Je la suivis. C’était une erreur, je le savais, mais je l’ai fait. J’ai pris le même chemin qu’elle, car je ne percevais aucune énergie perfide émanant d’elle. En fait, je sentais une préoccupation réelle, comme si elle craignait quelque chose, ou les conséquences de sa décision. Je la regardais, vraiment préoccupé par elle, puis elle m’indiqua la sortie. Elle me dit que par-là, j’aurais la liberté, que j’y trouverai un bateau pour quitter cette… île? Et aussi de l’argent. Elle me redonnait donc ma liberté, mais elle voulait, en échange, que je l’accompagne. Déjà, la raison de sa liaison avec Arthas fit sonner une cloche dans ma tête et je voulais aussi savoir pourquoi elle semblait si préoccupée par cette raison. Comme un chien devant lequel on tendait un morceau de viande bien juteux, je la suivis, avide d’informations, les réponses à ce « pourquoi » éternel qui rugissait dans ma tête depuis le jour où je l’ai vue, rangée au côté de son nouvel amant, mon ennemi, celui qui m’a dépouillé de mes terres et de mes gens. Elle m’offrait enfin la réponse à cette question, la chance de passer par-dessus cette histoire et de ne plus jamais avoir à y repenser. Je pourrai enfin regarder autre chose que le passé, à chercher l’erreur que j’aurais fait pour provoquer tout ce malheur. Elle m’emmena dans une pièce plus loin. Je l’ai suivie encore une fois sans broncher, sans poser de question. Elle l’avait dit, elle avait fait ce qu’elle avait fait pour une bonne raison, et maintenant, c’était à moi de juger si cette raison était valable. C’était une chambre. Cette chambre était d’ailleurs magnifiquement décorée. Cependant, je voyais bien, à la taille du mobilier. Je m’arrêtai alors, observant autour de moi. Il y avait deux petits lits pour enfants, une petite commode où le tiroir bloqué par une robe miniature et une chemise laissait savoir que deux personnes de petites tailles se servaient d’elle. Mon regard se posa sur les peluches roses et duveteuses alors que, accroché au mur adjacent, reposait un fourreau dans lequel était bien attaché, pour éviter un incident fâcheux, un katana. Un beau sabre comme il ne s’en faisait plus. Cependant, ce qui était le plus frappant me laissa sans voix.
Au milieu de la chambre, jouant à s’attraper l’un l’autre, montant sur les meubles avec l’agilité des félins, sans même renverser un vase, deux petits enfants, bien que de bonne taille et visiblement en très bonne santé, se chamaillaient. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort dans ma poitrine et je sentais le sang se faire plus rare dans mon visage, me rendant encore plus pâle que d’habitude. Ces yeux-là étaient les miens… ces petites mèches blanches au milieu de leur belle chevelure sombre étaient les miennes, et parmi toutes les possibilités qui aurait pu s’établir à ce moment-là, la seule et unique vérité me frappa de plein fouet. Ces petits… auraient dû vivre dans un beau manoir, entouré de l’attention d’un père qui les aimerait, qui aurait passé des journées durant leur petite enfance à s’occuper d’eux, à jouer et à rire, les voir grandir, sur les belles terres de Meisa. Ces enfants-là étaient les miens… et ceux de Mélisende. Lorsque leur mère fut entrée, ils arrêtèrent de jouer et ils me fixèrent. Leurs quatre petits yeux me fixaient, et visiblement, ils ne savaient pas qui j’étais, parce que ces yeux reflétaient l’incompréhension la plus totale; qui était l’homme qui était à coté de leur maman? Ils savaient qu’il y avait des dames avec des oreilles de chien, de chat, des plumes et encore, même des robots, mais pas un seul autre humain comme eux. Enfin… humain… ils étaient, tout comme moi, des hybrides de races mélangées. Je voulus m’approcher d’eux et les prendre contre moi, mais je ne faisais que rester là, le regard rempli de tristesse. Si j’avais su… pourquoi m’avait-elle caché leur existence? Pourquoi ne les avait-elle pas emmenés au moins une fois pour que je puisse faire leur rencontre!? Ses absences aussi fréquentes pendant les dernières années, l’interdiction d’entrer chez elle pendant des mois, passant cela sur une fausse accusation et ses disparitions à des moments inopportuns et surtout sa trahison, tout cela pour ces enfants? Je fis quelques pas, reculant contre le mur derrière moi, totalement déstabilisé. Mon cœur se mit à battre un peu plus fort et je levai la tête pour regarder Melisende.
-… Ce sont… de très beaux enfants… murmurai-je, trop paralysé par la stupeur pour dire quoi que ce soit.
Déjà, à ce moment-là, ma haine avait disparu. Je regardais Mélisende puis les enfants et je tremblais. Si c’était vraiment pour protéger nos enfants, de quels droits je pouvais lui en vouloir? Je regardai les enfants qui me regardaient aussi, les poings serrés pour résister à l’envie de les prendre dans mes bras.