Etait-ce donc ainsi que leur rencontre inopinée allait s’achever ? Après que le charme de leur entrevue se fût construit petit à petit, à force de mots gentils et d’attentions réciproques, tout ce magnifique édifice s’effondrerait sous le coup d’à peine quelques maladresses ? Non, il aurait été une disgrâce que Saïl voulût en rester à un pareil échec, lui qui, au contraire, dans tous les domaines, n’avait toujours eu de cesse de poursuivre le plein accomplissement de ce qu’il faisait, quoi qu’il dût lui en coûter. Et en l’occurrence, la honte, l’embarras, la confusion, ne devaient pas le faire s’éloigner ainsi de la si estimable Shylee ; plutôt que de se racrapoter stupidement en bégayant de pusillanimes excuses, il aurait dû repartir à la charge et lui demander dignement son pardon pour faire repartir d’un coup d’aile l’envol de leur douce compagnie !
La demoiselle elle-même, toujours avec cette cordiale et amène simplicité dans le moindre de ses actes, fit en sorte de redonner du lustre à la situation, rassurant le jeune homme du toucher de sa main si délicate, si cajolante, si réconfortante. Malgré la fraîcheur de ces doigts malmenés par le froid ambiant, ce fut comme si un roboratif regain de chaleur l’avait traversé, les paroles de la belle exhalant l’haleine d’un revigorant soufflet sur l’âtre attiédi de son cœur. Ces propos n’étaient sans doute pas de la plus haute éloquence, mais cela n’empêcha qu’ils firent renaître la cordialité entre eux, en un contraste éminemment appréciable comparé au silence penaud de la seconde d’avant.
Aussitôt, on aurait pu croire à l’émanation d’une puissante étincelle d’affection entre eux qui, dissipant les ténèbres de la gêne, se faisait jour pour laisser à nouveau courir dans la pièce entière ce courant de tendresse qui s’était un moment vu court-circuité. Tout d’un coup, même s’ils ne se regardaient pas, les yeux de leur âme pouvaient voir clair l’un dans l’esprit de l’autre, et cette merveilleuse communion s’accomplit à nouveau, chassant le malaise de la même manière que l’on chasse un opportun d’un coup de pied au derrière.
Ce placide médecin qui tenait contre lui cette adorable institutrice ne devait pas se montrer apeuré par les sentiments qu’il éprouvait envers elle ; car après tout, pourquoi rougir de nourrir à l’égard de quelqu’un de si aimables pensées ? Si elle devait s’avérer ne pas goûter une telle révélation, voire l’avoir en horreur, et bien il en serait ainsi, mais au moins, voilà qui vaudrait toujours mieux que de rester niaisement sur le banc de touche avec des gestes en demi-teinte.
Et à l’instant même où cette résolution prenait corps en Saïl, il sembla qu’une chose semblable se fût produite chez Shylee, car celle-ci, en un mouvement qui parut la concrétisation d’une longue et ardue réflexion, se tourna complètement dans sa direction. Un court laps de temps, la surprise se fit de se retrouver ainsi face à face, comme s’il la découvrait réellement pour la première fois, dans cette obscurité complice qui donnait l’impression de réduire les choses à leur essence.
Oui, en ce moment même, ce qu’il voyait n’était pas une collègue, mais une ravissante jeune femme qu’il désirait combler de ses attentions les plus douces, emmitoufler dans la chaleur de ses émotions afin de la garder de toute froideur, matérielle ou spirituelle. Leurs positions ne laissaient désormais plus de place au doute ; ce doute qui l’avait insidieusement taraudé et qui maintenant n’avait plus de prise sur ce couple en pleine manifestation de tendresse.
Un mot, à peine une syllabe qui, telle une note de musique joliment délicate mais impromptue, s’envola, les paroles passant le relais aux actes. L’enchantement de leur proximité s’épanouissait, et sans penser une seule seconde à aller à son encontre, l’affectueux garçon imita l’approche de sa compagne, faisant venir son visage toujours plus près pour une fabuleuse rencontre.
Le contact eut lieu, et tout d’abord, la fraîcheur domina, leurs bouches désensibilisées par la faible température se rencontrant timidement pour ensuite affermir leur étreinte l’une contre l’autre et s’échauffer lentement. Ce ne fut pas un baiser plein d’un brûlant érotisme torride, non, ce fut l’expression d’une passion pleine de suavité, celle-ci se concrétisant alors que leurs enveloppes charnelles semblaient partager leur énergie, chacun paraissant donner à l’autre un peu de ce qu’il contenait par le biais de cet harmonieux toucher.
Il l’embrassa une fois tout gentiment, laissant le temps à ces nouvelles sensations de se propager dans son être, puis une autre fois avec plus de hardiesse, pressant ses lèvres contre celles de Shylee avec une indéniable affection, s’imprégnant de leur goût si délicieux, de leur texture si finement pulpeuse. Dans le même moment, ses bras reprirent la place qui leur revenait, faisant le tour du petit corps de la demoiselle aux cheveux bleus ; ce corps que l’on aurait pu croire mince au point d’être fragile, mais dont Saïl sentait la vie palpiter vigoureusement.
Une main sur le bas de son dos, une autre au niveau de ses épaules, il la pressa avec chaleur contre lui, comme pour lui faire passer le message qu’elle n’avait absolument rien à craindre de lui, qu’il n’abuserait pas d’elle et la traiterait avec toute la tendresse qui lui était due. Puis il se recula légèrement sans rompre pour autant l’embrassade qui les unissait, prenant un instant pour la regarder les yeux dans les yeux, les siens affichant toute la douceur des sentiments que son cœur renfermait.
Et une fois encore, évidence qu’il se plut pourtant à remuer dans son esprit, il pensa à quel point elle était belle.