Il avait presque commencer à prendre des habitudes. Cela faisait à peine une dizaine de jours qu'il était dans la la ville, mais en cherchant à se fondre dans la masse afin de passer inaperçue, il s'est vite tissé un réseau de connaissance dans le milieu underground noctambule. Un peu à cheval sur la loi, il était Alci, ou "hakase" (docteur). Un terme un peu...générique, comme il dirait. Il était pas du genre à s'occuper des extractions de balles à la petite semaine. En fait, il tirait profit de sa connaissance des plantes et des drogues (au sens médical du terme) pour concocter des palliatifs au drogues dure, en particulier la coke et l'héroïne.
Comme à son habitude, il joue sur les deux tableaux: D'un coté il permettais à de nombreux junkies de décrocher de leur dope, mais d'un autre, faut avouer que c'était un sacré marché ou il n'avait aucune concurrence.
Il savait fort bien que cela ne pourrait durer qu'un temps, puisqu'à un moment donné, les dealers du coin allaient commencer à se plaindre, aller voir leur grossistes, puis ceux-là vont rameuter une petite armée et...enfin, la routine, quoi. Et ça...pas question. Mais pour l'heure, c'était un bon moyen de constituer un petit trésor de guerre.
Quelqu'un à dire guerre ? Nooon, mais non, voyons, c'est une expression !... Ou pas...
En fait, du point de vue de Hiéronimus, il y avait quelque chose qui ne collait pas ici. Il ne savait pas quoi ni de quel façon ca allait arriver, mais ce dont il était sur, c'est qu'il devait s'attendre au pire. A partir de là, pour lui, cela signifiait se placer sur une défensive continuelle et se ménager autant de ligne de fuite que possible en prévision de cet hypothétique moment.
Mais en cet instant précis, il était aux abonnés absents.
Le Blue Note. Un nom carrément ringard pour un club de jazz...autant appeler le premier cabaret à la manque du village d'à coté le Moulin Rouge. C'était du moins ce que s'était pensé Hiéro en rentrant la première fois. Et pourtant. Une fois passé la vilaine porte en métal et le hall en chêne massif, on pénètrait dans un véritable temple du jazz. La passion du propriétaire s'affichait partout. Le culte qu'il vouait à cette musique en avait fait un érudit du jazz. Et le résultat était cette vaste salle de 400m² parsemée de colonnes fines. Des boiseries apparentes partout et des cuirs épais sur les chaises répandaient un odeur rassurante de cire. Les grands noms du jazz trônaient sur les murs. On y voyait même des artistes renommés contemporains...puis certaines, et pas des moindres avaient l'air signées. Et elles l'étaient, par le modèle lui-même, et c'est là qu'on comprend que le petit club miteux est en fait réputé dans le milieux du jazz du monde entier depuis environ 5 ans, amoureux qu'il sont de l'acoustique de la salle.
A 5 mètres au dessus, quatre grands ventilateurs brassaient tant bien que mal l'air que tentait de recycler péniblement deux filtres.
L'éclairage était laissé à la discrétion des clients. Chacune des tables avait sa propre source lumineuse ainsi que la commande pour en contrôler l'intensité. En dehors de ça, l'unique source de lumière était la scène. Et cette scène vibrait à cet instant d'une intensité presque magique. L'instant de l'émulation totale pendant lequel les quatre musiciens n'en forment plus qu'un et créent quelque chose qui les dépasse eux-mêmes.
Et à l'autre bout de la salle, Hiéronimus. Plongé dans l'obscurité, les yeux mi-clos, dodelinant de la tête tandis que ses doigts suivaient frénétiquement le rythme rapide et syncopé de la musique.
Il avait découvert l'endroit le premier soir par le bottin, tout simplement. Et depuis, chaque soir, il est là, à la même table, buvant le même bourbon et fumant les mêmes cigarettes indiennes.
C'est son moment à lui, sa pose, c'est là qu'il rechargeait ses batteries.
C'est en pleine montée de la contrebasse que parla la demoiselle. Pour Hiéro, cela lui avait semblait avoir l'effet d'une armure qui se casserai la binette parterre en plein milieu d'une église. Il se figea et lentement ouvrit les yeux sur la vague silhouette informe que l'obscurité lui permettait de voir. D'un geste il augmenta un peu l'intensité de trois spot montés chacun sur une tige orientable, révélant le haut de sa tête et sa chevelure, puis se reculant lentement, deux prunelles se détachèrent et en leur milieux des iris d'un vert vif et des pupilles incisives comme des têtes d'épingles. Il discerna le manteau d'une couleur fort à son goût, des bottes, une canne et "un très joli minois", se pensa t-il sur le moment. Mais elle avait interrompu son moment. Oui, mais il allait pas la laisser prendre racine, non mais quand même..et ainsi il se livra à ce débat intérieur débile avec une mine blasé durant une dizaine de secondes.
Finalement, il soupira et son regard s'éclaira d'un vivacité nouvelle. D'un geste ample de la main il désigna le siège en face du sien, tandis que lui-même se levait comme la politesse l'exige. Derrière la jeune femme, un serveur se tenait prêt au cas ou elle s'assoit, afin de lui pousser la chaise. Terminant son geste, il posa lentement son regard dans celui de la pâle demoiselle et dit en français "Ça dépend qui le demande et pourquoi". Sans attendre, il enchaina la même phrase en gallois, anglais et hongrois, chaque traduction étant d'un bonheur très variable.