirée-là, il la laissait à un autre. Un acolyte, qu'il appréciait énormément, qui avait un bon feeling avec les filles. Tout ne dépendait que d'elles ; si l'une d'elle avait dit qu'elle n'aimait pas cet homme, il aurait tout annulé. Mais ce n'était pas le cas, bien heureusement ... Même si l'acolyte en question était un gay de pure souche, il pouvait aussi mal se conduire envers quelqu'un ou quelqu'une. Avec l'expérience, Erwan avait appris la méfiance.
Il passa sa main sur son front, toujours aussi stoïque sur cette digue. Il se remmémora le moment où il les avait toutes embrassées sur le front, leur souhaitant bonne chance, et où il avait claqué la porte de Pigalle, afin de passer une soirée loin du tapage. Non pas qu'il dédaignait la musique - il avait son droit de veto dessus, aprés tout - mais il ne se sentait pas capable de supporter des tonalités qu'il connaissait par coeur. " Il faudra songer à se renouveler ", nota t'il intérieurement.
Ce soir-là était bien calme. Il ne s'en faisait pas. "Pigalle" allait bien, ses filles allaient bien, il allait bien, sa bibliothéque allait bien, Phédre allait bien ... Un sourire passa sur ses lèvres. Paris lui manquait, tout de même. Surtout la langue française. " Hum, pas de nostalgie, continue sur ta lancée ". Le Japon allait bien, son estomac allait bien, ses poumons - en y pensant, il s'alluma une cigarette - allaient bien, sa vie sentimentale - solitaire - allait bien, le reste allait bien ... Même si les françaises lui manquaient ... Il se sentait bien étrange, occidental au milieu de cette foule asiatique. Il en venait à regretter beaucoup de choses auxquelles il n'aurait pas dû songer.
Calmement, il continua sa marche, les yeux rivés vers un ciel ombragé. La nuit allait tomber, et il s'éloignait, le coeur serré, de sa chère "boîte". Il ne voulait pas songer au travail, il était venu pour marcher, manger un peu et se vider le crâne.
Autant que possible.
Mais cette ville surprenante lui avait apprise à se méfier, et à ne pas se fier aux apparences : une nuit à l'allure si calme n'annonçait rien qui serait dans cette optique. Il avait presque hâte de rejoindre sa demeure, un appartement non loin de là ... Sans se presser, il emprunta un de ces passages pour accéder à Terra, passage emprunté plus tôt pour embaucher une jeune Terranide disparue depuis - un esclavagiste, sans doute - , et arriva de plein pied sur Terra.
L'atmosphére n'était pas la même, il le sentait. Vivement, il continua sa marche, son long manteau noir lui donnant un aspect d'un étrangeté vampirique, et observa l'endroit. Rues, ruelles ... Un dédale , un labyrinthe.
- Je souhaite m'y perdre, sussura t'il en empruntant un passage, au hasard.
La nuit était belle, chaude. Le ciel, opaque. L'air, doux. Il marcha, à droite, puis gauche, tout droit, pourquoi pas ? Puis, dans un soupçon d'envie, les paupières presques closes, il tourna à droite.